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Ibrahim Baba Cissé, promoteur du Salon de l’emploi "FORTANDEM" : "L’immigration choisie est une onction à la fuite des cerveaux"

Publié le mercredi 4 mars 2009 à 04h19min

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La troisième édition du Salon d’information et de formation sur les métiers et l’emploi dénommé "FORTANDEM" se tient, du 5 au 7 mars 2009 à Ouagadougou, sous le haut patronage du Premier ministre, Tertius Zongo. Le thème porte sur les secteurs des mines, de l’environnement et de l’énergie. L’initiateur de ce grand rendez-vous entre écoles de formation, chercheurs d’emploi et entreprises, Ibrahim Baba Cissé directeur général de "International Busness Consulting" (IBC-Burkina), un cabinet spécialisé en ressources humaines se prononce sur la valorisation du capital humain et les secteurs porteurs actuels en matière d’embauche au Burkina Faso. Il plaide pour une promotion réelle des métiers intermédiaires dans les pays africains. En partageant avec eux sa riche expérience dans les ressources humaines acquise en France en tant que consultant en recrutement et en formation dans des cabinets internationaux comme "Groupe Caisse de Depôt", "Groupe LVMH", "BPI Leroy Consultant", "Accenture France", "AfricSearch"...

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce qui vous a motivé à organiser un salon de l’emploi au Burkina Faso ?

Ibrahim Baba Cissé (I.B.C.) : L’idée d’organiser un Salon de l’emploi en 2005 est partie d’un constat amer. En tant que recruteur je me suis rendu compte que de jeunes étudiants ne savaient pas rédiger de curriculum vitae (CV), de lettre de motivation. Lorsque je les recevais en entretien, c’était laborieux. Ils ignoraient le minimum sur la recherche d’emploi. Cela m’a motivé à créer un cadre de rencontre pour mettre en relation les jeunes chercheurs d’emploi avec les entreprises employeuses.

S. : Quel bilan peut-on dresser des deux éditions précédentes ?

I.B.C. : Les deux précédentes éditions ont pu pourvoir cent soixante dix (170) postes d’emplois. Mais le constat reste amer. Parce qu’il y avait deux cent cinquante (250) postes en réalité. Des entreprises n’ont pas pu obtenir les compétences qu’elles souhaitaient. Cette année, il y a un double challenge. Celui d’amener les entreprises à recruter et d’inciter les jeunes cadres diplômés à venir au salon pour que les entreprises puissent trouver les compétences recherchées. Cette année, l’accent est plus mis sur les chercheurs d’emplois.

S. : Au vu des résultats précédents quels sont les profils les plus demandés par les employeurs ?

I.B.C. : Les profils demandés varient à chaque édition. Par exemple, à la première édition, les profils recherchés étaient la mécanique, l’électronique...etc. Cela était peut-être dû au thème orienté sur l’industrie. L’année dernière, ce sont les telecoms qui ont ravi la vedette. A l’époque, Celtel et Telmob à seules ont recruté environ 70% des postes. L’ONATEL venait d’être privatisé et voulait renforcer son équipe par de nouveaux cadres. Cette année, la tendance est beaucoup plus diversifiée.
Elle est plus axée vers le domaine des finances. Il y a énormément de demande de Directeurs administratifs et financiers (DAF), de contrôleurs internes de gestion, des comptables...

S. : Le thème de la présente édition axé sur l’énergie, l’environnement et les mines pourra-t-il inverser cette donne ?

I.B.C. : L’on parle beaucoup ces temps-ci d’environnement, d’énergie et des mines. Le souci de ce salon est d’établir la relation entre l’émergence de ces secteurs et les possibilités d’emplois qu’ils offrent. Les différentes conférences pourront situer le public sur les différents métiers des mines, de l’énergie et de l’environnement. Des compagnies minières seront là pour recruter des jeunes diplômés et des cadres durant ces trois jours. Après FORTANDEM 2009, il y aura une évaluation du Salon pour avoir une idée de l’impact du thème sur les profils demandés.

S. : Après des années d’exercice au Burkina Faso dans le domaine de la formation et des ressources humaines, quel commentaire en faites-vous ?

I.B.C. : A mon retour au pays en 2003, j’ai remarqué que le monde de la formation et du recrutement semblait obscur et fermé. Tout simplement parce qu’il y avait une certaine méfiance entre les entreprises et les cabinets de recrutement d’une part. Mais aussi entre des chercheurs d’emplois, des cabinets et des entreprises d’autre part.
Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. L’on assiste à la naissance de plus en plus de cabinets sérieux qui font correctement leur travail. L’opinion est en train de se renverser dans l’appréhension du recrutement. Ce ne sont plus seulement les multinationales qui sollicitent les cabinets pour leur personnel. Des entreprises nationales et même celles du secteur informel sont intéressées. Malgré les licenciements et la crainte du futur et de l’avenir, l’organisation de ce forum est une audace. Car, c’est en période de crise et de difficultés financières que les entreprises cherchent à recruter les meilleurs. Or seuls des cabinets aguerris peuvent les aider à identifier de bons profils afin de faire face aux difficultés actuelles.

