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L’ONG AFRICARE dans le Zondoma : Un départ qui laisse un arrière-goût amer

Publié le vendredi 16 juillet 2010 à 00h12min

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Après une dizaine d’années d’investissements dans la province du Zondoma (1999-2010), l’ONG AFRICARE a plié définitivement bagages, laissant nombre de travailleurs et de bénéficiaires du projet dans le désarroi. Et des prestataires de services dans la commune rurale de Tougo ayant exécuté des travaux de construction de maisons de conservation d’oignons crient à l’arnaque. L’ONG n’aurait pas respecté les termes des contrats conclus entre elle et lesdits prestataires. Ces derniers réclament leur dû qu’ils évaluent à 1 275 000 CFA.

1 milliard 250 millions de francs CFA, c’est la somme investie par AFRICARE au cours de deux phases de son projet de sécurité alimentaire au Zondoma (1999 et 2010) financées par l’Agence américaine pour le développement international (USAID). La deuxième phase du projet (2005-2009), prolongée jusqu’en juin 2010 a touché les 104 villages de la province du Zondoma. Des investissements de cette phase, en matière d’eau potable et d’infrastructures de production, on peut citer la réalisation de 80 puits à grand diamètre, 14 forages, 02 fermes semencières.

Quant aux infrastructures de soutien à la production, on note l’implantation de 5 magasins pour les unions départementales, 3 magasins de semence, 3 parcs de vaccination, une caisse populaire, un centre de transformation de produits agricoles, 2 marchés à légumes, une piste rurale de 07 km, etc. AFRICARE a également œuvré pour la santé et la nutrition des ménages (suivi de la croissance des enfants, éducation pour la nutrition et la santé, soins des enfants malnutris).

Il y a aussi les activités de lutte contre le VIH/Sida ayant porté sur l’éducation, l’information/ communication pour le changement de comportement, et le soutien psychosocial des personnes vivant avec le VIH. Les secteurs de l’environnement et de l’élevage n’ont pas été en reste. Beaucoup sont unanimes à reconnaître qu’un projet a rarement autant investi à Gourcy.

Les activités menées étaient en phase avec les besoins des populations, et certains étaient loin d’imaginer que cette belle aventure allait prendre fin un jour. On avait beau leur rabattre les oreilles sur la nécessité de travailler à se prendre en charge, ils ne s’imaginaient pas que la période de grâce allait se terminer aussi brutalement. L’espoir de voir la pérennisation des interventions s’est enraciné avec l’annonce de la délocalisation du siège du projet à Ouahigouya, pour prendre en compte d’autres villes de la région du Nord.

Des ateliers avaient été organisés dans la capitale du Yatenga dans ce sens. Certains travailleurs qui cherchaient d’autres points de chute avant la date fatidique du mois de juin auraient eu l’assurance d’être gardés pour continuer leurs activités dans le cadre de la régionalisation du projet. C’est au cours du mois d’avril, que le refus de l’Agence américaine pour le développement international de financer le Projet de l’ONG AFRICARE dans sa version régionale a été porté au public. Une véritable désillusion tant du côté des travailleurs que de celui du public-cible.

AFRICARE propose et l’USAID dispose

Le verdict est sans appel. La déception était à la hauteur des espoirs qui avaient été nourris. Pendant que les travailleurs étaient tenaillés par l’incertitude des lendemains, chez les autorités locales et leurs administrés, on manifestait un double sentiment. Une satisfaction au vu de la multitude et la pertinence des réalisations de l’ONG au cours des dix ans, et des inquiétudes de ne pas pouvoir combler le vide que va laisser un partenaire aussi sûr qui injectait d’importantes devises dans l’économie de la localité. Des inquiétudes bien légitimes, surtout que le Zondoma connaît un déficit céréalier chronique ces cinq dernières années.

Contrainte de se plier à la volonté de son bailleur qu’est l’Agence américaine pour le développement international (USAID), AFRICARE a refusé de partir à la sauvette comme on le voit souvent à la fin de certains projets. Un atelier de cadrage conduit par le Laboratoire citoyennetés a permis d’organiser des conciliabules dans les différentes communes (Gourcy, Lèba, Boussou, Bassi, Tougo) autour de la gestion des investissements après le départ de l’ONG. Désormais, la gestion des infrastructures et les modalités de la mise en marche incombent aux responsables des communes.

La signature du protocole du transfert des infrastructures a eu lieu le 05 juin 2010 entre le Gouverneur de la région du Nord, Viviane Yolande Compaoré, et le représentant résident de ladite ONG au Burkina, Ahmed Moussa N’Gom, au cours d’une cérémonie présidée par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Clément P. Sawadogo. “C’est une première de voir une ONG en fin de projet organiser formellement une cérémonie officielle de transfert de ses réalisations à l’Etat et à ses démembrements”, a reconnu le maire de Gourcy, Dominique Ouédraogo.

