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Commerce : Comment exercer au grand jour quand on vend... la nuit

Publié le jeudi 19 août 2010 à 23h22min

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Jouets gonflables, tabourets, chaises pour enfants, fleurs et pots de fleurs, chaussures, CD, valises à roulettes, tout se vend et s’achète ces derniers temps aux abords des grandes voies, notamment les avenues Kwame N’Krumah et du Burkina Faso ou le boulevard France-Afrique, l’après-midi et ce, jusque tard dans la nuit. Un véritable marché nocturne que nous avons visité le lundi 2 août 2010.

Lundi 2 août 2010, 16h30 sur l’avenue du Burkina Faso (la voie qui passe devant le ministère des Affaires étrangères). Rouge, jaune, vert, blanc, gris, noir. Des chaussures aux couleurs souvent voyantes et attirant, de ce fait, le regard du passant sont exposées au bord de la route. Des sandales communément appelées “tapettes” aux nu-pieds, il y en a pour tous les goûts. Devant les chaussures multicolores étalées sur une bâche noire ou à même le sol, des clientes, une dizaine, seules ou accompagnées. Les unes les observent sous toutes leurs coutures, les autres les essaient.

Certains passants, particulièrement des passantes, les regardent tout en continuant leur chemin. Assami Sakandé et ses frères sont installés sous un caïlcédrat qui leur fait office de boutique. L’aîné des quatre commerçants qu’il est, tout en aidant une cliente à essayer une paire de chaussures, nous parle de son métier : « Mes frères et moi sommes installés ici il y a juste 3 mois. Avant, nous étions des vendeurs ambulants. Nous avons eu l’idée de regrouper nos marchandises et de les vendre ici ».

Chez les frères Sakandé, où tout se négocie, les prix des articles varient entre 1500 (pour sandales) et 6000 F CFA (pour les hauts talons). S’ils sont toujours installés là, c’est que ça rapporte. « Nous remercions Dieu : avant on demandait de l’argent à notre mère, mais maintenant c’est nous qui subvenons à ses besoins. Nos prix sont abordables, si bien que sur chaque paire de chaussures vendue nous n’avons que 250 ou 500 FCFA. Vous savez, les femmes aiment beaucoup marchander. Nos recettes quotidiennes s’élèvent à 6000 FCFA ».

Dans un pays où tout ce qui touche à l’argent est assez tabou, ce montant n’est qu’indicatif, car vu le nombre de clientes qui repartent avec un sachet de pompes, il faudrait peut-être multiplier ce montant indicatif par 10 pour être le plus proche de leur recette journalière. En bons commerçants, les frères Sakandé entretiennent donc le flou sur leurs recettes d’une soirée dont le montant est inscrit dans ce qui tient lieu de cahier de comptes. Le bénéfice est ensuite partagé. Mais pourquoi vendre le soir plutôt que la journée ?

A propos du fait que leur activité commerciale est exclusivement vespérale ou nocturne, ils se sont justifiés : « Les femmes sont généralement très occupées le jour ; elles n’ont pas le temps de s’arrêter. Mais le soir, à la descente, elles peuvent acheter de petits trucs ou profiter de la pause pour s’éclipser et venir faire leurs achats ». Pour ces vendeurs de nuit, les matinées sont réservées à l’approvisionnement. « Nous faisons le tour des marchés le jour pour trouver de nouveaux modèles et, à partir de 16h, nous nous installons pour attendre nos clientes », a confié l’aîné de la fratrie.

« C’est moins cher ! »

Et elles ne tardent pas à arriver. La majorité trouve que les prix qu’ils pratiquent sont nettement plus accessibles que ceux des marchés, car les commerçants qui tiennent des boutiques invoquent le loyer et les autres taxes qu’ils ont à payer pour justifier les différences de prix. Au nombre des inconditionnelles de ces étals, Honorine Zoma, étudiante en quatrième année d’anglais à l’université de Ouagadougou. « Chaque fois que je passais sur cette route, les couleurs m’attiraient. Je me suis enfin décidée, un jour, à m’arrêter et j’ai constaté que c’est aussi joli de près que de loin.

Les chaussures sont de qualité et les prix sont abordables par rapport à ceux des yaars. J’ai eu un peu d’argent, et j’ai fait l’escale. Mais c’est la troisième fois que je viens ici ». Les autres chalandes sont du même avis. « Je suis de passage dans la capitale pour faire mes papiers. Je viens de Gaoua et c’est ma sœur qui m’a conduite ici. C’est vraiment moins cher. Au marché, ils refusent de baisser les prix sous prétexte qu’ils paient la patente. J’ai trouvé mon compte ici et je suis satisfaite », confie l’une d’elles sous le couvert de l’anonymat.

