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France : La Coopération redevient un ministère à part entière et est est confiée à un marquis agriculteur

Publié le mardi 16 novembre 2010 à 03h10min

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Henri de Raincourt

Depuis que Alain Joyandet a été viré du gouvernement, au début de l’été 2010, c’est Bernard Kouchner qui avait été chargé de « l’intérim » de la « coopé ». Autrement dit, personne. Ce qui n’a pas empêché les chefs d’Etat africains d’assister au défilé du 14 juillet (au titre du « Cinquantenaire ») puis au sommet de la Francophonie à Montreux (Suisse) voici quelques semaines.

Dov Zerah ayant été nommé à la tête de l’Agence française de développement (AFD), on pouvait penser que le « ministère de l’Afrique » était mort - mort naturelle - cinquante ans après les indépendances (cf. LDD France 0563 et 0564/Lundi 5 et Mardi 6 juillet 2010). D’autant plus que le remaniement gouvernemental annoncé hier soir, dimanche 14 novembre 2010, par Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée et habituel missi dominici du président Nicolas Sarkozy auprès des « patrons » de l’Afrique, propulsait au Quai d’Orsay, en tant que ministre des Affaires étrangères et européennes (avec le titre de ministre d‘Etat), Michèle Alliot-Marie, femme politique d’expérience au fait des « affaires africaines » (je rappelle qu’elle a été l’épouse de Michel Alliot, ancien patron des études africaines à la Sorbonne).

Une « gaulliste » longtemps « chiraquienne » mais « sarkozyste » depuis que Sarkozy est au pouvoir. Ministre de la Défense sous Jacques Chirac (première femme à obtenir ce portefeuille en France, elle le sera tout au long du second mandat de Chirac) alors que la Côte d’Ivoire entrait en « rébellion », elle va batailler ferme contre… Sarkozy quand celui-ci sera à Bercy (économie et finances). Présidente du RPR avant qu’il ne devienne l’UMP, elle envisagera de se présenter à la présidentielle de 2007 avant de rallier et de soutenir activement la candidature de… Sarkozy. C’était, dira-t-elle alors sa « manière de porter un gaullisme du renouveau et l’idée toujours neuve de la grandeur de la France ».

Bref, Sarkozy étant élu, elle a été de tous les gouvernements (pensant même être premier ministrable), à l’Intérieur d’abord, à la Justice ensuite. Un parcours exceptionnel pour cette femme de 64 ans qui demeure incontournable sur la scène politique, parvenant même à imposer (c’est une première en France) son conjoint (officiellement « compagnon »), Patrick Ollier, dans le dernier gouvernement, au portefeuille de ministre auprès du premier ministre chargé des Relations avec le Parlement.

Voila donc le retour de la « coopé ». Avec un ministre à part entière alors que, ces dernières années, ce n’était qu’un secrétariat d’Etat. Mais pas pour autant un « spécialiste » à sa tête. Si ses prédécesseurs (Jean-Marie Bockel, qui voulait la mort de la « Françafrique », et Joyandet qui pensait la ressusciter) ne connaissaient rien à l’Afrique et pas grand-chose à l’international, on se demande quel est l’élément du CV de Henri de Raincourt qui explique cette nomination.

Raincourt, c’est la France de la IVème République bien plus que de la Vème. Né le 17 novembre 1948 (62 ans dans 48 heures !) à Saint-Valérien, petite bourgade de Bourgogne à environ 110 km de Paris, arrière-petit-fils et petit-fils de conseillers généraux, fils d’un sénateur de l’Yonne (1948-1959) décédé dans un accident de voiture alors que son fils n’avait que dix ans, Henri de Raincourt appartient à une famille aristocratique dont on dit qu’elle compterait dans son ascendance le « divin marquis », le Marquis de Sade.

« De Gueules à la croix d’or cantonnée de dix-huit billettes du même ordonnées 5, 5, 4 et 4 », telles sont les armoiries de la famille de Raincourt. Agriculteur, diplômé de l’Ecole supérieure d’ingénieurs et de techniciens pour l’agriculture, Henri de Raincourt va s’engager en politique dans les rangs des Républicains indépendants (RI) de Valéry Giscard d’Estaing. Il vivra toute l’évolution de la droite « libérale » : du Parti républicain (PR) à la Démocratie libérale (DL) dont les têtes d’affiche ont été François Léotard, Alain Madelin, Gérard Longuet, Charles Millon… avant de rejoindre l’UMP en 2002.

