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SERIE « CINQUANTENAIRE DES INDEPENDANCES » : L’Abbé LAURENT BILGO S’EXPRIME

Publié le mardi 28 septembre 2010 à 02h43min

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Véritable mémoire vivante, l’abbé Laurent Bilgo s’est ouvert à nous sans retenue, racontant même des anecdotes avec une précision à faire pâlir de modestie les historiens. A travers ses réponses très précises, il n’hésite pas à donner des coups de gueule ou à asséner ses vérités. Monsieur l’abbé, comme l’appelle la plupart de ses connaissances, est natif de Ouagadougou, plus précisément de Bilbalogho. Il est né le 10 Août 1927 dans notre capitale. En 1934, il rentrait à l’école primaire et c’était un autre destin qui s’ouvrait pour le jeune Laurent. Nous avons bénéficié d’un
entretien très riche qui va véritablement vous plonger dans la vie de l’époque. Lisez plutôt !

San Finna : Touchez-nous un mot de votre parcours scolaire, avec les difficultés liées à cela !

L’Abbé Laurent Bilgo (ALB) : J’ai fait ma scolarité à l’école de la Mission en 1934 et il n’y avait pas beaucoup d’écoles à Ouaga. Il n’y en avait que deux : l’école de la Mission et l’école Régionale (l’école publique). Tous ceux qui ont fait l’école en ce moment là sont nécessairement passés par l’une ou l’autre école. En 1939, juste au début de la seconde guerre mondiale, je finissais l’école primaire et j’entrais au séminaire de Pabré. C’était un évènement parce que la guerre venait d’éclater et on se demandait si on n’allait pas fermer le séminaire étant donné que tous ses professeurs étaient français et que tous les Français avaient été convoqués à l’Armée pour prendre l’uniforme et aller combattre en France. Néanmoins, Monseigneur Joanny Thévenoud a trouvé une solution pour ne pas fermer son séminaire. Il a utilisé les grands séminaristes de Koumi dont l’établissement avait été fermé. Leurs professeurs aussi avaient été enrôlés dans l’armée. A Pabré, Monseigneur Thévenoud a eu recours à des sœurs blanches qui venaient de Ouaga et à des grands séminaristes qui venaient de Koumi, si bien que nous avons pu continuer le rythme normal de la vie du séminaire.

Les inconvénients de la guerre, nous les avons subis. D’abord, on n’avait plus d’électricité, on s’éclairait à la lampe tempête. On mettait une lampe tempête par table de 5 élèves et on essayait d’étudier.

San Finna : Ca ne devait pas être commode

ALB : Comme on était des enfants, on avait de bons yeux, donc ça pouvait marcher. On ne pensait pas en ce moment qu’il y aurait des conséquences désastreuses sur nous. Autre problème, l’alimentation : comme le séminaire ne recevait plus de fonds en provenance d’Europe, il fallait qu’on se débrouille sur place. On a dû réduire le budget alimentaire étant donné que même nos récoltes ne pouvaient pas faire l’affaire. On ne pouvait pas non plus tout faire venir de la brousse. Quant à la viande par exemple, on n’en mangeait presque plus sinon à certaines grandes fêtes. Nous avions souvent recours à la chasse, à la battue. On sortait les jeudis et dimanches soir parcourir la brousse pour tuer des lièvres et tout ce qu’on pouvait trouver. Avec ça et les poissons qu’on pouvait pêcher au barrage, on arrivait quand même à une certaine subsistance. Par ailleurs, on avait développé le jardin du séminaire pour avoir quelques fruits : des bananes, des goyaves, des oranges, etc.

Ça a été des années dures et naturellement on n’avait pas de vacances en famille. Donc, ceux qui entraient à Pabré devaient s’attendre à passer les 5 ans au séminaire sans retourner à la maison. Nous qui étions de Ouaga, on avait la chance parce que certaines fêtes solennelles nous amenaient à venir à Ouaga pour chanter à la Cathédrale. Monseigneur Thévenoud aimait les chants, surtout les chants grégoriens et chaque fois qu’il le pouvait, il nous faisait venir. On venait et on repartait à pied, il n’y avait plus de moyens de locomotion à cause de la guerre. Avec ce combat pour la subsistance, le niveau scolaire avait fortement baissé si bien qu’en 1942, on a été obligé de faire redoubler tout le monde à l’exception de quelques rares élèves.

