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Présidentielle 2010 : Le vainqueur aura-t-il encore les moyens de ses ambitions une fois au pouvoir ?

Publié le mardi 2 novembre 2010 à 19h44min

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C’est sans surprise que l’on arrive, enfin, au bout du processus. Laurent Gbagbo vient de boucler son deuxième mandat : dix ans au pouvoir dont cinq années en « offshore », quoi qu’il en pense. Il a pu présider, ainsi, les cérémonies du cinquantenaire de l’indépendance. Il fallait bien qu’on en termine même si les prétextes avancés pour reculer sans cesse la consultation électorale (notamment le désarmement des « rebelles », la réunification du pays, la réconciliation de la population, la régularité des listes électorales, l’organisation sans faille du dépouillement, etc.) demeurent d’actualité.

Le dimanche 31 octobre 2010 devrait donc avoir lieu le premier tour de la présidentielle ivoirienne. Attendu depuis cinq ans ! C’est dire que pour se passionner pour cette opération - dont le coût financier est par ailleurs astronomique - il faut, sans doute, être candidat.

Depuis vingt ans, la Côte d’Ivoire est en crise. Qui se souvient qu’il y a vingt ans, le dimanche 28 octobre 1990, pour la première fois, les électeurs avaient eu à choisir entre deux candidats à une élection présidentielle : Félix Houphouët-Boigny, « planteur à Yamoussoukro », qui allait remporter son septième mandat, face à… Laurent Gbagbo, « professeur à Abidjan » ? « Réticence face au changement, éventuelle tentation du tripatouillage ? Cela ne laisse pas beaucoup de chances pour l’alternance », écrivait alors Claude Cirille dans Le Monde daté du 27 octobre 1990. Au lendemain de la réélection du « Vieux », dans Le Monde daté du 30 octobre 1990, Jacques de Barrin écrira : « Il est clair que, même brillamment réélu pour un septième mandat de cinq ans, M. Houphouët-Boigny ne pourra plus diriger son pays en bon père de famille. Beaucoup de ses compatriotes, notamment les jeunes, les plus remuants et les plus exigeants, sauront, à n’en pas douter, le rappeler à ses devoirs démocratiques ».

C’était il y a vingt ans. Gbagbo face à Houphouët (le taux d’abstention officiel était proche de 31 %). Ce week-end, ce sera Gbagbo face aux « houphouëtistes » : Henri Konan Bédié qui, il y a vingt ans, était président de l’Assemblée nationale, et Alassane Dramane Ouattara qui n’était encore que président du « Comité interministériel de coordination du programme de stabilisation et de relance économique ». Ce n’est que le 7 novembre 1990 que ADO sera nommé premier ministre. La veille, le 6 novembre 1990, l’article 11 de la Constitution avait été modifié. « Révisé », il stipulait que, désormais, en cas de vacance de la présidence de la République par décès, démission ou empêchement absolu constaté par la Cour suprême saisie par le gouvernement, les fonctions de président de la République étaient dévolues, de plein droit, au président de l’Assemblée nationale. Il n’était plus question d’intérim « qui peut être générateur de confusion » ; il s’agissait « d’assurer la continuité du pouvoir ». Bédié allait être réélu au poste de « dauphin constitutionnel » - puisque l’Assemblée nationale n’avait d’autre raison d’être - à l’issue des élections législatives du 25 novembre 1990. Tous les ingrédients et tous les acteurs étaient déjà réunis pour que la crise ivoiro-ivoirienne soit déclenchée dès la mort du « Vieux », le 7 décembre 1993. Elle perdure depuis. Quant aux jeunes Ivoiriens évoqués par Barrin, ils sont devenus des « quadras » et des « quinqua ». Pas sûr qu’ils aient bien vécu les vingt ans passées !

La présidentielle du dimanche 28 octobre 1990 allait ouvrir la porte au chaos. La mort du « Vieux » en 1993, la dévaluation du franc CFA en 1994, la non-élection de Bédié en 1995 (il n’y avait pas d’opposition), le principe « d’ivoirité », la chute de Bédié à la suite du coup de force militaire de 1999, l’incurie de la gestion de la transition par le général Robert Gueï, la non-élection de Gbagbo en 2000 (là encore, il n’y avait pas d’opposition), la mise en œuvre sur le terrain du principe « d’ivoirité », la tentative foireuse de coup d’Etat le 18-19 septembre 2002 et le chaos politique qui va mettre K.O. la République de Côte d’Ivoire : une économie mafieuse, une politique plus que jamais clientéliste et une Constitution jetée aux orties.