S. : Peut-on aujourd’hui dire qu’avec la floraison des écoles supérieures, un cadre formé au Burkina Faso a les mêmes compétences que celui venu de l’étranger notamment de l’Occident ?

I.B.C. : Un des volets de FORTANDEM c’est la rencontre avec des grandes écoles, les "Business School", qui viendront présenter leurs programmes de formation. Entre autres, il y aura le CESAG de Dakar, la Grande école de management du Maroc, 2iE de Ouagadougou... Ce sont des écoles de pointe d’où sortent des valeurs sûres en Afrique. Concernant le Burkina Faso depuis les années 2000, il y a une émergence des écoles de management. Malheureusement, il y en a honnêtement qui ne respectent pas certaines règles de la formation. Des écoles acceptent recruter des étudiants qui n’ont pas le baccalauréat pour leur donner une formation de second cycle universitaire.

Cela est une réalité choquante. C’est une triste vérité. Quand un recruteur averti constate sur des CV le nom de ces écoles, il les écarte parce qu’en amont, l’admission de ces étudiants ne se fait pas de manière catholique. A cela, s’ajoute le problème des formateurs. Quand une école recrute un jeune diplômé d’à peine deux ans d’expérience professionnelle pour enseigner, cela ne donne pas un crédit à la formation. En dépit de tous ces griefs, il y a néanmoins des écoles burkinabè qui s’illustrent dans la qualité et essaient de dispenser une formation de qualité. Elles sont un bon levier de compétences. Ces écoles ont le mérite d’investir sérieusement dans la recherche des enseignants pétris d’expérience et dans le développement des compétences. Certaines commencent même à avoir une renommée internationale.

S. : Les écoles qui ont des partenariats avec des établissements étrangers sont-elles exemptes de tout reproche ?

I.B.C. : Ces partenariats Nord-Sud ou Sud-Sud s’inscrivent dans la mondialisation. Si les échanges sont sérieux, on peut qualifier ces écoles de probes. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Des fois, les partenariats sont de façade. Le fait qu’une école soit affiliée à une université de France ou de Canada n’est pas forcément un gage de qualité. Dans certains cas, les étudiants passent toute l’année académique sans qu’une mission d’enseignants de ces écoles partenaires extérieures ne s’effectue dans leur établissement.

S. : Ayant exercé pendant une vingtaine d’années comme cadre dans les ressources humaines au sein de grands cabinets en recrutement et en formation en France, quelle est votre opinion sur le concept de l’immigration choisie ?

I.B.C. : L’immigration choisie est une onction à la fuite des cerveaux. Après deux décennies de vie en Europe et me fondant sur ma propre expérience, j’essaie de susciter le retour de nos frères installés à l’extérieur du continent. L’appui du Centre d’enseignement à distance de Ouagadougou (CEDO) dans ce sens est considérable car il permet aux entreprises en quête de compétences de Burkinabè vivant à l’étranger, d’avoir de entretiens par visioconférence. C’est une conviction. Des Burkinabè de la diaspora nantis de formation de pointe de grandes écoles en Europe, aux Etats-Unis ou ayant acquis de l’expérience dans de grandes sociétés sont aujourd’hui prêts à rentrer au pays pour apporter leur contribution au développement. C’est donc paradoxal d’encourager le peu existant de s’exiler.

Le continent sera dénué de ses potentialités humaines. L’écart se creusera davantage entre le Nord et le Sud. Ce sont les ressources humaines qui font le développement. Il revient aux Etats africains et aux entreprises de créer les conditions favorables au retour de leurs matières grises. Il y a l’exemple de ce diplômé d’origine burkinabè sorti de Prince Town dans l’Université d’où est issue l’épouse de Barack Obama qui a pris contact avec mon cabinet dans une perspective de rentrer au pays. Le problème est de lui chercher et trouver une bonne entreprise dans laquelle il peut s’épanouir.

Car, il ne s’agit pas de le placer dans n’importe quelle entreprise qui n’a pas une conception moderne de l’évolution des ressources humaines. C’est un aspect qui peut le décourager et au bout de six mois, il va chercher à repartir aux Etats-Unis ou ailleurs. Notre souci en tant qu’Africain est d’aider au retour des cerveaux du continent. Ceux qui ont un autre discours sont libres de le tenir. L’Afrique a besoin de ses fils compétents pour la construction de son avenir.

S. : Qu’est-ce que les pays africains devraient alors entreprendre pour valoriser leurs ressources humaines pour le développement et encourager le retour de ces cerveaux dispersés ?

