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Bernard Yaméogo : « Pourquoi les jeunes espèrent-ils trouver le bonheur ailleurs qu’en Afrique alors qu’on dit que le continent est regorgé de richesses ?

Publié le jeudi 1er octobre 2009 à 06h00min

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Bernard Yaméogo

Du 7 au 9 septembre dernier, s’est tenue à Genève, en Suisse, la 25eme édition du Forum International Médias Nord Sud consacré à la « Faim du monde ». Durant deux jours, près de 3000 participants, cinéastes, ingénieurs agricoles, représentants d’ONG, d’organisations internationales ont débattu de la faim dans le monde, un sujet qui était au centre des rencontres internationales il y a un an et qui est depuis lors éclipsé par la crise financière. D’après Forum Jean-Philippe Rapp, un journaliste Suisse connu au Burkina pour avoir publié un livre d’entretiens avec Thomas Sankara au début des années quatre-vingt, la prochaine édition aura lieu au Burkina et traitera à nouveau de la Faim dans le monde.

Le Burkina était à l’honneur à cette rencontre avec la projection de deux films burkinabè, « Ti-Tiimou- Nos sols » de Michel Zongo et « Bon séjour, bon retour » de Bernard Yaméogo.
Le premier donne la parole aux paysans dans la région de Fada N’Gourma, cotonculteurs et éleveurs qui évoquent les effets de l’utilisation des pesticides sur les productions agricoles, mais aussi et surtout sur leur santé. S’ils reconnaissent que l’utilisation des pesticides permet d’augmenter la production de coton, ils soulignent avec inquiétude que cela a pour conséquences sur l’appauvrissement des sols et surtout que son utilisation est source de maladies parfois, mortelles.
Le deuxième film, « Bon séjour, bon retour » raconte les désillusions d’un immigré burkinabè parti chercher le bonheur en Suisse, sans succès, et qui revient créer une association de développement dans son village.
Pour Lefaso.net, Bernard Yaméogo revient sur la genèse du film et explique le messager qu’il espère faire passer auprès des jeunes tentés par l’aventure migratoire

Comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet au point d’en faire un film ?

Le film « Bon séjour, bon retour » est parti d’un constat : il y a beaucoup d’images assez négatives sur l’immigration et les chaines de télé ne font que nous rabâcher les oreilles tous les jours sur des jeunes qui tentent l’aventure au prix de leur vie. Je me suis alors posé la question suivante : pourquoi les jeunes espèrent-ils trouver le bonheur ailleurs qu’en Afrique alors qu’on dit que le continent est regorgé de richesses ? Leur a t-on dit la vérité, à savoir que l’eldorado qu’ils croient trouver dans l’aventure se trouve en réalité sur place pour peu que nous sachions redécouvrir exploiter ces richesses ? J’ai voulu tourner un film sur l’immigration africaine en Suisse parce que tout simplement ce pays n’a pas eu de colonies et, de par sa position de terre d’accueil, héberge le plus de réfugiés venant du monde entier.
L’idée du film est de raconter l’histoire de quelqu’un qui revient en Afrique et réussit après avoir échoué en Europe et j’en ai parlé à la coopération suisse au Burkina pour voir si le projet les intéresserait.

Vous semblez donc agacés de voir que les médias parlent beaucoup de ceux qui partent, rarement de ceux qui retournent…

Exactement ! Et c’est dramatique, car malgré les images néfastes sur les différentes tentatives, les échecs et les drames qui surviennent en mer, il y a des jeunes qui se disent toujours : il faut que je parte, se convaincu que si les autres n’ont pas réussi, lui réussira. Alors qu’il y a des gens qui sont en Suisse et dans d’autres pays européens, que je connais qui veulent retourner au pays, mais ne peuvent pas parce qu’ils ont peur et se demandent : qu’est-ce que je vais pouvoir faire en rentrant ? Alors qu’en Europe, ils n’arrivent pas à vivre normalement

Le film projeté ne montre pas le vécu de cet immigré en Suisse, mais juste le retour. Pourquoi ce choix ?

