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Gilbert Bouda : Nagrin, si près si loin de Kosyam

Publié le lundi 18 mai 2009 à 03h37min

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En novembre 2005, ils étaient douze au départ de la course vers la Présidence. Aura cependant la palme d’or de la mémorisation, celui qui saura aujourd’hui les énumérer tous, sans se tromper, à moins d’avoir un souffleur à côté comme jadis au théâtre. Vous donnez votre langue au chat ?

Eh bien, essayons l’exercice : il s’agissait de Blaise Compaoré bien sûr, de Me Bénéwendé Sankara, de Philippe Ouédraogo, d’Ali Lankoandé, d’Emile P. Paré, de Laurent Bado, de Nayabtigundou Congo Kaboré, de Ram Ouédraogo, de Toubé Clément Dakuyo, de Gilbert Bouda, de Norbert Tiendrébéogo et de Soumane Touré. Pari gagné, sauf que nous en avons oublié un : Hermann Yaméogo, le candidat malgré lui. Il y en a dont on n’a pas perdu les traces parce qu’étant encore sous les feux des projecteurs.

A commencer par le premier nommé, puisqu’il est confortablement installé au palais de Kosyam. Il s’apprête d’ailleurs, sauf tremblement de terre, à rempiler en 2010 pour un autre bail de cinq ans. Mais alors, que sont-ils, les autres, devenus ? Nous avons tenté de le savoir pour vous à travers une série de reportages que nous leur consacrons. Première de nos proies, Gilbert Bouda, le plus jeune des 12 prétendants et inventeur de la Fasocratie.

A 42 ans, il est le concepteur de la Fasocratie, une invention de son cru qui se veut le concentré de certaines valeurs comme l’équité, l’égalité, le respect mutuel, etc. A un journaliste qui lui demandait si cette idéologie avait des similitudes avec le sankarisme, il avait répliqué : « Ce sont les gens qui disent que je suis sankariste, mais c’est quand je prendrai le pouvoir qu’on saura mieux que je suis sankariste ». Gilbert Bouda, illustre inconnu à la veille de la présidentielle 2005, a connu son heure de gloire du seul fait de son audace à se porter candidat.

Au soir du scrutin du 13 novembre 2005, il s’en était sorti avec le score de 1,05%. Un résultat anecdotique qui ne le complexe pas le moins du monde. Bien au contraire, il en tire même une grande fierté. Aujourd’hui, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. L’ancien candidat, qui rêvait (les yeux ouverts) d’emménager à Kosyam, a traversé bien des épreuves, mais son moral reste toujours intact. Rencontre avec un politicien iconoclaste qui ne se départit pas de son sourire, encore moins de son optimisme.

A l’évocation de son nom, beaucoup s’exclamaient : « Qui c’est celui-là ? Encore un plaisantin ! ». Jusqu’au 24 septembre de l’année présidentielle 2005, date à laquelle il a été investi dans la ville de Bobo-Dioulasso comme candidat du Parti burkinabè pour la refondation (PBR), Gilbert Bouda était en effet un parfait inconnu du sérail politique national. Il y est tombé donc comme un ovni et sans crier gare. Sa candidature faisait alors sourire plus d’un, mais lui prenait son rôle au sérieux. Très au sérieux même. D’ailleurs, beaucoup se sont surpris à admirer l’audace qu’il avait de convoiter le plus moelleux des fauteuils du Faso. On peut ergoter à longueur de journée sur son envergure à gérer le Faso, mais on peut dire de lui qu’aux âmes bien nées, la valeur, pardon, l’ambition n’attend point le nombre des années. Des douze candidats qui s’étaient, à l’occasion, bousculés pour accéder à l’étroit portillon de Kosyam, Gilbert Bouda était le plus jeune. Il avait… 38 printemps.

