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Assainissement écologique : Les excréta humains rendus utiles

Publié le mercredi 17 juin 2009 à 02h10min

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Des urines et des fèces sont hygiénisés et transformés en engrais naturels. Cela ce passe à Ouagadougou grâce au Projet d’assainissement écologique (Ecosan) dans les quartiers périphériques de la ville. Et le système permet à de nombreux ménages pauvres d’accéder à un ouvrage d’assainissement au coût subventionné de 43 000 F CFA. Sains, écologiques, les sous-produits des latrines Ecosan sont utilisés pour doper la production agricole au grand bonheur des maraîchers qui n’en demandent pas mieux. Reportage au coeur d’une approche qui transcende les tabous et les préjugés.

Le Burkina Faso est confronté à beaucoup de problèmes d’assainissement, de santé et de sécurité alimentaire. L’assainissement avec un taux d’accès de 10 % en milieu rural et de 14 à 18 % dans les centres urbains demeure le maillon faible du système d’approvisionnement en eau potable et assainissement. Ces chiffres montrent que la majorité des Burkinabè n’ont pas accès à des toilettes adéquates. C’est dans ce contexte que l’Union européenne en partenariat avec la GTZ (coopération allemande) et le Centre régional pour l’eau potable et l’assainissement à faible coût (CREPA) ont financé un projet d’assainissement écologique dans les quartiers périphériques de Ouagadougou (secteurs N°17, 19, 27 et 30) à hauteur de 1,5 million d’euros.

La démarche du projet Ecosan consiste à installer des latrines dites Ecosan où l’on sépare les urines des fèces. Ils sont ensuite récupérés, gardés en circuit fermé pour être hygiénisés en vue de pouvoir être utilisés dans l’agriculture moyennant transformation en engrais naturels. Ainsi, à Ouagadougou, l’urine appelée birg koom et le “caca” se transforment et se récupèrent utilement suivant la formule du célèbre chimiste français Lavoisier : “Rien ne perd, rien ne se crée, tout se transforme et se récupère”. Ecosan constitue à la fois un ouvrage hygiénique d’assainissement et une approche intéressante pour ceux qui utilisent ses sous-produits à des fins agricoles, apprécie le directeur de l’assainissement (DASS) de l’Office national de l’eau et de l’assainissement, Arba Jules Ouédraogo. Ces sous-produits ne présentent aucun risque pour les populations.

Et le système fait aujourd’hui des émules dans la capitale. Utilisateurs de latrines Ecosan et des fertilisants, autorités ne cachent pas leur satisfaction des résultats du projet. Christophe B. Kaboré est un quinquagénaire résidant au secteur n°27. Utilisateur de latrines Ecosan, il en est très satisfait. “Les latrines Ecosan double fosse à usage alterné sont très bien et propres. De plus, les latrines Ecosan offrent une double utilité en ce sens qu’elles sont confortables pour la famille et les excréta servent d’engrais pour le jardinage et l’agriculture”, dit-il visiblement content. M. Kaboré pense qu’avec les latrines Ecosan, rien ne se perd. Bien au contraire, elles éloignent des ménages les odeurs nauséabondes et les boues de vidange. Christophe B. Kaboré avoue que sa famille de dix personnes vit désormais dans un cadre sain, loin des odeurs et des désagréments dus jadis aux excréta qui étaient jetés dans la nature. Il confie que c’est grâce à la sensibilisation qu’il a adopté les latrines Ecosan. Comme les latrines de M. Kaboré, près de 927 autres ont été installées dans les quatre secteurs d’intervention du projet pour une population estimée à 7 000 âmes.

Quatre sites de traitement des excréta pour fertiliser les champs ont vu le jour. Un système de collecte et de gestion des boues de vidange fait son chemin. Plus de 800 maraîchers ont été formés, sensibilisés à l’utilisation du birg koom (urine), du “caca” ou fèces comme fertilisants dans leurs activités de production. Aujourd’hui, les premiers résultats sont très probants, selon des témoignages qui racontent que ces excréta permettent de doubler, voire tripler les rendements. Moumouni Derra est maraîcher au secteur 27, Wayalgin, de la capitale. Il exploite une parcelle fertilisée à l’aide des excréta humains. Maraîcher convaincu, il est fier des résultats de l’application des urines et fèces hygiénisés dans son jardin de choux. “Quand on apporte le birg koom après la récolte, il y a des éléments nutritifs qui restent dans le sol. Regardez ! ces choux, je n’ai fait qu’un seul apport mais ils présentent un état végétatif satisfaisant”. Pour une planche de choux, M. Derra dépense 500 F CFA à raison de 100 F CFA, le prix unitaire d’un bidon de 20 litres de fertilisants humains.

