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Le Sénégal de Abdoulaye Wade face à la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo. « Une autre Afrique est possible »

Publié le mercredi 15 décembre 2010 à 02h09min

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A Dakar, en marge du Fesman III, un seul sujet de conversation : la nouvelle crise « ivoiro-ivoirienne ». C’est, généralement, l’incompréhension. Et personne, ici, ne saurait prendre parti pour Laurent Gbagbo. Même le PS sénégalais, pourtant adepte des plus étonnantes circonvolutions politiques et des pirouettes idéologiques les plus acrobatiques, ne sait plus trop sur quel fil de fer (barbelé !) il marche.

Il est vrai que le schéma n’est pas habituel. D’ordinaire, c’est le candidat de « l’opposition » qui dénonce le tripatouillage des résultats électoraux ; cette fois, c’est le « sortant ». Et pas n’importe lequel. Pas un sous-fifre de l’armée, un quelconque galonné, un « dictateur » patenté. Non, un homme présenté comme un « opposant historique », un « intellectuel », un « socialiste ». De quoi, effectivement, dérouter les commentateurs. Et, plus encore, les électeurs africains. Car c’est toujours à l’aune de ce qui se passe chez soi qu’en Afrique noire francophone on analyse ce qui se passe ailleurs.

Un chef d’Etat déjà mal élu et qui, pendant cinq ans, a traîné les pieds pour organiser une nouvelle présidentielle, battu au second tour et qui refuse de céder la place à son successeur, c’est une première. Qui oblige, d’une part, à relativiser le caractère « fonctionnel » des élections ; et, d’autre part, plus encore, à relativiser ce qui se passe chez soi. Les « socialistes » sénégalais seront, désormais, bien en peine de critiquer ce qui se passe à Dakar dès lors que le « camarade » Gbagbo joue les apprentis dictateurs à Abidjan. Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du PS (cf. LDD Sénégal 0146/Jeudi 2 décembre 2010), initialement ancré aux côtés de Gbagbo, est désormais contesté au sein de son parti qui n’entend pas couler avec le FPI. Le bureau politique s’est déclaré à équidistance des deux camps en Côte d’Ivoire ; le « cul entre deux chaises », rien de tel pour se « foutre la gueule par terre ». Et pas très glorieux non plus au plan du comportement politique. « Le fait d’avoir choisi l’injustice et rejeté totalement la légalité et la démocratie est la preuve de l’incohérence de l’homme » se gausse, sans avoir à faire d’effort, la Convergence des cadres libéraux pour l’enracinement du Sopi (Clesopi).

La concurrence a toujours été de mise entre Dakar et Abidjan. La capitale de l’AOF était déjà le pôle colonial majeur de la France en Afrique quand la Côte d’Ivoire n’était encore qu’une forêt primaire. Par la suite, Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny auront deux conceptions totalement différentes de ce qu’ils devaient faire politiquement, économiquement, diplomatiquement, socialement. Wade a accédé au pouvoir juste quelques mois avant Gbagbo.

Dans des conditions démocratiquement exceptionnelles : l’homme qui était alors au pouvoir, Abdou Diouf, reconnaîtra sans sourciller sa défaite électorale. L’accession au pouvoir de Gbagbo et, rapidement, l’effondrement de la Côte d’Ivoire, vont permettre au Sénégal de s’imposer non seulement comme un modèle d’alternance démocratique mais, plus encore, comme un pôle d’attraction pour les investisseurs étrangers, y compris ceux qui avaient quitté en hâte la Côte d’Ivoire pour s’installer sur un marché moins aléatoire. Quand Gbagbo excluait son pays de la mondialisation, Wade surfait sur les nouvelles tendances de l’économie mondiale.

Jean Kacou Diagou, « patron des patrons » ivoiriens, président de la FOPAO, la Fédération des organisations patronales de l’Afrique de l’Ouest, qui espérait beaucoup de la présidentielle (cf. Côte d’Ivoire 0274/Vendredi 26 novembre 2010), est aujourd’hui désespéré : « La situation économique et financière pour de nombreuses entreprises commence à être difficile et risque de s’aggraver ». La Côte d’Ivoire devient plus invivable que ne l’a jamais été le Sénégal moins bien doté en ressources naturelles et confronté à de multiples « désagréments » quotidiens, économiques et sociaux, qui ne sont pas, parfois, sans impact politico-technocratiques.

