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Zéphirin Diabré : « Il faut préparer l’alternance »

Publié le lundi 5 janvier 2009 à 09h36min

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Zéphirin Diabré

Ne voilà-t-il pas qu’enfin, il sort du bois, diront de Zéphirin Diabré ceux qui sauront lire entre les lignes cet entretien de fin d’année qu’il nous a accordé ? Celui-là qui, de 1998 à nos jours, à l’issue de sa carrière gouvernementale, a laissé des empreintes indélébiles au PNUD avant de s’inscrire dans le privé international à travers le groupe français AREVA, n’aura, en effet, pas résisté à la tentation de s’inviter dans la scène politique nationale.

« J’avais besoin de m’asseoir ; de regarder et d’écouter avant de remettre ma bouche dans les bagarres locales », avoue-t-il. Comme s’il s’était mis en réserve pour la République. Et l’ancien jeune ministre du Commerce, de l’Economie et des Finances de Blaise Compaoré d’établir son diagnostic sur ce que nous appellerions, l’état de la Nation. Sa médication fera, en tout cas, des gorges chaudes : « Il faut davantage des forces républicaines qui se positionnent dans la perspective de l’alternance.

Avec quelques camarades qui partagent cette opinion, nous allons organiser bientôt un forum de citoyens pour discuter de cette question, et de bien d’autres choses qui touchent à la situation politique du pays ; partager une vision commune ; et voir de quelle manière nous pourrons apporter notre modeste contribution à la lutte du peuple burkinabè pour la conquête de la démocratie ». Mais que pense-t-il de la crise financière internationale, de la corruption, de plus en plus décriée au « Pays des hommes intègres », de la classe politique burkinabè et de l’introuvable alternance ?

C’est, entre autres, à ces questions que Zéphirin Diabré répond sans détour, rompant ainsi le devoir de réserve qu’il semblait s’imposer et le secret qu’il entretenait depuis de si longues années, aussi bien sur ses convictions que sur ses ambitions politiques. Lisons plutôt !

Conjoncture économique oblige, nous allons parler de cette crise financière qui frappe le monde depuis quelque temps. Vous qui connaissez si bien ses arcanes, que se passe-t-il exactement ?

• Essayons de simplifier au maximum. Une crise économique, c’est comme une maladie qui frappe le corps humain. Il n’y a jamais une seule cause. Il y a toujours plusieurs causes qui se mettent ensemble pour provoquer le mal. Dans le cas qui nous intéresse, les économistes disent que la maladie actuelle de l’économie mondiale, c’est comme si un caillou obstruait votre artère, empêchant le sang de circuler.

Ce caillou a été repéré au mois de juin/juillet 2007. Ce sont les nombreux prêts que les banques américaines ont faits à leurs clients pour leur permettre d’acheter des maisons. Depuis le temps du président Clinton, le gouvernement américain a rendu le crédit trop facile, pour permettre aux gens d’acheter des maisons, de s’équiper ou de consommer. Or, là -bas comme ici, lorsque vous allez à la banque pour prendre un crédit, en fait, la banque elle-même va chercher l’argent quelque part pour vous consentir ce prêt. Elle peut s’endetter auprès d’une autre banque.

C’est ce qu’on appelle un prêt interbancaire. Ou bien elle va en bourse pour garantir les prêts qu’elle a déjà accordés ; elle réunit des fonds et recommence à prêter. Au niveau de la bourse, il y a plusieurs techniques compliquées pour ce genre d’opérations. Elles sont inventées par les gestionnaires des fonds d’investissements. Ce sont des gens très compétents dans le domaine de la finance et qui prennent l’argent des autres pour le faire travailler et générer de gros bénéfices. Par exemple, ils vous disent que si vous leur confiez 1 million de FCFA, ils savent comment l’investir pour qu’au bout d’un an, il en résulte un bénéfice de 1, 2, 3 millions de francs, ou même plus. Ce sont, en quelque sorte, des « djinamori » modernes. Souvent, ils prêtent cet argent aux banques.