Par contre, avoue-t-il, “si je devais utiliser l’urée qui coûte 400 F CFA le kg, cela revient à 2 800 F CFA pour sept passages”. Avec le birg koom, M. Derra accède ainsi à un engrais naturel, moins cher, sain et écologique. C’est aussi le sentiment de Mme Sédogo née Sophie Héma qui applique l’approche Ecosan dans son jardin “la Saisonnière”. Professeur de sciences de la vie et de la terre à la retraite, elle produit des choux, de la salade, des courgettes, des amatis, de l’oseille, du haricot à Bendogo depuis janvier 2009. Elle se dit aussi satisfaite des résultats. “Les fruits sont plus gros, les plantes sont mieux entretenues. Le birg koom sert aussi d’insecticide parce que les plantes enrichissent le sol. Les fertilisants chimiques sont cher, 300 F CFA/kg contre 100 F CFA le bidon de birg koom pour les mêmes surfaces”, observe Mme Sédogo. Et de poursuivre que “l’approche Ecosan permet de produire sain et à coût réduit. Nous croyons à Ecosan qui peut réduire la pauvreté des 60 femmes de la Saisonnière”. Mme Valérie Kafando, jardinière à la Saisonnière partage ce point de vue. Pour elle, “Ecosan nous a beaucoup apporté. Il y a un changement, les sols sont devenus plus fertiles”.

Le président de l’Union nationale des producteurs de coton est conscient de l’utilité des excréta dans l’agriculture. Selon François Traoré, dans le temps, c’est là où déféquaient les gens, qu’on cultivait le maïs. “On sait que c’est utile. Mais, il faut adapter cette technologie à un coût moindre pour que les paysans comprennent comment l’utiliser et l’avoir. Je n’ai pas de latrines Ecosan mais je connais l’intérêt. Autrement, on est prêt à l’utiliser”, confie M. Traoré. En effet, les tests comparés montrent que les parcelles traitées aux fertilisants naturels donnent des rendements deux fois meilleurs que celles à l’engrais chimique.

“Une valeur agronomique certaine”

“L’approche Ecosan propose de l’engrais à moindre coût, facilement accessible aux pauvres maraîchers qui n’ont pas d’argent pour faire face à la montée des prix des intrants agricoles”, explique le coordonnateur du projet Ecosan, Anselme Vodounhessi. “La valeur agronomique des deux fertilisants (birg koom et les fèces hygiénisés) est certaine. On peut dire que le birg koom est plus ou moins comparé à l’équivalent de l’urée. On peut considérer que c’est un engrais azoté mais à la différence qu’il est seulement liquide donc contenant de l’eau. Cela fait que les éléments nutritifs qu’il contient sont immédiatement disponibles pour la plante. En termes de concentration, il est très riche en azote, 40g/l et surtout en phosphore,

potassium et en oligo-éléments”, précise de son côté, Moussa Bonzi, agronome du projet Ecosan. Au-delà de l’ouvrage, Ecosan constitue une approche. “Ce n’est pas seulement l’ouvrage mais une approche c’est-à-dire l’utilisation des sous-produits à des fins agricoles. C’est une bonne chose pour le développement de l’agriculture maraîchère. Ecosan est une approche innovante qui vient élargir la gamme technique existante utilisée pour permettre aux populations d’avoir un ouvrage d’assainissement”, reconnaît le directeur de l’assainissement de l’Office national de l’eau et de l’assainissement, Arba Jules Ouédraogo.

