LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

EMPRISONNEMENT DE JOURNALISTES IVOIRIENS : Une justice à deux vitesses

Publié le mardi 20 juillet 2010 à 01h18min

PARTAGER :                          

Trois journalistes (le Français Théophile Kouamouo, directeur des rédactions du journal Le Nouveau courrier, ainsi que les Ivoiriens Stéphane Guédé et Saint Claver Oula, directeur de publication et rédacteur en chef du Nouveau Courrier) sont écroués depuis vendredi à la suite de la publication de conclusions d’une enquête sur des malversations présumées dans la filière cacao en Côte d’Ivoire. Ils ont eu accès au rapport et l’ont exploité aux fins d’informer le public. Sommés de révéler leurs sources, les responsables du journal n’ont pas cédé au suicide professionnel. Et c’est tout à leur honneur.

Car que reste-t-il de la respectabilité d’un journaliste, surtout d’investigation, qui balance sa source d’information ? Dans le même temps, face aux accusations de détournement de fonds impliquant Désiré Tagro et Guillaume Soro, l’on a préféré d’abord une information judiciaire pour situer les faits. Comme si pour les gros poissons de la mare politique, il fallait un traitement spécial.

S’attendant sans doute à ne tirer aucun ver du nez des confrères ivoiriens, le parquet les prend à revers en changeant la prévention en vol de documents. Il vise désormais le code pénal. Il les inculpe pour vol de documents administratifs, reléguant ainsi les journalistes au rang de vulgaires voleurs, à l’image de quelqu’un qui volerait un mouton ou un poulet. Cette inculpation est en fait la botte secrète de nombreux parquets africains, du taillé sur mesure, pour réduire au silence les journalistes audacieux, qui aiment fouiner dans les affaires sales de la République.

Avec cette accusation de vol, c’est la menace d’emprisonnement que fait planer le parquet sur la tête des journalistes. Et cette perspective est inadmissible. On comprend aisément le tollé général qu’a suscité cette décision d’incarcération au sein des médias de Côte d’Ivoire. L’ensemble des organisations professionnelles du pays tiennent le procureur responsable de ce qui adviendrait aux journalistes vu que l’un d’entre eux est souffrant. Une réaction bien compréhensible dans un contexte sous-régional marqué par une tendance vers la dépénalisation des délits de presse ou plutôt la « déprisonnalisation » de ceux-ci. Le parquet rame donc à contre-courant de cette dynamique. Ce faisant, il met en danger la survie des journaux en question en enfermant leurs premiers responsables.

L’atteinte à la liberté de la presse est manifeste dans la mesure où le rapport est clos et déposé auprès de qui de droit, dans l’attente d’en tirer les conséquences judiciaires pour les 23 personnalités mises en cause dans le rapport. A moins qu’il y ait une volonté de ne pas en divulguer le contenu au peuple qui voudrait bien comprendre de quoi retourne l’un des plus grands scandales financiers de la filière café-cacao qui a déjà fait une victime en la personne du journaliste franco-canadien Guy André Kieffer. Pendant qu’en France, dans l’affaire Bettencourt, grâce à la perspicacité des médias, les conclusions des auditions sont rapidement divulguées et connues du public. En Côte d’Ivoire, on veut manifestement recouvrir d’une chape de silence une affaire pour le moins gravissime. Laurent Gbagbo avait dit que sous son règne, aucun journaliste n’irait en prison. On attend de voir.

Par Abdoulaye TAO

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique