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Blaise Compaoré et la « question ivoirienne » : Chronique d’une « diplomatie inversée » (Suite)

Publié le vendredi 2 avril 2010 à 04h50min

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Bédié, Soro, Compaoré, Gbagbo et ADO

Dès le déclenchement de la tentative de coup de force militaire en Côte d’Ivoire (18-19 septembre 2002), les responsables politiques ivoiriens montreront du doigt le Burkina Faso et le « burkinabè » Alassane Dramane Ouattara, réfugié alors à l’ambassade de France. Blaise Compaoré n’est pas dupe. « Dès qu’il se passe quelque chose en Côte d’Ivoire, c’est vrai, c’est tout de suite « la faute des Burkinabè ». Cela remonte à notre histoire commune, à la colonisation, au fait que jusqu’en 1947 la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso étaient un même pays » (La Croix du 1er octobre 2002 - entretien avec Julia Ficatier).

Ouaga s’exaspère ; mais ne perd pas le contrôle de ses nerfs. « Oui, nous voulons la réconciliation [entre Ivoiriens]. Il vaut mieux travailler à arrêter le conflit. Il faut absolument, envers et contre tout, tenter d’amorcer le dialogue que ce soit entre la Côte d’Ivoire et le Burkina - une chose faite [Compaoré et Gbagbo, qui se connaissent bien, se sont rencontrés lors de la réunion des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest à Accra au lendemain du « 18-19 septembre »] - mais aussi entre les mutins et le pouvoir ivoirien. Pour moi, le dialogue, c’est toujours mieux que l’interposition d’une force de paix […] Pour les mutins, il faut donc que les autorités ivoiriennes se penchent attentivement sur leurs demandes corporatistes, notamment celle d’une réintégration dans l’armée. Un point important. La balle de la paix est maintenant dans le camp du président Gbagbo » (La Croix, cf. supra).

Compaoré joue à fond, dans cette « crise ivoiro-ivoirienne », la carte de la « mutinerie » de soldats ivoiriens. Pour le reste, il le précisera à Julia Ficatier : « Nous n’avons jamais voulu polémiquer avec la Côte d’Ivoire. C’est inutile et dangereux ». Gbagbo n’est pas sur la même ligne : il ne peut pas laisser penser que son régime est vacillant ; le coup vient d’ailleurs. Du Burkina Faso qu’il accusera de « complicité, ne serait-ce que passive ». Compaoré reste ancré sur ses positions : « Je le répète : il vaut mieux que les Ivoiriens se préoccupent des causes réelles qui ont provoqué l’instabilité chez eux, plutôt que de chercher un facteur extérieur » (Le Monde daté du 30 octobre 2002 - entretien avec Catherine Simon). Et pour que les choses soient claires, cette fois, il n’évoque plus les « mutins » mais « l’ivoirité ». « Vous ne pouvez pas proclamer « l’ivoirité », c’est-à-dire diviser les gens en citoyens de première et de deuxième classe, développer la xénophobie et ajouter à tout cela des élections imparfaites sans fragiliser le pays. La poudrière qu’on a sous les yeux aujourd’hui, cela fait trois ans qu’on la voyait se mettre en place » (Le Monde - cf. supra).

Rappelant que plus de 200.000 Burkinabè ont été rapatriés de Côte d’Ivoire au cours de ces trois dernières années, Compaoré faisait coup double : il règlait son compte à Henri Konan Bédié, père de « l’ivoirité », mais aussi aux régimes qui, depuis sa chute, s’étaient succédé à Abidjan ; une dénonciation de la politique ivoirienne bien plus que de ses leaders. Compaoré précisera : « Le gouvernement ivoirien [là encore, c’est l’ensemble de la classe politique ivoirienne qu’il stigmatise et pas Gbagbo, une façon habile de ne pas rompre avec lui et de le garder sous le coude] doit savoir qu’il y a des limites à ne pas dépasser. C’est dans notre intérêt, bien sûr, mais dans le sien aussi. Personne ne peut souhaiter une plus grande déstabilisation de la Côte d’Ivoire » (Le Monde - cf. supra).