Le retour porte sur l’histoire de ce monsieur qui était fonctionnaire au Burkina, qui en avait marre parce qu’il n’arrivait pas à joindre les deux bouts et qui décide d’aller à l’aventure en Europe, précisément en Suisse. Au bout d’un an, il se rend compte qu’il a fait fausse route, et décide volontairement de rentrer, même si c’est dans des conditions pas vraiment souhaitables. Une fois sur place, il décide de réutiliser les ressources de son pays avec le peu de capacités intellectuelles, techniques et l’expérience qu’il a engrangés. Il fonde alors une association avec les jeunes du village dans le but de les convaincre de ne pas tenter l’aventure, les conseillant qu’on pouvait utiliser nos potentialités et créer notre bien être sur place

Il a eu le courage de retourner mais est-ce que la façon dont on accueille ceux qui sont partis n’explique pas en partie que des gens hésitent à rentrer ?

Vous avez raison ! Il y a réellement chez ceux qui sont partis cette crainte d’être stigmatisés, traités de vauriens. Il faut savoir que parfois, les membres de la famille cotisent pour payer le voyage et fondent beaucoup d’espoirs sur celui qui part, donc revenir sans rien, c’est la honte de la famille et personne ne veut être stigmatisé. Il est vrai que pas mal de gens sont confrontés à ce problème et au pays on est loin d’imaginer qu’en Europe, tous ce qu’on peut gagner repart dans les charges et autres impôts : logement, nourriture, habillement et en définitive, pour retourner, c’est difficile pour pas mal d’immigrés

Avez-vous réellement rencontré des Africains en Suisse en situation de précarité avancée ?

Bien sûr ! Le film s’appelle « Bon séjour, bon retour » et la première partie, « Bon séjour » porte sur des Africains que j’ai rencontrés qui vivent la réalité de l’immigration avec tous les revers que cela comporte. Certains survivent au quotidien grâce à l’aide d’organisations humanitaires suisses. Et je vous avoue que ce n’est pas du tout enviable. Parce que quand vous n’avez plus le droit de circuler librement, sans passeport, sans visa et en attente d’être régularisé, vous êtes obligés de vivre presque en cachette et on vous donne juste le strict minimum pour survivre. Sans papier, vous ne pouvez pas travailler et ces cas existent bel et bien. C’est ce que montre la première partie du film d’une durée de 26mn. Mais pour ce Forum, nous avons utilisé la partie consacrée au retour pour montrer la réussite de ce monsieur qui a créé une association des jeunes qui ont refusé d’aller à l’aventure soit en Côte d’Ivoire, soit au Ghana ou en Europe. Ces jeunes sont restés dans leur village et je les ai vus dans la région des Banwa

Avez-vous bénéficié de soutiens pour financer la production du film ?

Pas du tout, et comme la plupart des cinéastes africains, la production du film a été un long parcourt du combattant. Quand j’ai eu l’idée de ce film je suis parti rencontrer la représentante de la coopération suisse à Ouaga pour lui en parler. Après avoir lu le scénario, elle m’a répondu par ces mots : « franchement, le sujet est intéressant, et nous avons quelqu’un qui a bizarrement vécu ce que vous voulez faire, et il s’appelle M. Tegara ». Je me suis renseigné sur la localité où il vit et j’ai pris ma caméra, et après 500 km de route, j’ai pu le rencontrer. Fort heureusement, il a accepté de me raconter son histoire et je l’ai filmé durant 1h30mn. Au retour, j’ai carrément reformulé le scénario.

Pendant ce temps, la représentante de la coopération suisse avait transmis le projet à Genève. Je suis donc venu en Suisse rencontrer l’Office fédéral des migrants avec qui j’ai travaillé sur le dossier qui a obtenu le soutien de deux commissions, mais malheureusement, il a été finalement recalé à la troisième commission. Je me suis dis, tant pis, je ne renoncerai pas pour autant car, non seulement j’avais créé de l’espoir pour ce monsieur, mais surtout, j’avais un message à faire passer. Il fallait foncer à tout prix ! Je suis revenu en Suisse, et la camera sur l’épaule, j’ai commencé à interviewer les immigrés quelque soit leur origine : Africains, Kosovars, ressortissants de l’Europe de l’Est etc. Et à l’occasion de la journée de l’immigré organisée chaque année, le maire d’une commune, qui était content du travail que je faisais m’a payé un billet pour revenir assister à cette journée, car sa commune avait organisé cette journée dans une but humanitaire. J’ai donc eu la possibilité de tourner beaucoup d’images et de ce fait, le film a pu être entièrement fait par une boite de production burkinabè sans aucune subvention ni de l’Etat burkinabè, ni de la coopération suisse…

Comment cet « exploit » a t-il été possible ?