Il note qu’Ecosan met à la disposition des usagers, des équipements permettant de ne pas être en contact direct avec les eaux usées, sources de prolifération de moustiques et de maladies diarrhéiques, de paludisme qui constituent la principale cause de mortalité. Soutenant que l’assainissement doit contribuer à améliorer le cadre de vie, M. Ouédraogo soutient que l’ONEA a inclus Ecosan dans son plan stratégique pour accroître le taux d’accès à l’assainissement et apporter un plus à la production agricole. Car, l’assainissement constitue un enjeu important en termes de préservation de la santé des populations. On estime par exemple en 2002, que 2,6 milliards de personnes n’avaient pas accès à l’assainissement adéquat et que plus de 400 millions vivent au sud du Sahara. Le ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, Laurent Sédogo, reconnaît que la situation de l’assainissement n’est guère meilleure au Burkina.

“Ça varie entre les milieux rural et urbain”, dit-il, ajoutant qu’en campagne, sur 10 Burkinabè, neuf n’ont pas accès à des toilettes adéquates. Pour lui, cette situation fait en sorte que “nos défis sont énormes parce que nous nous sommes donné comme objectif d’ici à six ans (en 2015) que la moitié des Burkinabè aient accès à des ouvrages d’assainissement. Vous voyez tout le travail colossal que nous avons à abattre”. Lui-même utilisateur de latrines Ecosan, pense que l’approche Ecosan peut donner un coup d’accélérateur à l’atteinte des objectifs. “Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt la mise en oeuvre de cet important projet. J’avoue que les résultats nous ont édifié”, souligne le ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques. Il se convainc alors que cette approche et les technologies mises en oeuvre pourraient permettre “d’accélérer l’atteinte de nos objectifs en ce sens qu’il faut parfois aller puiser ces questions d’assainissement dans le vécu quotidien. C’est vrai qu’il y a des aspects culturels mais il y a aussi parfois les limitations dues à l’intérêt que les gens éprouvent”.

Et le CREPA souhaite voir le gouvernement s’approprier l’approche écologique de sorte à “réussir à faire du pays, une vitrine pour les autres pays africains”, plaide le directeur général du CREPA, Cheick Tidiane Tandja. Pour lui, le projet Ecosan attire déjà l’attention d’une grande audience internationale : “Nous recevons régulièrement des pays de la sous-région tels le Niger, le Togo, le Mali, le Ghana, le Cameroun et le Gabon”. D’ailleurs, le CREPA prône désormais une vulgarisation à grande échelle de l’assainissement écologique. “Il est démontré qu’une personne produit en moyenne 500 litres d’urines et 50 litres de fèces par an, équivalant à 7,5 kg de NPK suffisant pour produire 230 kg de céréales, assez pour nourrir la même personne, toute l’année. En termes économiques, la valeur fertilisante d’excréta produite par une personne dans l’année est d’environ 3500 F CFA. Par extrapolation, cela reviendrait à 49 milliards de F CFA de gagnés en intrants agricoles par an si tous les Burkinabè adoptait l’approche Ecosan”, explique M. Tandja. Une vision que le ministère de l’Agriculture relativise. “Ça c’est le raisonnement mathématique très théorique.

Vous savez en agriculture, aligner les chiffres ne veut rien dire. Parce que si vous alignez vos chiffres et que les gens ne sont pas convaincus qu’il faut le faire, vos chiffres resteront dans les tiroirs”, analyse le ministre, Laurent Sédogo. Cela pose le défi de la mobilisation des populations à adopter cette technologie dans la mesure où de nombreux tabous et préjugés entourent les excréta humains. Si je ne sais pas oui, autrement je ne vais pas consommer des produits dérivés de l’approche Ecosan, s’insurge Bachirou Nana, un Ouagalais. “Pour accrocher, il faut sensibiliser. Les décrets pour dire que c’est bien ne suffiront pas. Il faut que les gens trouvent un intérêt effectif à le faire”, martèle le ministre. Il convient de trouver localement les matériaux les moins chers et les mieux adaptés à la vulgarisation des latrines Ecosan. C’est ainsi que nous économiserons nos 49 milliards de F CFA, estime Laurent Sédogo : “Je leur demande que cet aspect soit pris en compte à savoir une technologie adaptée au niveau réel de nos populations”. Pour autant, Ecosan a permis de faire un bond qualitatif dans l’accès des populations à l’assainissement.

