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Côte d’Ivoire : Il est plus honorable d’accepter sa défaite quand on est au pouvoir que quand on est dans l’opposition !

Publié le vendredi 26 novembre 2010 à 02h16min

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L’ultime responsabilité des hommes d’Etat, et des hommes politiques qui aspirent à l’être, n’est pas de gagner ou de perdre les élections. Elles ne sont qu’une donnée quantitative. L’ultime responsabilité, c’est, au pouvoir comme dans l’opposition, de permettre aux populations des pays concernés de vivre le mieux possible les moments-clés de leur existence.

La démocratie, qui s’exprime (imparfaitement) dans les élections, est ainsi faite qu’elle vise justement à organiser sereinement la confrontation des idées. Or, malheureusement, trop souvent, en Afrique comme ailleurs, une élection n’est plus une confrontation d’idées ; mais une confrontation d’hommes !

Le dimanche 28 novembre 2010 pourrait être une date fondatrice dans l’histoire de la République de Côte d’Ivoire. Celle qui mettra fin à vingt années de confrontation des hommes. Ces hommes, les Ivoiriens savent qui ils sont : Henri Konan Bédié, président de la République de 1993 à 1999, renversé par un coup d’Etat ; Robert Gueï, chef de l’Etat au cours de l’année 2000, assassiné en 2002 ; Laurent Gbagbo, président de la République de 2000 à 2010 faute d’avoir été en capacité d’organiser la présidentielle de 2005 ; Alassane Ouattara, ancien premier ministre, qualifié pour le second tour de la présidentielle 2010 face au « sortant » : Gbagbo. La détestation a été totale entre ces quatre hommes pendant près de vingt ans. Gueï est mort ; Bédié et Ouattara se sont, politiquement, réconciliés dans une alliance dont on peut penser qu’elle est opportuniste et non dépourvue d’arrière-pensée mais qui a réel fondement : ils sont issus du même moule !

Dans cette affaire, depuis toujours, Gbagbo se sent exclu. Il n’est pas, intellectuellement, différent des deux autres ; et celui qui serait capable de dresser la liste de réelles dissensions politiques, économiques et sociales entre eux ne manquerait pas de talent. Ce qui fait la différence entre Gbagbo et Ouattara, dès lors que Bédié a été exclu du second tour, c’est cette obsession quasi psychologique, chez le président sortant, de ce qu’est le pouvoir (mais il n’est pas le seul dans ce cas-là) dès lors qu’il est issu des rangs de « l’opposition ».

Gbagbo a une vision globale, totalisante, du pouvoir : il faut occuper l’intégralité de l’espace sans rien concéder aux autres. En octobre 2000, il a vécu sa victoire électorale comme une victoire personnelle sans jamais prendre conscience qu’elle résultait de l’exclusion des autres ; président de la République, soucieux de sauvegarder son espace vital, il a poursuivi systématiquement cette politique d’exclusion. Et le renfermement sur lui-même l’a conduit à exclure de plus en plus, ce qui n’a pas manqué de provoquer une situation conflictuelle qui a trouvé son expression dans les événements du 18-19 septembre 2002.

L’histoire est aussi vieille que le monde : « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ». C’était la devise du roi de Mycènes, Atrée, au IIème siècle av. J.-C. Cicéron la reprendra, au siècle suivant, après l’assassinat de César, pour dénoncer le comportement de son adversaire, Marc Antoine. Cette devise ne doit pas être étrangère à Gbagbo, prof d’histoire. Il se rappellera que, la citant, Ciceron avait évoqué ce « qu’a été le sort de ceux qui l’ont prononcée ». Leur sang est maudit et le soleil se détournera de leur route, « horrifié par tout ce qu’il voyait ».

A quelques jours seulement du second tour de la présidentielle ivoirienne, il n’est pas un observateur, un commentateur, un responsable politique… qui ne soient préoccupés par les tensions parfaitement perceptibles dans le camp de Gbagbo qui, au mieux, avait envisagé une victoire au premier tour, au pire un affrontement avec Bédié au second tour et se retrouve finalement avec Ouattara soutenu par Bédié.

« Le candidat Gbagbo et son entourage proche apparaissent plus fébriles qu’ils veulent bien le dire, écrivait Thomas Hofnung, voici quelques jours dans Libération (23 novembre 2010). Il ajoutait que le président ivoirien, lors d’un meeting le samedi 20 novembre 2010, avait déclaré : « On ne peut pas livrer votre pays à des êtres violents. Je n’accepte pas, je n’accepterai pas, je n’accepterai jamais ! ». Philippe Duval, dans Le Parisien de ce matin (jeudi 25 novembre 2010), évoque lui aussi un « climat tendu en Côte d’Ivoire » et rapporte les commentaires du général Philippe Mangou, chef d’état-major, faisant état « des rumeurs, propagées par Internet ou téléphone portable, qui prédisent l’apocalypse, créent un climat de peur ».

