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CYCLE "CINQUANTENAIRE DES INDEPENDANCES" : ENTRETIEN AVEC LE TOESSE NAABA DE SAABA

Publié le mardi 21 septembre 2010 à 04h02min

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Agé de 87 ans, le Toessé Naaba de Saaba a vécu les années de plomb avant les indépendances dans notre pays. Il a été de l’expédition qui a creusé le barrage N° 3 de Ouagadougou. N’ayant comme repère que sa mémoire, le Toessé Naaba affirme que les indépendances ont été un soulagement pour les populations. Nous avons eu du plaisir en refaisant un plongeon dans le passé avec cet homme sage. Lisez plutôt !

San Finna : Naaba, avant l’arrivée des Européens, surtout des Français, comment viviez-vous ici ?

Toesse Naaba (T.N) : La vie était très difficile. Le Blanc était là mais on le voyait jamais sinon rarement. On nous pourchassait pour qu’on paye l’impôt. Si une personne n’a pas les moyens de payer l’impôt, il y avait un tamarinier dans le village où les commis le conduisaient. Et là, on mouillait ton habit avant de te forcer à le mettre. Ensuite, les commis forçaient les hommes à mimer la préparation du tô (NDLR : purée de maïs ou de mil), ce qui était une humiliation suprême. Et ceux qui refusaient de s’exécuter étaient littéralement bastonnés.

San Finna : Qui venait percevoir l’impôt ?

TN : C’étaient les émissaires du Baloum Naaba. En ce moment, il était très difficile aux gens d’avoir un simple 05 francs pour payer l’impôt. Souvent, dans tout un village, on ne pouvait guère avoir 15.000 f. Donc, c’était impossible de payer. Vraiment, la vie était dure.

San Finna : Où avez-vous rencontré un Blanc pour la première fois ?

TN : Je n’ai pas connu le Blanc ; ce sont mes parents, surtout ma mère qui avait fui le Blanc avant de venir nous mettre au monde. Je n’ai pas connu l’arrivée du Blanc. Elle nous a raconté qu’il serait venu ici avant de poursuivre sa route jusqu’à Tensoben-tenga. Mais il n’aurait pas continué parce que les populations auraient coupé les routes. Pour me résumer, je n’ai pas connu l’époque de l’arrivée des Blancs, seules nos mères ont connu cette époque.

San Finna : Comment avez-vous vécu l’ indépendance avec l’arrivée au pouvoir du président Maurice Yaméogo ?

TN : C’était vraiment un soulagement parce qu’avant, on recrutait de force dans l’armée et tous les jeunes gens étaient amenés de force, soit par les parents, soit par dénonciation. Et ceux qui refusaient d’y aller étaient condamnés à la clandestinité. Avant l’arrivée de Maurice au pouvoir, on nous forçait à damer les rues avec du gravillon sans rémunération. On devait rembourrer des sacs de kapok et les porter sur la tête pour les livrer à Ouagadougou (NDLR : à 14 kilomètres de Saaba, à l’époque comme c’était la brousse). Et ce n’est pas que ça seulement ! Le bois aussi. Et les plus gros morceaux étaient portés par quatre personnes.

San Finna : Quels sont les grands travaux de Ouagadougou auxquels vous avez participé ?

T.N : Le barrage N° 3 de Ouagadougou a été creusé à la main et j’y ai participé. On nous nourrissait avec du sorgho et de la sauce de feuilles de baobab. On était relevé chaque semaine par d’autres personnes mais on revenait la semaine d’après.

San Finna : On vous payait ou bien c’était la force ?

T.N : Je n’ai jamais reçu un seul franc dans cette affaire. Pour la construction du Prytanée militaire du Kadiogo, on ramassait les briques sous les fouets. Je ne pouvais pas prendre deux briques à l’époque car ce n’étaient pas les briques d’aujourd’hui, c’était très lourd. Mais c’était forcé que j’en prenne sous la contrainte du fouet. On nous fouettait sérieusement et même pour la construction des routes, par manque d’outils pour ramasser le gravillon, on utilisait nos propres habits pendant que d’autres damaient.

J’ai aussi participé à la plantation des caïlcédrats de la ville. Un jour, je revenais du champ dans l’intention de faire sortir les moutons de leur enclos et je suis tombé sur une rafle. Les commis des Blancs sont venus à chevaux rafler tous les jeunes gens du village. J’ai pu m’échapper en me cachant dans l’enclos aux moutons. En son temps, beaucoup allaient se réfugier derrière la petite colline. C’était un bois touffu et même qu’il y avait des hyènes qui venaient s’attaquer à mes moutons ici.

San Finna : Pouvez-vous nous parler du premier anniversaire de notre indépendance et si vous y étiez ?

T.N : J’y suis allé. Nous avons dansé du warba (NDLR : danse des Mosse) à l’ancien grand marché (NDLR : Place de la Nation). Chaque fois que le président revenait d’Europe, nous allions danser à l’aéroport.

San Finna : Donc, pour vous, l’indépendance a été une bénédiction ?
T.N : On peut le dire ainsi.

Après l’indépendance, nous n’avons plus subi ce genre de traitements. On ne venait plus prélever l’impôt et les corvées étaient aussi finies. Ce qui a perduré avant de disparaître, c’est la méthode de recrutement dans l’armée.
J’ajoute que tous ceux qui étaient partis à Bamako pour travailler de force sont revenus.

San Finna : Mais quels étaient vos rapports avec les pères blancs ici ?

T.N : Tout ce qu’ils demandaient aux gens, c’était de s’intéresser à la religion. Ca a été un refuge pour les jeunes filles qui sont devenues des nonnes pour diverses raisons mais surtout parce qu’on les forçait à se marier très jeunes avec des inconnus. Même si c’était ton épouse, si elle arrive à y aller, c’était fini. C’est ce que j’ai vu, et même si vous y allez, vous ne pouvez plus avoir votre épouse.

San Finna : Donc, après les indépendances, vous n’alliez plus à Ouagadougou ?

T.N : Pendant la saison pluvieuse, j’allais cultiver dans les champs du Mogho Naaba chaque semaine. J’ai cultivé dans les champs de Naaba Koom, de Naaba Saaga. C’est seulement les champs de Naaba Kougri que je n’ai pas cultivé.

DAO

San Finna

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