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Rapports chefferie coutumière/Etat de droit : Une ambiguïté à démêler

Publié le mercredi 14 juillet 2004 à 10h18min

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Si dans certains pays d’Afrique noire la chefferie dite coutumière ou traditionnelle a disparu avec la colonisation, il n’en a pas été ainsi en Haute-Volta. C’est ainsi que jusqu’à nos jours, de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud du pays, on compte ce qui fut jadis des royaumes et des principautés puissants.

Aujourd’hui, ces entités politiques existent même si elles ont perdu de leur splendeur eu égard d’abord à l’administration coloniale et ensuite aux structures de l’Etat indépendant. Ces rois, princes, chefs de province et de village, qui ont été des supplétifs du pouvoir colonial, ne sont pas restés neutres dans la gestion du nouvel Etat : ministres, députés, conseillers municipaux, ils les ont été en tant que citoyens, mais bien aidés en cela par les strapontins traditionnel et coutumier dont ils étaient les détenteurs.

A l’exception de la 1re République et de la Révolution démocratique et populaire (RDP), qui ont tenté mais de façon maladroite de tenir cette chefferie à l’écart des affaires de l’Etat, tous les régimes qui se sont succédé ont soit toléré soit encouragé la participation desdits chefs à la gestion politique de la société afin d’en tirer des dividendes politiques. A leur tour, ceux-ci ont l’occasion de renforcer leur autorité grâce à leurs relations et aux avantages dont ils bénéficient.

Or, le renforcement de leur autorité biaise bien souvent l’exercice de la démocratie pour deux raisons : premièrement, la majorité de ces chefs sont proches ou du côté du parti au pouvoir, contribuant ainsi à faire reculer toute possibilité d’alternance démocratique du fait de l’influence qu’ils exercent sur une partie de la population.

Deuxièmement, ils privent ainsi la démocratie et les hommes politiques d’un recours consensuel de la part de ces derniers en cas de crise. Eux-mêmes étant des acteurs politiques, défendant donc les intérêts de leurs camps respectifs, comment peuvent-ils servir de médiateurs lors des crises politiques ?

Mener donc une étude sur le sujet, comme l’a fait le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), ou entreprendre d’y réfléchir afin de faire des propositions à l’Etat, comme les intéressés eux-mêmes sont en train de le faire, sont bien à propos.

C’est dans cette perspective que, bien qu’étant à un niveau moins qualifié intellectuellement (nous ne sommes pas membre de l’équipe du CGD) et coutumièrement (nous ne sommes pas un chef coutumier), nous nous permettons, en tant que citoyen, de donner notre point de vue sur le sujet. Nous comptons sur les lecteurs que vous êtes et particulièrement sur les chefs coutumiers pour nous pardonner nos éventuels égarements.

Les questions d’ordre définitionnel

L’expression conceptuelle "chef coutumier" est une appellation au contenu ambigu. En effet, elle renvoie aux coutumes ; c’est-à-dire que le chef coutumier est en quelque sorte le chef des coutumes. Or, il est le chef des populations en tant que constituées de personnes physiques, tandis que les coutumes sont faites de pratiques ; lesquelles pratiques (cérémonies rituelles, funérailles, initiation, mariages, etc.) sont organisées par les lignages (c’est-à-dire ce que nous appelons couramment grandes familles) concernés, sans immixtion du chef.

Il est vrai que certaines offrandes sont faites par le chef aux ancêtres pour éviter à l’entité politique concernée des malheurs, mais ceci est une infime partie de ses pratiques religieuses.

Par ailleurs, s’il est le chef des coutumes, cela revient à dire qu’il est un chef intemporel ; or lui n’est qu’un chef temporel (parce qu’il préside aux destinées des populations), le chef de terre étant le chef intemporel parce que prêtre de la terre et de la pluie dans bien de sociétés. Le chef de terre est dit intemporel parce qu’il s’occupe des affaires intemporelles que sont essentiellement les pratiques religieuses.

Si le roi, le prince, le chef de province ou le chef de village est qualifié de responsable coutumier, cela revient à affirmer qu’il joue le rôle du chef de terre au plan religieux et qu’il se substitue aux lignages pour les autres affaires coutumières (mariage, initiation...). Ce qui est inimaginable.

Qu’en est-il alors de l’appellation "chef traditionnel" ? Elle est également frappée d’impropreté, car si l’on part du principe que les traditions sont composées de la religion "ancestrale", des mariages, de la tenure foncière, de l’élaboration du calendrier, de la gestion des greniers familiaux, de la cosmogonie, etc. la même difficulté (que celle que nous avons connue avec l’expression "chefferie coutumière") se pose.

On le voit, ces mots français ne véhiculent pas avec eux le fidèle reflet de la réalité du Burkina, que nous ont léguée nos ascendants ; mais, faute de mieux d’une part et d’autre part du fait que le CGD et les intéressés eux-mêmes semblent avoir adopté l’appellation "chefferie coutumière", c’est celle-là que nous allons employer tout au long du papier.

Les arguments pour l’implication des chefs dans la politique

Depuis 1991, le Burkina Faso a renoué avec l’Etat de droit démocratique et libéral avec comme loi fondamentale la Constitution. Celle-ci stipule que tout citoyen burkinabè a le droit (voire le devoir) de participer à la vie politique de son pays et ne doit pas faire l’objet de discrimination, de répression ou d’ostracisme du fait de ses idées politiques. C’est pourquoi, il est électeur et éligible.

Si l’on part de ce principe, les chefs coutumiers étant des citoyens, ils sont donc électeurs et éligibles. Mieux, dans la mesure où ils sont déjà une autorité politique traditionnelle, ils disposent en principe des compétences en matière d’administration et de gestion politique des populations.

S’ils sont donc élus députés, conseillers municipaux ou maires, ils sont en principe censés être à l’écoute de leurs électeurs en même temps qu’ils peuvent aider les pouvoirs publics à gérer parcimonieusement et démocratiquement les ressources humaines, financières et matérielles de la communauté nationale, régionale ou provinciale.

Mieux, ils peuvent contribuer à combattre les mauvaises traditions (mariages forcés, excision, dot...) et à diffuser les aspects positifs du progrès de la science et de la technique pour maximiser les productions pastorale et agricole et prévenir les maladies.

En ce sens, l’implication des chefs coutumiers dans la gestion politique démocratique de la société ne peut constituer qu’un avantage qu’il serait politiquement maladroit de négliger.

Enfin, un point et non des moindres : en étant le chef coutumier de toute l’entité placée sous sa responsabilité, le chef est normalement au-dessus des partis politiques. Et même s’il se présente aux élections en tant qu’appartenant à un parti, son statut traditionnel l’oblige à privilégier, plus que tout autre élu, l’intérêt général de la communauté au détriment de son camp politique. Ne pas le faire, c’est aller contre la démocratie, parce que l’élu qu’il est désormais est celui de tout le monde, et c’est surtout aller contre les coutumes et les traditions qui traitent tout le monde de la même manière.

A suivre

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

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