Ce film a vu le jour grâce à la conjonction de plusieurs volontés : la mienne, Tegara et une généreuse Suisse qui s’est battue pour dénicher une subvention à Tegara afin qu’il puisse financer son projet avec les jeunes. Tegara a aussi bénéficié d’une autre subvention en rétroactivité qu’on appelle en Suisse « l’aide au retour ». Cette subvention, gérée par l’Office des migrants, est symbolique et est accordée à ceux qui veulent retourner volontairement dans leur pays, histoire de leur donner un coup de main pour se réinsérer dans la vie sociale. Mais lui, il l’a reçue un an après son retour et la coopération suisse tenait absolument à ce qu’il en bénéficie car son histoire avait marqué les gens. Grâce à cet argent, Tegara a pu démarrer la coopérative, non en donnant l’argent directement aux gens, mais en achetant du matériel, des pompes et des motopompes qu’il a mis à la disposition des villageois sous forme de crédit, ce qui les ai permis de commencer la production agricole

Comment le film a été accueilli à sa sortie ?
La grande première a eu lieu le 10 février dernier au CENASA, juste avant le Fespaco. Nous avons invité les ambassades et les ministères intéressés par la question de l’immigration dont celui des Affaires étrangères, de la Sécurité, la Jeunesse et de l’emploi et ils ont tous répondu présents. A l’issue de la projection, le ministère des Affaires étrangères m’a exprimé son souhait d’avoir le film dans le but de mener une campagne de sensibilisation sur la problématique de l’immigration, mais jusqu’à l’heure où je vous parle, il n’y pas eu de suite.

Quelle est la vie du film depuis sa sortie ? A t-il été diffusé dans d’autres pays africains ?

Le film a été projeté au Fespaco, au MICA et Canal France International (CFI) a été la première chaîne à l’avoir acheté pour une première diffusion au mois de juillet dernier sur TV5. Tout récemment, une chaîne belge m’a fait savoir qu’elle était intéressée par le film. Le film n’a pas encore passé sur la télévision nationale burkinabè (TNB) pour une raison simple : avant, CFI achetait les films et les mettait à la disposition des pays francophones. Mais depuis peu, la donne a changé, si le pays d’origine du producteur n’a pas bénéficié du soutien financier de l’Etat, CFI n’offre plus gratuitement le film. Tous les pays francophones peuvent donc avoir gratuitement « Bon séjour, bon retour », sauf le Burkina qui est obligé de l’acheter. J’approuve cette démarche car, c’est une façon d’encourager la production locale. J’ai produit le film avec mon propre matériel et jusque là, la seule personne à avoir été payée est Georges Ouédraogo qui a composé la musique, mais toujours pas les autres techniciens
Je souhaite ardemment que le film soit vu par les Burkinabè, surtout les jeunes d’autant que nous avons une équipe mobile qui nous permet de faire voir le film dans les provinces

A travers ce film, vous semblez vouloir dissuader les jeunes de tenter l’aventure, en leur disant que le bonheur n’est pas forcément ailleurs. Avez-vous le sentiment que ce message passe vraiment ?
Le message passe difficilement car l’état des lieux de la jeunesse actuellement en Afrique est tel qu’il n’y a pas d’emplois. Moi qui ai la chance de voyager souvent, Dieu seul sait le nombre de fois que je suis apostrophé à l’aéroport par des jeunes qui me disent : « Aidez-nous à partir comme vous, ce serait bien ! » Et ça me fait mal au cœur parce qu’ils ne s’imaginent que dehors est beaucoup plus difficile qu’au pays. Certes, il y en qui ont réussi à l’extérieur, mais le chemin de croix qu’il s ont parcouru n’est pas du tout enviable. Le message passerait si les jeunes prenaient conscience que comme Tegara, qu’on peut s’en sortir sur place si on utilise rationnellement les maigres ressources dont on peut disposer !

Vous savez, il y en a qui mobilisent 1 ou 2 millions F CFA pour tenter l’aventure, mais avec une telle somme, on peut l’utiliser faire de belles choses et Tegara en fait la démonstration. C’est vrai qu’il a beaucoup d’expérience et qu’il a un bon niveau d’instruction, mais j’estime qu’avec 2 millions de F CFA, on peut investir dans l’agriculture et gagner correctement sa vie. On m’a dit en Suisse que le Burkina n’est pas un cas d’émigration, mais sur l’ensemble du continent, il faut reconnaître qu’il y a un vrai problème, et si l’exemple de Tegara peut susciter une émulation chez d’autres jeunes, tant mieux ! Il faut que nos Etats assument leurs responsabilités et qu’ils aient une réelle volonté de repenser le problème de l’emploi pour la jeunesse aujourd’hui

Vous effectuez actuellement un séjour en Espagne depuis quelques semaines, quel est l’objet de ce séjour ?

