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INVESTITURE D’EL BECHIR : Un cas de conscience pour des chefs d’Etat

Publié le vendredi 28 mai 2010 à 03h21min

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Dernier acte de la victoire du président soudanais Omar El-Béchir à la présidentielle d’avril qu’il a remportée haut la main, l’investiture en grande pompe qui a pour effet d’installer – d’introniser ? - le chef d’Etat entrant pour un nouveau mandat de cinq ans. Cet acte officiel qui consacre et légitime le président soudanais aura eu lieu. La fête aura été belle, sans doute, mais il demeure quelque part dans l’esprit des uns et des autres, comme un certain goût d’insatisfaction et d’inachevé.

Et pour cause. On n’aura pas noté une grande bousculade au portillon. Juste un petit groupe d’amis parmi les plus fidèles aura fait le déplacement de Khartoum pour assister de visu et voir l’ami étrenner son nouveau mandat présidentiel. Certaines nations étrangères occidentales se feront représenter à la cérémonie par leurs diplomates en poste à Khartoum. On ne fera pas de zèle, comme en d’autres lieux. Presque curieux. Le continent africain est coutumier de ces chefs d’Etat volontiers friands de célébrations d’investitures qui, pour rien au monde, ne manqueraient pareille célébration, dût-elle se passer à l’autre bout du continent. Pour une fois, ils se seront prudemment abstenus de le faire. Or, dans des circonstances normales de température et de pression, pour parler en physicien, pareille fête regorge de monde.

Les pairs africains tenant à y être en personne pour apporter soutien et félicitations à l’heureux élu désormais membre du club. El- Béchir le Soudanais n’y aura pas eu droit. Il n’aura pas son carton plein de têtes couronnées, qu’elles soient occidentales, arabes ou noires africaines. Il ne pourra donc pas un jour exhiber la sacro-sainte photo de famille composée du large parterre des pairs africains que quelquefois les dirigeants du continent brandissent comme un trophée symbole de bravoure destiné à légitimer leur présence au sommet de l’Etat et à rabattre le caquet à quelque impénitent opposant aigre d’amertume. Il devra se consoler de la présence polie à sa fête de quelques amis inconditionnels, de ses voisins les plus proches et bien sûr de son « frère et ami » du moment –realpolik oblige- le Tchadien Idriss Déby. Pour le reste, il faudra repasser.

Pourquoi de telles retenues ? La réponse en est plutôt simple. L’anguille sous roche, c’est que la fête de El-Béchir pose un sérieux cas de conscience à de nombreux dirigeants africains. Et ce, pas vraiment parce que l’homme n’a pas été élu de la manière la plus orthodoxe qui soit.

A la limite, en Afrique, pareille broutille n’est plus un problème. On a vu des chefs d’Etat plus mal élus que le Soudanais faire cependant le plein de représentativité lors de leur prise officielle de fonction. La particularité que présente El-Béchir, c’est bien l’épée de Damoclès de la CPI qui se tient, suspendue à sa tête, et ce, depuis de longs mois. L’intrépidité de Luis Moreno-Ocampo aura gâché la fête du président soudanais. Car, il faut le reconnaître, il ne fait pas bon, par les temps qui courent, de s’afficher ami-ami avec un homme qui fait figure de pestiféré aux yeux de la communauté internationale. Dans le doute, dit-on, on s’abstient. Les pairs africains du Soudanais se seront prudemment abstenus.

Mais c’est là aussi qu’il faut sans doute dénoncer l’hypocrisie de ces gouvernants africains, qui, en assemblée générale de l’UA crient haut et fort qu’ils soutiennent, protègent de leurs corps le président soudanais contre les foudres de la CPI, mais, au moment où l’occasion leur est donnée de traduire par les actes ce qu’ils professent, choisissent de se débiner avec extrêmement de souplesse et de subtilité. Même Jean Ping le tout-puissant patron de la commission de l’UA n’y sera pas. A la vérité, rien ne l’obligeait à effectuer le déplacement de Khartoum. Mais, tout de même, au regard du caractère très spécial que revêtait cette investiture pour El-Béchir, et du symbole que cela aurait porté pour l’ensemble des dirigeants africains, la présence du Gabonais de l’instance panafricaine n’aurait sans doute pas été de trop.

Et El-Béchir qui n’est sans doute pas né de la dernière pluie, gageons-le, saura en tirer les leçons qui conviennent. Il aura compris que les promesses solennelles faites avec brio par d’éloquents orateurs, peuvent au final se traduire par de timides balbutiements en secret. Il devra en retirer que pareille farce ne l’arrange guère. Mais plus que jamais, le président soudanais se rend compte aujourd’hui à quel point il est isolé. Ce qui, d’ailleurs, peut l’amener à se demander pour combien de temps tiendra encore la solidité du soutien et de l’amitié de ceux qui lui demeurent encore fidèles. Et ce, alors qu’on ne suspecte aucun signe de relâchement en provenance de la CPI. Bien au contraire, elle aurait même tendance à serrer l’étau.

Alors, que reste-t-il qui puisse permettre à El-Béchir de sauver sa tête, à présent qu’il sait ne plus pouvoir compter vraiment sur ses amis de l’UA ? Peut-être les critères sélectifs de la CPI pour poursuivre les méchants du monde lui seront-ils d’un secours temporaire ? En effet, la CPI, si elle « fouille » bien, aurait sans doute de quoi émettre d’autres mandats à l’encontre de ressortissants d’ailleurs, coupables comme lui, El-Béchir, de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

A la seule différence près qu’il s’agit de citoyens d’Etats autrement plus puissants, plus craints et plus respectés que la patrie d’El-Béchir. Israël en l’occurence apparaît comme un intéressant sujet d’investigation pour le procureur de la CPI. La chose d’ailleurs ne blanchit pas le président soudanais. Elle fait percevoir juste un peu plus, que même en justice internationale, il arrive que l’on se comporte comme les animaux de la fable : selon qu’on est puissant ou misérable, les jugements de cour peuvent vous rendre blanc ou noir. Et alors, une justice peut en cacher une autre. Allez savoir.

"Le Pays"

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