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Processus électoral en Côte d’Ivoire : La guerre des fichiers se poursuit

Publié le jeudi 17 décembre 2009 à 00h37min

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Le processus électoral en Côte d’Ivoire est à sa dernière ligne droite et la tenue de la présidentielle dans la période de février - mars 2010, comme récemment annoncée à Ouagadougou, est envisageable à condition que chaque acteur joue sa partition. C’est ce qu’a laissé entendre le président de l’institution en charge des scrutins ivoiriens, Robert Mambé, au cours d’un point de presse, le 14 décembre 2009, alors que la guerre des fichiers se poursuit. Grâce à la facilitation d’une agence de communication, ORMACOM international, nous avons été associé à ces échanges.

Abidjan, 14 décembre 2009, au siège de la Commission électorale indépendante (CEI), au boulevard Latrille Angoua, route du zoo. Il était environ 10 h et demie, quand, avec des confrères de l’Indépendant du Mali, de Jeune Afrique et de Le Parisien de France, nous accédons à la cour de cette institution.

A l’entrée de la grande bâtisse qui l’abrite, nous déclinons notre identité à un gendarme qui y veillait tout en lui précisant que nous avions rendez-vous avec le patron des lieux, Robert Beugré Mambé, le président de la CEI. Ce dernier n’ayant pas été averti d’une visite d’hommes de média décroche son téléphone portable pour s’informer auprès d’un autre locataire de la maison. A peine a-t-il entamé la communication avec son interlocuteur qu’un membre de la CEI vint prendre langue avec nous.

C’était le chargé de communication de l’institution, Zeguedoua N’Guetta, qui, sans trop de protocole, nous installe dans une salle d’attente où le chef de cabinet de la CEI, Gbrou Aloboué, est venu nous souhaiter la bienvenue et s’excuser de la part de notre hôte, en tournée d’inspection des opérations électorales. Après une heure d’attente, celui qui fait l’objet de l’attention, ces dernières années, de tous les observateurs de la scène politique ivoirienne, fait son apparition, avec un soldat portant un béret bleu (l’ONUCI) à la ceinture.

Il nous distribue des poignées de main puis s’éclipse dans un couloir labyrinthique avant d’en ressortir pour regagner ses 5 visiteurs dans une salle de réunions. « Bilan des activités de la CEI pour la consolidation du processus électoral », c’est le point à l’agenda de ses échanges avec les hommes de médias.

Entouré à l’occasion de son trésorier, Gnénéma Mamadou Coulibaly, et du chargé de communication, Zeguedoua N’Guetta, Robert B. Mambé ramène d’abord ses interlocuteurs aux origines des troubles politiques en Côte d’Ivoire. La crise ivoirienne, a-t-il dit, émane de la conjonction de deux évènements et de bien d’autres éléments, notamment les problèmes de « l’ivoirité » et de la présidentielle contestée de 2000 au cours de laquelle des prétendants à la magistrature suprême ont estimé qu’ils avaient été exclus de la course.

Au regard de ce qui précède, arguera-t-il, s’est révélée la nécessité, non seulement d’offrir aux Ivoiriens un mécanisme permettant à chacun d’avoir la chance d’accéder aux documents d’identification, mais aussi d’organiser des élections inclusives et transparentes. Ce sont là les exigences auxquelles la Côte d’Ivoire s’est sacrifiée en procédant à l’identification de la population pour doter les Ivoiriens de leurs pièces d’identité, et leur permettre en même temps de s’inscrire sur la liste électorale pour participer à des scrutins de sortie de crise.

Entre la possibilité de faire séparément les opérations, il a été opté, pour gagner du temps et minimiser les coûts, de jumeler l’identification et le recensement électoral. Une démarche qui, de l’avis de Robert Mambé, a facilité le règlement des différents problèmes et permis à tout le monde de s’assurer de la transparence du processus engagé. C’est ainsi que le gouvernement a passé des contrats avec des opérateurs techniques, notamment la SAGEM Sécurité, une société privée, et une autre à statut étatique, l’Institut national de la statistique (INS », et dont la mission dans le processus du recensement électoral est sous la tutelle de la CEI.

