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Djibrina Barry, Secrétaire permanent du Conseil présidentiel pour l’investissement : “Le fondement de la croissance, c’est l’investissement”

Publié le mercredi 4 novembre 2009 à 01h50min

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Djibrina Barry

Homme au parcours riche et varié, Djibrina Barry est aujourd’hui le Secrétaire permanent (SP) du Conseil présidentiel pour l’investissement (CPI). Ce passionné d’économie et convaincu que d’ici à 10 ans, compte tenu du climat qui règne dans notre pays, le taux d’investissement privé peut atteindre 40% du PIB. Et cela aura pour effet de booster la croissance, à condition que le pays se bâtit un environnement juridique sécurisant pour les investissements. Le SP du CPI revient également dans cette interview sur les aspirations et la tenue de la première session de la structure qu’il dirige.

Sidwaya : A quoi répond la création d’un Conseil présidentiel pour l’investissement ?

Djibrina Barry (D.B) : L’histoire économique de notre pays et celle de l’Afrique sont suffisamment éloquentes. Au lendemain des indépendances, les pays africains se sont retrouvés avec des fortunes diverses. Les uns avaient des éléments de base pour amorcer un développement. Les autres n’ont pas eu cette chance.

Le Burkina Faso fait partie de ces pays qui, au lendemain des indépendances se sont retrouvés dans une situation difficile. Notre volonté d’œuvrer au développement de notre pays était confrontée à un véritable handicap. Sans infrastructure de base du développement (eau, route, barrage, électricité, téléphone), sans un système sanitaire et système éducatif de haut niveau, le développement devient par conséquent quelque chose de difficilement accessible. Et cela devient encore plus difficile quand on ajoute l’enclavement du pays. Malgré ces lourds handicaps, les Burkinabè se sont battus pour améliorer leurs conditions de vie. Mais sans un taux de croissance élevé, on ne peut créer de la richesse, encore moins la partager à l’ensemble de la population. D’où la problématique numéro un, à savoir "Comment augmenter notre taux de croissance ?". Le fondement de la croissance, c’est l’investissement.
La création du Conseil présidentiel pour l’investissement (CPI) par décret présidentiel le 19 novembre 2007 répond donc au souci d’augmenter le volume des investissements dans notre pays.

Le CPI s’appuie sur un socle solide mis en place au cours des années antérieures. Il s’agit de l’option du libéralisme économique prise par les autorités du pays en tant que système plus favorable à l’efficacité économique. Il s’agit aussi des programmes d’ajustement structurel pour assainir les bases de notre gestion macroéconomique, les vastes programmes de réformes, la revalorisation du secteur privé pour en faire le moteur du développement, etc. On a touché à beaucoup de choses afin de rendre notre économie plus libérale et de donner au secteur privé, un espace favorable pour se déployer. Mais toutes ces mesures prises ne signifient pas automatiquement un afflux des investissements. D’où la problématique numéro deux à savoir "comment continuer à améliorer le climat général des investissements à travers les réformes et faire en sorte que l’amélioration du climat des investissements se traduise concrètement par des investissements productifs dans notre pays ?

" Etant donné qu’avoir un climat des affaires favorable ne se traduit pas forcément par l’effectivité d’investissements concrets, productifs, en volume et en qualité, le président du Faso, a créé le CPI pour aider à répondre à cette problématique. Le CPI n’est pas en opposition ni en contradiction avec le dispositif déjà existant. Le CPI donne une dimension nouvelle à la politique de promotion des investissements dans notre pays. La mission du CPI c’est donc de pousser la réflexion dans ce sens et de produire des recommandations qui se traduiront en action en vue de promouvoir et de développer l’investissement dans notre pays et booster la croissance économique. C’est une structure de réflexion. Sur le plan institutionnel, c’est un organe consultatif à la disposition du Chef de l’Etat. C’est pourquoi, son ancrage institutionnel est la Présidence du Faso. A travers la création du CPI, le président du Faso se dote d’un Conseil composé de hautes personnalités du monde des affaires, du monde des investissements, des investisseurs au niveau national et international, expérimentés et réputés.

