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Idrissa Ouédraogo (nouvel agrégé d’économie et de gestion) : « La dévaluation du CFA ne se discute pas en public »

Publié le jeudi 7 janvier 2010 à 00h52min

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Idrissa Ouédraogo

En novembre dernier s’est tenu à Cotonou dans la capitale béninoise le concours d’agrégation du CAMES. Notre compatriote Idrissa Ouédraogo, ex-directeur de la Maîtrise d’ouvrage de Ziga (MOZ) et enseignant à l’UFR Sciences économiques et de gestion (SEG) à l’université de Ouagadougou, a été reçu à cette compétition très sélective. Dans le présent entretien qu’il nous a accordé, il parle de ce concours, du thème de son travail, des éventuels « pistons » ou, si vous voulez, du mandarinat en la matière, des rapports formation d’économiste-emploi, de la dévaluation du CFA…

Le 14e concours d’agrégation de sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion a fermé ses portes le 11 novembre 2009 à Cotonou au Bénin. Vous faites partie des heureux lauréats. Vos sentiments ?

• Un sentiment de satisfaction, de fierté et d’humilité. La satisfaction d’avoir accompli une tâche essentielle et franchi une étape importante de ma carrière d’enseignant-chercheur. La fierté d’avoir réussi à ce concours prestigieux du CAMES qui a permis de tester nos connaissances théoriques, nos compétences à enseigner, nos capacités à faire de la recherche et notre habilité à diriger la recherche.

J’éprouve surtout un sentiment d’humilité. Les différentes épreuves du concours m’ont donné l’occasion de confirmer, si besoin en était, le fait que l’apprentissage est un processus continu. On apprend toujours quelque chose ; même dans notre propre domaine de compétence. Cela est encore plus vrai pour une science aussi dynamique que l’économie.

Au fait combien de candidats y avait-il au total et combien de Burkinabè à ce concours de haut niveau du CAMES ?

• Il y avait au total 95 candidats dont 55 en Droit, 9 en Sciences politiques, 36 en sciences économiques et 15 en Gestion. Nous étions 3 Burkinabè : 1 en Droit et 2 en sciences économiques. Sur les 95 candidats, 26 ont été admis, ce qui représente un taux de succès de 27,36% toutes sections confondues. En sciences économiques, sur les 36 candidats, neuf ont été agrégés. Sur les 9 pays représentés, le Bénin est celui qui a raflé la mise avec quatre admis sur sept candidats. Le Burkina Faso a eu un admis sur trois.

Sur quoi ont porté vos travaux ?

• La première épreuve, de loin la plus déterminante, porte sur les travaux des candidats. Les travaux que j’ai soumis portent sur le poids et le rôle de l’intermédiation financière et bancaire dans le processus de développement, sur le rôle du secteur informel et sur l’économie de l’énergie.

Dans ma première contribution à l’analyse des phénomènes monétaires et financiers, j’ai analysé la place et le rôle de l’intermédiation financière dans une stratégie de développement. Cela m’a permis de noter qu’il existe une unanimité de pensée sur l’importance de la structure financière et bancaire dans toute stratégie de développement. C’est plutôt la place à accorder au système financier et bancaire dans cette stratégie qui constitue l’élément de divergence. Dans le même axe de travail, j’ai estimé une fonction de demande de Monnaie au Burkina Faso en vue de déterminer le comportement de cette demande dans notre pays et vérifier le type de relation qui existe entre la monnaie et les actifs physiques. J’ai ensuite analysé, dans un troisième papier, l’impact de la libéralisation du secteur financier et bancaire sur les prix.

Le deuxième axe de travail porte sur le secteur informel. Le secteur informel représente, selon les pays, 20% à 60% des emplois urbains et contribue en moyenne pour 30% au PIB. Mais, en dépit de ce rôle primordial, ce secteur demeure mal connu, mal défini et mal appréhendé. L’objet de cette étude était de partir d’une définition opérationnelle pour collecter des informations en vue d’évaluer l’impact économique et social de ce secteur, et aussi d’analyser sa logique.