Quant à la supervision et au suivi de l’identification de la population, ils sont assurés respectivement par la Commission nationale de supervision de l’identification (CNSI) et l’Office national d’identification (ONI). Dans la mise en œuvre de ces opérations, la CEI a été confrontée, selon Robert Mambé, à deux problèmes avec les préalables de l’Accord politique de Ouagadougou suivant lesquels tout requérant à l’enregistrement ou au processus d’identification devrait présenter des extraits ou de jugements supplétifs d’acte de naissance (JUSAN), car, a-t-il précisé, certains Ivoiriens n’en disposaient pas. D’où l’organisation d’audiences foraines pour permettre à ceux qui n’avaient aucun document d’identité d’avoir une expédition signée du juge pour l’identification de la population.

C’est le premier grand défi que la Côte d’Ivoire a dû relever pour pouvoir accomplir l’opération d’identification de la population sur toute l’étendue du territoire. A cela s’ajoute un autre problème qui consistait à résoudre la situation de ceux des Ivoiriens régulièrement répertoriés mais dont les extraits d’actes de naissance ou de JUSAN dans le registre de l’état-civil sont détruits, soit ont disparu ou sont inexploitables. Pour ces cas, il a fallu, a expliqué le président de la CEI, que le gouvernement déploie de gros efforts, avec le concours des bailleurs de fonds, par une opération dite de reconstitution des registres.

C’était là des passages obligés pour donner le maximum de chances à tous ceux qui y participent de réaliser leur désir d’être dans le processus électoral et dans celui d’identification. La non-prise en compte de ces aspects, s’est défendu Robert B. Mambé, peut donner l’impression à certains observateurs de la scène politique ivoirienne que « ça bouge mais ça ne bouge pas, et que ça va devant mais ça va derrière ».

Or, sans ces deux clés en main (l’audience foraine et l’opération de reconstitution des registres), a-t-il poursuivi, il y a des risques que des gens soient « laissés en rade du processus ». Voilà pourquoi, a-t-il expliqué, une fois ces deux obstacles passés, la Côte d’Ivoire a engagé l’opération d’identification de la population et de recensement électoral ayant impliqué plusieurs structures appuyées par plus de 30 000 jeunes qui ont travaillé pendant des semaines. Ce qui a permis à la CEI d’enrôler 6 384 253 personnes sur la base des éléments demandés par l’Accord de Ouagadougou.

Et pour permettre de bien repérer les Ivoiriens sans qu’il n’y ait trop de débats, il a été procédé à des croisements de fichiers qui ont consisté à repérer les Ivoiriens parmi ces 6 384 253 personnes enrôlées, en s’appuyant sur la liste électorale de 2000 dans laquelle tous ceux qui y figurent sont reconnus Ivoiriens d’après l’Accord de Ouagadougou.

Le travail s’est poursuivi avec la constitution de fichiers historiques à partir de l’administration pour mettre en évidence tous les fichiers dans lesquels on a repéré les Ivoiriens et les Etrangers. On a ainsi constitué deux grands fichiers, le fichier historique des Ivoiriens et le fichier historique des Etrangers. La CEI est par la suite passée à une comparaison de ces 6 384 253 recensés avec le contenu des fichiers historiques.

Onze (11) fichiers historiques, a indiqué M. Mambé, ont dû être exploités pour constituer la base de comparaison. Ce qui a permis, après tamisage, de mettre en évidence 5 300 586 Ivoiriens sur le répertoire de 6 384 253, soit plus de 83% des personnes enrôlées pour lesquelles il n’y avait aucune contestation de nationalité.

La liste des 5 300 586 et celle des 1 033 000 tout comme de ceux identifiés dans la base de données « Etrangers » sont affichées depuis le 10 novembre sur la place publique. Ce, afin de permettre à tous ceux qui ne sont pas dans les 5 300 586 ou les doubles enregistrés d’attester avec des documents leur identité ivoirienne.

En d’autres termes, à en croire Robert B. Mambé, la gestion des contentieux, en cours, semble constituer le handicap majeur pour l’avancée du processus électoral en Côte d’Ivoire. A cela, a précisé le président de la CEI, s’ajoutent 42 000 rejets techniques gardés dans leurs bureaux et qui feront l’objet d’un mécanisme de gestion spécifique.

