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SERIE « CINQUANTENAIRE DES INDEPENDANCES » : LE REGARD DE GERARD DIKINA KARAMBIRI

Publié le mardi 5 octobre 2010 à 02h31min

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Gerard Dikina Karambiri

Instituteur de formation, Gérard Dikina Karambiri à roulé sa bosse partout. Il entre en politique aux côtés de Joseph Ki Zerbo dans le Mouvement de Libération Nationale (MNL) en 1958. Longtemps parti clandestin, ce parti marquera néanmoins le paysage politique d’antan. Le vieux routier que nous avons rencontré qui est encore dans la politique aux côtés du chat noir du Nayala se souvient de la période des indépendances et du militantisme de son parti pour que le Burkina Faso (ex Haute-Volta) accède à l’indépendance. Souvent très dur avec les dirigeants de l’époque, mais très fier du corps auquel il appartenait, l’enseignement, il s’est ouvert à nous. Suivez plutôt !

San Finna : Avec le recul, comment appréciez-vous la période coloniale ?

Gérard Dikina Karambiri (GDK) : J’ai connu la période coloniale, c’est évident. Je suis instituteur depuis 1954 et à cette date, les indépendances n’étaient pas programmées. Cette période et celle d’aujourd’hui est très différente, il n’y a pas de commune mesure. Il faut dire qu’à l’époque, c’était le colon qui dirigeait, mais aujourd’hui ce sont les fils de ce pays qui sont aux commandes. S’il y a quelque chose à dire, notre auto détermination a été une très bonne chose parce que cela avait été souhaité. L’indépendance mettait fin aux brimades et autres sévices qu’on avait sous la domination du Blanc.

San Finna : Comment se comportaient les colons et quelle était votre vie ?

GDK : J’ai vécu au village en pays San. Le colon, on le voyait de loin. Mon père était chef de village mais il a quand même tout fait pour que son village soit détaché de celui de Toma. Il y avait des exactions et il ne voulait pas que sa population souffre. Il voulait carrément aller dépendre de Dydir. Le colon qui voyait cela d’un mauvais œil a rattaché mon village à Yaba. On était à 18 Km de Toma mais nos rapports étaient conflictuels. Quand le village fut rattaché à Yaba à 30 km, c’était le soulagement et l’entente parfaite, puisque c’était aussi un canton. C’était plutôt les nôtres et les chefs de villages qui agissaient le plus souvent en son nom. Le colon, on le voyait de loin. Il ne se montrait pas souvent.

San Finna : Comment vous êtes-vous retrouvé membre du MLN ?

GDK : Le MLN a été d’abord créé à Dakar avec le professeur Joseph Ki Zerbo. Quand il est rentré, il nous a convaincu de militer avec lui. Sinon, ma préférence, c’était de militer dans le parti de Nazi Boni. En 1956, j’étais directeur d’école à Yaba et il m’avait approché pour que j’adhère à son parti le MPA. Et quand le professeur est venu en 1958, il a pu me convaincre. C’est ainsi que je me suis retrouvé militant du MLN. A l’époque, ce parti avait un serment et tout militant devait prononcer ce serment. C’était d’abord un parti clandestin, et le colon, tout comme Maurice qui est venu après, l’a combattu. A cause des représailles, on se cachait et on tenait nos réunions, nos congrès et les autres activités clandestinement. Nous avions des cellules qui ne dépassaient jamais 6 personnes. C’était pour l’efficacité et pour la mobilité que ces cellules ont été mises en place un peu partout.

San Finna : Quand vous dites Maurice, est-ce bien Maurice Yaméogo ?

GDK : Bien sûr ! Maurice Yaméogo effrayait parce que nous avions un parti clandestin, et il n’était pas reconnu. Quand il est arrivé aux affaires, il a condamné Nazi Boni qui s’est expatrié au Sénégal. Cela a eu comme effet de faire peur aux militants du MLN. Maurice Yaméogo aussi avait peur surtout des représailles du colon, s’il laissait des partis clandestins pourrir la situation nationale. C’est pour ça qu’il nous combattait.

San Finna : Et voilà qu’intervient le 5 Août 1960. Comment l’avez-vous accueilli ?

GDK : Nous avions souhaité l’indépendance bien avant sa proclamation. Chose d’ailleurs qu’on n’hésitait jamais à dire si l’occasion nous était donnée. Il y a eu beaucoup de bagarres. Cette indépendance là, même Maurice Yaméogo ne la voulait pas. Il ne voulait pas et il s’en était expliqué au cours d’une conférence de presse en disant que des gens comme Ki Zerbo, Nazi Boni voulaient l’indépendance mais il ne faut pas la prendre alors que nous ne savons même pas fabriquer une aiguille. Mais à un moment donné, la Haute-Volta était devenue un poids mort pour les colons, parce que las de voir les autres prendre leur indépendance, on a dû lui dire d’en faire autant. C’est ainsi qu’il a pris l’indépendance. Sinon le MLN n’a pas été créé dans cette optique.

San Finna : Comment avez-vous vécu les premières années de l’indépendance sous Maurice Yaméogo ?

GDK : Nous l’avons vécu difficilement puisque nous étions à l’opposition. Il y avait une opposition suffisamment mûre dans le paysage politique. Il y avait notre parti, le MPA et le PAI qui a été créé en 1957 avant le nôtre avec les Philippe Ouédraogo. D’ailleurs il a été nommé avec la bénédiction des français, directeur des mines de Tambao. Maurice ne pouvait pas faire autrement que de le nommer. Mais il faut reconnaître que Maurice Yaméogo se cherchait mais il n’a pas joué de subtilité avec l’opposition et à force de représailles, il a fini par se rendre indésirable.

San Finna : Assistiez-vous néanmoins aux festivités de l’indépendance comme les parades militaires ?

GDK : Oui ! D’abord en tant qu’enseignant, nous devions faire défiler les élèves et certains corps sociaux. On sélectionnait un certain nombre d’écoles qui devaient envoyer des élèves au défilé et le directeur d’école ou un maître devait les y accompagner. Après les militaires, ce sont eux qui défilaient suivi des autres corps sociaux professionnels. A la fin de la parade, les festivités continuaient avec des jeux de toutes sortes avec les enfants. A l’époque, il n’y avait pas grand-chose au marché mais les gens faisaient avec et c’était vraiment la fête.

San Finna : En tant qu’enseignant, quel souvenir gardez-vous du colon ?

GDK : En tant qu’enseignant, nous étions les premières personnes à qui le commandant de cercle, le Blanc, rendait visite en premier et ce n’est qu’après qu’il allait voir le docteur ou le médecin de la localité, ensuite il se rendait chez le chef de village.

Mais j’ai gardé tout de même un mauvais souvenir du colon. Il regardait les gens d’en haut avec dédain.

Et comme les paysans avaient confiance en nous, il fallait que de temps à autre on puisse transmettre au colon les doléances. Mais ce n’était pas du tout facile, parce que si vous le faisiez de façon maladroite, la sanction était immédiate. C’était vraiment très difficile mais comme le Blanc nous faisait aussi confiance en tant qu’enseignant, on y arrivait de temps en temps.

Djimité Aristide Ouédraogo

San Finna

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