L’étude a permis de dresser un profil de l’agent type du secteur informel, les caractéristiques et le mode de fonctionnement des entreprises du secteur. Les observations permettent aussi de dire qu’il ne convient pas d’assimiler le secteur informel à la pauvreté et à la marginalité et que les agents de ce secteur agissent conformément aux principes du marché. Il ne convient pas non plus de considérer le secteur informel comme le secteur relais, marginalisé où des agents exerceraient des activités de subsistance dans l’attente d’un emploi dans le formel. Le secteur informel est un phénomène permanent dont la capacité d’adaptation aux mutations économiques est notable.

Le dernier axe de mes travaux est relatif à l’économie de l’énergie. Un premier article sur la demande d’électricité des ménages au Burkina Faso a permis de déterminer le comportement de consommation des ménages, et aussi de calculer l’impact d’une éventuelle hausse du prix de l’électricité sur leur bien-être. Le second article discute des relations entre la consommation d’électricité et la croissance économique au Burkina Faso. Les estimations ont permis de détecter l’existence d’une relation bidirectionnelle entre la consommation d’électricité et le PIB réel.

Autrement dit, le Burkina Faso est un pays dépendant de l’énergie électrique. C’est aussi un pays dans lequel la consommation d’électricité croît avec le revenu. Cela autorise à dire que l’électricité est un important facteur de développement socio-économique au Burkina Faso ; à ce titre, les politiques énergétiques doivent être entreprises de sorte qu’elles engendrent le moins d’impacts négatifs possibles.

Pourquoi avoir présenté de tels thèmes ?

• Les différents domaines de réflexion que j’ai présentés ont un trait commun : la recherche des facteurs qui déterminent la croissance et le développement des pays en développement dans un contexte de libéralisation économique. Depuis des décennies, de nombreux pays africains au sud du Sahara se sont engagés dans des processus d’ajustement structurel pour faire face à leurs problèmes de développement. L’accroissement de la pauvreté dans ces pays a révélé l’inadéquation de ces stratégies et leur incapacité à générer la croissance. Dans un tel contexte, il est paru important de s’interroger sur l’efficacité de la libéralisation à favoriser la croissance.

Il semble qu’il faut bosser pendant des mois... pour réussir.

• La préparation du concours d’agrégation est un véritable parcours du combattant. Il est requis des candidats non seulement d’avoir une parfaite maîtrise de la théorie économique mais aussi d’avoir publié des articles dans des revues connues sur le plan international. Une bonne publication dans une revue internationale demande un à deux ans de travail. Vous comprenez qu’il faut consacrer beaucoup de temps et de ressources et surtout beaucoup de renonciations pour remplir ces conditions. Je saisis l’occasion pour dire merci à mon épouse Patricia (maître assistante de maths) et à mes enfants pour leur patience et leur soutien constant.

Qu’est-ce que cela apporte quand on est agrégé ? Sur le plan carrière et salarial ?

• L’agrégation confère le titre de Maître de Conférence Agrégé des Facultés de Sciences économiques. Le fait d’être agrégé donne une certaine notoriété qui peut être bien capitalisée quand on sait s’y prendre. Sur le plan salarial, je constaterais certainement une amélioration sur mon bulletin de salaire. Mais comme vous le savez, les salaires des enseignants au Burkina Faso ne font pas partie des éléments incitatifs.

Actuellement à l’UFR/SEG comme dans d’autres UFR de l’UO, il y a beaucoup de diplômés qui doivent faire face à un marché de l’emploi étriqué. En tant qu’économiste, que proposez-vous pour réduire ce hiatus entre formation et emploi ?

• C’est avec tristesse que je regarde nos anciens étudiants qui, des années durant, recherchent un emploi. Notre système de formation n’a pas évolué en fonction des besoins du marché. Dans notre pays, les relations entre le monde de l’éducation et les employeurs sont quasi inexistantes. On forme très souvent sans tenir compte des besoins réels des employeurs. J’ai espoir que ce problème trouvera une solution dans la mise en place du système LMD (Licence, Master, Doctorat) dans nos universités.