Alors que la situation, sur le terrain, en Côte d’Ivoire, restait indécise et que la compréhension de ce qui s’était passé était difficile pour les commentateurs, Compaoré sera ferme sur ses positions. Très ferme. D’autant plus ferme que les exactions (et le mot est faible) contre les Burkinabè ne cessaient de se multiplier. Alors que Gbagbo et ses sbires montraient Ouaga du doigt, Compaoré dira ce qu’il a dire : « Ce conflit est purement politique […] Laurent Gbagbo a remporté les élections en excluant de la compétition ses principaux concurrents, qui représentaient 80 % de la population […] Pour conserver le pouvoir, [il] joue la déstabilisation interne et tente d’exporter ses problèmes, quitte à torpiller l’unité ouest-africaine […] Le pouvoir ivoirien crée la division pour se maintenir en place » (Le Figaro Magazine du samedi 16 novembre 2002 - entretien avec Béatrice Comte). Ayant posé le diagnostic, Compaoré va se positionner non pas en « incendiaire » mais en homme de raison : « J’ai la très ferme volonté de calmer le jeu. La Côte d’Ivoire compte tant d’habitants aux origines burkinabé que la combattre serait nous combattre nous-mêmes. La guerre n’est pas mon choix » (Le Figaro - cf. supra) sans omettre de rappeler que le Burkina Faso est un pays « enclavé [qui] souffre aussi de la situation » (Le Figaro - cf. supra) car sa seule liaison ferroviaire est entre Ouaga et le port d’Abidjan.

Dans son entretien avec Béatrice Comte, il ne manque pas de souligner, cependant, le caractère historique de cette « crise ivoiro-ivoirienne », la resituant dans son contexte et, du même coup, la dédramatisant : ce n’est pas un conflit « africain », « ethnique », « impérialiste », c’est « une période de soubresaut historiquement normale, inhérente à la conquête de soi. Les nations européennes sont passées par là : Cromwell fit exécuter Charles 1er en 1649 et les révolutionnaires français, Louis XVI en 1792... Ni l’unité allemande ni l’unité italienne ne se firent dans le calme. Je pense que les pays d’Afrique vivent seulement maintenant, dans la douleur, leur accès à l’indépendance ». Il ne faut pas perdre de vue ces propos qui semblent toujours, en Afrique, hors de… propos. Ils sont le fondement de la vision que les Burkinabè ont de l’évolution de l’Afrique et que Compaoré avait déjà développée lorsqu’il présidait l’OUA en 1998 et qu’il avait parfaitement exprimée dans un entretien avec Pierre Prier dans Le Figaro (samedi 6-dimanche 7 juin 1998) : « L’histoire est souvent imprévisible. Il y a quelques années encore, on n’imaginait pas la possibilité d’un changement de frontière en Europe. Et vous avez vu comment la RDA a disparu… L’essentiel, pour nous, dirigeants, c’est de gérer l’histoire dans l’intérêt des populations. Nous sommes toujours, il est vrai, dans le cadre de la charte de l’OUA [qui fixe comme règle l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation]. Mais l’histoire est ce qu’elle est, et nous essaierons de l’accompagner avec le maximum de sagesse ». Toute la philosophie géopolitique de Compaoré est contenue dans cette phrase fondamentale.

Est-ce sa formation « marxiste » ou ses racines mossi qui ont ancré Compaoré dans la conviction que l’Histoire a un « sens » ? Il va le démontrer dans l’entretien qu’il accordera à Bruno Fanucchi pour Le Parisien (21 janvier 2003). « Seules de véritables élections propres pourront […] mettre fin [au problème ivoirien]. A terme, la seule solution, c’est que Gbagbo s’en aille […] Le minimum, ce sont des élections anticipées et le départ de Gbagbo », déclare alors Compaoré qui ajoute cette phrase qui fixe parfaitement la limite entre les deux hommes : « Gbagbo finira comme Milosevic, c’est-à-dire devant le Tribunal pénal international (TPI), où il lui faudra répondre des charniers et des nombreuses exactions commises par ses partisans ainsi que des escadrons de la mort qui sévissent dans son pays ».