Puis, il y a l’armistice de la France avec l’Allemagne qui nous a ramené quelques professeurs mais en 1943, ils ont été de nouveau enrôlés pour la campagne de France, comme le disait le Général de Gaulle. En 1945, après la victoire des Alliés, nos professeurs sont revenus mais nous étions à la fin de notre séminaire. On est allé au grand séminaire de Komi en 1946 et là aussi, on a souffert des conséquences de la guerre aussi bien pour l’alimentation que pour l’éclairage et même pour l’habillement. Ce n’est qu’autour de 1948 et 1949 que la situation était devenue à peu près normale. Du point de vue scolaire, on n’a pas tellement souffert en ce sens que les professeurs ont pu revenir dès 1947.

San Finna : Comment se sont poursuivies vos études ?

ALB : J’ai fais mon stage à Guiloungou pour commencer et mes supérieurs ont estimé que j’avais assez de bagage intellectuel pour passer le brevet élémentaire car dans les écoles catholiques en ce temps, on ne passait pas de certificat d’étude ni de brevet au séminaire ; donc on était sans diplôme. Je ne savais pas si mes supérieurs avaient l’intention de me mettre à l’enseignement plus tard ; toujours est-il que je suis venu à Ouaga passer le brevet élémentaire. J’avais un niveau plus élevé puisque j’avais déjà fini le primaire, le secondaire et j’étais déjà à Koumi. Et malgré tout l’effort que j’ai eu à faire pour prendre un style d’un élève qui passe le brevet, mon niveau était encore trop élevé. J’ai été recalé parce qu’on estimait que je devais plutôt passer le BAC que le brevet. Je suis revenu l’année qui a suivi et là j’ai été admis parce que l’inspecteur primaire s’est adressé au directeur de l’enseignement catholique pour avoir des explications à mon sujet. Et après cela, je suis sorti major de ma promotion de la Haute-Volta de l’époque.

San Finna : Quel a été l’itinéraire du prêtre que vous êtes devenu ?

ALB : Devenu prêtre, j’ai servi dans plusieurs paroisses et diocèse notamment à Saaba, Guiloungou, Kaya où j’ai connu pas mal de jeunes de ce temps là comme Gaspard Ouédraogo, son frère Léopold et l’Archevêque actuel de Ouagadougou qui étaient en ce moment là des élèves.

Dès la nomination de Monseigneur Zoungrana, j’ai été appelé à Ouagadougou et nommé directeur de l’enseignement diocésain et responsable des émissions religieuses catholiques à la Radio Télévision. Mais en fait, il n’y avait que la radio qui fonctionnait. La télévision a fonctionné juste pour l’indépendance mais après on l’a arrêtée et cela a duré quelques années. Ensuite, il y a eu des concours de circonstance qui m’ont amené en France pour faire des études supérieures, d’abord à Strasbourg et ensuite à Paris à la Sorbonne. Là aussi, j’ai servi d’abord cumulativement avec mes études comme aumônier des Africains et des nord Africains qui fréquentaient la paroisse St Severin de Paris où je résidais. Au bout de trois ans, je devais rentrer mais j’ai été retenu à Paris pour être aumônier des étudiants africains sub-sahariens de région et peu de temps après ça été étendu à toute la France.