S. : Que recouvre la notion d’investissement ?

D.B. : Dans son sens économique, la notion d’investissement recouvre l’idée d’acquisition de moyens de produire des biens ou des services marchands, lesquels moyens de production sont désignés sous le terme de capital. Il est vrai que dans le langage courant, l’on a élargi ce concept d’investissement à des actes d’acquisition de biens de destinations diverses.
Ainsi, on entend parfois les gens dire qu’ils ont fait un investissement quand ils ont acheté par exemple une motocyclette pour un usage non professionnel. Cela n’est pas un investissement au sens économique du terme. L’investissement représente en réalité, la constitution de moyens durables de création de richesse. Un opérateur économique qui décide de construire une usine de transformation de la tomate burkinabè va forcément construire des locaux, acquérir des machines, etc. L’acquisition de ces biens durables, procède de l’investissement.

S. : Pourquoi un investisseur doit-il choisir le Burkina Faso pour investir et pas un autre pays ?

D.B. : Avant toute chose, il faut chercher à savoir quels sont les facteurs qui déterminent la décision d’investir pour un opérateur économique. Si vous décidez de vous endetter et de mettre cet argent dans une affaire dont le bénéfice n’est pas immédiat, c’est que vous, vous êtes assuré que l’affaire est rentable et que votre bien est entouré de toutes les garanties physiques et juridiques. Il existe des critères déterminants pour un investisseur. Il faut tout d’abord, un environnement de paix et de sécurité. Il ne viendra jamais à l’esprit d’un investisseur d’injecter beaucoup d’argent dans un environnement de conflit ou d’insécurité. La paix, la cohésion sociale et la sécurité sont importantes, voire déterminantes dans la décision d’investir.

Ensuite, il faut qu’il existe des opportunités d’investissement. Un autre critère très important est la gestion macro-économique. Prenons l’exemple d’un pays, où il n’y a pas de règle pour la gestion de l’économie, où l’Etat ne paie pas ses fournisseurs ; vous n’avez pas là, un climat favorable aux investissements. Et puis il y a d’autres critères relatifs aux formalités de création et de vie des entreprises. L’état de la corruption, la complexité du système des impôts, la protection de l’investisseur à travers une justice qui dit le droit, sont également déterminants dans la décision d’investir.
Il est vrai que le Burkina Faso a des handicaps tels que l’enclavement, le coût des facteurs de production (eau, électricité), mais le pays regorge également de beaucoup d’atouts. Et le premier atout majeur, c’est la paix et la sécurité qui règnent au Burkina. Nous sommes dans la sous-région, l’un des rares espaces de paix et de sécurité. Nous avons une gestion macro-économique saine.

Nous ne connaissons pas de problème de salaires impayés. Nous avons une gestion assez prudente et très saine de nos finances publiques, (cela nous a valu entre autres de bénéficier d’une réduction substantielle de la dette extérieure au titre de l’initiative PPTE).
Les opportunités d’investissement sont réelles. Dans le secteur agropastoral, les filières porteuses sont nombreuses et jusqu’ici très peu exploitées à l’optimal. Le secteur des mines est très prometteur et enfin le secteur des services dont le tourisme, recèle d’énormes gisements de croissance
Pour ce qui est de la filière bétail et viande, nous sommes, dans la sous-région l’un des trois premiers pays d’élevage. Malheureusement, nous n’exploitons pas de façon optimum cette ressource. La filière bétail et viande et bien d’autres fonctionnent aujourd’hui comme il y a 150 voire 200 ans. Faisons la promotion d’une autre génération d’exploitants, de vrais entrepreneurs ruraux afin de tirer le maximum de profit de ces ressources.

S. : Quel est alors le profil de l’investisseur que vous souhaitez pour le Burkina Faso ?

D.B. : Nous voulons un investisseur qui soit d’abord un professionnel et qui inscrit son activité dans la durée. Nous ne voulons pas de ceux qui viennent pour “faire un coup”. Nous voulons premièrement de vrais professionnels pétris de savoir-faire. Il n’y a plus de place pour des amateurs.
Mais le savoir-faire professionnel dans un domaine technique comme celui de l’agriculture ou de l’élevage ne signifie pas forcément avoir de grands diplômes.