L’Espagne est en train de subventionner la promotion, c’est à dire la diffusion du cinéma africain et nous travaillons avec le festival de Tarifa pour voir dans quelle mesure on peut sous-titrer ou doubler un certain nombre de films africains et les redistribuer au sein de la diaspora hispanique en Amérique latine. Vous savez que dans cette partie du monde, on parle la langue espagnole alors que l’essentiel de nos productions se font en français. Nos films ne sont donc pas connus là-bas alors que cette diaspora hispanique exprime le besoin de retrouver ses racines et les films et documentaires peuvent les y aider. L’Espagne peut donc être la passerelle entre les deux continents en doublant ou sous-titrant certains documentaires à l’attention de diaspora en Europe et surtout en Amérique latine. Ca peut être une fenêtre ouverte pour la circulation des films africains

A chaque édition du Fespaco, le problème de la circulation des films, mais surtout la formation des cinéastes revient sur le tapis. Quel est votre avis sur ce sujet ?

J’ai une boite de production à Ouagadougou dont l’objectif premier est de promouvoir les jeunes techniciens de cinéma qui ont leurs sujets et qui ont besoin d’appuis pour féconder leur première réalisation, de petits documentaires ou des fictions. Nous disposons du minimum de tournage, de la caméra jusqu’à la post-production. Nous faisons aussi du sous-titrage en anglais et du doublage. Mais la formation en tant que telle n’est pas notre priorité, nous offrons juste des modules de formation à l’attention de ceux qui veulent s’initier au cinéma et qui n’ont pas le temps d’aller suivre une formation de longue durée. Il y en a qui ont acheté des caméras numériques et qui ne savent pas l’utiliser, eh bien, nous leur proposons des formations modulaires de 2 semaines à l’issue desquelles ils pourront bien exploiter leur caméra à des fins professionnelles. C’est encore à l’état de projet, mais nous souhaitons combler un manque en lançant la formation en 3D et faire des BD surtout pour les enfants en utilisant nos contes populaires

Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

Je suis venu au cinéma par le truchement du théâtre que j’ai beaucoup pratiqué dans les années 80 grâce aux bons soins de mes maîtres penseurs, toujours vivants que sont Sotigui Kouyaté, Prosper Compaoré, Jean-Pierre Guingané, etc. Chaque année, il y avait ce qu’on appelait le groupe de la promotion qui consistait à offrir des formations aux jeunes des établissements au théâtre, et c’est là que je me suis formé pendant 7 ans avec les Dani Kouyaté, Komboudri et autres. Un jour, l’UNICEF a organisé un concours de films pour enfants auquel j’ai participé et fort heureusement, sur 16 candidatures, trois ont été pré-sélectionnées dont la mienne. Mais j’étais le seul qui n’avait pas fait d’école de cinéma ; ce qui avait étonné les gens car j’avais écris une belle histoire. Finalement c’est Pierre Rouamba et moi qui avons été retenus.

C’est alors que Idrissa Ouédraogo, qui était du jury m’a dit : « Ecoute, tu as du talent, je te donne l’autorisation de prendre mon film Yaaba pour voir comment on écrit le un scénario ». A l’époque, j’enseignais le français, l’anglais, la musique et le théâtre au petit séminaire de Koudougou et il m’a invité à venir le suivre sur le plateau et voir comment ça se passe. C’est comme ça que je me suis formé, et en 1999, j’ai demandé à aller à la Direction de la Cinématographie Nationale pour suivre une formation modulaire en montage. Puis en 2000, je suis allé à la télé pour faire de la production et c’est là que j’ai eu l’idée de lancer la première série télé sur la TNB qui s’appelle « Lili et Madou », une co-production avec la TNB, la première série TV Burkinabè pour enfants, réalisée par Raymond Tiendré en 2003-2004. La série, qui était d’ailleurs en compétition au Fespaco 2003 et 2005 a eu du succès et les enfants se souviennent encore de « Lili et Madou ». Voilà comment je suis entré dans le cinéma en choisissant d’abord la production en me dotant d’une maison et du matériel de production

Propos recueillis Genève par Joachim Vokouma

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