Et le représentant résident d’AFRICARE d’expliquer le sens de l’acte : “Le transfert des infrastructures aux collectivités locales traduit, non seulement la volonté d’AFRICARE de s’inscrire dans le cadre institutionnel de transfert des compétences et des ressources du processus de la mise en œuvre de la décentralisation au Burkina Faso, mais également sa conviction que l’entretien et le fonctionnement de ces réalisations ne peuvent être assurés de manière efficace et efficiente qu’en impliquant les populations bénéficiaires et les collectivités locales”.

“Cette œuvre inédite mérite d’être encouragée et va certainement constituer un terrain d’apprentissage de la décentralisation et de la gouvernance au sein de la communauté de base. Son exemple mérite d’être suivi”, a souhaité le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Clément P. Sawadogo. Toutes les expressions ont été utilisées pour magnifier l’acte posé par AFRICARE avant la fermeture définitive de ses portes à Gourcy. Une embellie qui n’occulte guère le cri de détresse des potentielles victimes que sont les bénéficiaires travailleurs du projet.

“Nous allons tous mourir comme des poulets”

En plus des activités de sensibilisation et d’information/communication dans le cadre des activités de lutte contre le VIH/Sida, AFRICARE accordait trimestriellement des vivres à plus de 300 personnes vivant avec le VIH (PVIH) au Zondoma, regroupées autour des associations “Espoir- Santé” et “Donnons espoir de vie aux orphelins”. Chaque bénéficiaire recevait par trimestre 6 cartons d’huile, 3 sacs de haricots, 2 sacs de bulgur, 2 sacs de potatos, et 4 sacs de farines de Soja. Des centaines d’enfants orphelins en bénéficiaient également. Beaucoup de PVIH ont retrouvé la joie de vivre grâce à cette dotation alimentaire. Le fait d’entendre qu’ils n’en auront plus est comme si on leur a ouvert les portes de l’Enfer.

La consternation est générale dans ce milieu. “Oh Dieu, avec le départ de l’ONG AFRICARE, nous risquons tous de mourir un à un comme des poulets. Ce qui risque de nous emporter à partir de maintenant, ce n’est pas la maladie, c’est la faim. Si nous n’avons plus cet appui, il ne reste qu’à nous enterrer”, se lamentent les personnes infectées et affectées par le Sida. Et l’un d’entre eux de renchérir : “Si une situation palliative n’est pas trouvée après le départ de ce projet, les conséquences seront désastreuses. Nombreux qui accouraient pour faire le dépistage entendaient se consoler avec la dotation alimentaire.

Maintenant qu’il n’y a plus ça, les candidats pour le test de dépistage seront rares comme les larmes d’un chien à Gourcy, sans compter que les séropositifs déclarés vont retomber dans la résignation”. Pour pallier la situation, des microcrédits avaient été initiés à l’endroit de cette couche pour lui permettre de se prendre en charge après le projet. Une belle trouvaille sur papier, difficile à mettre en pratique. “A la caisse populaire, on exigeait des garanties à tous les postulants. Bannis que nous sommes de nos familles, pour la plupart d’entre nous, comment allions-nous nous y prendre pour remplir cette condition ?”, s’offusque l’une des victimes.

Elle atteste que “les activités de celles qui en ont eue ne prospèrent pas à cause de la stigmatisation”. Et de marmonner tout en sanglotant : “Même pour ceux qui en ont bénéficié, si les clients découvrent qu’ils font partie du cercle des personnes vivant avec le VIH, ils tournent dos à leurs marchandises”. Des odeurs nauséabondes de deals se seraient dégagées autour de la gestion de ces microcrédits. On ne se serait pas gêné d’aider certains à constituer les dossiers pour après récupérer la moitié de la somme accordée.

Responsable de l’Association Donnons espoir de vie aux orphelins (ADESVO), regroupant environ 779 membres dont 42 PVIH, Ali Ouédraogo ne sait pas où donner de la tête après ce projet : “Plusieurs familles réfractaires au départ pour prendre les enfants de leurs parents décédés du Sida ont révisé leur position grâce aux vivres. Le départ de l’ONG AFRICARE est une catastrophe. Des familles vont abandonner les orphelins qu’ils avaient en charge. Ces derniers n’auront pas d’autres choix que de rejoindre la rue. Des clients potentiels à la délinquance et à la prostitution.