On remarquera que Le Parisien, qui au plus fort de la crise ivoirienne, avait été catalogué comme « gbagboïste », a mis beaucoup d’eau dans son vin. Et Duval, qui avait été « coaché » par Alain Toussaint (alors porte-parole de Gbagbo) pour une visite accélérée de la Côte d’Ivoire, au lendemain des accords de Marcoussis, a rompu avec le ton qui était le sien dans un livre (Fantômes d’ivoire - éditions du Rocher - cf. LDD Côte d’Ivoire 090/Mercredi 22 octobre 2003) qui apparaissait fermement engagé aux côtés de Gbagbo et particulièrement critique à l’égard du Burkina Faso (considéré comme le sponsor des événements du 18-19 septembre 2002), de la France (qui avait mis en place l’opération Licorne) et des journalistes français (pour qui « il est du dernier chic […] de posséder le numéro de téléphone satellite de ces soldats révoltés […] de bons sauvages [auxquels] on pardonne tout, même la forte odeur de bouc que certains d’entre eux dégagent »).

Illustration de ces tensions : le Conseil de sécurité des Nations unies renforce son contingent de casques bleus ; 500 hommes et deux hélicoptères vont ainsi rejoindre, depuis le Liberia, l’ONUCI pour une mission temporaire (quatre semaines). De son côté, l’Union européenne (qui a détaché 120 observateurs) appelle la commission électorale ivoirienne « à lui assurer un libre accès à l’organisation du scrutin ».

Un débat télévisé entre les deux finalistes va être organisé et diffusé ce soir (21 heures TU) depuis les studios de la RTI. Politique intérieure, défense, sécurité, économie, politique étrangère, questions de société sont à l’ordre du jour selon le programme initial. Un programme soft. Mais qui ne sera pas nécessairement perçu comme cela par ceux qui, depuis une décennie, pensent qu’il faut occuper la rue quand on ne peut plus emplir les urnes.

Hofnung, dans Libération (cf. supra), raconte « l’attaque », par des « partisans de Gbagbo » du siège du RHDP à Cocody, qui aurait fait une vingtaine de blessés. Mais comment ne pas pousser les « jeunes » aux actions violentes quand Laurent Gbagbo, président de la République en exercice, candidat à une présidentielle dont chacun sait qu’elle est porteuse de bien plus d’autres choses que l’élection d’un nouveau chef d’Etat, déclare : « Je ne serai pas battu. J’y suis, j’y reste » (Jeune Afrique du 17-23 octobre 2010) ?

Ce « J’y suis, j’y reste » résonne comme un refus du résultat d’une confrontation électorale. Et il pèsera lourd dans l’histoire personnelle de Gbgabo. Aujourd’hui, personne ne sait qui sortira des urnes à la suite de la présidentielle 2010. Mais, quel qu’il soit, il devra recoller les morceaux d’une Côte d’Ivoire en miettes. Les « houphouëtistes » ont fait un pas dans ce sens ; il reste à en faire bien d’autres ; et les plus difficiles. Sauf à vouloir que perdure une Côte d’Ivoire en marge de la communauté africaine et, plus encore, de l’économie mondiale. Ouattara n’est pas, aujourd’hui, aux affaires. C’est Gbagbo qui est président de la République (et, ne cesse-t-il, d’affirmer, avec toutes les prérogatives d’un véritable chef d’Etat bien qu’il ne soit là que par la force des choses). C’est sa responsabilité qui est en jeu. Avec le risque majeur d’être plus « haï » qu’il ne sera « craint » !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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Vos commentaires

  • Le 27 novembre 2010 à 11:25, par zoula En réponse à : Côte d’Ivoire : Il est plus honorable d’accepter sa défaite quand on est au pouvoir que quand on est dans l’opposition !

    A mon humble avis, le problème est plus complexe:c’est celui de l’organisation équitable et transparente des élections.Pour accepter les résultats ou les rejeter, il faut d’abord être convaincu que ce sont des résultats justes, qui reflètent le vote des citoyens.Or souvent, ce n’est pas le cas.Alors, pourquoi voulez-vous que le battu accepte des résultats tronqués sous prétexte de civisme ou de pacifisme ?Organisons de vraies élections puis nous verrons si les hommes politiques sont honnêtes ou non.

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