Comme le crédit est devenu facile, les Américains se sont mis à s’endetter « au hasard ». Et forcément, beaucoup ont du mal à rembourser. Le problème, c’est qu’à un moment donné, comme il y a eu beaucoup de constructions aux Etats-Unis, la valeur des maisons a baissé. Donc lorsque les gens n’arrivaient plus à payer leurs crédits, même en saisissant les maisons, les banques ne pouvaient plus récupérer leur argent. Du coup, ceux qui prêtaient aux banques se sont eux aussi trouvés en difficulté, et ont commencé à fermer le robinet. Ceux qui ont accepté de prendre ces prêts comme garanties au niveau des fonds d’investissements se rendent compte qu’ils ont investi dans le vide. Eux aussi sont en difficulté. C’est ça, le début de la crise. Comme les banques n’arrivent plus à emprunter, elles ne peuvent plus prêter. Du coup, les petites entreprises et les simples particuliers qui veulent des avances à la banque n’arrivent plus à les obtenir. Donc eux aussi ne peuvent plus investir. Tout le problème est venu de là.

On entend parler de milliards de dollars que le gouvernement américain va donner aux banques. D’où vient cet argent et comment cela marche ?

• Le gouvernement américain cherche à enlever le caillou dont j’ai parlé plus haut. Il fait à peu près ce que le Burkina a fait il y a quelques années en créant le Bureau de recouvrement des créances du Burkina (BRCB). Vous vous souvenez qu’en son temps, nos banques aussi avaient beaucoup prêté à des commerçants qui ne pouvaient plus rembourser. Et les banques étaient menacées de faillite. L’Etat a remboursé les banques, pour leur permettre de continuer à prêter. Il a enlevé le caillou du corps des banques, et s’est retourné vers les commerçants pour se faire rembourser à son tour. Le BRCB a été créé à cette fin. On a saisi les biens des commerçants, et on les vendait s’ils ne venaient pas rembourser. Quant à l’origine de l’argent, c’est simple : le gouvernement américain va s’endetter. Il fera des emprunts d’Etat.

Pour nous autres, Africains, quelles peuvent être les conséquences de cette crise ?

• D’abord, ces pays riches nous aident de temps en temps pour notre développement. S’ils ont des problèmes financiers, ils vont diminuer l’argent qu’ils nous donnent. Deuxièmement, ces pays riches achètent certains de nos produits : le coton, le sésame, l’or, le cuivre, le bois, etc. Avec la crise, ils vont en acheter moins. Certains de nos parents qui vivent dans ces pays vont perdre leur emploi et ne pourront plus nous envoyer des « Western Union ». Troisièmement, il y a des entreprises dans ces pays riches qui veulent venir ouvrir des bureaux en Afrique. Si la crise les touche, elles vont annuler leurs projets. Venons-en maintenant aux questions nationales. Lors d’une rencontre récente avec le gouvernement, les partenaires techniques et financiers ont semblé dire que la pauvreté ne recule pas.

Pourtant, Ouagadougou s’étend en superficie et s’illumine de mille feux. En tant qu’économiste, partagez-vous leur point de vue ?

• Ils n’ont pas tout à fait tort. Notre pays a fait des progrès réels dans beaucoup de domaines, mais les problèmes restent énormes. Le Burkina a beaucoup changé ces dernières décennies, mais de nombreux Burkinabé, surtout dans les campagnes, luttent encore difficilement pour manger correctement et régulièrement ; se loger décemment ; boire une eau potable ; se soigner quand ils sont malades ; envoyer leurs enfants à l’école ; trouver un emploi, etc. Même ceux qui ont un emploi et un salaire et qu’on ne peut pas considérer officiellement comme « pauvres », ont des difficultés à joindre les deux bouts.

Il y a même à Ouagadougou des familles de travailleurs qui ne peuvent pas aligner trois repas complets par jour. Parce que le salaire, notamment celui de la fonction publique, suffit difficilement à faire face aux charges de la vie courante. Et que dire tous ces jeunes diplômés qui ont du mal à trouver du travail, et qui sont obligés de rester, des années, à la charge de leurs parents, lesquels sont souvent à la retraite avec les plus jeunes enfants encore à l’école ? Sans compter que les inégalités sociales sont en train de s’accroître. Notre croissance ne profite pas à tout le monde. Et puis il y a les autres qui regardent. Le défi est encore très grand pour notre pays et la lutte contre la pauvreté, c’est, comme dirait l’autre, la mère de nos batailles ! Les bailleurs de fonds sont nos alliés dans cette bataille. Comme tout bon allié, ils sont impatients de voir les résultats et manifestent parfois cette impatience sans prendre des gants.

Lors de ladite rencontre, les mêmes partenaires ont reposé le problème de la corruption. Vous même aviez soulevé la question dans nos colonnes il y a un an.

