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Raymond Dibailly, conseiller spécial du président ivoirien : « En matière d’épargne, de discipline et de respect de la chose publique, nous avons des choses à apprendre des Asiatiques »

Publié le mardi 13 juillet 2010 à 00h38min

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Raymond Dibailly, conseiller spécial du président ivoirien

Selon le rapport 2010 de la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) publié mi-juin dernier sur « le développement économique en Afrique », la coopération économique et commerciale entre le continent noir et les pays émergents ne cesse de se renforcer. « La part des pays non africains dans le commerce total des marchandises de l’Afrique est passée de 8% en 1980 à 29% en 2008, et leur part dans les investissements directs étrangers est passée en moyenne de 12% en 1995-1999 à 16% en 2000-2008 », écrivent les auteurs du rapport.

Essentiellement d’ordre politique, la coopération Sud Sud qui date d’avant les indépendances a pris une tournure économique depuis la fin de la guerre froide. Les relations économiques avec le Nord ayant échoué, le continent noir explore une nouvelle forme de coopération avec d’autres partenaires, notamment les pays émergents : Brésil, Russie, Chine, Inde, Turquie, pays du Golfe, etc. Reste que ce nouveau partenariat suscite des critiques plus ou moins infondées, certaines n’hésitant pas à y voir une recolonisation de l’Afrique par les pays asiatiques.

Comment l’Afrique peut-elle tirer profit de l’intérêt que manifestent les pays émergents à son égard ? Comment établir des relations « gagnant-gagnant » entre partenaires qui se respectent ? Tentative d’explications avec le professeur Raymond Dibailly, le maitre d’œuvre du « Salon de la coopération Sud-sud » qui se tiendra du 21 au 24 septembre à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire.

Vous êtes partisans d’un renforcement de la coopération Sud Sud, notamment entre l’Afrique et les pays émergents. Qu’est-ce qui vous séduit dans ces pays et qui manque aux africains ?

D’abord, l’ardeur au travail ! On s’amuse beaucoup chez nous, on a trop de loisirs, trop de temps de fête alors qu’en Chine par exemple, les gens ne font que travailler, même le dimanche ! Ils ont très peu de jours de congés, et ils ne rechignent pas à travailler. Il y a ensuite la discipline. Lorsque les décideurs décident quelque chose, c’est suivi par tout le monde. Et puis, ils ont le respect de ce qu’ils ont produit eux-mêmes alors que chez nous, on casse tout quant on n’est pas content : on brule les bus, les écoles, etc., pourtant c’est à nous, pourquoi alors les détruire ? Il y a donc toute une mentalité qu’il faut revoir et ça, les Asiatiques ont beaucoup de choses à nous apprendre.

Regardez, en matière d’épargne, ils ont des taux que nous n’arrivons pas à atteindre parce que notre propension à dépenser est plus forte que notre propension à épargner. Sur le plan micro-économique déjà, vous voyez comment les gens se comportent ! Le matin, une secrétaire va s’habiller et à midi, elle va se changer avant de retourner au bureau ; donc, l’argent qu’elle met dans les vêtements, c’est autant un manque à gagner pour l’épargne. En Malaisie par exemple, les gens ont un uniforme de travail en deux exemplaires pour la semaine, les dépenses vestimentaires sont déjà amoindries et puis, ils ne vont pas dans les maquis comme nous le faisons tous les jours, n’organisent pas de fêtes comme nous le faisons. Ils épargnent et c’est cette épargne qui leur permet d’avoir de quoi investir. Il faut donc que nous prenions le temps de nous approprier cette expérience

Comment coopérer avec les pays émergents, quand les échanges commerciaux entre pays africains sont très faibles ?

Mais si entre voisins, nous ne commerçons pas beaucoup, la raison est simple : c’est parce que nous vendons les mêmes produits, c’est à dire des produits primaires dans lesquels on nous a spécialisés et que nous exportons vers le Nord. C’est aussi simple que ça, et c’est à nous maintenant de restructurer notre économie, diversifier notre production afin de créer des complémentarités entre les pays voisins. Il faut aussi que nous désarmions nos frontières pour libérer la circulation. Certes, à l’heure actuelle, le commerce informel cisaille les frontières, mais ça ne représente que 20% du commerce total entre nous ; donc, il faut favoriser la libre circulation des biens et des personnes. En Afrique de l’ouest, les Etats doivent respecter les très bons protocoles de la CEDEAO sur la circulation des personnes et des biens

Qu’attendez-vous de ce salon ?

