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Sissili : Le réseau des Associations de micro-finance en crise

Publié le mardi 22 septembre 2009 à 03h18min

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Le réseau des Caisses villageoises d’Epargne et de Crédit de la Sissili en abrégé CVECA est en crise. Le Conseil d’Administration de la structure technique d’appui dénommée ARCADE (Appui au Réseau des Caisses Autogérées et Décentralisées) dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre Tertius Zongo demande ni plus ni moins la mise sous tutelle administrative provisoire de l’ensemble des structures impliquées dans la gestion du réseau, afin de "sauvegarder écrit-il, l’instrument et les intérêts des populations bénéficiaires et de l’État"

Le réseau des Caisses villageoises de la Sissili a été mis en place par le Centre International pour le Développement et la Recherche (CIDR) en 1992 à la fin du programme du 6ème FED pour capitaliser les acquis dudit programme. L’intervention du 6ème FED dans la Sissili s’est faite dans le cadre et dans la zone géographique du Programme de Développement Rural (PDR) financé par le fonds. Le PDR-Sissili avait pour vocation de désenclaver la région à travers la réhabilitation de trois axes routiers fortement dégradés. Les caisses d’épargne et de crédit étaient une des composantes du projet. L’objectif était de donner un outil financier aux villageois pour un accès au crédit du plus grand nombre afin de les aider à accroître et à diversifier des activités économiques. Une structure technique d’appui est créée en 1998, dénommée Appui au Réseau des Caisses Autogérées et Décentralisées en abrégé ARCADE. Il s’agit d’une structure locale dont la mission consiste à fournir des prestations de services aux associations des caisses en terme de management, d’analyse stratégique, de négociation et d’élaboration de projets. Au sein d’ARCADE, une cellule dite Service d’Appui Technique (SAT) est créée chargée des prestations à caractère technique.

Les prestations d’ARCADE sont en retour supportées par les contributions des caisses et des subventions de l’État par le biais de l’Unité Technique d’Exécution, une structure du ministère des Finances. En 2004, une nouvelle structure verra le jour, le Centre Technique de la Microfinance Participative (CTMP) qui, bien que de dimension nationale, va faire doublon avec ARCADE dans l’encadrement des associations des caisses villageoises de la Sissili. Pourtant dans la Convention de prestations de services entre le CTMP et le réseau des Associations des Caisses villageoises de la Sissili, il est explicitement indiqué que les interventions du CTMP devront respecter le principe de subsidiarité et de non concurrence. L’article 2 stipule : le CTMP ne doit pas exécuter les services techniques auprès des associations si ces services peuvent être efficacement exécutés par ARCADE. C’est pourtant par cette brèche que viendront les problèmes. Très vite, le CTMP va empiéter sur les plates bandes de ARCADE, pour finir par se substituer à elle.


Manifestation d’intérêts contradictoires

L’intervention du CTMP dans la Sissili a fait naître des contradictions qui vont vite se transformer en conflits. D’entrée de jeu, le CTMP s’est définie comme une structure au dessus des associations locales. En tant qu’émanation du CIDR au plan national, on a vu venir la manœuvre. Mais pour rassurer, les stratèges du CTMP ont du donner du gage en concédant quelques garanties juridiques qui sont en réalité des leurres. Dans la convention de prestation de services, il est dit que le CTMP appuiera les réseaux CVECA dans des domaines tels que l’inspection du réseau et appui conseil, la méthodologie CVECA, le suivi des aspects de gouvernance, le recrutement et la formation de nouveaux techniciens pour les SAT, la formation continue, la veille technologique, l’élaboration des plans d’affaires, les études d’impact, bref, un spectre d’activités suffisamment large pour lui assurer une place de choix !

Les difficultés vont vite apparaître, du fait des faiblesses compris des textes organiques, de l’absence d’autonomie financière en particulier des structures d’appui, y compris du CTMP et surtout d’un leadership sans véritable vision des questions stratégiques du monde rural.
Dans la Sissili se posait un problème de gouvernance au sein de l’organisation locale d’appui. Le président d’ARCADE cumulait les fonctions de directeur exécutif. Une incompatibilité qui allait conduire au recrutement d’un directeur exécutif. Cependant cette précaution ne mettra pas fin à la confusion des rôles. Le nouveau venu semblait lui aussi ne pas vouloir se confiner à son rôle. Sa gouvernance s’est caractérisée par une tendance à la marginalisation des instances suprêmes d’ARCADE (bureau Exécutif et conseil d’administration).

Des problèmes de gestion vont s’ajouter à cela et il sera finalement remercié pour insuffisance de résultat. C’est dans ces conditions que le CTMP arrive en sauveur et propose de fournir un nouveau directeur sans frais à ARCADE. La surprise, c’est que le cadre proposé est le directeur du CTMP lui-même. Nous revoilà dans le scénario que l’on avait voulu éviter. Les responsables d’ARCADE s’inquiètent. En effet, l’incompatibilité n’est pas que formelle ; elle est de nature à entraîner une confusion des rôles et des conflits d’intérêts comme on le verra par la suite. Un compromis est trouvé. Le directeur du CTMP assurera un intérim de trois mois, le temps de procéder à un recrutement. En 2007, intervient un événement qui va constituer un tournant dans la vie d’ARCADE. Un conseil d’administration sera institué pour appuyer le bureau exécutif.. Trois personnalités locales sont cooptées pour en constituer les membres.