Aujourd’hui, pour peu qu’on sache lire, on peut compléter sa formation à travers l’Internet. Nous voulons deuxièmement, des professionnels qui investissent dans des secteurs qui ont un fort potentiel d’exportation.
Et cela, parce que nous n’avons pas un marché intérieur qui soit capable de soutenir une croissance forte et durable. Pour que le marché intérieur soit vecteur de croissance durable pour nos entreprises, il faut qu’il soit de grande taille avec une demande solvable.

A defaut, il faut viser le marché extérieur. Le Burkina Faso situé au cœur de l’espace UEMOA occupe une position idéale pour un investisseur qui vise toutes la sous-région.
Nous voulons troisièmement, des investisseurs qui interviennent dans des secteurs à haute valeur ajoutée, je veux parler de la transformation. Autrement dit, ce ne sont pas par exemple les investisseurs qui exportent le bétail sur pieds que nous privilégions, mais ceux qui vont investir dans une chaîne de transformation de ce produit. Exporter la viande au lieu du bétail sur pied relève déjà de ce processus de transformation.
Aujourd’hui, le monde développé consomme des produits pas très sains, pas très propres. Nous avons ici un élevage de type bio qu’il faut valoriser en respectant les normes internationales.

S. : Parlant des forces et faiblesses du Burkina Faso en matière d’investissement, vous n’avez pas cité la justice dont de nombreux opérateurs n’hésitent plus à présenter comme un obstacle majeur à l’investissement dans notre pays ?

D.B. : J’ai parlé de la justice sans en faire un long développement. Un des éléments de base qui favorisent la corruption est la faiblesse ou l’inefficacité du système judiciaire.
Il faut un système judiciaire fiable, performant et efficace pour attirer des investisseurs. La justice est un déterminant majeur dans la décision d’investir. Malheureusement, ces derniers temps, la justice a envoyé parfois de très mauvais signaux, qui sont de nature à ne pas rassurer les investisseurs potentiels.

S. : Il y a deux mois de cela, un opérateur économique burkinabè, déçu par la justice de son pays a soutenu qu’il mène ses activités avec plus d’assurance et de confiance en Côte d’Ivoire qu’au Burkina Faso. Quelle est votre réaction face à une telle déclaration ?

D.B. : Je disais tantôt que notre justice a envoyé ces derniers temps des mauvais signaux au monde des affaires, au monde des investisseurs.
Je ne dis pas que la justice est corrompue. Non. Je dis qu’il faut faire en sorte que ce qui était un atout pour nous ne se détériore pas. C’est le cas de la justice. Le droit est une chose très importante pour l’investisseur. A peu de choses près, la base du droit des affaires est la même à travers le monde. On doit faire beaucoup attention pour que les quelques mauvais signaux envoyés par la justice ne se démultiplient pas et deviennent un handicap majeur. Des actions sont en cours dans ce sens. On assiste à la mise en place de tribunaux de commerce dont l’animation sera le fait de professionnels. Ceci doit être encouragé.
Il faut à mon avis, poursuivre la formation des juges pour renforcer leurs connaissances des questions liées au domaine commercial.
Tout ce qui est en train d’être fait dans le domaine de la justice afin de la rendre plus crédible me conforte et me rassure. J’ai donc bon espoir.

S. : La grande majorité des opérateurs économiques burkinabè évolue dans l’import-export. Ce type de commerce rapporte-t-il des ressources consistantes à même de booster la croissance économique du pays ?

D.B. : Le commerce, c’est bien, mais c’est une activité qui ne crée pas beaucoup de valeur ajoutée. Pour le cas de nos commerçants, c’est un abus de langage que de parler d’import-export. Ils ne font que de l’import. Ce n’est pas ce type d’activité qu’il faut encourager. Mais peut-être ont-ils leurs raisons, car jusqu’à une époque récente, le climat des investissements n’était pas favorable dans notre pays. Alors, on ne pouvait faire autre chose que du commerce. Investir dans l’industrie posait plus de problèmes que d’aller à Dubaï acheter des marchandises pour les revendre.

