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DOCTEUR ALI BARRAUD : "Maurice était un homme courageux, mais son problème est qu’il a voulu gérer le pouvoir tout seul"

Publié le mardi 14 septembre 2010 à 03h22min

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Docteur Ali BARRAUD

Quand on rencontre le docteur Ali Barraud, on ne peut que se demander si, en matière de mémoire, il n’a pas fini par s’identifier à l’éléphant du RDA qu’il a servi-et continue d’ailleurs de servir-tant les souvenirs de l’homme sont restés vifs et précis en dépit du temps passé. C’est un octogénaire aimable, courtois, sachant tout de suite mettre à l’aise son visiteur qui nous a reçus à notre demande, et qui a accepté que nous lui « empruntions » pour nos lecteurs, quelques-uns de ses souvenirs liés à son parcours personnel et à celui de l’évolution de notre pays. Nous nous excusons d’avance si pour des raisons d’espace, il ne retrouvait pas tout ce que son extraordinaire mémoire a su restituer avec toute la justesse et la précision…d’un chirurgien.

Veuillez vous présenter à nos lecteurs

Je suis le docteur Ali Barraud. Je suis né en 1918. J’ai grandi dans mon village jusqu’à l’âge de 7 ans. C’est à cet âge là que mon père décida de m’inscrire à l’école. Personne ne l’y a obligé comme cela pouvait arriver à l’époque. Ce fut une décision personnelle. En octobre 1924, je fus effectivement inscrit à l’école régionale de Bobo-Dioulasso. Les cercles étaient dotés d’écoles centrales qui recevaient les enfants provenant des différents cantons qui les composaient. C’est ainsi que Bobo-Dioulasso recevait des
élèves venant de localités comme Houndé, Banfora, Diébougou, Gaoua, Batié. A Bobo, j’étais logé chez le représentant du chef de canton de Fo, canton auquel mon village appartenait. J’ai passé le certificat d’études une première fois en 1931, mais je ne fus malheureusement pas reçu cette année là, à cause du calcul mental.

Comment cela ?

J’avais 12 ans à l’époque. A cet âge là on n’a pas forcément tous les réflexes pour répondre rapidement aux questions. Pendant que vous cherchez, le temps s’égrène et si vous ne répondez pas rapidement, cela joue contre vous. Je l’ai passé une seconde fois et je fus reçu et admis à l’Ecole Primaire Supérieure de Ouagadougou. Elles avaient cette appellation, mais c’était en réalité des écoles dotées d’un programme complet de collège. Il y avait un internat. Nous étions donc totalement pris en charge. Le programme était riche. En plus des matières comme l’Histoire, la Géographie, le Français, les Mathématiques, etc., nous avions des matières comme le Dessin et la Morale. Je me rappelle bien que cette matière était enseignée par le directeur de l’école, monsieur Addier. Mais cette première année passée à Ouagadougou s’est achevée plus tôt qu’à son terme ordinaire.

Quelles en étaient les raisons ?

Nous avons été libérés très exactement le 12 juin 1932 alors que les vacances intervenaient habituellement les 14 juillet. La raison, c’était les conséquences de la division du territoire voltaïque survenue cette année là. Chaque élève fut renvoyé dans sa localité d’origine en attendant des décisions ultérieures. Nous étions dans l’expectative, ne sachant pas quel sort pouvait nous être réservé. C’est en pleine période de vacances que j’ai appris mon admission en 2e année. A l’issue du Primaire Supérieur, nous avons passé le concours d’admission à William-Ponty. Ce fut un succès pour moi, qui me permit de faire mon entrée dans cette grande école. Elle était située sur l’île de Gorée au Sénégal, mais à l’époque, compte tenu d’une insuffisance d’infrastructures, la première année de cours se déroulait sur le territoire d’origine des élèves. Ce n’est qu’en deuxième année qu’on se retrouvait en Gorée. Pour nous, la première année, ce fut Bingerville en Côte d’Ivoire, à l’école Treich La Pléienne ; en territoire dahoméen, c’était l’école Victor Ballot. En territoire soudanais, l’école Terrason de Fougères ; à Dakar, l’école Blanchot ; en territoire guinéen, c’était l’école Noël Ballet. Au Niger et en Mauritanie, il n’y avait pas d’école parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’élèves venant de ces territoires.

William- Ponty était subdivisée en 3 sections : la section administrative, la section financière et la section médicale. C’est dans cette section que je suis rentré en novembre 1936. A l’examen de sortie qui eut lieu le 15 juillet 1940, j’ai eu mon diplôme avec la mention bien.

Il semble que l’enseignement y était de qualité ?

Le programme était très riche. C’était des professeurs agrégés qui nous tenaient et nous étions très bien encadrés. Nous recevions le même enseignement que les Blancs. Cependant, malgré cela, à diplômes égaux, nous les Noirs, étions considérés comme des auxiliaires. Ils se refusaient toujours à nous considérer comme leurs égaux.

Vous qui avez fait médecine, comment vous êtes-vous retrouvés en politique ?

