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Epargne d’un nouveau genre à Ouagadougou : Le business du 31e jour

Publié le jeudi 15 octobre 2009 à 05h35min

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L’épargne n’est pas la même pour ceux qui peuvent « mettre de côté » pour demain et ceux qui veulent « mettre de côté » pour tout de suite. Une illustration à travers un phénomène apparenté à la tontine et développé dans les quartiers périphériques de Ouagadougou, en marge et à l’abri des circuits économiques connus.

C’est avec stylo et cahier à la main que Mlle Ami Sana arrive à Pousgou-Yaar, marché traditionnel de Pissy. Elle fait le tour du site à pied, s’arrêtant essentiellement devant des dames auprès desquelles elle collecte 100 francs par-ci, 200 francs par là. Puis elle quitte les lieux pour poursuivre son itinéraire ; celui de tous les jours.

Sitôt arrivée, elle s’est adressée à l’une des dames. Les deux partenaires se sont exécutés selon un scénario visiblement connu d’avance. Mlle Sana récupère un carnet puis coche une case, récupère 200 francs et s’éloigne.
Il n’est pas rare de vivre pareille scène chez le cireur, le tablier du coin, le boutiquier, chez l’employé d’un café, bref auprès de tous ceux qui font du petit métier. « Mes clients, ce sont les mécaniciens, les boutiquiers et les femmes vendeuses de dolo », a expliqué Salamata Sawadogo, 45 ans, l’une des patronnes de cette activité, vivant au secteur n°18.
Madame Sawadogo a beaucoup hésité avant de se confier. Son business appelé abusivement « cauri d’or », consiste à recueillir l’épargne chaque jour au lieu d’implantation des clients. Le client décide du montant à verser. La collecte étant journalière, il verse les mêmes montants pendant 30 jours. Il récupère le total après avoir remis le 31e versement au réseau, et le cycle recommence.

Quelque 90 personnes cotisaient chez Mme Sawadogo, chiffre d’avant les inondations. Ce qui lui permettait de rassembler entre 20 mille et 25 mille FCFA par jour. Mais l’affaire a aussi vécu les inondations. Aujourd’hui ils ne sont qu’une cinquantaine de clients. « Beaucoup de gens sont dispersés sur les sites (d’hébergement) et on n’arrive plus à les joindre. D’autres disent qu’ils ne peuvent plus continuer », a expliqué Salamata Sawadogo.
Ce n’est pas le cas pour Awa Ouédraogo née Koanda, une autre patronne active dans les quartiers Tanghin, Paspanga et Dapoya. Elle travaille avec une centaine de clients composés essentiellement de vendeuses de légumes et de fruits, de mécaniciens et autres réparateurs, d’employés domestiques, de colporteurs dans les marchés, etc. Ils lui permettent d’avoir en moyenne 25 000 francs le mois.

La lutte pour des lendemains d’aujourd’hui

Le point commun de cette clientèle, c’est la précarité du travail et la modicité des moyens vis-à-vis des besoins immédiats comme la dizaine de clientes de Mlle Sawadogo, toutes installées à Pousgou-Yaar. Ce marché abrite particulièrement des vendeuses de dolo, la bière locale. Leurs lieux d’activités sont des hangars soutenues par des murs en briques ou des poutres de bois.

L’une des occupantes, Mme Angélique Somda est mère de trois enfants. Son mari est décédé à Bobo-Dioulasso des suites de méningite, la maladie la plus redoutable dans le pays. Alors, elle s’est jetée dans la vente de dolo il y a trois ans, afin de subvenir aux besoins de sa famille. Ses besoins financiers sont tels qu’elle ne peut épargner autrement qu’en confiant son argent à une tierce personne.
« Si je le garde, je vais tout dépenser. En plus, il n’y a pas de sécurité chez moi », dit-elle en caressant la tête de son enfant. Elle habite en effet Zongo, un quartier non-loti, une zone non viabilisée aux habitations temporaires qui ont été en grande partie emportées par les inondations du 1er septembre 2009.
L’argent économisé lui permet de s’occuper de ses enfants ou dans le meilleur des cas, d’acheter « des pagnes, des plats, des petites choses dont une femme a besoin », selon ses propos.

« Si je vole, qui va encore m’écouter, nous qui n’avons pas de soutien » dit à son tour sa petite sœur, employée domestique.
Les femmes de Pousgou-Yaar viennent d’horizons divers et sont toutes inscrites auprès de Salamata Sawadogo. Elles tentent de résister aux dérapages des grandes villes pour demeurer droites et dignes par la débrouille.
Mais on y trouve aussi des hommes, plus ou moins de la même condition sociale et qui ont souscrit pour les mêmes raisons. Nana Pierre, boutiquier et Moussa Sawadogo ; blanchisseur se sont retrouvés dans le réseau de Madame Simporé ; placé sous le couvert de l’Association pour l’épanouissement et le développement des femmes du secteur informel (ASFSI). Ils cotisent respectivement 250 FCFA et 500 FCFA journalièrement.

« Je préfère confier mon argent à ces gens (ASFSI) parce qu’à tout moment, je peux passer le retirer » explique M. Nana devant un kiosque métallique de 6m2 tenant lieu de boutique de pièces détachées.
Pierre Nana, à l’image du ses camarades d’âge porte un tee-shirt. Ses rêves sont aussi simplifiés. Il espère que ce réseau l’aidera à disposer d’une boutique plus importante et mieux garnie. Mais dans l’immédiat, l’argent économisé lui sert à agrandir son rayon ou alors à payer le loyer et gérer les imprévus. Le sourire aux lèvres, il a confié qu’il songe également à organiser son mariage avec une femme qui lui « portera chance ».
Non loin de chez lui, travaille Sawadogo Moussa, blanchisseur de son état, dans son atelier. Père de famille, il n’arrive pas à satisfaire tous les besoins de sa famille alors qu’il est souvent confronté à des imprévus « prévisibles ». « Si je garde l’argent avec moi, je vais le dépenser », répète-t-il.