Il y avait aussi les difficultés d’accès au financement. Il est plus facile d’avoir un appui des banques pour commander du riz que pour financer une activité industrielle. Un autre handicap est qu’il n’y avait pas une politique d’incitation orientée. Il eût fallu par exemple adopter une politique incitative fondée sur une discrimination positive, afin de susciter des investissements dans des secteurs ciblés. Et pour finir, le professionnalisme des acteurs suffisamment pris en compte. Tout le monde peut devenir commerçant faisant de l’import-export, mais tout le monde ne peut pas devenir industriel. Dans un tel climat, quand on compare le volume des investissements par rapport au Produit intérieur brut (PIB), il ressort que pendant longtemps, les investissements du secteur privé représentaient en moyenne 5 à 6% du PIB et ceux du secteur public environ 10%.

Mais au cours de ces dix dernières années, et cela grâce à l’amélioration du climat des affaires, l’investissement privé a atteint près de 11% du PIB, devenant ainsi supérieur à l’investissement public. Aujourd’hui, on observe que les Burkinabè sont présents dans des domaines où on ne les trouvait pas. Ils sont dans l’industrie, ils font de la transformation, ils font même des investissements dans des secteurs à rentabilité lente. C’est la preuve qu’ils ont confiance en eux-mêmes et au climat des investissements qui a été instauré. Notre souhait est que cela perdure et se renforce de telle sorte que l’investissement privé atteigne 20 à 25% du PIB.
Il faut aussi que l’investissement public se poursuive et se renforce afin de mettre en place des infrastructures de base qui permettent à l’investissement productif de disposer de supports de facilitation conduisant à l’amélioration de la compétitivité de notre économie.

S. : Dans combien de temps pensez-vous que le secteur privé au Burkina Faso pourra atteindre un taux d’investissement correspondant à 40% du PIB ?

D.B. : Le Burkina Faso, j’en suis convaincu, peut atteindre cette performance dans un horizon temporel moyen, à savoir d’ici à 10 ans. Et c’est là la raison d’être du CPI.

S. : Les investisseurs de la Chine populaire sont omniprésents en Afrique. Le Burkina Faso est-il prêt à les accueillir bien que les deux pays n’aient pas de relations diplomatiques ?

D.B. : La dynamique politique est une chose et la dynamique économique en est une autre. Et très souvent, ces deux dynamiques cheminent parallèlement. Elles peuvent aussi se croiser accidentellement par moment. Nous sommes demandeurs d’investissements étrangers directs, selon les profils d’investisseurs et les secteurs que j’ai tantôt indiqués. Peu importe l’origine des investisseurs, pourvu qu’ils rentrent dans notre schéma stratégique. Savez-vous combien de Chinois de Pékin vivent-ils dans notre pays ? Les Chinois des deux provenances circulent, se côtoient librement dans notre pays. Je suis même sûr qu’ils entretiennent des relations privées étroites entre eux. Nos opérateurs économiques vont également à Hong-Kong, à Pékin... Environ 90% des produits chinois que nous consommons ici viennent de la Chine populaire. Le politique a ses raisons que l’économique ignore. Il nous faut être réaliste. Un pays qui a besoin d’investissements pour se développer doit avoir une vision réaliste et pragmatique. D’ailleurs les deux Chines sont tellement rapprochées sur le plan économique qu’il est devenu anachronique de placer ses rapports économiques avec ces deux pays sous l’angle idéologique.

S. : Dans la première semaine du mois de novembre se tient à Ouagadougou une session du CPI. De quoi sera-t-il question au cours de ces assises ?

D.B. : Les 5 et 6 novembre en effet, se tiennent à Ouagadougou les travaux de la première session du Conseil présidentiel des investissements. Ce sera une occasion pour engager le processus de réflexion sur la promotion de l’investissement au Burkina Faso. Le Conseil présidentiel pour l’investissement est un organe consultatif dont la mission est de donner par ses réflexions et ses recommandations, une impulsion à l’élaboration des politiques les plus appropriées pour stimuler l’investissement et la croissance économique.
Le Conseil est composé d’éminentes personnalités du monde des affaires et de l’investissemen dont la connaissance des problématiques de l’investissement dans des pays comme le notre, les motivations, les stratégies méritent d’être connues et exploitées.
De cette rencontre avec le chef de l’Etat, sortiront des propositions, des suggestions très pratiques et très opérationnelles.

Interview réalisée par Rabankhi Abou-Bakr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)

Sidwaya

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