Voilà qu’on nous propose en 2010 un remake de 1990. Le « Vieux » est mort, mais il y a encore Gbagbo, Bédié et Ouattara. Deux présidents - l’un en exercice par la force des choses ; l’autre qui n’est plus qu’un « ex » par la force des armes - et un ancien premier ministre. Vingt ans qu’on nous trimballe avec ces trois là et la haine qu’ils ont (ou ont eu) les uns pour les autres. C’est dire que la présidentielle de 2010 ne risque pas de susciter l’enthousiasme puisque cette confrontation entre Gbagbo, Bédié et Ouattara avait été attendue en 1995, 2000, 2005. En vain. Tout cela évoque pour moi le souvenir de Maurice Béjart. Il y a bien longtemps, le chorégraphe français avait espéré pouvoir installer son école de danse au Trocadéro. Le gouvernement le lui avait promis, mais rien, jamais, ne se passait. Lassé d’attendre, il avait été accueilli à Bruxelles. Paris, alors, s’était offusqué de ce départ et avait laissé pensé que, finalement, le Trocadéro ce serait possible. Commentant l’affaire à la radio, Béjart avait déclaré : « C’est comme si on faisait une cour intensive à une femme. Elle se refuse. Année et après année et, finalement, vous dit : je veux bien. Et bien moi, je réponds : désolé, Madame, je ne bande plus ! ».

Vingt années de crise ivoiro-ivoirienne pour aboutir à une confrontation électorale dont les trois principaux protagonistes sont deux présidents qui ont mis en faillite la République dont-ils avaient la charge et un ancien premier ministre qui ne cesse d’être une « espérance trahie » : 1993, 1995, 1999, 2000, 2005... Qui peut, aujourd’hui, se passionner politiquement pour Bédié ou Gbagbo qui ont prouvé qu’étant au pouvoir ils étaient incapables de l’exercer sereinement ? Qui peut penser que Ouattara, s’il parvenait à l’emporter, aurait les mains libres (politiquement et socialement) pour mener une nécessaire politique de rigueur alors que, pour l’essentiel, la population ivoirienne vit dans une misère bien plus grande que celle qui était la sienne il y a vingt ans ? Où sont les jeunes qui, en 1990, ne voulaient plus de Houphouët (pas plus qu’ils ne voulaient de Bédié et de Ouattara) ; où sont les jeunes qui, en 1990, pensaient que Gbagbo pouvait révolutionner la société ivoirienne. « J’ai le programme qu’il faut pour gouverner la Côte d’Ivoire », disait Laurent à la veille de la présidentielle du 28 octobre 1990. On a vu ce que cela donnait en 2000 (mais dans Le Monde - cf. supra - Claude Cirille, pas dupe, écrivait déjà, il y a vingt ans, au sujet du programme de Gbagbo : « Il n’implique en rien un changement de société ou de régime. Gbagbo n’est pas un révolutionnaire »).

Fallait-il attendre tout ce temps pour n’avoir le choix qu’entre Gbagbo, Bédié et Ouatarra ? Fallait-il dépenser autant de milliards pour une présidentielle qui ne va rien résoudre et dont la population ivoirienne n’attend rien, sauf un retour à l’ordre constitutionnel. Démographiquement, les « houphouëtistes » sont majoritaires ; socialement, tout le monde s’en fout. La victoire de Gbagbo serait la continuité. Mais la continuité de quoi ? Du chaos qui caractérise la Côte d’Ivoire depuis dix ans ? Celle de Bédié serait la victoire du passé : « l’image d’Epinal » des années Houphouët quand la Côte d’Ivoire était présentée au reste de l’Afrique francophone comme « le » modèle politique, économique et social. Un Bédié président avec un Ouattara premier ministre, ce serait donner raison à Karl Marx (« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce » in Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte). Une victoire de Ouattara ? La souhaite-t-il vraiment ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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