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Sophie Kaboré, jeune cinéaste : On m’a surnommée la maman des pédés

Publié le vendredi 5 mars 2010 à 02h19min

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Mlle Sophie G. Kaboré est une réalisatrice de cinéma aspirante. Depuis quelques années, elle travaille à la réalisation d’un court métrage. Son film Le retour d’Abdou (ou Zi-yaanbo) dont une première version est sur You tube, traite de l’homosexualité au Burkina Faso. Elle confie à Sidwaya les difficultés qu’elle rencontre et les raisons qui l’ont amenée à traiter d’un tel thème.

Sidwaya (S) : Votre film parle de l’homosexualité. Quelle est la trame de votre histoire ?

Sophie G. Kaboré (S.G.K.) : J’étais à la recherche d’un sujet pertinent et d’actualité en vue de réaliser un premier court métrage. J’ai toujours signé des contrats de production qui n’ont jamais eu de suites. Avant d’entreprendre ce projet, je ne savais rien de l’homosexualité. J’avais même pensé à un personnage comique. Cependant, je n’ignorais pas qu’il pouvait engendrer des problèmes.

Mais, j’ai fait ce choix parce que jusque-là j’ai entendu dire que les cinéastes africains dépendent des structures de financement. Ce n’est pas un défi mais j’estime que tout cinéaste doit être libre de son choix. Le film parle du fils aîné d’un homme d’affaires très respecté qui revient chez lui après un long séjour à l’étranger.

Il a vécu d’autres expériences qui l’ont transformé au plan psychologique et sexuel. C’est donc un travesti qui revient dans son milieu, un milieu qui réprouve de telles pratiques.

S. En traitant de l’homosexualité, que vouliez-vous faire ressortir ?

S.G.K. : Cette idée m’est venue parce que j’avais des amis gays. Avant de les connaître, en toute sincérité, je n’y pensais pas personnellement. Depuis que je les ai connus, j’ai remarqué qu’ils sont différents, sensibles et très exceptionnels. C’est pour eux que j’ai entrepris mon film.

S. Est-ce pour plaider leur cause et les défendre ?

S.G.K : Plaider leur cause, c’est trop dire parce que je ne connais rien dans l’homosexualité. Mais, je connais des amis gays formidables et sympathiques dont l’amitié m’a amenée à travailler sur ce projet.

S. : Vous avez dit rencontrer des problèmes dans la réalisation de ce film. De quelle nature sont-ils ?

S.G.K. : Je rencontre beaucoup de problèmes aussi personnels que professionnels. En termes de problèmes professionnels, quand j’ai fini de tourner le film Le retour d’Abdou, qui est de 6 minutes, je l’ai inscrit dans des festivals. Par exemple, la coordonnatrice du festival Vues d’Afrique m’a suggérée, après l’avoir trouvé très intéressant mais très court pour compétir, de le prolonger.

J’en suis à cette étape et mon acteur principal avait même, pour les besoins de la cause, retardé son voyage pour les Etats-Unis d’Amérique. Dans mes démarches, j’ai déposé mes dossiers au sein des institutions susceptibles de me financer et à chaque fois, on me répète que le sujet abordé est tabou dans notre société.

Ce qui fait que les personnes et structures contactées disent regretter de ne pouvoir m’accompagner. Un directeur commercial d’une structure m’a même agressée en me traitant de fille maudite. Un autre a osé me dire que si j’étais sa fille, il me tuerait pour avoir entrepris un tel projet.

J’ai eu des conseils de cinéastes expérimentés comme Idrissa Ouédraogo qui m’a lui aussi expliquée que le sujet était délicat. Certains techniciens de cinéma sont allés jusqu’à me surnommer la maman des pédés et beaucoup se sont demandés pourquoi je suis accrochée à ce thème de l’homosexualité.

S. : Votre vie privée n’en souffre-t-elle pas ?

S.G.K. : Quand il a fallu prolonger le film, j’ai réalisé que ce n’est pas en lisant les documents que j’allais vraiment mieux m’imprégner de la question de l’homosexualité. Il me fallait fréquenter les gays qui sont déjà mes amis. Mon copain ne me tolérait déjà pas au début.

