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Alpha Condé vainqueur : Pas vraiment une raison d’espérer. Ni de désespérer

Publié le mercredi 17 novembre 2010 à 11h46min

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Drôle d’endroit pour une élection présidentielle démocratique. La première fois où les Guinéens ont voté pour se donner un président de la République c’était le 15 janvier 1961. 1.586.544 inscrits, 1.576.747 votants et 1.576.580 voix pour Ahmed Sékou Touré. Le 28 septembre 1958, les Guinéens avaient dit « non » au référendum sur le projet de Constitution de la Vème République française ; le 2 octobre 1958, le pays proclamait son indépendance. La suite, on la connaît. Superbement orgueilleuse avant d’être totalement douloureuse.

S’il est un pays qui est l’illustration de ce qu’est une « espérance trahie », c’est bien la Guinée Conakry (cf. LDD Spécial Week-End 0454/Samedi 11-dimanche 12 septembre 2010). Comment fait-on pour instaurer la démocratie dans un pays qui n’a connu que le totalitarisme ? Nous attendons la réponse de « Alpha Condé, premier président guinéen démocratiquement élu ». C’est le titre du quotidien Le Monde publié hier (daté du mercredi 17 novembre 2010).

Dans son papier, Christophe Châtelot écrit que « l’éternel opposant est sur le point de devenir le premier président de Guinée démocratiquement élu depuis l’indépendance de l’ancienne colonie française, en 1958 ». Mais il ajoute que « pour atteindre son objectif ce panafricaniste de toujours, marxiste devenu social-démocrate, développe alors une « ethno-stratégie » opportuniste qui lui permet de rassembler ses concurrents du premier tour autour de leur plus petit dénominateur commun : « Tout sauf un président peul », en référence à la communauté de son adversaire ».

C’est dire que cette élection n’est pas « démocratique ». Sauf à penser que l’exclusion et la stigmatisation de l’autre le soient. Mais je repose la question : « Comment fait-on pour instaurer la démocratie dans un pays qui n’a connu que le totalitarisme ? ». 1.474.666 voix pour Condé ; c’est 101.914 voix de moins que Sékou Touré en 1961, c’est sensiblement le nombre de voix (141.000) qui le sépare également de son adversaire, le « peul » Cellou Dalein Diallo. C’est dire que Condé se trouve à mi-parcours de l’un (en 1961) et de l’autre (en 2010). Les chiffres peuvent être, parfois, significatifs ; ils sont toujours symboliques.

J’aimerais que Condé ne soit pas l’autre façon de dire « Gbagbo » en malinké. J’aimerais surtout que l’élection guinéenne ne soit pas une instrumentalisation au profit de groupes d’influence non identifiés (mais qui seront, sans doute, très rapidement identifiables).

Diallo était arrivé en tête au premier tour le 27 juin 2010. Très nettement (près de 44 % des voix contre 18,25 % à Condé). Et l’organisation du second tour sera, sans cesse, repoussée laissant penser que, à Conakry comme ailleurs, certains étaient à la recherche des voies et moyens permettant d’empêcher la victoire de Diallo. Et, dans le même temps, de négocier avec le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) qu’il accepte la victoire annoncée de son adversaire.

Il est vrai que « l’ex-marxiste » et actuel « social-démocrate » Alpha Condé, « opposant historique » à la dictature guinéenne, 72 ans, leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), n’a pas ménagé sa peine pour stigmatiser les peuls « mafieux qui pillent le pays », « le voleur qui crie au voleur », « des commerçants qui n’ont aucune expérience du pouvoir d’Etat et ont acheté un parti à Diallo »...

Alpha Condé sera « à la fois le Mandela et le Obama de la Guinée ». C’est lui qui l’affirmait récemment dans un quotidien burkinabè. « Le Mandela parce que je veux réconcilier les Guinéens, et le Obama parce que je veux montrer que les Guinéens peuvent s’en sortir ». Son expérience ? « J’ai dirigé le mouvement étudiant, je milite depuis près de 40 ans, j’ai côtoyé des chefs d’Etat et j’ai vu comment ils gouvernent ». Ce qui n’est pas le plus rassurant.