Ce qu’il récupère auprès de l’ASFSI tombe comme la providence lorsqu’il est « coincé ». Il explique qu’il s’est retrouvé dans ce réseau parce que d’autres camarades le lui ont conseillé. L’argent épargné lui permet de nourrir sa famille, de payer le loyer et l’électricité de son atelier et même plus. « Ma femme est venue me dire un jour que mon enfant était malade et cela nécessitait 4 mille francs. Je suis allé prendre l’argent là-bas », a-t-il dit.
Mais les patronnes de cette activité ne sont pas plus nanties que leurs clients. Salamata Sawadogo est mère de cinq enfants et attend le 6e enfant bientôt. Elle vit avec son mari dans un non-loti du secteur n°18, en aval du barrage de Boulmiougou.
Quant à Awa Ouédrago, mère de deux enfants, elle vendait à temps plein des produits cosmétiques au marché de Paspanga. Des clients lui ont suggéré le « cauri d’or ».

Désormais, elle se lève à 5h du matin pour se rendre au marché de Paspanga. Jusqu’à 7 heures, elle vend des légumes, puis après, à moto, elle passe dans les quartiers pour collecter l’épargne. Elle refait la même chose le soir venu. Elle gagne entre 20 mille et 30 mille francs, soit à peu près le salaire d’un vigile, d’un plongeur de bar ou de restaurant.
Mais en définitive, ce qui reste de bénéfique, c’est l’auto-emploi. Car, ôtés les frais de déplacement, il ne reste plus grand-chose. « Il faut se donner carrément et lorsque vous faites deux à trois jours sans passer, les clients te parlent très mal. D’autres ne veulent pas qu’on retire notre part à la fin du mois », raconte Madame Sawodogo qui a débuté dans cette activité comme collecteur avant d’être patronne. Elle compte abandonner l’activité.
Mme Ouédraogo déplore les tentatives de tricherie de certains clients qui tentent d’imiter sa signature, pour attester faussement qu’ils ont déjà cotisé tel ou tel jour.

Economie informelle par tradition

Pierre Nana dit n’avoir pas suffisamment d’argent pour recourir au réseau des Caisses populaires. Quant à Angélique Somda, elle ne pense pas que ses 200 francs/ jour puissent être épargnés ailleurs qu’avec les « collecteuses ». Elle dit n’avoir ni le temps, ni un moyen de déplacement pour aller verser elle-même son épargne.
Ainsi, le véritable et unique avantage des clients de ces réseaux informels des zones périphériques, c’est le fait que l’on vienne jusqu’à eux, pour leur permettre d’économiser. Ce qui explique leur colère lorsque les collecteuses bienfaitrices s’absentent un jour, les obligeant à payer deux fois en une.

Car en dehors de sa proximité des clients, cette pratique n’offre aucun autre avantage spécifique. On trouve bien des banques ouvertes les week-ends, y compris les dimanches et donc aussi accessibles aux clients. En outre, les caisses populaires très répandues dans les quartiers ne prélèvent que 200 francs le mois, soit deux fois et demie moins que ce que ces structures prennent auprès de celui qui cotise 500 FCFA.
Contrairement à l’idée selon laquelle « l’aigle ne prend pas de mouches », les banques et les sociétés d’assurances s’intéressent à l’épargne du secteur informel.
Un guichet « Cauri d’or » a vu le jour au sein de l’Union des assurances du Burkina à l’intention du secteur informel, sur le même principe. Mais il n’attire pas tout le secteur.

Toutefois, ces réseaux informels n’offrent aucune sécurité. Le contrat qui les lie à leurs clients n’est qu’un simple carnet indiquant le nombre de fois que le client a cotisé. Les clients sont recrutés un peu à la manière Madoff. Les premiers informent les suivants et ainsi de suite. Tout est fondé sur la confiance divinement naïve. Les patronnes et les personnes chargées de la collecte sont toutes des femmes, et ça rassure. Au-delà, Mme Sawadogo n’a pas de document officiel lui permettant d’exercer cette activité. Elle dit néanmoins avoir fait quelques démarches dans ce sens. Son état actuel ( elle est enceinte) et ses hésitations à abandonner ou pas son affaire l’ont fait attendre jusque-là. Idem Pour Mme Awa Ouédraogo.
Mais elles ont leurs avocates. Les clientes de Pousgou-yaar, durant l’entretien ont toujours exprimé leur crainte allant jusqu’à exiger des garanties pour que leur partenaire ne soit pas inquiétée. Une autre femme, Mme Simporé exercerait son activité en toute légalité. Elle n’a pas voulu en dire plus.

Mais son mari a indiqué que l’argent collecté est déposé dans des réseaux formels et prélevé chaque mois pour les clients.
Si une telle activité se développe tant, c’est parce que la fièvre de la tontine qui s’était emparée des petites bourses de Ouagadougou a baissé de deux crans. De mauvais payeurs de plus en plus nombreux ont porté un coup dur à ce système "D". Un autre est en vogue. Il s’agit de vendre des marchandises à crédit et de passer régulièrement récupérer l’argent jusqu’à concurrence du prix, généralement plus élevé que ce qui est pratiqué dans les achats au comptant.
Tout cela se développe sans contrôle, sans sécurité. Mais c’est cela aussi la précarité et ses réalités dictées par les besoins toujours présents, toujours pressants. L’économie dans l’informel semble avoir créé une dynamique auto-entretenue dans certains milieux.

Mouor Aimé KAMBIRE (aimekambire@yahoo.fr)

Sidwaya

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