LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

Publié le mardi 22 septembre 2009 à 03h22min

PARTAGER :                          

Alain bagré, ex-coordinateur du projet ZACA

Les inondations du 1er septembre ont fait une dizaine de victimes et plusieurs dégâts matériels chiffrés en milliards de F CFA. On s’accorde tous sur l’exceptionnelle situation qui a provoqué cette catastrophe, à savoir les 263 mm de pluies tombées en moins de 10 heures. Mais les spécialistes de l’urbanisme pensent qu’il ne faut pas tout rejeter sur Dame nature. Il y a bel et bien des causes humaines qui expliquent l’ampleur de la catastrophe.

Les facteurs ayant favorisé la survenue de la catastrophe sont à rechercher dans quatre directions, selon la plupart des spécialistes que nous avons rencontrés. D’abord il y a l’aménagement même de la ville qui se fait sans une vraie opération d’assainissement. Le président de l’Association des urbanistes du Burkina (AUB), Ignace Sawadogo, est catégorique : " A Ouagadougou, l’aménagement n’est pas bien pensé. On organise des opérations de lotissement sans un fonds d’assainissement. On se retrouve avec une urbanisation sans assainissement, ce qui est anachronique ".

Les urbanistes sont formels, on aurait pu minimiser les dégâts si la ville de Ouagadougou disposait des ouvrages d’assainissement beaucoup plus nombreux et adéquats. Au jour d’aujourd’hui, la ville de Ouagadougou possède un réseau de drainage des eaux pluviales très modeste. Le réseau est composé de 165 km de caniveaux, dont 18 km couverts. Les principaux canaux sont au nombre de cinq et ont pour principal exutoire le parc urbain Bangréweogo. Avec l’étalement sans fin de la ville, ce lieu est lui-même régulièrement inondé à chaque saison de pluie. Les rédacteurs du rapport sur le schéma national d’aménagement du territoire avaient aussi tiré la sonnette d’alarme. Pour eux, il fallait un jour s’attendre à cette catastrophe vue la manière dont l’aménagement se fait dans la capitale. Dans leur rapport, l’avertissement est sans équivoque : "La ville de Ouagadougou s’inscrit dans le bassin du Massili, et en particulier entre ses deux affluents de rive droite. Tant que la ville est restée à l’intérieur de ce bassin, elle a bénéficié d’un drainage naturel simple. Mais depuis l’initiative de Ouaga 2000 en 1996, elle est sortie de son site, pour occuper un panneau d’orientation différent. Depuis quelques années, le même processus se répète à l’Est, du côté de Saaba. Cette forme d’expansion ne manquera pas de poser des problèmes lorsqu’il faudra mettre en place des systèmes cohérents de drainage et de traitement des eaux usées".


Ouaga 2000 n’est pas inondée

Selon le même rapport, concernant la ville de Ouagadougou, on assiste à un développement urbain à deux comportements : la prolifération des lotissements et de l’habitat spontané en périphérie, dans une ambiance de spéculation foncière généralisée et la multiplication des grandes opérations et des projets en zone centrale, tous orientés vers les activités et les couches sociales à hauts revenus et qui débouchent sur une autre forme de spéculation.

Et pendant ce temps-là, les grandes infrastructures dont la ville aurait besoin pour devenir une vraie métropole sont en attente. On assiste à un détournement de l’action et des moyens publics en faveur d’opérations spectaculaires et lucratives, mais qui ne sont certainement pas les vraies priorités de la ville. Pire les ouvrages existants ne sont pas entretenus. On bitume beaucoup de voies sans faire des caniveaux et ceux qui sont réalisés sont mal entretenus. Par ailleurs, les trois barrages de la ville où convergent les eaux pluviales seraient ensablés. Pour l’urbaniste Pierre Claver Dakissaga, il y a nécessité de s’en occuper pour ne pas connaître dans les années à venir des inondations à répétition car ces barrages sont très peu profonds.