Je ne suis pas de ceux qui, toute la journée, sautent à pieds joints en criant : « Condé, Condé, Condé… ». Et je me méfie toujours de ceux qui vivent (généralement bien) d’étiquettes apposées par d’autres : « marxiste », « social-démocrate », « opposant historique » (ce que Bonaparte disait des colonels au temps de la Révolution et de l’Empire vaut, sans doute, dans les régimes dictatoriaux, pour les « opposants historiques » : « Si à trente ans ils ne sont pas morts, ce sont des jean-foutre »). « Les régimes autoritaires, dit Condé, créent toujours une dynamique de la surenchère qui offre aux éléments les plus zélés du système la capacité de créer des situations de fait ». C’est vrai pour ceux qui servent le régime comme pour ceux qui s’y opposent.

Condé, fils d’un cadre de l’administration française, a été scolarisé à Toulouse, Louviers, Paris ; son parcours intellectuel, c’est Sciences Po (1963) et la faculté de droit de Paris. Ses biographes écrivent que c’est au sein de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) que « se développe son leadership et son influence parmi les cadres africains venus de toute l’Afrique francophone » ; c’est beaucoup dire et ce n’est pas ce que laisse entendre son compatriote Sékou Traoré, auteur de plusieurs ouvrages sur les étudiants africains et notamment sur la FEANF.

Enseignant, un temps, jusqu’en 1977, il rejoindra alors le groupe Sucres et denrées (Sucden), société de négoce fondée par Maurice Varsano avant d’être reprise par son fils Serge, qui s’est illustrée notamment dans le sulfureux « contrat du siècle » signé en 1988 avec la Côte d’Ivoire pour la « captation » de la totalité de sa production de cacao. Mais Condé n’est déjà plus, à cette époque, dans le groupe. Il a fondé, en 1985, le cabinet d’études économiques et financières Africonsult dont il sera le directeur général jusqu’en 2001.

C’est en 1991 que Condé reviendra en Guinée. Il a 53 ans ! Sékou Touré est mort six ans auparavant, le 26 mars 1984 ; Lansana Conté a pris le pouvoir. Condé se présente à la présidentielle de 1993, échoue naturellement face à Conté, revient à la charge en décembre 1998, ce qui ne manque pas d’exaspérer le « patron » de Conakry, se retrouve en prison (Sidya Touré, premier ministre de Conté, dénoncera dans cette affaire la « mentalité de type brejnévien » de l’entourage du chef de l’Etat ; Touré, qui a été éliminé du second tour de la présidentielle 2010, a apporté son soutien à Cellou Diallo).

Condamné en septembre 2000 à cinq ans de réclusion pour atteinte à la sûreté de l’Etat, Condé sera gracié et libéré le vendredi 18 mai 2001. En 2005, il retournera en Guinée où on ne voit pas la fin de la… « fin de règne » annoncée par les leaders politiques alors que les morts s’ajoutent aux morts lors des marches et des manifestations. Conté va mourir au pouvoir, de sa belle mort ; et la Guinée va se trouver, une fois encore, confrontée à un « Ubu roi » quelque peu galonné : ce sera Moussa Dadis Camara. Pas folichon.

Condé vient d’être désigné président de la République. Taux de participation : 67 % ; écart avec son rival : 141.000 voix ! Résultat d’une « ethno-stratégie » (pour reprendre la caractérisation de Christophe Châtelot dans Le Monde - cf. supra) dont personne n’est dupe. Mais il suffit de regarder la carte pour éviter de se poser trop de questions :Guinée Bissau, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Liberia et Sierra Leone ; la capacité de nuisance sous-régionale de la Guinée Conakry est considérable. A tel point que nul ne peut dire avec certitude qui, parmi les chefs d’Etat de la sous-région, était pour Diallo ou pour Condé. Profil bas.

Il n’y a sans doute que Me Robert Bourgi, missi dominici d’intérêts particuliers qui vient de sillonner l’Afrique de l’Ouest en « avion privé », qui sait qui tire les ficelles. Ah, j’oubliais. Pour en savoir plus sur le nouveau président de la République de Guinée, à noter qu’il vient de sortir un livre, « Un Africain engagé », chez Jean Picollec Editions, une société d’édition du groupe Bolloré !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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