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EL BECHIR ET LA CPI : Le Tchad piétine ses engagements

Publié le vendredi 23 juillet 2010 à 01h06min

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Tapis rouge et fanfare pour Omar El Béchir, le président soudanais. La scène s’est passée mercredi 21 juillet 2010 à N’Djamena au Tchad. Idriss Déby est allé, en personne, accueillir son "illustre" hôte à sa descente d’avion. Béchir dort, le temps que dure le sommet de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD) auquel il est allé prendre part, sur ses deux oreilles, dans un pays signataire du Traité de la Cour pénale internationale qui a émis contre lui un mandat d’arrêt.

En tout cas, les autorités tchadiennes, par la voix de leur ministre de l’Intérieur, Ahmat Mahamat Bachir, sont catégoriques sur la question du respect de ce mandat de la CPI : "Ce n’est pas au Tchad qu’El Béchir sera arrêté". Une telle décision, on le voit, est très contestée. En effet, le chef de l’Armée de libération du Soudan, Abdelwahid Mohammed Nour, commentant cet évènement, a estimé qu’il représente "l’un des jours les plus tristes pour la population du Darfour". Il y a également une levée de boucliers au niveau des ONG de défense des droits de l’homme avec Human rights watch et Amnesty international qui ont exhorté N’Djamena à appliquer le mandat de la CPI.

Cette visite de l’homme fort de Karthoum intervient dans un climat d’apaisement des relations entre le Tchad et le Soudan depuis que les deux pays ont décidé, après des années de guerre par procuration, de ne plus soutenir les rebelles qu’ils utilisaient à l’effet de se nuire mutuellement. Vu sous cet angle, on pourrait dire qu’il s’agit d’une affaire bilatérale qui concerne uniquement les deux Etats.

Mais là où cette logique marque ses limites, c’est que El Béchir est recherché par une juridiction internationale dont le Tchad, de surcroît, a signé le Traité. En effet, le Tchad est membre de la CPI. Certes, en accueillant leur voisin, les autorités tchadiennes s’alignent sur la position de l’Union africaine (UA) de ne pas coopérer avec la CPI, laquelle décision est d’ailleurs rejetée par certains Etats du continent, et pas des moindres, tels que la République sud-africaine, du Bostwana. Cette manifestation de solidarité est l’une des rares décisions de l’UA à être respectées. Si seulement des décisions relatives à la démocratie, au respect des constitutions et de la bonne gouvernance pouvaient connaître le même sort ! Hélas, tout laisse penser que ce que d’aucuns ont appelé "le syndicat des chefs d’Etat" ne s’empresse de respecter que les décisions qui les protègent de façon directe ou indirecte.

Il est certes vrai que l’on peut reprocher beaucoup de choses à la CPI. On est fondé à penser que cette Cour de justice dont le Traité a été adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 11 avril 2002, a jeté son dévolu sur les Africains et l’identité de ses pensionnaires et des personnes sur lesquelles plane son épée renforce ce sentiment. On est en effet écoeuré de voir que des responsables de certains Etats ne sont pas inquiétés par cette juridiction en dépit du fait qu’ils sont auteurs ou complices d’actes répréhensibles. On peut ne pas être d’accord que le président soudanais dont le pays n’a pas signé le Traité de la Cour fasse l’objet de poursuites au nom d’un accord auquel il n’est pas partie. Toutes ces récriminations sont plus ou moins fondées, mais force est de reconnaître que les dirigeants africains ne sont pas exempts de toute critique sur le sujet.

Ces faiblesses de la CPI ne sont-elles pas, pour beaucoup, contenues directement ou indirectement dans son Traité même que plusieurs dirigeants du continent se sont empressés de signer alors que certains Etats -dont on s’offusque que la Cour ne poursuit pas les ressortissants d’ailleurs- s’y sont réfusés ? Il faut avouer que beaucoup de gouvernants africains sont passés maîtres dans l’art de signer ces conventions ou accords internationaux sans prendre toutes les précautions en vue d’en mesurer au préalable toute la portée. Ce genre de situation remet au goût du jour la question de l’indépendance réelle des pays africains et leur capacité à anticiper. En effet, l’on semble signer à tour de bras les accords juste pour la propagande ou pour avoir quelques fonds promis par quelque obscur bailleur ou escomptés de telle ou telle organisation. Quand on n’est pas d’accord avec un texte, on ne le signe pas.

Cela a, au moins, le mérite de faire plus responsable lorsque l’on refuse les conséquences liées à son application. Il y a également des mécanismes en droit international pour dénoncer les accords auxquels on est partie. Tôt ou tard, il faudra donc, surtout pour les pays qui ont signé le Traité instituant la CPI, choisir entre appliquer une convention qu’ils ont "librement" signé et protéger une personne poursuivie en application de cette convention. De toute façon, il va falloir être conséquent avec soi-même et faire plus preuve de vision prospective dans les engagements que l’on prend. Tant il est vrai que pour les Etats comme pour les individus, le respect de la parole donnée est un élément déterminant du degré de responsabilité. C’est à ce prix que l’on force l’admiration et conquiert le vrai respect des autres.

"Le Pays"

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