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Centre d’hébergement des sinistrés : Les "exilés" de Loumbila

Publié le jeudi 1er octobre 2009 à 06h01min

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420. C’est le nombre des victimes du déluge du 1er septembre dernier de l’arrondissement de Bogodogo qui sont maintenant relogés dans l’enceinte du Service national pour le développement (SND) depuis le 25 septembre 2009. La vie de ces sinistrés est marquée par l’éloignement de la capitale, où travaillent certains (sans navette pour rallier Ouagadougou) et le manque de marché à proximité de leur centre de relogement. Une situation qui fait penser à un "exil". Visite guidée de ce campement, où nous nous sommes rendus le mardi 29 septembre 2009.

Mardi 29 septembre 2009, il est 5 h 30. Nous sommes à l’entrée de la commune rurale de Loumbila, située à une vingtaine de kilomètres de la capitale. Il faisait toujours sombre et juste quelques rayons de soleil pointaient.

Les phares de notre véhicule de reportage éclairent une plaque blanche métallique, à droite, portant l’inscription « Service national pour le développement (SND) ; Centre de formation et de production de Loumbila (CFP) ; 6 km ». Notre lieu de destination. Nous suivons donc la petite flèche rouge sur la plaque indiquant une piste rurale passant à travers la végétation.

Après une assez longue traversée et des détours d’arbustes et de creux de la voie rouge, dont tout le long est touffu d’herbes, nous voici aux portes du service. Il est situé à une bonne distance de la route bitumée Ouaga-Kaya.

"6 km pile", nous indique notre chauffeur après avoir jeté un coup d’œil sur son tableau de bord. L’enceinte du centre est grande. Nous parcourons une bonne distance à l’intérieur avant de tomber sur un véhicule 4x4 de la gendarmerie, stationnée à gauche de la voie. Les deux pandores qui y sont s’approchent de notre voiture, siglée, pour "connaître la raison de cette visite matinale", comme le souligne l’un d’entre eux. Une fois informés, ils nous montrent le chemin.

A quelques mètres à peine, se dressent effectivement, à un angle du terrain omnisports, 12 tentes militaires, dont les alentours grouillent déjà de monde, malgré le fait qu’il n’est que 6h moins le quart. Des fidèles musulmans, positionnés un peu partout, sont en train de sacrifier à l’un des 5 piliers de l’islam, en l’occurrence la prière. Les maisons qui sont alignées après les abris servent également d’habitations. Là ont été relogés des sinistrés de l’arrondissement de Bogodogo.

Un attroupement attire notre attention. Autour d’un feu de bois sur lequel est déposé une marmite d’eau, se groupe une quinzaine de femmes bouilloires et brosses à dents en main. Tour à tour, chacune s’éloigne une fois servie.

"L’homme ne vit pas que pour manger, mais il faut bien qu’il mange pour vivre"

La marmite est descendue et remplacée par une autre, avec laquelle deux dames s’affairent rapidement à faire de la bouillie pendant que leurs clientes déposent leurs plats en file indienne. 6 h 10, la bouillie est prête. Commence alors sa vente dans un concert de plats et d’interpellations.

Une mesure coûte 25 F CFA sans sucre (NDLR : les sachets de sucre sont aussi à vendre au même prix). Une demi-douzaine de femmes s’approche de mon coéquipier, chasseur d’images, et de moi. Celle qui semble être la meneuse de la bande se présente comme la "Pagb-naaba" (chef des femmes en langue mooré) de Nabonswendé.

Asséto Zoungrana, c’est son nom, nous égraine le chapelet des difficultés rencontrées sur leur nouveau site de relogement, où se sont retrouvés 127 sinistrés qui étaient recueillis à l’école Nabonswendé du secteur 30 : "Nous manquons de bois de chauffe, et les bouteilles de gaz sont finies. Le problème majeur, c’est qu’il n’y a pas de marché à proximité pour qu’on s’y ravitaille.

De plus, on ne nous remet plus de popote ici comme c’était le cas quand nous étions logés dans l’école Nabonswendé à Ouaga et que nous pouvions, ainsi, adapter au mieux nos achats à nos besoins. On ne nous approvisionne que tous les deux jours en condiments, et du fait de leur quantité, réduite, nous sommes obligées de jongler avec. Les dons nous parviennent toujours mais leur nombre et leur fréquence ont beaucoup diminué".