Autre élément mis en cause, c’est la conception du système de voirie à l’intérieur de la ville. " A Ouaga, on construit des voies comme si on était en campagne. Elles sont plus hautes que le niveau des maisons à telle enseigne qu’on a l’impression que ce sont des digues érigées autour des maisons. De tels ouvrages, au lieu de faciliter le drainage de l’eau, la bloquent dans les habitats. ", explique Ignace Sawadogo. Certaines voies primaires seraient en plus dépourvues de caniveaux. C’est le cas de l’avenue qui part du camp Lamizana pour aboutir au stade du 4 Août ainsi que celle qui longe le siège de l’ONEA pour continuer dans le quartier Patte d’oie. Quand ce déficit de canalisation croise la précarité des habitats dans certains quartiers, les dégâts sont inévitables.


Des habitats précaires dans des zones inconstructibles

Le système constructif des maisons est fortement mis en cause dans cette catastrophe. A Ouagadougou, le banco est utilisé sans enduit de ciment pour au moins 30% des constructions. Ce sont les ménages les plus pauvres qui sont les principaux concernés. Cela amène à questionner les politiques publiques sur la question de logement. Pour M. Dakissaga, l’Etat ferait mieux de réorienter sa politique dite de logements sociaux qui ne profiterait pas à la majorité des ménages modestes vers la subvention des matériaux de construction en leur faveur. Même son de cloche du côté de l’Association des urbanistes du Burkina qui estime qu’il faut aussi mettre l’accent sur la sensibilisation des populations pour souligner l’importance de faire la fondation des maisons avec du matériel solide, autre que le banco. "Il faut un programme d’encadrement dans la construction qui prenne l’ensemble des acteurs car la majorité d’entre eux ont appris sur le tas. Ce n’est pas n’importe quelle terre qu’il faut utiliser pour confectionner une brique. Nos grands parents savaient cela. Mais de nos jours, ces connaissances tendent à se perdre. C’est pareil au niveau des maçons où on construit des maisons en un temps record croyant que c’est cela l’efficacité ", souligne Yaya Coulibaly, directeur de l’agence Axiale. A cela, il faut ajouter le " laissez-aller" constaté dans l’occupation des zones interdites de construction. Ce sont les abords des cours d’eau. Or, à Ouagadougou, les services publics sont les premiers à violer cette réglementation.

La plupart des édifices endommagés par cette pluie sont situés dans ces zones inconstructibles : l’hôtel de finance du secteur 11 installé dans le canal du barrage, la Direction de la propreté située dans la zone non lotie du barrage, le siège du Fespaco, le musée de l’armée, le stade Réné Monory et tous les terrains concédés aux privés pour ériger des bâtiments (Watam, SKV, l’Eglise et le garage du pont Kadiogo). Pour Alain Bagré, ex-coordinateur du projet ZACA, " il ne faut pas provoquer le diable en allant s’installer sur des zones inondables. Dans une ville, ce n’est pas tous les terrains qui sont propres à la construction. Il y en a qui servent uniquement au jardinage par exemple. C’est notamment le cas aux abords des barrages. Pourquoi alors laisser les gens construire dans ces zones. Pire, je connais des gens qui ont reçu l’autorisation de la municipalité pour construire car ils détiennent leurs titres fonciers. ". Il estime qu’il faut remettre de l’ordre en commençant par respecter le schéma d’aménagement de Ouagadougou. Mais tout cela nécessite un travail de coordination qui devrait revenir aux urbanistes, selon Leandre Guigma, membre du bureau de l’AUB. Le niveau d’équipement résulte du mode d’aménagement qu’est le lotissement. Dans la pratique, les urbanistes seraient très peu pris en compte dans ces opérations. Pour lui, il faut remettre l’urbaniste au cœur du système d’aménagement de nos villes. L’Etat est-il prêt à s’engager dans ce sens ? C’est toute la question.


