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Théâtre : La paranoïa et vantardise du« bourgeois gentilhomme »

Publié le jeudi 29 janvier 2009 à 01h59min

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La compagnie Marbayassa a réussi son pari : celui de réadapter la célèbre pièce de Molière « Le bourgeois gentilhomme » au contexte burkinabè et de la jouer en Mooré et en Français devant des amoureux des planches qui tantôt riaient à se tordre le cou, qui tantôt s’indignaient face aux frasques des comédiens. C’était le 09 janvier 2009 au Centre Culturel Français de Ouagadougou. Le spectacle a été joué en plein air.

Ce choix a permis d’établir une plus grande proximité entre les comédiens et le public. Il a surtout permis d’envisager une meilleure réceptivité du message.

La mise en scène et la chorégraphie de cette pièce revisitée sont respectivement l’œuvre d’Hubert Kagambéga et de Lévy Koama. Les comédiens ont également eu le génie nécessaire pour incarner les différents personnages, surtout celui de M. Jourdain, personnage principal. Ce dernier est rongé par sa propension vaniteuse à accéder à une classe sociale qui n’est pas la sienne. "gros bouffon", "dindon superbe", il confond l’être et le paraître, l’essence et les apparences. Il pense inconsciemment que l’habit fait le moine. L’un des effets comiques les plus constants réside dans ce perpétuel décalage entre ce que M. Jourdain veut paraître et ce qu’il est. Ses propos vont à l’unisson : ils révèlent son ignorance, son étroitesse d’esprit. Son langage est riche en impropriétés, en approximations, quand il n’apparaît pas ampoulé et pâteux.

Au nom de ses prétentions, M. Jourdain se conduit en être sottement vaniteux. Il quémande l’admiration tant il est vrai qu’il n’existe que par le regard d’autrui, il se pavane auprès de gens qui ne sont pas forcément qualifiés pour porter un jugement de goût. On le voit indécis, embarrassé par un mode de vie inhabituel. Il révèle sa couardise en apprenant l’escrime (sport de combat avec l’épée). Il étale son entêtement car il a une haute opinion de sa personne. Enfin, autoritaire, M. Jourdain a tendance à écraser les faibles et à poursuivre de ses colères ceux qui se moquent de lui, ceux qui n’admettent pas son point de vue. Au nom de sa folie, il décide que sa fille épouserait un gentilhomme et l’opposition des siens fait monter les enchères. Sa vanité, son irascibilité, son jugement déformé par ses lubies se conjuguent ici pour le confiner dans l’erreur.

Ainsi naïveté, vanité, égoïsme, autoritarisme sont-ils les maîtres mots de ce portrait. « Le bourgeois gentilhomme » ou « Naaba » en Mooré, qui a été joué pour la première fois en 1670 à Paris, est toujours d’une très forte actualité car la folie des grandeurs amène bien de personnes à perdre le Nord. Tout en faisant recours à l’humour, la Compagnie Marbayassa a quand même pu mettre le doigt sur une plaie de la société. Elle est arrivée à faire comprendre au public que M. Jourdain était en réalité prisonnier d’une lubie. Cette folie le conduit à se construire un univers fermé qui n’a plus beaucoup de rapport avec le monde réel. En effet les événements extérieurs ne sont acceptés que s’ils viennent conforter sa vanité, s’ils lui présentent une image flatteuse de lui-même.

À l’inverse toute personne qui tendrait à lui rappeler sa situation réelle déclenche chez lui des colères farouches. M. Jourdain choisit petit à petit un univers autistique où il se complaît dans la sotte admiration de lui-même. Cette contemplation narcissique lui ôte tout esprit critique et l’on comprend qu’il devienne le jouet d’autrui, tout particulièrement des gens les moins scrupuleux. Mais il y a aussi une peinture sociale de la folie de M. Jourdain ou tout du moins une peinture des conséquences sociales de sa passion. Il veut imposer son univers à autrui. Ses conceptions, sa volonté dévoyée le conduisent à dilapider sa fortune, à tyranniser les siens, à mettre en danger son ménage, à travailler au malheur de sa fille.

Le travers n’abîme pas seulement l’individu, mais aussi l’ordre social. Pour Hubert Kagambéga, l’objectif premier de cette pièce était de rendre le théâtre accessible à toutes les couches tout en favorisant la forte interactivité. « Le bourgeois gentilhomme » a été conjointement adapté par la Compagnie Marbayassa du Burkina Faso, l’Etoffe des rêves de la France et Louxor du Togo. Le théâtre étant universel et son message intemporel, il faut saluer cet effort qui participe incontestablement à un plus grand dialogue des civilisations.

Arsène Flavien BATIONO (bationoflavien@yahoo.fr)

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