J’ai passé mon temps à sillonner la France pour exercer pleinement ma tâche. La conférence épiscopale de France voulait me garder mais Monseigneur Zoungrana ne l’entendait pas de cette oreille. Il voulait que je rentre. En 1970-1971, je suis nommé aumônier des étudiants de l’Université de Ouagadougou qui commençait. Ensuite mes supérieurs m’ont chargé d’ouvrir la paroisse Jean XXIII. C’était une succursale de la Cathédrale qui s’occupait uniquement des Européens qui travaillaient ici à Ouagadougou. J’ai refusé d’ouvrir une paroisse uniquement réservée aux Européens. J’ai proposé que ça soit une paroisse francophone, que même des Africains qui ne fréquentent pas les autres paroisses où on ne parle que le mooré -langue qu’ils ne comprennent pas- devraient pouvoir entrer dans cette paroisse Jean XXIII. Le principe a été accepté par le cardinal Paul Zoungrana et j’ai pu ouvrir la paroisse en 1971. Après un passage au Sacré Cœur de Dapoya, je suis nommé Recteur du grand Séminaire St Jean Baptiste de Wayalgin en 1981. Pour le reste, j’en passe. Aujourd’hui, je suis à la retraite ici à la Villa Maria de Kolog-Naaba.

San Finna : Que retenez-vous de la période coloniale ?

ALB : Il y avait du bon comme il y avait du mauvais. Le bon côté, c’est certainement ce que la colonisation nous a apportés, à savoir la culture européenne (je ne dis pas seulement de culture française mais européenne). Avec le français, on avait accès aux autres cultures par les lectures que l’on pouvait faire. D’autre part, le français ne s’arrêtait pas seulement au primaire mais dans un premier temps allait jusqu’au secondaire et puis l’enseignement supérieur est venu par la suite. Nous devons à la colonisation l’initiation à la culture en général ; même si dans nos langues nous avons une certaine culture, c’était limité. Avec la colonisation nous avons eu une culture plus étendue.

Aussi avec la colonisation, c’est l’ouverture des dispensaires et des hôpitaux que nous ne connaissions pas. Nous ne connaissions que la pharmacopée mais c’était plutôt individuel. On ne savait pas regrouper les maladies pour les soigner comme la colonisation nous a appris. D’autre part, les colons ont initié nos compatriotes à la même chose. Des infirmiers et des docteurs, on en a eu de même que pour l’enseignement, on a eu des maîtres et des professeurs. Je crois que sans la colonisation, on ne serait pas arrivé si facilement et si universellement. C’est grâce à la colonisation que les missionnaires communément appelés Pères blancs sont arrivés au Burkina.

C’est vrai qu’ils n’avaient pas besoin des colons pour la religion mais la présence des colons leur a facilité la tâche, puisque le pays était plus ou moins pacifié, au fur et à mesure, ils pouvaient eux aussi entrer en contact avec les gens et parler de leur religion. Et ce qu’ils ont fait en premier, c’est l’enseignement. Je venais de vous dire que la première école ouverte à Ouaga, c’était l’école privé Catholique parce qu’après la guerre, les gens n’avaient pas confiance au colonisateur si bien qu’ils ont tenté d’ouvrir une école à Ouaga et les enfants n’y sont pas allés. Ils ont eu recours aux missionnaires en leur demandant d’ouvrir une école. Monseigneur Thévenoud venait d’arriver en novembre 1903 et dès l’année suivante, il a ouvert une école.et les premiers élèves ce sont les parents de plusieurs d’entre nous comme les Abbés Robert, Barthélémy etc.

San Finna : N’était-ce pas un enseignement au rabais ?

ALB : En ce moment, l’école n’était pas très poussée, le colon cherchait surtout à former des interprètes pour pouvoir rentrer en contact avec les populations puisque eux français n’apprenaient pas les langues tandis que les missionnaires apprenaient les langues pour entrer facilement en contact avec les populations. Donc, ce sont les premiers élèves de la mission qui ont servi d’abord comme interprètes. Certains sont devenus par la suite commandant de cercle, c’est-à-dire les préfets actuels. Ce n’est qu’après que l’Etat a pu ouvrir une école aussi qu’on appelait l’école régionale parce que les élèves ne venaient pas seulement de Ouagadougou mais de partout, comme Koudougou, Kaya, Ouahigouya etc. Le gouverneur de ce temps voulait utiliser ces scolarisés dans l’administration publique.