En ce mois d’avril 2009, période au cours de laquelle la chaleur le disputait aux crachins, à défaut de la Hummer présidentielle à laquelle il prétendait, il est arrivé à notre rendez-vous juché sur sa moto, droit comme un « i », sourire candide aux lèvres. Direction son domicile à travers les voies sinueuses de ce quartier en chantier qu’est Nagrin, après Ouaga 2000, sur la route de Saponé. Il suffit en fait de traverser quelques pâtés de maisons pour se retrouver à Kosyam, mais Dieu, que c’est si loin… De ruelle en ruelle, de bifurcation en bifurcation, apparaît le modeste portail qui donne accès à l’intérieur du repaire de celui qui est familièrement appelé « le Fasocrate ». Hormis la baraque à trois pièces qui s’y trouve, la cour est nue. C’est là que loge celui qui a eu les honneurs des projeteurs le jour où il a décidé de déposer sa candidature à la magistrature suprême.

Palais trop modeste pour quelqu’un qui aspire à la magistrature suprême ! C’est que le benjamin des candidats à la dernière présidentielle revient de loin. Après l’élection, lui qui rêvait du pouvoir d’Etat a dû longtemps raser les murs et ronger son frein, souffrant en silence. Comme on dit de façon triviale, il a tant tiré le diable par la queue que son Méphisto à lui n’en avait plus à la longue. « Je n’étais pas dans les non-lotis et ne circulais pas exclusivement en VTT comme ont prétendu certains. Néanmoins, je reconnais que ce n’était pas facile. Après l’élection, j’ai fait trois ans sans toucher le moindre salaire…Vous imaginez, trois ans sans salaire au Burkina… ».

Etonnant que pareil sort s’abatte sur un diplômé de l’Institut d’études internationales et de développement de Toulouse en France et Adjoint des cadres hospitaliers de l’Ecole nationale de santé publique. L’explication pourrait se trouver dans le parcours professionnel de l’intéressé que lui-même, avouons-le, semble avoir rendu chaotique. Après l’école primaire à Ziniaré, le collège Joseph-Moukassa à Koudougou et celui du Plateau à Ouagadougou, Gilbert Bouda a suivi une formation en gestion des hôpitaux. Son dernier poste avant la présidentielle, c’était le district sanitaire de Gorom-Gorom, dans le Nord sablonneux. De là, il s’en ira pour une formation en France avec l’aval de son ministère de tutelle (Santé), mais sans celui de la Fonction publique. Revenu de l’Hexagone, il y serait, selon ses explications, encore reparti en 2003 sans respect des formalités administratives s’appliquant à un agent de la Fonction publique.

A son retour, il se retrouvera face aux conséquences de ses turpitudes. Commencera alors pour lui une longue traversée du désert. Cependant, comme l’ivresse de la présidentielle était là, il n’en ressentira les effets qu’après. La parenthèse de la présidentielle refermée avec la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel, c’est longtemps après, soit en 2008, qu’il trouvera une planque dans un bureau d’études, en attendant une hypothétique régularisation de sa situation au niveau de la Fonction publique. Hypothétique, écrivons-nous, car ses dossiers introduits à cet effet sont restés sans suite, en tout cas jusqu’à l’heure où nous le rencontrions.

Curieusement, le Fasocrate évoque ses souffrances sans chercher à susciter de la pitié et sans le moindre trémolo dans la voix. Stoïque à l’image du fakir sur ses clous. C’est à se demander de quel matériau il est fait, celui-là ! Comme pour couper court aux rumeurs qui disaient qu’il était une fabrication du pouvoir juste pour allonger la liste des challengers de Blaise Compaoré, il fera remarquer que son ordinaire n’a, en tout cas, pas changé à l’issue de l’élection. Au contraire, il s’est dégradé, lui qui affirme aujourd’hui, contre tout bon sens, qu’il était si confiant quant à ses chances qu’il avait mis le paquet auprès des électeurs pour susciter leur adhésion. Certes, il a maintenant une petite activité, mais il reste toujours en location dans la même « maison-pistolet » (Ndlr : construction ainsi dénommée pour sa ressemblance avec cette arme). Et, comme pour tout compliquer, il est « célibataire géographique », son épouse, institutrice, étant en province avec leurs trois enfants.