Nous nous sommes engagés parce qu’il n’y avait pas quelqu’un d’autre pour le faire à notre place. Imaginez qu’on venait prendre nos parents, nos frères à tout moment, que ce soit en saison sèche ou en saison pluvieuse. Quelquefois, leurs champs restaient en friche parce qu’il n’y avait plus personne pour les entretenir après eux. Nous étions très peu préparés pour la politique, mais la situation était telle que nous avons pris les devants avec des bribes de connaissance en politique, et nous y sommes allés avec la langue et avec le cœur, sans autre chose que cela. Nous n’avions jamais dit que nous prendrions les armes contre les Français, au RDA. Jamais.

Mais néanmoins ils ne vous ont pas laissé faire…

C’est vrai, les colons français qui étaient là avaient bien compris qu’on voulait les renvoyer chez eux. Mais tout ce qu’ils faisaient contre nous ne faisait que renforcer le RDA. Tous ceux qui avaient eu la chance d’aller à l’école, qui étaient sortis de l’Ecole Primaire Supérieure ou qui avaient tout simplement le Certificat d’études ont vécu la situation de l’indigénat à travers leurs parents qui étaient maltraités. Beaucoup d’entre eux ont rejoint le RDA avec un engagement sincère, véridique, courageux.

Justement, pouvez-vous nous parler un peu de la création du RDA ?

Le RDA a été créé en 1946. Son congrès constitutif s’est ouvert le 18 octobre à Bamako et a clos ses travaux le 21 octobre. Les résolutions qui ont été présentés à l’issue des travaux ont fait l’effet d’un souffle puissant qui a couvert presque tout le continent. Tout le monde voulait être RDA.

Etiez-vous vous-même présents à Bamako ?

Je n’y étais pas personnellement, et cela pour une bonne raison. J’étais médecin-chef à Koudougou. Nous étions au mois d’octobre où, à cause de la méningite qui faisait rage à cette époque-là, il fallait établir une surveillance épidémiologique stricte. Mais notre section y avait envoyé deux délégués, à savoir messieurs Demba Diallo et Sigué.

Et monsieur Gérard Kango, il n’y était pas lui ?

Si c’est Gérard Kango qui a dit qu’il y était, c’est qu’il se trompe. Il n’y était pas.

Mais il était bel et bien RDA à l’époque ?

Si Gérard Kango a rejoint le RDA, ce n’était certainement pas à cette époque-la, car il était avec le capitaine Dorange. A la mort de Ouezzin Coulibaly, les Gérard, qui étaient contre lui, s’étaient retrouvés à Boussé pour sabler le champagne.
A l’avènement du Front Populaire EN 1987 et avec l’ouverture démocratique qui se dessinait, le RDA s’était réuni et avait décidé d’apporter son soutien à Blaise Compaoré. Gérard Kango, qui était par je ne sais quel imbroglio de l’Histoire, le président du RDA à ce moment là, n’est pas venu à cette rencontre. Il a préféré agir seul, et c’est ce que beaucoup lui ont toujours reproché. Même à l’époque d’Houphouët Boigny, lorsqu’il allait le voir au nom du RDA, il ne nous rendait pas compte. D’ailleurs, beaucoup de personnes m’ont rapporté qu’elles ont lu les mémoires de Gérard Kango et qu’elles y avaient décelé certaines affirmations qui n’étaient pas conformes à la vérité historique. C’est l’une des raisons pour lesquelles je souhaite faire appel à des camarades témoins de l’époque pour que nous nous retrouvions en un comité qui restituerait toute l’exactitude historique, avec des faits, avec des dates, afin que les générations futures puissent se souvenir. Ce serait en quelque sorte notre contribution pour le cinquantenaire des indépendances.

Parlant justement du cinquantenaire, comment appréciez-vous sa commémoration ?

Globalement, on peut dire que les choses vont dans le bon sens. Personnellement, j’ai été approché un jour par des personnes qui m’ont dit que le gouvernement souhaitait m’accorder une décoration. J’étais assez réticent au départ, car j’avais d’autres préoccupations. Mais ils ont insisté et le 12 janvier 2010, en présence du ministre de la Santé, monsieur Seydou Bouda, du directeur régional monsieur Drabo, et de bien d’autres personnalités, j’ai reçu cette décoration ici à domicile.

Vous avez aussi connu le président Maurice Yaméogo. Comment, avec le recul, appréciez-vous son action ?

Maurice était un homme courageux, mais son problème est qu’il a voulu gérer le pouvoir tout seul. Ca ne se fait pas.

Et Ouezzin Coulibaly ?

C’était tout simplement un homme admirable, courageux, infatigable, bref un grand chef. Je vous renvoie à la lecture d’un livre tout à fait remarquable qui retrace son combat. Ce livre, écrit par madame Claude Gérard, une grande dame de l’époque qui a bien connu Ouezzin, s’intitule : « Ouezzin Coulibaly, combat de l’époque ». Je sais qu’il ne sera pas facile à trouver, mais cherchez-le. Il vous édifiera sur l’homme et le combat qu’il a mené.

San Finna

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