Ce qu’on peut encore reconnaître à la colonisation c’est l’effort qui avait été fait pour fusionner les pays de l’ex AOF (NDLR : Afrique Occidentale Française). Le colon envoyait des fonctionnaires partout au sein de l’AOF pour ainsi permettre un brassage. Il y avait des fonctionnaires qui venaient du Dahomey, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Sénégal etc. Après les indépendances, chaque fonctionnaire est retourné dans son pays natal. C’était bien mais c’était une politique à courte vue parce qu’il n’y avait pas dans tous les pays assez d’éléments pour remplacer les fonctionnaires des autres pays qui étaient obligé de repartir chez eux. A ce niveau, c’était certainement une catastrophe.

San Finna : Mais tout n’était quand même pas rose ?

ALB : Le côté négatif de la colonisation se percevait déjà dans l’habitude même du colon. Il n’approchait pratiquement pas la population. Il laissait les interprètes et les chefs coutumiers agir en son nom. Il avait rarement un contact direct avec la population. Les colons ont aussi organisé le travail forcé. On amenait les gens d’ici pour aller travailler de force dans les plantations en Côte d’Ivoire, au Mali sur le chemin de fer Dakar-Bamako. Nous avons des compatriotes qui y ont travaillé et même des familles qui ont fini par s’y établir. D’autres sont allés travailler au Niger, ils sont aussi restés.

Conséquences du travail forcé, il y a des familles entières qui ont disparu au Mali et en Côte d’Ivoire. Autre remarque : le colon n’apprenant pas les langues locales, il n’avait pas le souci d’intégration. On voyait une différence entre la colonisation faite par la France et la colonisation faite par l’Angleterre par exemple. Au Ghana, il y avait été mis davantage l’accent sur ce qui était proprement local, du point de vue culture, agricole. On y avait développé davantage l’enseignement des langues locales au Ghana. Les Anglais ont pu aider les populations du Nord et du Sud à mieux se comprendre à travers la connaissance des langues locales plutôt que simplement par la langue coloniale.

San Finna : L’indépendance de la Haute-Volta, ça vous a surpris ?

ALB : L’indépendance, on la voyait venir, parce que nos compatriotes des autres régions qui étaient plus développés comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou la Guinée, avaient une élite intellectuelle plus avancée que la nôtre ; et dans les contacts qu’ils avaient avec la France, surtout le Sénégal où on envoyait facilement les enfants étudier en France. Les missionnaires ont assuré les études supérieures de Léopold Sedar Senghor en France, comme à tant d’autres enfants de l’époque. C’est pour dire qu’il y avait des avantages que les autres avaient que nous nous n’avions pas mais comme les élites se côtoyaient et qu’on évoquait les indépendances, nous disions que c’était une bonne chose mais on n’était pas prêt. Et c’est parce que tout le monde n’était pas prêt et qu’on ne voulait pas que les uns soient indépendants et pas les autres au sein de l’AOF qu’on a, alors trouvé un moyen en instituant ce qu’on appelait la Loi-cadre. C’était une certaine autonomie mais pas complète en 1958. On avait décidé que nos différents pays auraient leurs Assemblée nationale calquée sur le modèle français. Mais elle n’aurait pas le droit de prendre des décisions sans l’accord de la France. La Loi-cadre nous obligeait aussi à vivre en union avec la France et c’est pour ça qu’on appelait l’Union Française qui regroupait la France Métropolitaine et ses anciennes colonies devenues semi-autonomes.

San Finna : Quelle en a été la mise en œuvre concrète, d’après vous ?

ALB : On a eu droit d’envoyer des députés et des sénateurs en France. Par exemple, Christophe Kalenzaga est allé au Sénat français comme Sénateur et Henri Guissou comme député à l’Assemblée nationale française de même que Nazi Boni et d’autres que j’ai oublié.