Pagb-naaba loue néanmoins leur prise en charge sanitaire, qui se fait au niveau du dispensaire du SND à partir d’un système de tickets délivrés à l’avance aux patients. En ce qui concerne l’éducation des enfants, Asséto se demande comment gérer les plus grands, qui étudient au lycée, car l’opération d’inscription qui s’est déroulée sur leur site n’a concerné que les élèves du CP1 à la 6e, qui vont pouvoir étudier dans des établissements de la commune rurale.

"Si, au moins, on nous donnait une parcelle..."

Des empreintes sur le sol montrent le passage récent des tracteurs qui ont désherbé l’endroit. Clarisse Traoré nous prend à témoin de leur situation : "Vous-mêmes vous voyez comment nous vivons difficilement ! C’est vrai que l’homme ne vit pas que pour manger, mais il faut bien qu’il mange pour vivre. Notre souci de tous les jours, c’est d’assurrer le pain quotidien à nos familles. Les grandes personnes peuvent résister à la faim, mais les enfants ? Nous savons que les sinistrés sont nombreux, mais qu’on songe à nous aider à long terme. On nous dit que nous allons passer 6 mois ici, mais après où irons-nous ? Et nos enfants qui viennent de s’inscrire pour fréquenter, que deviendra leur éducation ? Qu’est-ce qui est prévu pour nous plus tard ?"

Autant d’interrogations qui taraudent cette veuve. Elle nous confie qu’elle se débrouillait pour nourrir ses proches en vendant du maïs. Foi de Clarisse Traoré, le déluge du 1er septembre est un sujet auquel doivent s’attendre les candidats aux examens et concours de cette année. Les hommes, eux, se plaignent de l’éloignement de Ouagadougou, où la majorité d’entre eux se débrouillait. D’ailleurs, ceux qui avaient un emploi stable sont restés en ville, laissant le déménagement à la charge des quidams qui exerçaient en tant que jardiniers, manœuvres, vendeurs ambulants et résidant dans une zone non lotie.

"C’est pas facile d’être un père de famille dans ces conditions, nous lance Joseph Nacoulma. Tu ne peux pas venir jeter tes proches ici et repartir. Quand nous rallions la capitale, on est obligé d’y passer 2 à 3 jours avant de revenir. Les difficultés que j’ai eues à avoir l’essence pour le retour lors de mon dernier tour en ville me font réfléchir par deux fois avant de parcourir une nouvelle fois les 25 km entre Ouaga et ici. Je ne sais pas quoi faire. Quand on nous a amenés ici, on nous a assuré que nous serions ravitaillés régulièrement, mais rien n’a filtré sur notre sort. Nous demandons qu’on nous aide à sortir de cette situation, mais si cette aide doit nous faire souffrir davantage, ce n’est vraiment pas la peine".

Aide-maçon de profession, ce papa de trois enfants ne manque de demander que, au moins, des parcelles leur soient attribuées : "On ne peut pas nous garder indéfiniment. Alors, qu’on nous donne au moins des lopins de terre sur lesquels chacun pourra se débrouiller pour avoir un toit". Même son de cloche chez son collègue Jean Compaoré, qui, lui, a vu naître son 4e môme le 24 septembre dernier. Un "bébé sinistré" donc, comme il le souligne lui-même sur un ton badin.

L’éloignement de son nouveau logement lui pose le problème de l’éducation d’un de ses bambins, muet de naissance, qui devrait commencer sa scolarisation dans une école spécialisée de Ouaga. Mahamoudou Compaoré, aide-maçon aussi, embouchera la même trompette pour solliciter une parcelle dans la commune de Ouagadougou où bâtir son propre logement. Tous déplorent l’absence d’un dispositif pour faire la navette entre leur site et la capitale. Commerçant de cola, Madi Ouédraogo est tout heureux, car il vient de recevoir ce matin des nouvelles de ses grands enfants, qui ont préféré rester en ville pour se débrouiller.

L’occasion fait le larron

Ils sont au total 420 victimes du déluge du 1er septembre de Bogodogo, à avoir été déplacés à Loumbila pour l’instant [NDLR : selon le comité de crise, une autre aire sera dégagée dans ladite commune rurale où implanter des tentes, commandées par avion et qui accueilleront 4000 personnes ; coût d’achat : 460 millions de FCFA].