Les principaux canaux de la ville

Le canal du Moro naba, long de 4,7 km, entre les quartiers Gounghin et Bilbalogo, son exutoire est le barrage n°2 ; le canal central dit de Paspanga, long de 5 km, entre le quartier Koulouba et le centre ville, exutoire pied du barrage n°3 ; le canal de Zogona, long de 4 km dont l’exutoire se trouve au Parc urbain Bangrewéogo ; le canal de Dassasgho, long de 4 km, exutoire au pied de Bangrewéogo.
La caractéristique principale de ces ouvrages d’assainissement pluvial est qu’ils sont à ciel ouvert avec comme exutoire le milieu naturel ou les retenues d’eau (les trois barrages de la capitale dont l’ensablement est très poussé). Les canaux à ciel ouvert sont des lieux de dépôt des boues de vidange manuelle, des déchets solides et des eaux usées ménagères. Ils sont parfois utilisés comme lieux d’aisance et ne font pas l’objet de curage régulier. C’est ainsi que ces infrastructures censées aider à l’amélioration des cadres de vie et de santé publique deviennent dans ces conditions plutôt nuisibles et peu efficaces pour jouer leur rôle.

Par Idrissa Barry

L’Evénement

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 22 septembre 2009 à 10:27, par Ndabi En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

    Quant on vit dans un pays où l’incivisme et l’incompétence fais la loi, de tel catastrophe ne saurait être évitée.
    Espérons que cela nous serve de leçon et que les réponses apportées par les spécialistes en la matière puissent être utilisées efficacement pour nous protéger de tel Nakba.

  • Le 22 septembre 2009 à 11:11, par Noraogo En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

    Merci à tous ces specialistes pour leur analyse trés pertinente. Pour moi l’état burkinabé doit impérativement accordé plus d’importance au secteur de l’urbanisme, car nos villes grandissent à un rythme trés accèleré et on aura de plus en plus des problèmes pour les gérer. Donner un minimum au ministère de l’habitat et de l’urbanisme, améliorer le statut des agents dits" permanents" de ce ministère. pour ceux qui ne savent pas la majorité des agents de ce ministère (80°/°) ont un statut d’agents permanents. ils emargent dans un compte spécial qui connait d’enormes difficultés ces derniers temps. Conséquences : des mois sans salaire ou des retards de salaire tous les mois. Deuxième conséquence : les cadres sont entrain de quiter ce ministère pour d’autres ministères ou pour le privé . Ce qui constitue un manque à gagner pour L’état. Ce ministère manque enormement de cadres actuellement qui peuvent réellement concévoir des plans d’urbanismes adéquats pour l’ensemble des régions du pays.
    Il faut penser à la formation des agents. De nos jours il est inadmissible d’ignorer la formation des agents pour la réussite de leurs missions.
    je terminerai en disant que tant que nos autorités n’auront pas un oeil attentif sur le ministère de l’habitat et de l’urbanisme c’est à dire (revoir le statut des agents permanents, accorder plus de moyens financiers et humains) nous verrons incontestablements d’autres problèmes dans nos villes.

  • Le 22 septembre 2009 à 13:05, par Agassi En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

    A mon avis le problème est culturel. Pourquoi ?
    - C’est une honte pour un chef de famille Burkinabé et de surcroit fonctionnaire de ne pas habiter " chez lui".
    Du coup, la pression est tellement forte sur nos autorités et ils sont obligés de proceder aux lotissements afin de parer au plus urgent.La ville s’etend alors à perte de vue au lieu de prendre de la hauteur.
    A mon avis il faut redefinir la politique foncière en combattant frontalement cette mentalité qui veut que chacun ait "chez soi" par une vraie spéculation foncière et une vraie libéralisation de ce domaine pour resoudre une fois pour tous ce problème.Ainsi, des grandes regies immobilières pourront construire des logements ( normaux et sociaux)verticaux et pas horizontaux, bien viabilisés à l’occidental pour la location et la vente. Evidemment, ceux qui n’ont pas les moyens ou la mentalité progressiste devront se poser la question de leur........ à Ouaga.
    Prenons le cas concret de Ouaga 2000 : c’est propre, c’est en general construit en hauteur, mieux viabilsé, agréable à voir. C’EST un exemple à suivre et c’est chez nous sous nos yeux et pas comme on aime se deouaner à dire : " hum c’est chez les blancs oh !on ne peut pas comparer." Soyons courageux comme le bourgmestre de Ouaga dont on prête certains propos qui heureusement sont TOTALEMENT VERIDIQUES.
    Merci

