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Présidentielle ivoirienne : Consécration politique pour Me Jeannot Ahoussou

Publié le lundi 15 novembre 2010 à 02h06min

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Me Jeannot Ahoussou

A quinze jours du second tour de la présidentielle, on a le vertige quand on jette un regard sur l’évolution de la Côte d’Ivoire depuis vingt ans. Si les principaux acteurs politiques sont les mêmes, à l’exception de Félix Houphouët-Boigny et du général Robert Gueï, on ne peut que s’étonner des volte-face des uns et des autres. C’est particulièrement probant au cours de cette période d’incertitude politique majeure qui s’étend du vendredi 24 décembre 1999 au dimanche 22 octobre 2000.

Béchir Ben Yahmed qualifiera cette période de « triste et burlesque parenthèse Robert Gueï ». Elle s’étend de la chute de Henri Konan Bédié à la victoire de Laurent Gbagbo à la présidentielle. De cette « parenthèse », on ne retient trois noms : Gueï, Gbagbo et Alassane Ouattara. Ben Yahmed, dans son « Ce que je crois » du 7 novembre 2000, ne fera pas mieux. Il évoque un Gueï « apprenti dictateur [qui] est tombé, victime de ses excès, de ses inconséquences et de son mauvais entourage » ; un Ouattara « écarté de l’élection présidentielle, menacé dans son intégrité physique, [qui] a su, dans l’épreuve, maintenir sa stature, éviter à la Côte d’Ivoire de plus sanglantes violences » ; un Gbagbo qui « aura été à Houphouët ce que Mitterrand fut à de Gaulle. Mais à une notable différence près : pour parvenir au pouvoir, Mitterrand a épousé le socialisme, tandis que Gbagbo, pour gagner, a cru possible de teinter le sien d’une forte dose d’ivoirité ». Pas un mot sur Bédié, victime d’un coup d’Etat en 1999 et exclu de la présidentielle en 2000.

C’est qu’en 2000, Bédié, « réfugié » à Paris qui l’avait exfiltré d‘Abidjan, était voué aux « poubelles de l’Histoire ». Et personne ne pensait que dix ans plus tard il jouerait encore un rôle majeur sur la scène politique ivoirienne ; plus encore, un rôle majeur à la tête d’un PDCI-RDA qui aura su survivre à toutes les implosions politiques qui ont marqué cette période.

Lors du congrès extraordinaire du PDCI les 7-9 avril 2000, Bédié avait vu monter l’opposition contre lui, l’opposition de ceux dont il avait fait la fortune. La victoire électorale de Gbagbo sera le prélude au retour du président déchu. Le lundi 15 octobre 2001, il rentrera d’exil à la veille du Forum national de la réconciliation en Côte d’Ivoire à l’occasion duquel il « délivrera un discours écrit » (cf. LDD Côte d’Ivoire 005/Lundi 3 décembre 2001). La victime c’est lui et la République de Côte d’Ivoire, expliquera-t-il dans un texte cohérent qui soulignait que le coup d’Etat de 1999 « n’a en rien apporté la résolution d’un problème qui a pourtant servi d’alibi pour commettre l’attentat contre l’Etat, la République, la démocratie et le développement ». Et en cela, il n’avait pas tort.

Quelques mois plus tard, lors du XIème congrès ordinaire du PDCI (4-7 avril 2002), il reprendra la présidence du parti, devenant du même coup son candidat pour la présidentielle de 2005. Il liquidera les barons nordistes qui avaient voulu sa place (et, à l’occasion, sa peau) : Laurent Dona Fologo et Mohamed Lamine Fadika, et nommera un bété au poste de secrétaire général : Alphonse Djédjé Mady. Ce qui lui permettra d’imposer des ministres PDCI dans le gouvernement Affi N’Guessan formé le 5 août 2002. En treizième position dans l’organigramme gouvernemental, au portefeuille de ministre de l’Industrie et de la Promotion du secteur privé : Jeannot Kouadio Ahoussou.

Jeannot Kouadio Ahoussou n’était pas alors une tête d’affiche. Mais si Bédié était encore un homme politique avec lequel il fallait compter et si le PDCI avait pu survivre malgré les errements et les égarements de quelques uns de ses leaders, c’est à Ahoussou qu’il faut en rendre grâce. Quand Laurent Dona Fologo, secrétaire général du PDCI, affirmera, au lendemain du coup d’Etat de 1999 : « Nous devons sauver notre parti qui n’a pas la culture de l’opposition. Nous devons demeurer dans le sillage du pouvoir pour mieux nous repositionner en vue des échéances ultérieures », Ahoussou refusera de mettre un couvercle sur la « poubelle de l’Histoire » dans laquelle quelques uns de ses « amis » ont voulu basculer Bédié.