Au fur et à mesure que le temps passait, des rumeurs ont couru que je sors avec des femmes parce que je me suis toujours trouvée avec des amis gays. C’est vrai que je ne m’en cache puisque ce sont des amis comme les autres. Je n’ai pas honte, j’ai encore moins peur de sortir avec eux.

S. : Depuis combien de temps vivez-vous avec votre copain ?

S.G.K. : Nous vivons ensemble depuis presque trois ans. C’est l’œuvre de colportage des amis qui me voient souvent en compagnie des gays qui est à l’origine de notre brouille.

S. : Est-ce que vous-même vous n’avez pas favorisé cette brouille par des changements de comportements pouvant faire basculer votre relation ?

S.G.K. : Rien n’avait changé dans nos rapports. C’est le travail que j’ai choisi de faire qui pourrait expliquer tout cela, étant donné qu’il m’a fallu faire des recherches et fréquenter des homosexuels. Je suis actuellement presqu’à la rue. Je viens de quitter mon copain à cause de cette histoire.

S. : Des membres de votre famille s’en sont également mêlés, dites-vous ?

S.G.K. : Je me suis fait accompagner un jour par un gay chez ma sœur qui est une religieuse. Quand elle l’a su, elle n’a pas bien supporté. J’ai beaucoup de respect pour les gays, ce sont des êtres comme tout le monde. On ne choisit pas d’être noir ou blanc ; nous le sommes et c’est tout.

S. : Vos proches ont peut-être peur que l’homosexualité soit “contagieuse” ?

S.G.K. : (Sourires) Mais non ! Je ne dirais pas ça ! Je connais des amis qui vivent dans ce milieu. Je ne le cache pas…, je ne sais pas moi, on a envie d’être quelqu’un puis un jour, on découvre qu’on est une autre personne. Je trouve personnellement que c’est un état comme un autre. Il y a des gens qui le sont par naissance et d’autres le deviennent.

S. : Y a-t-il des risques pour vous-même de basculer dans l’homosexualité ou y êtes-vous déjà ?

S.G.K. : (Rires) Dire que j’y suis déjà ? Non. Mais, on ne dit jamais « jamais ». Jusque-là, je n’ai jamais eu envie de sortir avec une femme.

S. : Malgré vos déboires et après votre fiction « Le retour d’Abdou », vous persévérez. Où en êtes-vous dans votre quête ?

S.G.K. : Effectivement, j’ai monté un dossier de production d’un documentaire sur l’homosexualité et je suis à la recherche des fonds nécessaires. Ce documentaire va traiter des homosexuels vivant avec le VIH/SIDA. Pour tous ces projets, beaucoup de gens essayent de m’accompagner mais se désistent toujours à la dernière minute, je ne sais pour quelle raison ? Une chaîne de télévision internationale que j’ai approchée a trouvé le sujet assez délicat pour le produire.

S. : Au rythme où vont les choses, avez-vous espoir de boucler le tournage de ce film un jour ?

S.G.K. : Je ne peux pas être sûre à 100%, mais je garde espoir. Je suis prête à me battre pour finir le film parce qu’il parle d’un sujet comme les autres. Mais, je suis toujours à la recherche d’un producteur. J’ambitionne de faire un film de 52 à 60 minutes. Je lance un appel à toute bonne volonté pour m’aider à terminer le film. Beaucoup de gens sont réticents à aborder le sujet, mais il est comme tous les autres. Et faire un film sur l’homosexualité n’est pas condamnable. Pour les besoins du film, j’ai séjourné en Côte-d’Ivoire. Un gay ivoirien qui est au Burkina présentement dit même que l’homosexualité est plus développée ici que chez lui ; seulement on n’en parle pas. La plupart des gays que je connais sont des étrangers, tandis que les lesbiennes sont toutes Burkinabè. Pour ma part, je ne sais pas depuis quand le phénomène existe au Burkina, mais je sais qu’il prend de l’ampleur. Mais loin de moi la volonté de le promouvoir

Propos recueillis par Souleymane Sawadogo

Sidwaya

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