Actuellement, je passe des nuits blanches. AFRICARE était l’unique partenaire de notre association. C’est l’argent provenant de la vente des emballages des vivres qui assurait le fonctionnement de la structure”, révèle Ali Ouédraogo. En tout cas il est prévenu : “Maintenant on n’a personne sur qui compter, nous reposons tous nos espoirs sur le président de notre association. Nous prions Dieu qu’il trouve les moyens pour continuer de nous soutenir. Tant qu’il sera là, nous allons nous confier à lui, à moins qu’il n’en puisse plus et quitte Gourcy lui aussi”, ont prévenu ses protégés.

Une ardoise de plus d’un million de francs CFA non réglée

Un autre problème qui suscite des gorges chaudes après le départ du projet est le non-respect du contrat qui le liait avec des prestataires de service dans la commune rurale de Tougo. Zone favorable à la culture maraîchère, AFRICARE y a implanté plusieurs infrastructures pour booster la production et la commercialisation. La commune rurale de Tougo a accaparé la grande partie des réalisations de l’ONG américaine : aménagement de trente ha de périmètres maraîchers, unité de transformation de produits locaux, deux marchés à légumes, une caisse populaire, un aménagement de 7 km de route ; l’investissement est énorme. Le dossier pendant porte sur un projet de construction d’unités de conservation ou de stockage d’oignon, initié individuellement par des producteurs.

Il s’agit d’une trentaine de maisons de conservation, réparties dans 06 villages. 08 maçons ont été retenus pour l’exécution des travaux. Les charges étaient partagées entre AFRICARE et chaque producteur. AFRICARE a envoyé le matériel nécessaire qui a permis l’implantation des unités de conservation, sans régler la prise en charge des maçons à hauteur de 525 000 F CFA, soit 17 500 F CFA pour chaque unité construite. Ce n’est pas tout. Il y a aussi les frais des canaux d’aération réalisés par un groupement de femmes évalués à 750 000 F CFA soit 1500 canaux pour l’ensemble des maisons de conservation à 500 F CFA l’unité.

En tout, pour cette activité, AFRICARE reste redevable d’une somme de 1 275 000 CFA à ces prestataires de service. Ces derniers disent ne rien comprendre. L’implantation de ces unités de conservation était effective depuis avril 2010. Des superviseurs sont venus faire la constatation. Promesse avait été faite de les payer avant le 15 mai 2010. Les photocopies des pièces d’identité donnant droit aux paiements ont été récupérées par les responsables des projets. La date du 15 mai passée, les concernés ont multiplié les visites au siège du projet pour réclamer leur dû. Ils disent avoir été tournés en rond.

Même le jour du ramassage définitif du matériel du projet à son siège à Gourcy, ils y étaient. Mais ils n’auraient pas croisé un interlocuteur pour leur dire exactement ce qui en est de la somme qui leur revenait. Ils ont fini par rebrousser chemin avec le sentiment d’avoir été grugés. A qui devrait-il s’adresser désormais pour rentrer en possession de cette somme ? Peut-être le siège du projet au niveau national pourrait-il répondre à cette question.

Au nombre des insatisfaits, il y a aussi les travailleurs. Contrairement à certains projets qui cèdent une partie de leurs matériels logistiques à leurs anciens travailleurs, généralement les motos à des prix négociés et aux services déconcentrés pour les véhicules, en la matière, AFRICARE n’a pas laissé la moindre trace à Gourcy. Elle a retiré jusqu’aux casques des motos, aux bidons d’eau et aux chaussures bottes dont se servaient les agents quand ils se déplaçaient sur le terrain. Certaines mauvaises langues ne s’empêchent d’insinuer que les problèmes sociaux que ce projet va engendrer après son départ seront à la hauteur des investissements qu’il a légués. Un véritable cauchemar après une période de grâce.

“Certes, le projet est arrivé à terme. Toutefois, nous sommes toujours dans la perspective de recherche de fonds pour la consolidation de certains acquis pour le bien-être des populations du Zondoma”, a laissé espérer le représentant résident d’AFRICARE au Burkina. Simple profession de foi pour se faire bonne conscience ? On n’en sait pas trop. La population du Zondoma lui sera reconnaissante de voir l’effectivité de cette pérennisation des acquis.

Emery Albert Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 16 juillet 2010 à 15:10 En réponse à : L’ONG AFRICARE dans le Zondoma : Un départ qui laisse un arrière-goût amer

    Merci pour l’information concernant le départ de Africare. Continuons à prier pour que Dieu fasse un miracle pour cette ONG et ses nombreux bénéficiaires qui ne savent plus quoi faire ! Courage M. Ahmed Moussa N’Game, une porte va s’ouvrir bientôt, très bientôt !!

    Une admiratrice de l’ONG Africare

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