On a fonctionné comme ça pendant deux (2) ans et au bout de ces années, les Ivoiriens et les Sénégalais estimaient que la France exploitait trop leurs richesses, ils en avaient assez et ils ont demandé leur indépendance. Sékou Touré en Guinée en particulier non seulement demandait mais exigeait l’indépendance dès 1958 et le Général de Gaulle s’est fâché et il a coupé tout contact avec la Guinée. Ensuite il a été décidé que la France accorderait l’indépendance à toutes ses colonies, mais la Guinée avait pris déjà son indépendance.

Ce que je voulais ajouter sur la colonisation est son apport sur l’émancipation de la femme burkinabè, surtout mossi.

San Finna : Que voulez-vous dire par là ?

ALB : Je ne sais si les femmes burkinabè d’aujourd’hui s’en rendent compte, mais ce sont les missionnaires qui ont vraiment travaillé à l’émancipation de la femme de certaines pratiques néfastes des coutumes comme les mariages forcés. En pays mossi, c’était une tradition qu’on trouvait normale et ce sont les missionnaires qui ont commencé à lutter contre le mariage forcé des filles ou des femmes. Je sais que plusieurs missionnaires en ont pâti en s’opposant à cette tradition, ils s’opposaient même aux chefs coutumiers pour qui c’était normal. Et les sœurs blanches ont beaucoup travaillé à éclairer les femmes.

Non seulement elles les ont éclairées, mais elles ont travaillé juridiquement à cela. Elles ont fait venir une de leur sœur, Maria André du Sacré Cœur, qui avait une licence en droit pour qu’elle vienne étudier la condition des femmes ici et qu’elle écrive un livre (qui a été publié) et qu’elle prépare un mémoire qui serait envoyé au gouvernement des colonies et par là, à l’Assemblée nationale française de manière à ce qu’on arrive à voter une loi contre le mariage forcé des filles ou des femmes. Ce travail a eu beaucoup de succès et on peut dire que si depuis 1933-1934, le Plateau mossi a été sensibilisé sur cette pratique et sur la nécessité d’y mettre fin, c’est en grande partie dû à l’effort de la Sœur Maria André du Sacré Cœur et des missionnaires qui, dans leurs tournées, n’hésitaient pas à revenir sur ce problème.

Il aurait été intéressant que le travail de tous ces missionnaires en faveur du pays, soit pour la scolarisation des enfants, soit pour la santé ou pour l’émancipation de la femme, soit reconnu par la nation entière et que l’on érige un monument qui pérennise ou qui immortalise ces actions. Qu’il y ait des places ou des rues, des avenues qui marquent le travail de ces gens-là.

San Finna : N’y a-t-il pas ici un risque de préférence religieuse ?

ALB : Ces distinctions ne se feront pas en tant que telle à des missionnaires ou des religieux, mais à des hommes et femmes ayant donné à ce pays une action sociale remarquable.

Je ne suis pas opposé à ce qu’on baptise des rues pour des gens qui payent, mais il faudrait que l’on donne aussi à des personnes méritantes même si elles ne sont pas de nationalité burkinabè. Je pense que ce n’est pas seulement le maire de Ouagadougou qui devrait s’en occuper mais c’est le gouvernement lui-même. Il devrait s’occuper de cette question. J’estime que c’est une injure et ça montre que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas reconnaissants et c’est pour ça qu’on se dépêche d’oublier nos bienfaiteurs d’antan. C’était une parenthèse et je tenais à le dire.

L’indépendance a eu à poursuivre ce qui a été commencé par la colonisation tels que la scolarisation, les soins de santé, le développement de l’économie, l’agriculture, le commerce et le transport. L’indépendance nous a permis de prendre nous-mêmes tout ça en charge et de travailler non pas seul mais avec l’aide de nos partenaires.

San Finna : Quels étaient vos rapports avec les politiciens de l’époque ?

ALB : Il est bon de dire que les individus que nous étions, prêtres, religieux ou religieuses, avions des contacts personnels avec les politiciens de l’époque puisque plusieurs étaient des parents, des camarades d’école ou des personnes qu’on avait côtoyé dans d’autres milieux. La Mission avait des contacts avec Henri Guissou, Conombo Joseph, Christophe Kalenzaga etc. parce qu’ils étaient chrétiens d’abord.