D’après vous, les choses ont-elles changé ?

• Je crois que ce qui est bien, c’est qu’aujourd’hui, la société civile, les partis politiques, le gouvernement, les parlementaires, les partenaires au développement, etc., tout ce beau monde semble d’accord pour dire publiquement que nous avons un sérieux problème. La corruption n’est plus un sujet tabou. Si tous les discours qu’on entend à longueur de journée sont vraiment sincères, on devrait pouvoir produire très rapidement des résultats concrets.

Beaucoup mettent en cause notre administration et disent qu’elle a laissé se développer des pratiques qui ne sont pas faciles à éradiquer. Quelle est votre opinion ?

• Je crois que l’écrasante majorité de nos fonctionnaires, des agents subalternes ou des cadres nommés à la tête de structures étatiques sont dévoués, honnêtes et font un travail remarquable, avec d’ailleurs des salaires qui n’ont rien d’extraordinaire. Mais pendant que tout ce monde travaille dur pour que le pays avance, il y a malheureusement une bande de brebis galeuses qui, elles, ne font que courir derrière les marchés, les commissions occultes, les surfacturations ou qui rançonnent carrément les opérateurs économiques ! Ce sont de véritables délinquants à col blanc qui abusent de la confiance que les hautes autorités du pays ont placée en eux, puisque certains d’entre eux sont nommés en conseil de ministres ! Et c’est leur comportement qui sème l’affairisme dans l’Administration et décourage les autres cadres. Pour eux, l’Etat est un instrument de business et d’enrichissement personnel. Et ce n’est pas acceptable. Celui qui veut faire du business, c’est simple : il rend son tablier ; s’inscrit au registre de commerce ; devient opérateur économique et se bat comme tous les autres.

Les mesures énergiques qui sont prises par le gouvernement vont-elles dans le bon sens ? Sinon que peut-on faire ?

• De toutes façons, nous devons avoir une union sacrée et aider nos autorités à gagner la bataille, parce qu’après tout, l’argent qui est ainsi détourné appartient à nous tous. Nous souhaitons seulement qu’elles prêtent une oreille plus attentive aux différentes suggestions et propositions faites ici et là.

Dans quel domaine par exemple ?

• D’abord, il faut qu’on laisse les enquêtes aller jusqu’au bout, c’est-à-dire en justice. Ces enquêtes révèlent parfois certaines gabegies ou des soupçons de corruption. Donc on s’attend à ce qu’il y ait une suite, ne serait-ce que l’ouverture d’une information judiciaire. Or on a l’impression que les choses s’arrêtent quelque part. Deuxièmement, il ne faut pas qu’il y ait deux poids deux mesures. Quand un professeur de collège triche sur les sujets d’examen, tout de suite l’affaire monte jusqu’au conseil des ministres, et des sanctions tombent. Et c’est très bien ainsi. Mais, dans le même temps, comme nous sommes un pays de savane, où tout se sait, les gens sont au courant d’autres affaires, dans lesquelles apparaissent les noms de gens haut placés, ou qui ont des relations influentes. Là, on ne voit rien venir. Or si les gros poissons continuent de passer à travers les mailles du filet, ce régime aura du mal à convaincre qui que ce soit de son sérieux dans cette lutte contre la corruption.

Le ministre de la Justice a récemment demandé aux citoyens de dénoncer les magistrats corrompus. Vous pensez que cela aura un effet ?

• C’est une très bonne initiative, et cela montre de sa part une détermination que nous devons encourager. Je me dis que si les gens sont sûrs d’être protégés par l’Etat, ils ne vont pas hésiter à dénoncer. A côté de la dénonciation, il y a d’autres méthodes qui peuvent être tout aussi efficaces. Par exemple, l’expérience à travers le monde montre que la meilleure manière de lutter contre la corruption, c’est de demander aux présumés corrompus de fournir la preuve de l’origine des revenus qui ont permis d’acquérir certains biens, ou qui permettent de mener un certain train de vie. Du coup, on inverse la charge de la preuve. Or, pour cela, il faut inventer de nouvelles lois, qui donnent le pouvoir à l’Etat et à ses structures de pouvoir poser ces questions aux citoyens exerçant une responsabilité liée à la gestion de fonds publics. Celui qui ne veut pas être soumis à ce genre de contrôle, eh bien, qu’il ne prenne pas de responsabilité publique ! Certains pensent même qu’on pourrait étendre la procédure à tous les citoyens. Il faut voir ce qui est faisable sur le plan du droit. Et c’est là ou l’action de nos parlementaires peut être utile.