En outre, le manque de dynamisme de notre économie fait qu’elle génère très peu d’emplois nouveaux. Ce faisant, même ceux dont les compétences répondent aux besoins du marché trouvent difficilement un emploi. Notons aussi le manque d’initiative de la part des chercheurs d’emploi. Les opportunités d’affaires existent au Burkina Faso. Il faut parfois prospecter les voies, certes difficiles, du privé en s’autoemployant.

Changeons de registre tout en restant dans votre domaine : une crise financière et économique sans précédent frappe le monde depuis plus d’une année. On parle ces derniers temps de frémissements de reprise, notamment aux USA et dans certains pays émergents. Partagez-vous cet optimisme ?

• C’est une reprise très modeste qui recommande plutôt la prudence. Il faut plus que cela pour parler de véritable sortie de crise. Les reprises constatées dans les grandes économies ont jusque-là été soutenues par des injections massives de ressources publiques et par le soutien des banques centrales. Il est difficile de prévoir ce qui se passera dans les mois à venir lorsque les Etats commenceront à arrêter ces soutiens et que les banques centrales réduiront les lignes de crédit bon marché. De fait, la crise économique est toujours au coin de la rue.

La sortie de crise va nécessiter l’adoption d’une thérapie de choc et une remise en cause des paradigmes existants. Cette crise marque la faillite d’une croyance selon laquelle le système libéral peut s’autoréguler. Les stratégies de relance doivent comporter en priorité des actions tendant à responsabiliser les entreprises, tout particulièrement le système bancaire et financier.

Pensez-vous que le retour à la croissance viendra de là où la crise est partie(les USA) ou d’autres Nations ?

• Les Etats-Unis jouent un rôle majeur dans le système économique mondial. Ce qui fait qu’une reprise dans ce pays aura des implications certaines sur les autres pays. Mais à lui seul, ce pays ne peut juguler cette crise. Compte tenu des interdépendances des économies, une reprise ne peut être définitive que si les stratégies mises en œuvre sont adoptées et conduites de façon concertée. Il faut compter avec les économies émergentes telles la Chine et l’Inde.

Au même moment Dubai, un pays dont les fondamentaux économiques étaient régulièrement au vert, vient de connaître la banqueroute puisque depuis le 27 novembre, il n’arrive plus à payer ses dettes. Votre appréciation ?

• Les récents malheurs de Dubaï confirment mes propos : la crise n’est pas encore terminée. L’économie mondiale recèle encore de nombreuses bombes à retardement. Dubaï n’est qu’un cas parmi d’autres. De nombreux autres pays tels la Grèce, l’Ukraine et l’Irlande, dont les économies sont fortement imbriquées au système financier international, ne sont pas à l’abri de graves problèmes d’endettement.

Si Dubaï World, structure par laquelle la crise s’est manifestée à Dubaï, avait fait faillite, l’ensemble du système financier mondial aurait été une fois encore éprouvé. Des établissements bancaires et financiers du monde entier ont massivement prêté à Dubaï pour financer son développement, principalement l’immobilier. Si ces emprunts n’étaient pas honorés, la crise se serait amplifiée. Fort heureusement, la crise de Dubaï a été vite circonscrite grâce aux appuis financiers de son riche voisin : Abu Dhabi. Mais pour combien de temps ?

On dit que l’Afrique a plus ou moins été épargnée par cette crise. Pourtant, de temps en temps on entend parler d’une éventuelle dévaluation du franc CFA...

• Ce n’est pas juste de dire que l’Afrique a été épargnée par cette crise. La mondialisation crée un contexte qui fait que les différentes économies nationales s’interpénètrent et dépendent les unes des autres. Cette interdépendance fait qu’aucune économie ne peut prétendre échapper aux affres de la crise. Il est certainement vrai que les effets de cette crise diffèrent d’un pays à l’autre même si les Etats-Unis et l’Union européenne sont les plus affectés. En Afrique, l’effet de contagion est plus important pour les pays tels l’Egypte, l’Afrique du Sud et le Maroc dont les systèmes financiers sont plus intégrés au système international.