San Finna : Justement, comment se manifestait la laïcité et quels étaient les rapports entre les dirigeants et les confessions religieuses ?

ALB : Les relations interreligieuses étaient normales parce que ce n’est pas parce qu’on est devenu religieuse ou marabout qu’on devrait couper avec sa famille. Et quand je vois l’Archevêque participer à l’office du Ramadan, je le félicite. Ça ne veut pas dire qu’il est devenu musulman mais sa présence à leurs côtés est un témoignage de son amitié avec ses amis musulmans.

Après l’indépendance, on faisait des célébrations, la fête nationale était célébrée dans tous les lieux de cultes, à l’Eglise dans les mosquées, dans les temples protestants et Maurice Yaméogo tenait à ce que le gouvernement participe aux différentes cérémonies. Ainsi Maurice Yaméogo lui-même avec les membres catholiques de son gouvernement venaient à la cathédrale à la fête nationale. Il y avait une délégation qui allait également au temple protestant envoyé par le gouvernement et une autre délégation qui allait à la grande Mosquée de Ouagadougou pour la prière. Je pense que ça, ce n’est pas aller contre la laïcité. Ce concept est mal utilisé aujourd’hui parce que je ne vois pas comment cette laïcité peut interdire aux catholiques, aux protestants, aux musulmans de manifester leur religion.

Même si le gouvernement ne devrait point appartenir à aucune de ces composantes, pour tout ce qui est national, pour le culte, le gouvernement devrait être représenté. Notez que Maurice Yaméogo venait en tant que président à la Fête nationale, mais il venait aussi en tant que chrétien aux fêtes chrétiennes. A la fête de Noël par exemple, il était toujours à la Cathédrale de même qu’aux grandes fêtes chrétiennes. Si les membres du gouvernement y venaient aussi, c’est simplement par amitié pour accompagner Maurice. Ils ne venaient pas pour représenter le gouvernement à ces fêtes chrétiennes. Ils étaient libres et c’est cette liberté qu’il faut aujourd’hui retrouver.

San Finna : Que souhaitez-vous que les jeunes retiennent du travail des devanciers ?

ALB : Qu’ils puissent retenir que les devanciers ont fourni beaucoup d’efforts pour amener peu à peu le pays vers son autonomie jusqu’à l’indépendance. Aujourd’hui, il y a peu de jeunes qui peuvent encore parler de Christophe Kalenzaga, de Henri Guissou, Nazi Boni, Yalgado Ouédraogo, Guillaume Ouédraogo etc. Il faut que dans les établissements scolaires, on travaille à entretenir ce que nous devons à ces anciens. Encore une fois, que cela ne soit pas seulement scolaire mais matériellement ce soit manifesté. Les jeunes devraient imiter les dévouements de leurs aînés. Tous ceux qui ont travaillé par exemple au niveau de la santé, dans les épidémies et qui sont morts (les infirmiers par exemple en soignant les malades), eh bien, les jeunes devraient s’en inspirer et savoir que quand on travaille pour son prochain, pour son frère, on doit être capable d’aller jusqu’au sacrifice de sa vie et c’est ainsi, je pense, qu’on arrivera à lutter contre une certaine tendance qui veut que l’on se serve d’abord avant de penser aux autres.

On luttera en même temps contre les détournements et la corruption. Si le gouvernement aujourd’hui n’arrive pas à enrayer ces fléaux, c’est parce que les vertus du travail et les effets néfastes de ces maux ne sont pas enseignés dès l’école. Il faut que tous ceux qui vont s’illustrer négativement dans ces maux-là soient sévèrement punis pour donner l’exemple sinon d’autres personnes seront tentées avec plus ou moins du succès, impunément. Il faut absolument que ce soit une leçon pour les jeunes.

Djimité Aristide Ouédraogo

San Finna

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