    • Le 22 septembre 2009 à 21:03, par lance de fer En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

      Problème culturel ? suis très déçu de toi agassi,ta fait preuve que tu ne sais pas vraiment le pays ;déguiser un échec de la politique d’urbanisation en problème culturel,je te tire mon chapeau,car celui qui était prêt à mettre sa main au feu parce qu’il n’y aura pas une dévaluation,ta fait mille fois mieux que lui....

  • Le 22 septembre 2009 à 13:58, par kaato En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

    je ne suis pas d’accord avec Mr Noraogo. le debat n’a rien a voir avec le statut du personnel du Ministere de l’habitat. C’est un Ministere cree en toute piece et ou on ne voit pas ce que les gens font exactement. S’il ya manque de competence, c’est a l’origine meme. Du temps du ou il formait un grand ministere avec les transports et les infrastructures, il n’y avait pas ce probleme. Toutes les competences pouvaient etre reunies et consultees. Regarder le cas du Projet ZACA. Le Ministere de l’Habitat avait quel competence pour suivre et bien executer les goudrons et les autre VRD de la zone ? Les competences dans ce domaine se retrouvent au Ministere des intrastructure ki evolue a part avec son personnel deja bien forme et apte a faire le trav. pourqoui continuer a sauscissonner les ministere ? Il faut dissoudre le Minister de l’Habitat et le ramener avec les infrastrure.

    De plus, les gens passent le temps a se faire des croques en jambe aupres d’un Ministre bouillant et arrangant parfois dans sa maniere de traiter les agents.

  • Le 22 septembre 2009 à 14:20 En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

    que dieu bénisse l’auteur du dernier article parlant des canivaux à ciel ouvert.c’est d’abord la source de toutes les maladies tropicales auxquelles nous assistons, surtout le paludisme qui tue nos enfants et vide nos poches chaque jour que dieu fait.de grâce ce peuple est pauvre, et nos dirigeants pour bien faire les choses doivent éviter de nos exposer aux moustiques avec ces canivaux à ciel ouvert et très insalubles.voyez un peu le quartier Dapoya, c’est très grave ce qui se passe làbas avec les canivaux, impossible de vivre plus de 2 semaines dans ce quartier sans passer en pharmacie pour une question de palu pour ceux qui sont résistant.c’est un cri de coeur.faite quelque chose car la situation est grave et urgente.c’est par ça que nous savons que nous sommes gouvernés et que nos dirigeants savent ce que nous vivons même si ces réalités sont très éloignées d’eux car il n’existe pas de canivaux à ciel ouvert là où ils vivent.de grâce nous payons nos impôts et taxes de résidance pour mieux chez nous.ne prennez plus notre argent pour autres choses que uniquement pour notre bien être.les blancs payent les impôts qui les servent directement et après ils prélèvent un peu pour nous afin que vous vous occupés de nous comme les leurs s’occupent de leurs concitoyens.si vous n’agissent pas de la sorte sachez tout simplement que vous pêchez et que vous n’avez pas notre bénédictions.puissent dieu vous faire un jour pensé à la souffrance de vos concitoyens.

  • Le 22 septembre 2009 à 18:46, par lance de fer En réponse à : Inondations à Ouaga : Pour les spécialistes, c’était implacable

    Merci au journaliste pour cet article qui vient confirmer au plan technique ce que la plupart des internautes avaient souligné. quand je pense que les armoiries de Simonville portent la mention suivante en langue nationale "Ouagalais n’aie pas peur de ton lendemain" je me demande bien si ses concepteurs savent bien ce que veut dire prévoir !!!

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Inondations au Burkina : le bilan s’alourdit