« C’est dommage que je n’aie pas été élu président en 2005 »

Malgré tout, lorsqu’on évoque la présidentielle de 2005, le visage de notre hôte rayonne encore davantage. Les souvenirs sont encore vivaces dans son esprit. Surtout ce fameux jour où il a décidé d’aller braver le candidat Blaise Compaoré dans son fief de Ziniaré. « Là-bas, j’ai eu des problèmes monstres. Je n’ai pu achever mon meeting. Des inconnus sont venus avec des posters géants du président sortant. Pendant que je faisais mon discours, ces affiches, nettement plus imposantes que les miennes, étaient face à moi. Avouez que cette présence était un peu dérangeante. Je me demandais si finalement je battais campagne pour moi ou pour celui qui figurait sur ces affiches ». Sans oublier cet autre incident au même endroit, avec ces militants zélés du parti majoritaire (CDP) qui ont organisé une parade monstre de motos avec son lot de bruit et de poussière pour perturber son jamboree.

En dépit de tout cela, il sera, comme qui dirait, récompensé par cette audace. Beaucoup reconnaîtront en effet le courage du jeune candidat, lui qui est venu « narguer » le chef de l’Etat dans ses pénates. Foi de l’infortuné candidat, des qualificatifs bien flatteurs du genre « ya-rawa » (qui signifie « c’est un garçon courageux » dans la langue du terroir) lui seront plus tard collés. Et, contre toute attente, ces appréciations viendront des habitants de cette province, tant et si bien qu’il sera même invité par les anciens d’un village voisin (Guiloungou) à y organiser un meeting. « Les vieux m’ont fait remarquer que je suis de Ziniaré, au même titre que Blaise Compaoré. Il n’y a donc pas de raison que je n’y sois pas à mes aises. Je n’en reviens toujours pas. Les jeunes sont restés avec moi jusqu’à une heure tardive ».

D’agréables souvenirs de la présidentielle 2005, il n’en manque donc pas chez le Fasocrate. Malheureusement, pour lui, ç’a été comme les lendemains de fête, c’est-à-dire des lendemains qui déchantent. C’est un peu comme la gueule de bois du matin après des agapes nocturnes bien arrosées. A propos de l’histoire du chèque qu’il a déposé au Trésor par exemple, il explique avec un peu d’amertume dans la voix : selon le Code électoral, pour que la candidature soit déclarée valable, il fallait déposer une caution de cinq millions au Trésor public. Pour satisfaire à cette exigence, il aurait émis un chèque qui s’est révélé être plus tard en bois puisqu’après vérification, il n’avait pas de provision suffisante dans son compte.

L’affaire est rendue publique, et le scandale éclate, visiblement à sa grande gêne. Pis, la presse s’en mêle. Quatre ans après cette déconvenue, voici la part de vérité de celui qui voulait faire de Ouagadougou le siège mondial de la police, et de Bobo-Dioulasso celui de la fonction publique : « En réalité, quand j’émettais le chèque, il y avait de la provision dans mon compte. A un certain moment, j’étais obligé de puiser dedans pour faire face à certaines dépenses de campagne. Certes, j’ai été en faute, mais il y a eu aussi de la malveillance quelque part. Sinon, comment comprendre que la presse en ait été alertée ? Le mal étant fait, je me suis demandé pourquoi je me précipiterai pour régler la situation ».

L’administration ayant une bonne mémoire, le contentieux entre le Trésor public et lui demeure. En 2006, les six cent mille FCFA qui devaient lui revenir dans le cadre du financement des partis ont été retenus. Nonobstant les déboires, l’autre « rawa » de Ziniaré ne regrette pas de s’être présenté à la magistrature suprême. Il semble même en tirer toujours une grande fierté. Et si c’était à refaire ? Celui qui a confessé être un assidu du thé, mais qui avait promis d’arrêter la consommation de cette infusion pour se contenter de boire l’eau et des boissons sucrées une fois élu président de la République, est un peu évasif sur ses intentions. Une chose est sûre, il regrette que les Burkinabè ne l’aient pas élu en 2005, lui qui affirme pourtant détenir un programme de société à même de faire du Pays des hommes intègres le centre du monde. Comment ? Ecoutons-le : « Dans notre pays, il y a une bonne centaine de personnes qui peuvent gérer le pouvoir d’Etat, et j’en fais partie. Malheureusement, les gens sont assis et regardent.