Il s’agit de personnes ressources aux compétences avérées dans le management associatif et plus généralement pour leur expérience dans le monde rural. Mais cette nouvelle donne est mal accueillie par le directeur du CTMP, directeur d’ARCADE, Monsieur Jean Paul Tiendrébéogo. En lieu et place de ces personnes ressources, il aurait souhaité le retour d’anciens employés du programme dont le contrat avait pris fin en même temps que le projet. Ces hommes qu’il ne connaît pas ne lui inspirent pas confiance confiera t-il au cadre financier et ce sont en plus des retraités ! Le Conseil d’administration qui n’est pas là pour inaugurer les chrysanthèmes pose un premier acte qui va corroborer les craintes de M. Tiendrébéogo Il demande d’entrée de jeu un audit des comptes pour lui permettre de voir clair avant son entrée effective en fonction. L’audit est exécuté par le directeur lui-même qui prévient : "Notre responsabilité n’est pas de certifier la régularité et la sincérité des opérations mais consiste à exprimer une opinion sur ces comptes".

De fait, le rapport qu’il dépose révèle des fautes de gestion et s’avère in fine un réquisitoire contre le cadre financier, en l’occurrence Mathias Tagnan. Le conseil d’administration en prend acte et demande que soient immédiatement appliquées les recommandations qui l’accompagnent, notamment le recrutement d’une secrétaire comptable et la mise en œuvre d’une solution transitoire qui décharge le cadre financier de sa fonction de caissier. On l’aura compris, le cadre financier était dans une situation totalement anormale ou il exerçait des fonctions incompatibles. A qui la faute ? Curieusement, non seulement le directeur traînait les pieds pour exécuter ses propres recommandations, bien qu’instruit dans ce sens par le conseil, mais le comble, c’est que le cadre financier dont la gestion avait été en partie mise en cause par le directeur dans l’audit interne, voit sa rémunération doublée. Le conseil va rejeter cette mesure incongrue du directeur que rien ne justifie et recommander une restructuration d’ARCADE.

Parmi les mesures de restructuration, la question de la double casquette de Monsieur Tiendrébéogo est reposée. Son départ est exigé, ce qui est finalement obtenu en mars 2009. L’ intérim aura duré trois ans au lieu de trois mois. Mais parti de la direction d’ARCADE, coucou le revoilà dans la Sissili, pour le compte du CTMP dont il est resté le directeur. Cette fois, il arrive pour négocier la signature d’un contrat avec les associations des caisses villageoises. Évidemment dans cette démarche, les responsables d’ARCADE n’ont pas été associés. La cérémonie de signature qui devait néanmoins se faire dans les locaux d’ARCADE à Léo capote. Le président du conseil d’administration Nignan Adouna qui a fortuitement appris la nouvelle se rend sur les lieux et dissuade les responsables des caisses convoqués pour la circonstance. Jean Paul Tiendrébéogo profite alors de l’occasion pour inviter les responsables des associations à Ouagadougou. La suite de l’histoire est connue, c’est la dénonciation le 16 juin 2009 de l’accord de partenariat qui liait les associations de caisse de la Sissili à ARCADE.


Que va-t-il se passer maintenant ?

Le Conseil d’administration d’ARCADE qui n’a pas pu empêcher le départ des associations des Caisses vers le CTMP a demandé à l’État leur mise sous tutelle pour permettre d’assainir la situation. Il faut dire que la structure locale ARCADE n’a pas pu donner la mesure d’elle-même, en partie en raison de la confusion fonctionnelle qui a caractérisé sa gestion. De fait, le CTMP semblait en avoir fait une chasse gardée au point que la procédure de restructuration qui avait été entreprise a été stoppée nette par une action probablement d’inspiration CTMP. La crainte était déjà présente dès la naissance du CTMP, crainte exprimée par les responsables des réseaux. Dans un rapport d’évaluation de l’activité du CTMP publié en octobre 2008, on lit ceci : "En pratique, il y a une implication directe du CTMP dans la gestion opérationnelle des réseaux à savoir celui de la Sissili, Ziro et Balé. En effet, en assurant l’intérim (même provisoire) de la Direction de ARCADE, le CTMP a enfreint aux principes d’indépendance du contrôle et de l’inspection (il est juge et partie). Comment peut-on contrôler efficacement une entité si on est soi-même impliqué dans sa gestion opérationnelle ?

Plus loin dans le rapport, il est écrit : "Le réseau des CVECA fonctionne sur la base du principe de subsidiarité entre les différents niveaux de structuration. Dans ce processus, le CTMP se positionne comme une structure au dessus des différents SAT des réseaux. Il n’a donc pas été mis en place pour se substituer aux SAT mais pour fournir aux réseaux CVECA des services complémentaires à ceux offerts par ceux-ci. Cependant, force est de constater que pour certaines de ses activités de terrain, notamment pour l’inspection directe des CVECA, le CTMP s’inscrit en doublon avec les SAT régionaux (Soum, Sissili)…
L’intérim de la Direction de ARCADE assurée par le CTMP est (…) une preuve palpable de ce rôle de doublon. Cette situation crée une certaine confusion au niveau des acteurs du réseau de la Sissili. Il est difficile de faire la part des choses entre le CTMP et la Direction de ARCADE. A certains moments, on ne sait pas si le Directeur agit au nom du CTMP ou au nom de ARCADE".

Alors même que cette organisation continue de subir les préjudices de cette confusion entretenue pendant longtemps, la revoilà confrontée à une autre épreuve qui menace cette fois sa survie. Le ministère de l’Economie et des Finances dont dépend in fine la survie de toutes ces associations est saisi de la question. C’est toute la politique d’autonomisation du monde rural promue par l’État qui se trouve aujourd’hui questionnée par la crise au sein du réseau CVECA de la Sissili. Tout le monde veut aider le monde paysan mais il faut prendre garde à ce qu’il ne soit un enjeu de compétition ou l’on rivalise d’ingéniosité pour accroître sa dépendance à tous points de vue. Ce rôle de veille est pour une large part, le job de l’État !

Par Germain B. Nama

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