A travers ce forum, nous voulons accroitre la part des investisseurs venant des pays émergents vers l’Afrique. Qu’ils viennent investir dans nos pays soit en joint-venture avec nos opérateurs économiques, soit en finançant des projets directement. Tous ceux qui seront présents à Grand-Bassam trouveront sur le site, les agences nationales de promotion de l’investissement qui vont leur donner toutes les infos sur le climat des affaires dans les pays concernés. Il y aura les chambres de commerce des pays invités qui vont aussi leur donner des informations, et il y aura des opérateurs économiques eux-mêmes avec leurs projets qui vont pouvoir en discuter directement. Je crois que c’est nettement mieux comme ça plutôt que laisser chaque opérateur prendre son avion pour faire le tour des pays africains.

Côté africain, nous souhaitons que les pays élaborent de très bons projets, pas seulement les microprojets mais des projets ambitieux, de taille critique qui puissent permettre le développement industriel de l’Afrique. Il faut donc que les Etats eux-mêmes aient de l’imagination et présentent des projets aux financiers des pays émergents, afin de créer des partenariats techniques, financiers et commerciaux

Vous êtes le conseiller du président ivoirien pour les investissements. Quels sont les secteurs les plus porteurs et prioritaires ?

Tout est prioritaire chez nous ! Toutefois, à l’heure actuelle, nous avons besoin de transformer nos matières premières. Sur le plan agro-industriel, il nous faut des services d’ingénierie, des intrants, des machines agricoles pour assurer notre sécurité alimentaire. Et puis, nos produits ont besoin d’être transformés, donc il nous faut des technologies appropriées pour la transformation de nos matières premières sur place. A côté de cela, il faut réduire la fracture numérique entre nous et les autres, donc il nous faut des technologies de l’Information et la communication de pointe. Il nous faut aussi créer des réseaux satellitaires dans nos pays, les relier par des fibres optiques, disposer de services de transports dynamiques qui nous permettent d’être en contact avec le reste du monde. Vous le savez, pour aller d’Abidjan à Dakar, ce n’est pas facile, il nous faut donc des transports aériens, terrestres, maritimes modernes. Je sais que ce sont des projets qui sont couteux avec une rentabilité très longue, mais ils intéressent pourtant les pays émergents

Au cours de ce forum, vous souhaitez organiser un débat sur les investissements dans les pays pauvres très endettés…

Tout à fait ! C’est pour nous un sujet fondamental qui justifie que nous organisons une conférence tripartite : d’un côté les pays africains, de l’autre les institutions financières (Banque mondiale, Fonds monétaire international (FMI) et les pays émergents. Il y a des financiers des financiers qui ont l’habitude de prêter aux Africains et qui ont besoin de garanties d’Etat que les pays ne peuvent pas donner parce qu’ils attendent l’annulation de leurs dettes. Il faut donc qu’on trouve des mécanismes, des alternatives qui permettent de gérer les dettes et de trouver en même temps, les capitaux nécessaires à l’investissement. Ensemble, on va donc s’asseoir pour imaginer des solutions que nous allons appliquer, sinon ça ne sert à rien qu’on se réunisse avec les pays émergents et leurs financiers si on ne peut pas emprunter pour réaliser nos projets.

Pratiquement, comment se déroulera le salon ?

Il y aura des expositions de technologies par les industriels des pays émergents, de même que leurs institutions financières comme les banques et les assurances etc., et en face, des pays africains porteurs de projets. Les deux entités vont pouvoir se rencontrer, faire des transactions que nous allons organiser nous-mêmes en recevant des pays africains leurs projets ou leurs études de préfaisabilité. Si un pays est intéressé par un projet, il le signale et nous organisons la rencontre, sous la forme BtoB. Il s’agit de projets aussi bien publics que privés car à l’heure actuelle, le privé et le public travaillent ensemble, l’Etat ne pouvant pas faire seul les choses. Il faut développer l’économie mixte, la co-entreprise internationale et c’est dans cette optique que nous encourageons des projets privés, mixtes et d’Etat

Des pays africains ont-ils manifesté de l’intérêt pour le forum ?

Bien sûr, j’ai déjà reçu des lettres ministérielles de pays voisins et qui se disent intéressés par la manifestation. Ils ont des projets et comptent bien les préparer et les présenter aux investisseurs étrangers. C’est la preuve qu’ils voient bien la nécessité de chercher des partenariats plutôt que réaliser de manière souveraine des grands projets pour lesquels on n’a pas toujours les moyens

Dans un contexte où le calendrier politique ivoirien est incertain, le Forum est-il une manifestation juste ponctuelle ou s’inscrit-il dans la durée ?

Nous avons bien dit « première édition », donc nous en prévoyons d’autres, mais pour l’instant nous attendons de tirer les enseignements de la première édition avant de fixer la périodicité. Quant au calendrier politique, je le dis très clairement : le salon est un évènement national et international qui dépasse les partis politiques et les régimes. C’est quelque chose qui concerne les nations, les régimes passent et les nations restent. Quelque soit l’issue de l’élection présidentielle, le salon aura bien lieu

Propos recueillis par Joachim Vokouma

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