Le défi de la vulgarisation

Les Nations unies ont inscrit dans les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), la réduction de moitié, du nombre de personnes n’ayant pas accès à un assainissement adéquat. Au Burkina Faso, le Programme national d’approvisionnement en eau potable et assainissement est l’instrument de mise en oeuvre de cet objectif. Le projet Ecosan qui prend fin le 25 juin prochain a contribué à l’atteinte de cet objectif avec la réalisation de 927 ouvrages d’assainissement écologique en une année et demie au profit de plus de 6500 habitants couverts. Il a aussi permis de former 107 artisans à la technique de construction de latrines Ecosan donnant ainsi de l’emploi aux jeunes. “Ce projet a permis la création d’emplois et de revenus.

Toute chose qui contribue à la réduction de la pauvreté tout en améliorant le cadre de vie”, s’est réjoui le directeur de la propreté de la mairie de Ouagadougou, Sidi Mahamadou Cissé. Il souligne qu’au départ du projet, des citoyens étaient réticents à adopter l’approche Ecosan. Mais, poursuit M. Cissé, au vu des résultats, ce projet est à soutenir, exprimant ses regrets de la voir finir. “Nous ne pouvons que nous réjouir de tels résultats. Mais, il serait dommage que l’assainissement écologique en milieu urbain se limite à ces quelques ouvrages, étant donné ses multiples avantages”, déclare le directeur général du CREPA. “Le problème, c’est parfois l’entretien. Mais pour entretenir, il faut que l’usager trouve un intérêt”, renchérit le ministre chargé de l’Agriculture précisant que les questions d’assainissement sont “un peu” tabous chez les Burkinabè. “On ne veut pas en parler.

C’est discret”, commente-t-il. C’est pourquoi, il estime que l’ouvrage d’assainissement doit faire le lien entre les aspects sanitaire, écologique et surtout économique : “Cela peut changer la donne”. M. Sédogo observe, de ce fait, que l’approche Ecosan offre un double gain. “Evidemement, on atteint l’aspect écologique, assainissement en résolvant un problème économique puisqu’au plan agricole, les produits de ces toilettes peuvent être recyclés et utilisés pour pouvoir augmenter la productivité. Là, je crois que cela va certainement accrocher”. Toutefois, le ministre Sédogo qui a visité plusieurs installations souligne qu’il y a quelques couacs, notamment économiques à résoudre.

En fait, le défi majeur est de faire en sorte que la technologie soit la moins onéreuse et la plus durable possible. “C’est cela notre souci”, dit-il, arguant qu’à partir “du moment où on va trouver les meilleurs mécanismes pour construire des toilettes Ecosan à des coûts très réduits, d’un usage et un entretien faciles pour les populations, on va pouvoir les disséminer très facilement”. Pour l’heure, les discussions entre le ministère de l’Agriculture et le CREPA portent sur le type de matériaux appropriés à utiliser pour vulgariser le plus large possible l’approche Ecosan en milieu paysan où les gens ont des revenus modestes. Un défi que la communauté scientifique et les politiques se doivent de relever dans une synergie d’action afin que les Burkinabè ne bafouent plus leur dignité en se “mettant à l’aise” dans la nature.

S. Nadoun COULIBALY (cou_nad@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 17 juin 2009 à 21:57, par Mytidbkèta En réponse à : Assainissement écologique : Les excréta humains rendus utiles

    le procédé me parait séduisant au regard des multiples avantages qu’on en tirent, cependant ignorant que je suis , il serait interessant qu’on ait plus d’informations sur ce que deviennent les bactéries et autres microbes qui accompagnent les fecs et urines. Sinon voici quelque chose qui va dans le sens de la lutte contre la pauvreté en donnant un cadre sain à ceux qui choisissent les latrines plutôt que les chenaux d’écoulement des eaux, et un sous produit pour l’agriculture à l’heure où l’accès aux engrais est réservé aux agrobusiness-men dont on sait que certains utilisent les 10% des marchés pour s’octroyer des fermes.Encore bravo et veuillez éclairer ma lanterne.

  • Le 16 novembre 2017 à 20:14, par MPM En réponse à : Assainissement écologique : Les excréta humains rendus utiles

    les feces et les urines sont soumis a un traitement dont le but premier est l’elimination des microorganismes,il n’y a donc pas de danger

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