Dans ce même entretien avec Le Parisien, Compaoré va fixer la ligne d’action permettant une sortie de crise : 1 - « Mettre sur pied un gouvernement d’union nationale avec des représentants des groupes armés » ; 2 - « Organiser le cantonnement des rebelles sous supervision de la France et des forces de la Cédéao » ; 3 - « Nettoyer la constitution ivoirienne en supprimant le concept d’ivoirité et en préparant des élections ouvertes à tous les Ivoiriens ». Nous sommes en janvier 2003. A Marcoussis, se tient la Table ronde qui doit permettre de sortir, effectivement, de la crise.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 1er avril 2010 à 22:10, par Hess En réponse à : Blaise Compaoré et la « question ivoirienne » : Chronique d’une « diplomatie inversée » (Suite)

    Autant les analyses sur Zéphirin Diabré semblaient profondes, autant j’ai l’impression de lire un papier de propagande avec ces textes. On dirait un client qui répond à une commande.

    Certaines affirmations/interprétations sont simplement hallucinantes. Exemple : “Compaoré précisera : « Le gouvernement ivoirien [là encore, c’est l’ensemble de la classe politique ivoirienne qu’il stigmatise et pas Gbagbo, une façon habile de ne pas rompre avec lui et de le garder sous le coude] doit savoir qu’il y a des limites à ne pas dépasser... » (Le Monde - cf. supra).” Quand même !

    La première partie, M. BEJOT sous-entend que l’on a dévalué le CFA 94 pour aider BÉDIÉ à asseoir son pouvoir. C’est assez grave comme déclaration et cela nécessite des explications plus détaillés. On a tous à l’époque appris que la Côte d’Ivoire(coeur de l’économie sous régionale) avait des difficultés et que la d’évaluation l’aiderait. Tout le monde a entendu ou lu cela mais delà à en faire un cadeau de bienvenue pour Bédié... En tous les cas, la conclusion de la dévaluation n’a pas pu être Pour une analyse qui se veut profonde, j’aurais voulu que l’on évoque les autres thèmes de la dévaluation. Par exemple celle qui fait cas de la préparation de la France pour la monnaie européenne... La dévaluation CFA favoriserait la FF par rapport à DM allemand...

    Je ne suis pas certain de lire la suite ou la fin. Désolé !

    Hess

  • Le 2 avril 2010 à 08:13, par coach En réponse à : Blaise Compaoré et la « question ivoirienne » : Chronique d’une « diplomatie inversée » (Suite)

    Vous avez bien commence en relatant l’hitorique de la crise,mais malheuresement vous etes tombe dans l’apologie dans la seconde manche.Tout le monde n’est pas partisan de Compaore,donc votre impartialite par rapport aux faits et votre prise de position clairement affichee dans cet article peut est frustrant. Compaore n’est pas un sain dans cette crise et ayez le courage de situer ses responsbilites au lieu de le peindre en homme de vertu.De quel pays etes-vous l’envoye diplomatique ?

  • Le 9 avril 2010 à 16:57, par LE JUSTE En réponse à : Blaise Compaoré et la « question ivoirienne » : Chronique d’une « diplomatie inversée » (Suite)

    L’auteur a sauté la période révolutionnaire qui es avant tout celle qui a marqué la fin d’une certaine considération du voltaique en Cote d’Ivoire et le début d’une considération mutuelle entre deux peuples.C’est sur cette base que le Président Compaoré a évolué jusqu’à présent. Oubli ou méconnaissance de l’auteur ? Je lui sugère un come back sur cette période(83-87) qui a marqué la fin d’une époque(je pense que l’auteur connait bien aussi cette partie de notre histoire avec ses anecdotes...) et qui a redonné sa fierté et sa dignité aux ex Voltaiques.LE JUSTE komabry@yahoo.fr

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