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PIERRE RABHI, AGROECOLOGISTE FRANÇAIS : "L’agroécologie est la meilleure réponse aux changements climatiques"

Publié le vendredi 5 février 2010 à 01h34min

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Considéré comme étant la troisième personnalité célèbre en matière d’écologie en France où il a, du reste, brigué le poste de président de la République en 2002, Pierre Rabhi est aussi reconnu mondialement pour ses prises de position en faveur de l’agroécologie. Au Burkina où il compte implanter sa fondation, la Fondation Pierre Rabhi pour l’agroécologie, la sécurité et la salubrité alimentaires, il collabore avec plusieurs associations. Il s’agit notamment de l’Association pour la vulgarisation et l’appui aux producteurs agroécologistes au Sahel "Ned la beoogo" (AVAPAS) à Kamboincé, de l’Association pour le développement des techniques agroécologiques (ADTAE) à Kokologo et de l’Association pour la gestion de l’environnement et la promotion du développement durable (AGED) à Ouagadougou. Pierre Rabhi, qui était en séjour au Burkina, a rendu visite aux Editions "Le Pays" dans la matinée du lundi 1er février 2010.

Il était accompagné de son assistante Nelly Pons, des responsables de l’AGED et de l’AVAPAS, Saibou Ouédraogo et François Zanté. Dans l’entretien qu’il nous a accordé et dont la teneur suit, Pierre Rabhi s’est exprimé sur le dernier sommet de Copenhague. Sommet qu’il qualifie de "fiasco". Et selon lui, l’agroécologie est la meilleure réponse aux changements climatiques.

"Le Pays" : Quel est l’objet de votre visite ici au Burkina ?

Pierre Rabhi : J’ai travaillé longtemps au Burkina Faso, depuis 1981. J’ai été le responsable du centre de formation en agroécologie de Gorom-Gorom. Je reviens pour voir avec mes partenaires comment nous allons encore poursuivre. En fait, j’ai moi-même ma propre ferme en France. Je venais ici en mission, dans le cadre du Centre de relation internationale entre agriculteurs pour le développement (CRIAD). Depuis 1981, je venais donc pour promouvoir l’agroécologie ici, en même temps que je continuais à gérer ma propre ferme en France. Je suis venu toujours pour l’agroécologie puisqu’on est en train de faire percevoir que la famine augmente, qu’il y a les changements climatiques, qu’il y a des problèmes d’engrais, parce que l’engrais coûte de plus en plus cher et qu’aujourd’hui il y a beaucoup de populations dites du tiers-monde qui sont confrontées au problème de "quelle agriculture pour le monde d’aujourd’hui ?" ; surtout quand on est dans des zones sahéliennes comme ici, qui ont subi des sécheresses, des changements climatiques importants. Il faut savoir que dans les années 70, il y a eu un énorme changement climatique par la sécheresse. Alors, finalement, entre la sécheresse, la cherté des engrais et leurs effets nocifs sur le milieu, il faut trouver une voie. La seule voie possible aujourd’hui, qui est reconnue mondialement, est l’agroécologie.

Au juste, de façon plus détaillée, qu’est-ce que l’agroécologie ?

Dans "agroécologie", il y a "agro" et "écologie". L’agriculture moderne est fondée sur les engrais chimiques, les pesticides, les semences sélectionnées. J’ai été témoin des effets catastrophiques de l’agriculture chimique sur le sol, la pollution de l’eau, la disparition en grande partie de la biodiversité domestique. J’ai donc choisi moi-même de gérer ma propre ferme en agroécologie. Les gens ne savaient pas trop ce que c’était. Sauf que nous avons démontré que l’agroécologie, même dans des sols arides, est la meilleure réponse qui soit, par rapport à toute autre méthode. Ici, les sols sont arides. L’aridité fait qu’il y a un ensoleillement très fort. Cet ensoleillement très fort stérilise les sols, c’est-à-dire qu’il les fait chauffer. Ce qui fait disparaître les microbes qui sont indispensables à leur fonctionnement. Pour nous, un sol, c’est vivant. C’est plein de microbes, de vers de terre, d’insectes, etc. C’est comme un estomac qui travaille. Et dans ce sol, quand on met des graines, les substances sont élaborées par ce sol. Si le sol ne reçoit pas ce qui lui est nécessaire pour élaborer ces substances, il a donc un métabolisme affaibli. L’un des éléments qui est absolument indispensable à la vie du sol, c’est l’humus. Les sols d’ici sont en même temps arides et dénudés.