Ce regroupement de personnes constitue une clientèle que ne manquent d’exploiter les riverains. Les sinistrés nous confient que certains habitants de leur localité d’accueil ont augmenté progressivement les prix de leurs articles depuis leur arrivée : ainsi, le simple sachet d’eau fraîche de 10 FCFA leur coûterait désormais 25 FCFA.

Au nombre de ces ressortissants, justement, figure Lamine Ilboudo, dont le sac d’arachides connaît du succès vu le nombre de femmes qui l’entourent rapidement. Flairant la bonne affaire, il consent très vite un rabais et vend même en détail : « En ville, je vends la boîte à 350 FCFA, mais je les laisse à 300 FCFA et j’accepte de mesurer les graines pour de petites sommes de 25 ou 50 FCFA, car le plus souvent ce sont des parents qui veulent faire plaisir à leurs gamins. »

Il est interrompu par les demandeurs et se met aussitôt à mesurer l’arachide pour ses clientes dont la plupart comptent revendre les arachides sur le site après les avoir bouillies ou grillées. Non loin de là, les salles anciennement inoccupées du SND grouillent de monde. Là, se sont retrouvés les sinistrés recueillis précédemment au sein du lycée communal « Rimvouré » de Bogodogo. Au milieu de ces gens, qui se réveillent, Boukary Yaméogo, matinal, assis à côté de son commerce, tranche avec le spectacle environnant : tablier de son état, il ne fait que poursuivre son ancienne activité.

"L’eau a emporté tout mon commerce. J’ai été obligé d’aller aider à fabriquer des briques sur un chantier pour m’acheter ces articles, que j’ai amenés ici lorsqu’on déménageait. Ça marche tout doucement évidemment, les gens n’ayant pas les moyens", nous relate-t-il en présentant sa petite table, où sont disposés chewing-gum, bonbons, boîte d’allumettes, spirales anti-moustiques et sachets de thé et de café...

Une moto surgit de derrière les maisons. C’est le responsable des sinistrés du lycée communal, nous souffle-t-on ; il est allé en ville de bonne heure pour faire quelques emplettes. C’est devenu un rituel du matin pour ce dernier, du nom de Marc Rouamba, qui doit compter une heure de route pour rejoindre Simonville.

Il nous raconte que le site dont il à la responsabilité compte chaque jour de nouveaux "fugueurs" : « Lorsque nous sommes arrivés sur ces lieux le 25 soir, nous étions au nombre de 187 personnes. Un nouveau recensement, le 27 nuit, a montré qu’il n’y restait que 161 âmes. Ces fugueurs n’ont pu résister à la difficulté de vivre ici. Ils préfèrent se débrouiller en ville. Imaginez-vous, ils y sont allés à pied. Toutefois, certains pères de famille reviennent voir les leurs. Ce qui fait que notre nombre évolue chaque jour. 28 jours sans travailler, c’est pas du tout évident, même si les autorités communales de Bogodogo font de leur mieux. Il faut qu’on nous parle franchement pour qu’on sache exactement ce qui nous attend, car le doute est insoutenable ».

Selon Marc Rouamba, le problème majeur demeure la nourriture, mais aussi le fait que sur ce site ils ne peuvent exercer aucune activité lucrative. Un fait marquant également est l’absence de latrines sur l’ensemble du site. "Vous n’en trouverez pas, nous dit Salam Compaoré. Il n’en y a que deux de fortune, que nous avons construites avec un peu de secco. C’est la nuit que les sinistrés s’éloignent dans les buissons pour faire leur besoin".

Un autre problème se pose à ces sinistrés : des dizaines de sacs de couscous, offert par un donateur de l’opération de solidarité, se périment en octobre 2009, comme l’indique la date de péremption, marquée sur chaque sac. Se demandant s’ils peuvent encore consommer le contenu de ces sacs, les sinistrés, sans réponse pour le moment, les boudent, laissant traîner le stock dans leur magasin.