Toute cette démarche, a soutenu M. Mambé, vise à retrouver encore des Ivoiriens potentiels dans les 1 033 000 afin, a-t-il insisté, de « donner la chance à tout le monde de se faire inscrire sur la liste électorale, d’avoir la carte nationale d’identité », pour pouvoir accomplir son devoir civique.

C’est un travail très compliqué et très technique, a-t-il conclu, qui demande beaucoup de sérénité. Le souci de la CEI, selon lui, est d’œuvrer à « permettre à chacun de ces Ivoiriens ou des Ivoiriens potentiels de justifier son statut à travers des mécanismes appropriés ».

Depuis l’affichage, la CEI a établi un document de toutes les anomalies ayant occasionné l’exclusion de certains sur les 5 millions et quelques, et a essayé de trouver des solutions appropriées qui ont été mises à la disposition des commissaires sur le terrain. A titre illustratif, pour une personne qui a été enrôlée deux fois avec la même pièce, seul le premier enrôlement est pris en compte. S’il s’agit d’une pièce utilisée par deux personnes pour se faire enrôler, ce dossier est laissé à l’appréciation du juge.

Robert B. Mambé a invité les observateurs de la scène politique ivoirienne à croire à la bonne fois de son équipe. Car la CEI travaille dans un esprit de consensus, de respect des personnes en face d’elle, de souci pour la préservation de la cohésion nationale, d’aller rapidement aux élections, et d’avoir des scrutins transparents qui ne souffrent d’aucune contestation. Tout cela commence d’abord par une liste électorale propre. A cela, le président de la CEI a réaffirmé la volonté de son institution d’avoir des élections transparentes, consolidées par une certification internationale.

La probité morale, intellectuelle voire spirituelle leur commande, a-t-il lancé tout serein, que le travail se fasse dans la plus stricte transparence et la clarté la plus totale pour des consultations dignes qui s’appuient sur, entre autres critères, « des élections inclusives, l’accès équilibré des candidats aux médias d’Etat, une liste électorale propre, des élections sans violence, et une proclamation des résultats rigoureuse ».

Les journalistes ont vainement tenté d’arracher à Robert B. Mambé une nouvelle date probable de la présidentielle, après le report du 29 novembre dernier. Il est resté dans sa fourchette de la période de février – mars 2010. A la question de savoir si la grève des greffiers (Ndlr : suspendue depuis hier) n’allait pas jouer sur le respect du nouveau rendez-vous électoral, le président n’a pas convaincu plus d’un d’entre nous.

Il s’est contenté de dire qu’il a toujours fait remarquer aux confrères ivoiriens qu’au lieu de se demander chaque fois qu’une date fixée a été repoussée, de chercher à savoir si les mesures d’accompagnement prévues ont été suivies. Car chaque fois que la CEI fixe une échéance, cela est toujours assorti de conditions.

A titre d’exemple, les clauses en 2008, notamment la mise en place des moyens financiers, l’achèvement de l’opération de reconstitution des registres et des audiences foraines, la sécurisation, le déploiement de tous les juges sur toute l’étendue du territoire pour le traitement du contentieux électoral..., n’ont pas été respectées. S’agissant de la date du 29 novembre, il avait été convenu de l’achèvement de l’opération d’identification de recensement électoral le 5 juin 2009.

Pour des raisons de consensus politique, a dit M. Mambé, il a été demandé d’arrêter au plus tôt le 30 juin au lieu du 5 juin initialement prévu. Résultat, trois semaines avaient été déjà broyées par le délai supplémentaire d’identification que la CEI s’était donné. Par ailleurs, le fonctionnement des centres de coordination où les traitements se faisaient avait été bloqué pendant un mois par des grèves d’agents de certaines structures autres que la CEI.

Pour ce qui est de la grève des greffiers, Robert Mambé appelle les différents acteurs à prendre chacun ses responsabilités pour que des facteurs exogènes n’influent pas sur le calendrier électoral.

D’Abidjan, Hamidou Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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