Quoi qu’il en soit, tandis que la Côte d’Ivoire sombrait et s’effaçait sur la scène diplomatique régionale, africaine et internationale, le Sénégal s’imposait comme un partenaire crédible (quelque peu volatile parfois), incontournable sur les questions internationales. Wade développait les infrastructures (laissées à l’abandon depuis longtemps), désenclavait Dakar, repensait son programme d’aménagement du territoire, multipliait les projets (parfois démesurés, inconsidérés ou incongrus dans une perspective de court terme mais Wade pense sur le long terme). On peut juger (plus encore quand on est Sénégalais) que cela va trop vite, trop loin ; on ne peut pas ne pas penser qu’il fallait le faire avant que la presqu’île du Cap-Vert n’implose sous une pression démographique qui nécessite des infrastructures sociales plus performantes.

Gbagbo laisse croire que son combat est celui du défenseur de la « souveraineté » ivoirienne contre les menées des puissances « impérialistes » et des multinationales. Mais après dix années au pouvoir, une tentative de coup d’Etat, une quasi guerre civile, l’occupation du territoire par 10.000 soldats étrangers, une économie livrée à des groupes étrangers dans le cadre de marchés de gré à gré qui n’enrichissent que les intermédiaires, des filières de production gangrenée par la corruption, la cession de parcelles du territoire à des activités « polluantes » … Laurent « j’y suis, j’y reste » peut bien sauter à pieds joints toute la journée en criant « souveraineté, souveraineté… », il ne l’est même plus, dit-on, au sein de son propre ménage !

L’austère Gbagbo face au flamboyant Wade, le « socialiste » face au « libéral », le « moderne » face au « traditionnel », le « rebelle » face au « partenaire », le « jeune » face au « vieux »… Tout cela vient d’imploser. L’électorat de gauche en Côte d’Ivoire (tout au moins sa base) - qu’il ne faut pas confondre avec le FPI - trouve désormais (c’est ce que me disent mes correspondants qui sont sur le terrain ivoirien) bien des mérites au mode de production politique du Sénégalais Wade vis-à-vis de qui il était plutôt critique toutes ces dernières années (du fait, notamment de la « promotion » de Karim Wade au sein des instances dirigeantes). Les populations africaines se lassent d’un discours politique qui ne tient jamais ses promesses ; et ils entendent désormais confier leur destin à des « hommes » plutôt qu’à des « politiques ». C’est probant au Burkina Faso (cf. LDD Burkina Faso 0238/Mardi 23 novembre 2010). C’est, sans doute, la fin des « présidents de la République » et le retour des « chefs africains ».

Confrontées à des difficultés existentielles de plus en plus grandes (compte tenu des contraintes qui sont les leurs), les jeunes générations africaines ne croient plus au bien fondé des modes de production politique « démocratiques » ; elles veulent avant tout une société « libérale » au sens sociologique du terme. « L’affaire ivoirienne » sert de révélateur. Des milliards de francs CFA ont été dépensés pour une présidentielle qui n’a rien résolu ; bien au contraire : c’est la source d’une nouvelle tension. La « fin du politique » (après vingt années de revendications « démocratiques ») est, bien sûr, une tendance qui est une dérive. Mais qu’il convient de prendre en compte.

Dans dix semaines (6-11 février 2011), Dakar accueillera le Forum social. L’occasion pour les altermondialistes de réaffirmer que « un autre monde est possible ». Si une « autre Afrique est possible », c’est à Dakar bien plus qu’à Abidjan que cela se passe ! Les populations africaines commencent à en prendre conscience ; il leur reste à inventer les « nouveaux mouvements sociaux » qui, dans ce contexte, leur permettront de défendre leurs acquis et de connaître de nouvelles avancées.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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