En tout état de cause, la crise financière s’étant muée en crise économique, les conséquences sur les économies africaines se manifestent beaucoup plus dans la sphère de l’économie réelle. Cela peut s’observer à travers la baisse des transferts de capitaux publics et privés. Et comme la plupart des grandes réalisations en Afrique sont financées sur fonds étrangers, la baisse des financements pourrait compromettre fortement l’exécution des stratégies de développement. On pourrait aussi constater une réduction du niveau des exportations des pays africains consécutive à la baisse de la production aux Etats-Unis et en Europe.

Comme je l’ai dit plus haut, la sortie de crise nécessite de profondes mutations et une remise en cause des théories dominantes. Dans ce sens, une dévaluation n’est pas à exclure puisqu’elle peut permettre de rétablir les équilibres nécessaires à la relance économique. La question essentielle à considérer ici est de savoir si, dans le contexte actuel, le franc CFA est surévalué par rapport aux monnaies de référence, notamment le dollar.

On observe aujourd’hui que le dollar se déprécie par rapport à l’euro, ce qui suggère une appréciation du franc CFA qui, lui, est arrimé à l’euro. Une appréciation du FCFA aura un impact négatif sur les exportations des pays de la zone franc (l’essentiel de nos transactions étant libellé en dollars). Si cette situation perdure, il serait nécessaire d’ajuster la parité du franc CFA pour booster nos exportations.

Mais comme vous le savez, la dévaluation est une question délicate que le décideur public et le banquier central refusent de débattre en public. Pour qu’une dévaluation ait les effets escomptés, elle doit surprendre les agents. Si l’agent économique en est informé à l’avance, il pourrait adopter des comportements opportunistes qui pourraient compromettre l’atteinte des objectifs.

Succinctement, que proposez-vous pour qu’un pays comme le Burkina, très pauvre, puisse un jour devenir émergent ? ou faut pas rêver de cela ?

• Mais bien sûr que le Burkina peut espérer quitter un jour son état de pays moins avancé pour accéder à celui de pays émergent ! On peut effectivement s’interroger sur les capacités du Burkina à amorcer le chemin du développement. Cela fait des décennies que l’on met en œuvre des programmes dont les résultats restent incertains. Il sera difficile de définir en si peu de temps une stratégie de relance économique.

Cependant, tout en n’ayant pas la prétention de présenter une solution parfaite, permettez-moi de proposer quelques principes de base qui, s’ils sont respectés, pourraient aider à lancer l’économie du pays. De façon prosaïque, je dirais que le développement doit s’inscrire dans une vision de long terme et que les actions entreprises doivent être concertées et s’inscrire dans une stratégie globale. Le problème au Burkina est que l’on a l’impression que les différents départements techniques travaillent de façon cloisonnée ; chacun ayant son programme (très souvent des projets sans aucun lien organique entre eux) qu’il exécute sans tenir compte de ce qui se passe ailleurs.

Or, le développement est une démarche holistique dont la finalité est l’homme. Le renforcement des capacités et des ressources humaines est très essentiel pour l’amorce du développement : l’éducation et la santé sont les éléments de base qu’il conviendra d’assurer avant toute autre action. Il importe également de souligner l’importance des secteurs de production et de soutien à la production qui doivent être pris en compte dans cette vision globale de développement.

Tout cela nécessite un changement en profondeur de la gouvernance impliquant une véritable redistribution des rôles entre les acteurs. Que l’Etat joue son rôle de régulation et de soutien des secteurs productifs et le secteur privé celui de production. Les interférences entre ces deux entités brouillent fortement le système économique et handicapent son développement. En un mot, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, un système judiciaire fort et indépendant, la promotion de la transparence et l’éthique dans les affaires privées et publiques sont des conditions nécessaires pour un développement équitable et durable.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

L’Observateur Paalga

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