Maire de Saint-Valérien à vingt-huit ans en 1977 (il le restera jusqu’en 2001), conseiller général de l’Yonne en 1982 avant d’en prendre la première vice-présidence en 1988 et la présidence de 1992 à 2008, Raincourt sera élu sénateur de l’Yonne le 28 septembre 1986 ; il a trente-sept ans. Réélu le 24 septembre 1995, il sera adoubé président du groupe RI au Sénat. C’est au sein du Sénat qu’il va mener l’essentiel de sa carrière politique, autrement dit dans l’ombre.

En 2002, il est élu vice-président du groupe UMP avant d’envisager, à la suite de sa réélection le 26 septembre 2004, de conquérir la présidence de la haute assemblée face à Christian Poncelet. Il devra y renoncer et obtiendra, le 15 janvier 2008, la présidence du groupe UMP au Sénat. Il prenait alors la suite du duc Josselin de Rohan-Chabot, qui en avait démissionné pour décrocher la présidence de la commission des affaires étrangères et de la défense (cf. LDD France 0473/Lundi 24 décembre 2007).

Le 23 juin 2009, il sera nommé ministre délégué aux relations avec le Parlement (portefeuille aujourd’hui confié au « compagnon » de sa « patronne »), ce qui laissait l’opportunité à Longuet d’obtenir la présidence du groupe UMP au Sénat (tandis que Jean-François Copé est le patron des députés UMP à l’Assemblée nationale). Pas de quoi faire la « une » de la presse politique. Ce n’est d’ailleurs pas le genre du « hobereau placide » (Le Monde) aux « apparences gourmées et plutôt vieille France » (Le Canard enchaîné), catholique « vaticaniste » et chasseur, qui ne manque pas de rappeler « qu’il n’a jamais rien demandé ». Sans doute pas, non plus, le ministère de la Coopération.

Il ne faut pas chercher de « message » diplomatique dans cette nomination qui a des allures de reclassement politique. Jean-François Copé est en passe de prendre le contrôle de l’UMP après avoir refusé d’entrer dans le gouvernement au portefeuille de l’Intérieur. Longuet, que l’on disait ministrable, demeure président du groupe UMP au Sénat (c’est pour qu’il obtienne ce poste que Raincourt été nommé au gouvernement). Copé est un ami de Raincourt ; il a été invité et hébergé au château de Saint-Valérien lors du mariage de Hortense, la fille du descendant du « divin marquis », début juillet 2009.

Le « poulain » politique régional de Raincourt est par ailleurs Jean-Baptiste Lemoyne, conseiller général de l’Yonne (il en est le benjamin) et secrétaire général délégué du groupe UMP de l’Assemblée nationale, autrement dit un proche collaborateur de Copé. Raincourt avait même envisagé de nommer Lemoyne (un diplômé de l’ESSEC, ancien responsables des Jeunes libéraux au temps de Madelin) comme directeur de son cabinet lorsqu’il avait été nommé ministre en 2009, mais l’Elysée y avait mis son veto.

Ce sont donc des considérations de « cuisine » politique intérieure, bien plus que la volonté d’impulser une nouvelle dynamique à la coopération française, qui auraient motivé la nomination de Raincourt. Les plus mauvaises langues noteront simplement que Raincourt est un « héritier » et qu’à ce titre il sera, plus d’une fois, « en famille » lors de la tournée des palais présidentiels africains !

Chacun sait que les « affaires africaines » se traitent prioritairement à l’Elysée et que c’est Claude Guéant qui en a la charge. On l’avait donné ministrable ; il demeure secrétaire général de l’Elysée. C’est dire que, sur ces dossiers, rien ne change. Reste à savoir qu’elle sera l’implication politique de Michèle Alliot sur le continent ; Alliot n’est pas Bernard Kouchner et ne jouera pas les « porteurs de riz » sur des questions diplomatiques majeures. Profil bas pour Raincourt ? Sans doute. Il est suffisamment « au parfum » des affaires politiques du « sarkozysme » pour ne pas avoir compris que sa priorité est de rester à sa place et de n’en point trop faire.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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