Quand la pluie tombe, elle érode le sol, l’eau s’en va en emportant la terre. Il y a donc un énorme problème parce qu’on perd à la fois l’eau et les terres. L’agroécologie consiste à nourrir le sol et à le fertiliser avec des matières organiques élaborées. On prend ces matières organiques, les fumiers, les pailles, etc. et on les fait passer par un protocole de fermentation, en les mettant en tas et en les humectant. Dans un processus biologique, on va produire de l’humus, au bout de deux mois. Et l’humus a plusieurs avantages. D’un côté, il y a un avantage physique. Quand il s’agit de sols qui sont trop sablonneux, qui n’ont pas de corps, par exemple, ça donne du corps. Quand il s’agit de sols trop durs, avec beaucoup d’argile, ça ameublit le sol. L’humus a la capacité de retenir jusqu’à cinq fois son propre poids en eau. Quelques fois des compostes retiennent jusqu’à dix fois leur poids en eau. Pour lutter contre la sécheresse, c’est idéal.

Par ailleurs, il y a tous les nutriments qui sont nécessaires à la plante. Il y a aussi des bactéries. Les bactéries sont spécialement importantes. Le composte qui est réalisé, c’est une levure et elle a infesté, positivement, le sol de ses microbes. Ces microbes vont se mettre au travail et vont revitaliser le sol. L’agroécologie intervient pour régénérer le milieu. Il y a la gestion des eaux pluviales à travers des techniques de lutte contre l’érosion, de récupération de l’eau dans les sols. Par ailleurs, il faut introduire le reboisement. L’arbre est extrêmement important pour plusieurs raisons. L’agroécologie, c’est tout cela ainsi que la sauvegarde des semences. On a perdu énormément de semences traditionnelles, au profit des semences adaptées. Mais il faut tout faire pour récupérer les semences traditionnelles. L’agroécologie c’est aussi une philosophie. C’est ainsi qu’on revient à l’amour de la terre. On aime la terre qui nous nourrit. On la soigne parce qu’on l’aime et en la soignant, elle nous nourrit.

A vous entendre, vous ne devrez pas aimer les OGM.

Je suis ouvertement contre les OGM parce que c’est ce qu’on appelle des chimères. Jamais la nature n’a mélangé les espèces de cette façon, je veux dire à partir des gênes. Pendant longtemps on a croisé les plantes, mais on a jamais touché aux gênes. Les OGM c’est aussi les Organismes génétiquement modifiés et brevetés. Ce qui fait que les peuples ne pourront plus accéder à ces semences sans payer. On sait que les pays dits en développement ont déjà beaucoup de difficultés et c’est pour cela que nous nous sommes opposés aux OGM, parce qu’ils rendent dépendants. Ce sont des transinternationaux qui font des bénéfices sur tout ça et ça supprime la liberté et l’autonomie des peuples.

Etes-vous satisfait des conclusions du sommet de Copenhague ?

Pas du tout. Je suis considéré aujourd’hui comme la troisième personnalité en matière d’écologie en France. Je n’ai jamais cru que pendant ces sommets on puisse aborder véritablement les questions d’écologie. Il y a trop d’intérêts financiers. Le sommet a été un fiasco parce que derrière tout ça il y a beaucoup plus d’intérêts financiers que d’intérêts pour la nature et pour les êtres humains.

Que pensez-vous des politiques africaines en matière d’agriculture ?

La question alimentaire va devenir de plus en plus grave parce qu’il y a des sociétés internationales qui se sont arrangées pour confisquer à l’humanité sa capacité à survivre par elle-même. Aujourd’hui, il faut rendre hommage à la paysannerie, s’occuper d’elle et participer à sa formation. Un pays qui ne se nourrit pas, ne peut pas être un pays libre. De même qu’un être humain qui ne se nourrit pas ne peut pas être un homme libre. Les pays peuvent être libres par leur paysannerie, à condition de s’en occuper vraiment, de la soutenir, de l’appuyer, de la promouvoir.

Parlez-nous de votre fondation que vous voulez mettre en place ici au Burkina.

Je suis venu pour mettre en place la Fondation Pierre Rabhi pour l’agroécologie, la sécurité et la salubrité alimentaires. J’entends par sécurité que, en termes quantitatifs, il faut que les pays puissent nourrir leurs enfants et préparer les générations futures à être de futurs citoyens. Il y a aussi la question de la salubrité, c’est-à-dire que la nourriture aujourd’hui véhicule des nuisances qui sont très préjudiciables à la santé publique. On met énormément de substances chimiques et j’ai beaucoup d’amis scientifiques qui, maintenant, mettent en évidence le fait que l’alimentation détruit la santé physique quand elle véhicule des substances toxiques. J’ai l’habitude de dire que bientôt, quand on s’invitera à manger, il faudra se souhaiter bonne chance, parce qu’en fait toute l’alimentation aujourd’hui peut véhiculer des maladies. On sent la montée des cancers, des maladies du sang, même des maladies du cerveau qui sont dues à une alimentation qui véhicule des nuisances. Donc, pour ce qui concerne l’agroécologie, c’est produire en quantité, mais aussi en qualité. La nourriture doit être notre remède. Le paysan doit venir avant le médecin. Si on est bien nourri, une grande partie des pathologies disparaît.

Propos recueillis par Lassina Fabrice SANOU

Le Pays

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