Quand, pour rechercher une caution internationale, Robert Gueï va engager son opération « mains propres » et confier le dossier à Jacques Vergès et au député européen Thierry Jean-Pierre, ancien juge spécialiste des affaires financières, c’est Me Ahoussou qui va revêtir sa robe d’avocat pour batailler contre son prestigieux (et sulfureux) confrère français. C’est encore Ahoussou qui va s’investir dans le retour en Côte d’Ivoire du président déchu. C’est lui aussi qui rédigera le « discours écrit » délivré par Bédié lors du Forum national de la réconciliation en Côte d’Ivoire. C’est lui qui va permettre à Bédié de rependre les commandes du PDCI. Son entrée au gouvernement, le 5 août 2002, quelques semaines avant le déclenchement de la guerre, était donc la consécration de cette action.

Au lendemain des « accords de Marcoussis », il restera au gouvernement formé le 13 mars 2003 par Seydou Elimane Diarra ; il se retrouvera aux côtés de deux futurs candidats à la présidentielle : Mabri Toikeusse de l’UDPCI et Innocent Kobena Anaky du MFA, mais aussi de Amadou Gon Coulibaly (directeur de campagne de Ouattara). Le député PDCI de Didiévi y obtient le portefeuille de ministre de l’Industrie et du Développement. Il s’illustrera notamment par la mise en place des « couloirs économiques sécurisés » qui permettront d’approvisionner en matières premières les usines de Ferké, Borotou, Bouaké malgré la division Nord-Sud et évitera ainsi la délocalisation des unités industrielles (grâce aussi à quelques mesures fiscales).

Secrétaire général adjoint du PDCI chargé des Affaires juridiques, Ahoussou sera le promoteur de l’accord signé le mercredi 18 mai 2005 dans les Salons Hoche, à Paris, entre Anaky, Bédié, Mabri et Ouattara (soit quatre des dix signataires des « accords de Marcoussis »). Ce jour-là sera fondé le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Notons que le 18 est une date symbolique pour les houphouëtistes : le « Vieux » est né un 18 octobre et le RDA, dont il sera le premier président, a été fondé également un 18 octobre !

Les membres du RHDP prenaient l’engagement de « soutenir, au second tour, le candidat arrivé en tête des partis signataires de la plate-forme » pour la présidentielle et de promouvoir une « stratégie de candidature concertée ou commune » pour les législatives. Avec un président et une assemblée RHDP, il s’agira de « gouverner ensemble dans un esprit d’équité et de responsabilité ». Cet accord, signé dans la perspective de la présidentielle 2005, a été respecté cinq ans plus tard par les protagonistes ; ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.

Aujourd’hui, Ahoussou est, avec Gon Coulibaly, co-directeur de campagne de Ouattara, candidat RHDP au second tour de la présidentielle. En passe de remporter son pari : ramener le PDCI au pouvoir ! En 2008, il affirmait au journaliste Akwaba Saint-Clair : « Le PDCI reviendra au pouvoir, parce que le PDCI est le bâtisseur de ce pays ». Il ajoutait : « Il est rare en Afrique de voir un président de la République, victime d’un coup d’Etat absurde, revenir et prendre les rênes de son parti et contribuer à l’approfondissement de la consolidation de la démocratie sans haine, ni rancune. Je crois que le cas du président Bédié est un cas unique en Afrique ». Alain Saint Robespierre, dans le quotidien burkinabé L’Observateur Paalga, commentant l’arrivée de Ahoussou auprès de Ouattara et le soutien de Bédié, a écrit : « Et si au soir du scrutin, [Ouattara] en sortait vainqueur, l’histoire retiendra que ce serait grâce au concepteur de l’ivoirité, expression forgée sur mesure et contre qui on sait. Preuve supplémentaire qu’en politique tout est inconstant : l’ennemi devient l’allié et le premier le dernier ». Ainsi va l’Histoire.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 14 novembre 2010 à 23:02, par sauvy En réponse à : Présidentielle ivoirienne : Consécration politique pour Me Jeannot Ahoussou

    Merci Mr Béjot pour cet éclairage. Apres la lecture de votre article, 2 questions me viennent à l’exprit. Pourriez vous nous dire, juste pour l’histoire, quel rôle ajoué Me Ahoussou dans la création et la mise en oeuvre du concept d’ivoirité ? Je sais que l’heure n’est pas à la désusion cher les RHDP, mais juste pour comprendre l’histoire dites nous quelque chose si vous en savez. Deuxième question qui n’est pas trop reliée à votre article, pourais-je savoir dans les années 1990 et même bien avant, quels sont les pontes du PDCI-RDA et du régime Houphouet qui sont du Nord ? (hormis, LDF, Balla Keita, Lamine Fadiga) je suis un peu curieux d’en savoir. Merci

  • Le 16 novembre 2010 à 14:19, par trous En réponse à : Présidentielle ivoirienne : Consécration politique pour Me Jeannot Ahoussou

    salut !je suis heureux de lire votre analyse sur la situation politique en C.I et précisément sur les contours du RHDP.je reste convaincu qu’un soutien réel de ce rassemblement à l’égard du candidat ADO est synonyme de victoire pour celui-ci !en pesant donc l’engagement réel de Bedié et ses compagnons tout en n’oubliant pas les faiseur de chef d’État en Afrique francophone(la france), Quelle est la chance réelle de ADO de remporter ce second tour ?

    je pense que les dés sont déjà jetés et la clé de ces élections se trouve dans la main de la france et du mediateur !

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