I.B.C. : Ce n’est pas une façon de jeter des fleurs au Premier ministre, Tertius Zongo. Mais il y a un agréable constat : il est sur tous les fronts. Il a choisi d’encourager les initiatives privées. Les défis d’aujourd’hui consistent à se relever de la crise financière mondiale. Les ressources de l’Afrique sont liées à l’économie mondiale. Si elles ne sont pas protégées par des personnes averties, ce sera la catastrophe. Il y a le cas de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) du Cameroun qui perd des milliards FCFA à cause d’un investissement mal conduit. L’Afrique n’est pas à l’abri de la crise actuelle. Nos dirigeants doivent développer et inciter les jeunes à prendre des initiatives.

Il faut les amener à aller vers des secteurs où il y a un manque criant de main d’œuvre. Le Burkina Faso n’a pas aujourd’hui besoin de certaines élites dont l’on fait la promotion.
La question aujourd’hui n’est pas de former mille juristes ou philosophes par an. Il faut aller vers des métiers intermédiaires comme les techniciens du bâtiment, les ingénieurs... Le Burkina Faso est en plein chantier où les constructions poussent. L’immobilier connaît un boom. Mais une question reste posée : avons-nous des techniciens supérieurs suffisants en bâtiment ou en électricité pour accompagner cet essor ?

Il en est de même interrogation pour les mines. C’est face à ces questions que le ministère de la Jeunesse et de l’Emploi a organisé en 2007 avec le cabinet IBC, le premier salon national sur la promotion de ces métiers intermédiaires. Les jeunes y vont par dépit. Ce qui est aberrant pour un pays qui veut émerger. La coiffure par exemple est un métier à vocation qui favorise l’auto emploi. Une chose est de développer l’élitisme, de créer de grandes écoles de management. Une autre est d’encourager ces métiers intermédiaires qui représentent aujourd’hui le salut de l’Afrique. Il faut des soutiens réels aux initiatives privées dans nos Etats.

S. : Que va apporter FORTANDEM 2009 comme innovation par rapport aux éditions passées ?

I.B.C. : Il ne s’agit pas d’une rupture avec les autres éditions, mais d’une amélioration. On n’invente jamais la roue. La principale innovation est l’incitation au retour de la diaspora. Aussi, il y a aussi une volonté de créer une synergie dans ce sens avec les différents pays voisins. "International Business Consulting" (IBC) n’est plus un cabinet national. Il ne travaille pas tout seul. IBC Burkina est membre d’un réseau implanté dans huit pays. FORTANDEM 2009 aura donc une envergure sous régionale pour permettre à chaque membre du réseau dans les différents pays, d’être le relais des actions initiées au Burkina Faso.

Car FORTANDEM est un salon de recrutement où des entreprises prennent des stands. En amont, le choix des CV se fera en fonction des besoins émis par les entreprises. Les trois jours seront donc consacrés aux entretiens d’embauche. Ce sera un forum d’information à haut potentiel. Pour donner un bon contenu à ce rendez-vous, un certain nombre de thèmes de discussions, de tables rondes et de conférences seront animés par des personnalités de renommée internationale comme Arba Diallo, expert de l’environnement, Zéphirin Diabré, président Afrique de AREVA, Paul Ginies directeur général de 2iE, Pr Abdelatif Fekkak, président de la Grande école de Management du Maroc et bien d’autres.

La physionomie des entreprises annoncées à ce salon est disparate. Le thème porte certes sur les mines, l’énergie, l’environnement. Mais des compagnies minières, bancaires, des compagnies téléphoniques seront là. Des sociétés qui recherchent pour la plupart, des compétences techniques. Elles veulent des cadres moyens et supérieurs pour des métiers intermédiaires.

S. : Qu’attendez-vous à ce salon des entreprises, des demandeurs d’emplois et des décideurs de ce pays ?

I.B.C. : FORTANDEM est une rencontre de talents, un cadre d’échanges de haut niveau. Il s’agit donc à moyen ou à long terme de faire en sorte que ce forum ne soit pas perçu comme une tribune inaccessible. Même si une entreprise n’a pu se louer un stand au salon, il n’en demeure pas moins qu’elle peut profiter du maximum de jeunes qui y viennent pour ces recrutements. Ceux-ci doivent repartir avec des informations utiles sur l’emploi. Les entreprises peuvent donc apporter leurs offres d’emploi et celles-ci seront projetées pendant trois jours sur écran géant. Aux jeunes donc de venir avec leurs CV pour créer l’embarras du choix des compétences recherchées par les entreprises. Les thèmes des conférences sont sensibles.

Il faudrait donc participer pour avoir l’avis des experts et leur poser les questions nécessaires. Leurs réponses seront des sources d’orientation parce que ce sont des personnalités qui ont occupé de hautes fonctions et savent de quoi ils parlent. Si on veut obtenir des décideurs, la création d’une filière "Mines" à l’université, il faut que les jeunes expriment leur intérêt pour ce secteur. FORTANDEM se veut un tremplin pour répondre aux différentes préoccupations sur la formation et l’emploi.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr) et Jonathan YAMEOGO (jonathan.yameogo@gmail.com)

Sidwaya

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