Joanna Compaoré, étudiante, explique également que c’est pour la qualité et le bon prix qu’elle fréquente cet endroit. 18h30. Cap sur l’avenue Kwame N’Krumah (KK, comme l’appellent les étudiants), à la hauteur des feux tricolores de l’aéroport international de Ouagadougou. La journée, ce sont les vendeuses de fruits et les vendeurs de chemises qui occupent le trottoir. Mais, la nuit… Surprise ! C’est la fratrie Sakandé qui déballe sa marchandise. A croire qu’ils ont le don d’ubiquité. « A partir de 18h la circulation est fluide devant le ministère des Affaires étrangères. Nous replions donc ici où il y a de l’affluence jusque tard dans la nuit, pour ne repartir que vers minuit ».

Sur leur « nouveau site », ils vendent également des chaussures pour enfants, filles comme garçons. Si sur l’avenue du Burkina Faso ils étaient seuls, sur KK ils partagent l’espace public avec des marchands de CD, de valises à roulettes, de chemises et cravates, de chaises et de tabourets. Un vrai bazar à ciel ouvert où chacun se débrouille comme il peut. On tombe même sur un affairman, comme il se décrit. (Un coxer, comme on appelle ce genre de jeunes qui ne vendent rien mais se contentent de rabattre les clients vers les étals contre un pourcentage sur les ventes.)

« Mon travail, c’est de mener le client vers la marchandise désirée et de discuter du prix ». C’est ainsi qu’il définit son job. Si ledit client achète, le vendeur lui verse un pourcentage. Pour certaines, il n’y a vraiment pas de quoi se vanter de fréquenter les commerces de nuit. Ainsi en a-t-il été de cette cliente qui a refusé de nous parler, pas même sous le couvert de l’anonymat, au prétexte que son mari la répudiera s’il la lit ou s’il la voit dans le journal. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme.

A 19h30 toujours sur KK, mais cette fois-ci en face de la station Total. Contrairement aux autres, Pierre Dzounou, de nationalité togolaise, vend des chaussures pour hommes. Dans sa “boutique” on trouve des baskets, des « tennis », entre autres. « Nous déballons notre marchandise vers 18h30. Comme c’est au bord d’une grande route, on peut attirer plus de gens. Notre spécialité, c’est la chaussure friperie pour hommes, que nous lavons et revendons. Les prix varient entre 6 000 et 9000 FCFA. Quand il y a beaucoup d’acheteurs, on peut vendre 5 paires (environ 30000 FCFA) en une soirée ; dans le cas contraire, 2 ou 3 », a-t-il déclaré.

Un Ivoirien que nous y croisons donne les raisons de sa présence : « Je veux acheter des tennis. Ici, c’est de qualité, même si c’est des produits de seconde main. C’est souvent mieux que dans les marchés et les grandes boutiques. Avec les autres commerçants, c’est du synthétique mais ça, c’est du cuir ». A côté du Togolais, un Burkinabè, Théodore Sandwidi, propose des animaux en peluche aux passants. Le matin, Théodore aide ses frères à vendre des chaussures devant les banques et la nuit dit-il : « Je travaille à mon propre compte en présentant ces jouets aux passants ».

De bonnes relations avec l’entourage, mais pas avec les forces de l’ordre

« Les relations avec le voisinage semblent bonnes. Les riverains nous encouragent, ce sont nos premiers clients », affirment tous les commerçants rencontrés, ce que confirme une riveraine : « Je viens ici parce que c’est moins cher et tout le temps il y a de nouveaux produits. Dès qu’il y a une nouveauté, il m’appelle et je viens regarder. Si ça me plaît, j’achète ».

Avec les boutiques et les services alentours, aucun problème non plus. « J’ai demandé la permission à la boutique située derrière nous avant de m’installer », explique Pierre Dzounou. Théodore, le vendeur de peluches, lui, assure qu’ils sont ses meilleurs clients. Côté sécurité, tous sont sereins. Une « surveillance rapprochée » est exercée sur la marchandise exposée. Pour eux, le problème, ce sont les policiers municipaux.

Les vendeurs affirment qu’ils sont sur le qui-vive parce qu’à tout moment ils peuvent débarquer, et c’est alors le sauve-qui-peut. « Ils ont raison, c’est leur travail, mais ils devraient nous comprendre aussi. Ici, nous ne gênons pas la circulation, c’est vers la descente que nous nous installons. Les policiers municipaux sont venus près de trois fois nous chasser. Nous voulons juste assurer notre pain quotidien. Si on se promène, il n’y a pas de problème mais dès qu’on étale, ils viennent nous déguerpir », se plaint Assami. Plus loin, même son de cloche chez Pierre et Théodore : « C’est vrai que nous sommes au bord de la voie. On est en insécurité mais on n’a pas d’autre endroit, surtout que nous quittons vers minuit ».

La réglementation en vigueur régissant leur activité est pourtant simple avec la procédure détaillée de demande d’autorisation d’utilisation du domaine public (voir encadré). Et les commerçants de nuit gagneraient à maîtriser ce texte afin de pouvoir exercer leur métier, si on ose dire, au grand jour, en toute légalité, et faire de bonnes affaires. Le bénéfice reviendrait alors à tout le monde (vendeurs, mairie, clients).

Esther Konsimbo (Stagiaire)

L’Observateur Paalga

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