Il faut juste avoir le courage, mais beaucoup en manquent. Aujourd’hui, les gens ne sont intéressés que par l’argent. Quand nous étions enfants, nous allions assister aux meetings de Thomas Sankara sans manger ; et nous étions contents. Pour le moment, je ne peux me prononcer sur mon éventuelle candidature à la prochaine présidentielle. Mais je promets un cadeau au peuple burkinabè d’ici janvier 2010 ». De quel cadeau s’agit-il ? Mystère et boule de gomme, en attendant que ce « rawa » malheureux de 2005, comme il a su le faire en son temps, nous sorte de sa besace une autre trouvaille audacieuse.

Issa K. Barry

- Prochainement, rendez-vous avec Toubé Clément Dakuyo

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 18 mai 2009 à 15:11 En réponse à : Gilbert Bouda : Nagrin, si près si loin de Kosyam

    bel article

  • Le 18 mai 2009 à 15:17, par LeDip from Mars En réponse à : Gilbert Bouda : Nagrin, si près si loin de Kosyam

    En faisant abstraction du : " j’en fais partie..." Mr Bouda vous avez complètement raison en disant "Dans notre pays, il y a une bonne centaine de personnes qui peuvent gérer le pouvoir d’Etat..... Malheureusement, les gens sont assis et regardent".
    Les gens regardent parce qu’au fond ils ne peuvent pas s’exprimer. Les seuls qui peuvent s’exprimer et prétendre à la magistrature suprême sont ceux qui comme vous n’ont pas de vrai projet de société par conséquent ne dérangent pas le régime en place ou ceux qui font de la politique à des desseins purement égoïste et personnel dans le seul but de s’enrichir et là le pouvoir les musèle avec des liasses de nos pauvres CFA.(la tentation quand tu nous tiens)
    Quand un quotidien titre que Mr Tiendrebeogo a repris le gouvernail de son navire cela va sans dire que le parti est sa propriété et il peut en faire ce qu’il veut au grand bonheur du pouvoir qui recherche une opposition fragilisée, gangrénée par des adeptes du " c’est mon parti, je l’ai crée et tous les honneurs et dividendes me reviennent" . Les fausses querelles de leadership qui au lieu d’être idéologiques sont pécuniaires ou pour flatter leur égo en manque de notoriété, le positionnement sur la scène en s’auto-proclamant Sankariste par le biais du patronyme,ou ceux qui veulent le beurre et l’argent du beurre ( c’est vrai qu’avec sa trompe l’éléphant croit pouvoir tout atteindre)on n’en veut plus. le comble c’est qu’il y’a des partis qui refusent l’apport des jeunes ;l’auto-satisfaction et la sénilité les entrainant dans leur plus belle mort ( regardez "fort" Mr Lankoandé)
    Pendant la présidentielle passée, bien que n’étant pas pro Bado,lui seul avait un semblant de projet de société, utopique parfois mais pensé cas même. Les autres candidats ne basaient leurs campagnes que sur les dérives du système( triviales et su de tous), sans pour autant proposer des voies et moyens pour sortir de ce enfer quotidien.
    Merci l’obs pour cette série que vous allez nous proposer. bonne initiative.
    Au fait Mr Bouda, en ce qui concerne votre situation actuelle, c’est bien triste et tout le mérite vous revient de le prendre de façon stoïque, sans vouloir jeter l’anathème sur l’administration en place qui a peut mis les bâtons dans vos roues , je dis ceci et ce n’est pas de moi " nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude".
    un profane politique qui a "mal en son pays".

    • Le 19 mai 2009 à 09:50, par De Paul En réponse à : Gilbert Bouda : Nagrin, si près si loin de Kosyam

      Sans être un connaisseur des techniques journalistiques, je me permets de dire que l’article sur Monsieur BOUDA est bien construit. Son auteur peut bien s’en féliciter surtout quand ce sont des profanes qui pensent ainsi. Bravo à vous cher journaliste.
      Quant à monsieur BOUDA, courage et persévérence dans vos rêves.

      Un lecteur

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