Vêtu aux couleurs du club anglais de Chelsea FC, Enock Kouanda enfourche avec empressement son vélo. Aurait-il une urgence ? "Oui, il faut que je me dépêche, sinon je vais être en retard sur le chantier où je travaille et où on doit couler du béton ce matin. Hier nuit, je suis rentré très tard de Ouaga parce qu’on a monté tout le mur de la villa que nous construisons. Ce qui fait que je me suis réveillé en retard, mais si je n’y vais pas rapidement, avant que je chef de chantier fasse le point des ouvriers, il va me pointer absent et je n’aurais pas ma paye de 1 000 FCFA pour la journée", répond-il tout en continuant de pédaler avant d’accélérer comme un coureur cycliste.

Les commentaires et autres témoignages fusent de toutes parts, aussitôt que la nouvelle de notre présence se répand sur le site. Madi Bibéogo dit « Confiance » nous interpelle. La petite fille sur ses pieds, une serviette autour de la taille, nous tend la main dès que nous approchons : "Elle s’appelle Aïcha, elle a 5 ans et c’est mon seul enfant que j’ai amené, car elle ne fréquente pas encore", nous explique Confiance, dont l’état d’esprit ne reflète pas tellement son surnom : "J’étais commerçant de vélos d’occasion et j’élevais des animaux chez moi. L’eau a tout emporté. J’ai laissé ceux de mes rejetons qui allaient à l’école à des parents et je suis venu ici. Je ne sais pas ce que je vais devenir". commence ensuite la distribution de tickets pour la consultation au dispensaire du SND. Dans la salle d’attente dudit dispensaire, une dizaine de malades attendent déjà à 7 h00 du matin.

La responsable, Monique Samandoulgou, est en train de faire d’abord le point de la veille. La fiche qu’elle remplit indique qu’au total 42 patients ont été reçus de 7 h à 17 h dans la journée du 27 septembre. Une autre fiche de recensement montre que le site compte 420 sinistrés provenant des écoles Nabonswendé (130) et Bon Berger (80) de Goundri (23) et du lycée communal Rimvouré (187). L’infirmière d’Etat nous explique qu’ils gèrent la dotation du district sanitaire en administrant la dose journalière eux-mêmes aux malades. Les maladies les plus récurrentes sont, entre autres, le paludisme, la gastro-entérite, les mycoses mais aussi les plaies. Elle abrège notre entretien pour commencer ses consultations.

Dehors, des cris joyeux de mômes proviennent du terrain de football. Là, une vingtaine de petits amateurs du ballon rond jouent. Une équipe, celle des déshabillés, vient d’égaliser les deux buts qui la séparait de son adversaire. Et en l’espace de deux minutes, ils inscrivent grâce à un des leurs, deux autres buts : 4 à 2. Les déshabillés se moquent de leurs camarades : "Vous, vous êtes la Côte d’Ivoire, et nous, nous sommes le Burkina".

Ignorent-ils la déculottée des Etalons à Abidjan (0-5) face aux Eléphants ? "Non, mais si les Ivoiriens reviennent chez nous, on va les battre", assure les jeunes supporters. Tout comme tous ses camarades, le double buteur de tout à l’heure, Honoré Ouédraogo, a d’ailleurs pour idole l’attaquant des Etalons, Moumouni Dagano. Sur le terrain de volley-ball par contre, les plus jeunes, faute de ballon, tapent à qui mieux mieux dans des bidons vides d’eau minérale.

Le directeur du SND, le lieutenant-colonel Bakary Ouattara, est absent de la journée, pour des raisons de service. Il est disposé pourtant à répondre à nos questions, lorsque nous le joignons au téléphone. A l’écouter, les locaux qu’il a mis à disposition des sinistrés sont composés, entre autres, du dortoir, du réfectoire, d’une capacité de 300 places, et de l’atelier de soudure, qui n’était pas fonctionnel.

Sur le chemin du retour, nous tombons sur deux dames à califourchon sur leurs vélos, qui viennent de quitter le centre. Tandis que l’une d’elles, Alice Sedga, conduit ses deux enfants malades en ville pour les y soigner traditionnellement, la seconde, Adissa Dipama, elle, rentre avec sa fille pour s’occuper des plus grands, qui sont restés dans la capitale. Elles redoublent ensuite les coups de pédales, cap sur Ouagadougou à une vingtaine de kilomètres de là.

Hyacinthe Sanou

L’Observateur Paalga

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