Vous qui voyagez beaucoup, est-ce que vous pensez que la corruption peut disparaître en Afrique ?

• Depuis quelque temps, on sent bien que les choses évoluent dans certains pays africains. Le fait nouveau, c’est que certains chefs d’Etat n’hésitent plus à sacrifier leurs collaborateurs qui trempent dans des affaires pas claires. Regardez ce qui s’est passé récemment au Cameroun ! Et surtout, là bas, des « môgô » hyper puissants, membres indécrottables du secrétariat exécutif du parti au pouvoir, caciques notoires du système , présentés comme des fidèles parmi les fidèles, dorment aujourd’hui à la Maison d’arrêt et de correction de Yaoundé pour avoir détourné des fonds des projets de leurs ministères. Même la société civile n’a plus peur d’affronter les dirigeants sur la question. Au Gabon, des ONG ont récemment porté plainte contre un procureur pour enrichissement illicite, parce qu’elles ont découvert qu’il avait une très forte somme sur son compte bancaire. Tout ça, c’est très encourageant !

Parlons maintenant politique. Cela fait trois ans que vous vivez un pied à Ouaga et un pied à Paris. Vous semblez avoir opté pour une position d’« observateur » de la scène politique nationale. Mais, à travers quelques interviews récents, on a eu l’impression que vous vous intéressez de nouveau au débat politique.

• D’abord, comme tout patriote, je suis à l’écoute de ce qui se passe dans mon pays. S’il fait bon vivre dans mon pays, c’est bon pour moi, ma famille, mes amis, etc. S’il y a problème, c’est mauvais pour nous tous. Deuxièmement, même si je fais tout pour ne pas vivre de la politique, je ne suis pas non plus un novice en la matière. Comme beaucoup de gens de ma génération, je m’y suis déjà engagé à un moment donné. J’ai été élu député à deux reprises, en 1992 et en 1997.

Et j’ai exercé des fonctions au sein du gouvernement de notre pays, à la fois comme ministre et comme président d’institution. Maintenant, il est vrai que lorsque j’ai mis un terme à ma carrière onusienne pour aller dans le privé, et me rapprocher de ma famille, certains de mes amis au Zoundwéogo et ailleurs ont souhaité que je reprenne le fil de mon engagement politique. Vous en avez, vous-même suivi et relaté les épisodes. J’ai seulement estimé qu’après avoir passé des années à l’étranger, et alors que j’entamais de plus une nouvelle carrière, j’avais quand même besoin de m’asseoir un peu, de regarder et d’écouter avant de voir si je dois remettre ma bouche dans les bagarres locales. Avouez que vous aurez fait comme moi si vous étiez à ma place !

Donc maintenant, comment jugez-vous la situation politique actuelle du pays ?

• Elle est intéressante ! Sur le plan des institutions, on peut dire que notre retour à la démocratie se poursuit plus ou moins bien depuis 17 ans. Il reste bien sûr des progrès énormes à accomplir sur tous les plans, mais on peut dire que notre pays a fait d’énormes progrès depuis la période où les kalachnikovs nous réveillaient sans qu’on sache trop qui a pris le pouvoir et qui l’a perdu. Même s’il y a des frustrations et des insuffisances ici et là, je crois que nous devons continuer à œuvrer tous à approfondir notre démocratie. Maintenant, c’est dans la pratique du jeu politique, qu’on note un certain nombre de bizarreries.

Lesquelles ?

• La majorité présidentielle se porte très bien et augmente de taille à chaque scrutin, aidée en cela par les ralliements successifs. C’est comme le miel qui attire les mouches. Dans le même temps, on voit bien que l’opposition a de sérieuses difficultés à jouer son rôle de contre-pouvoir : manque de moyens, manque d’unité, manque de programme crédible, etc. Une autre chose qui me pose problème, c’est que je ne vois pas beaucoup de débats autour des programmes de développement.

Or, en fait, on a inventé la démocratie parce qu’on se dit que, en discutant, en débattant, en confrontant les idées, les acteurs finiront par trouver des réponses aux problèmes de la vie quotidienne des populations. Et un parti politique, c’est d’abord un instrument pour imaginer le développement. Si une démocratie ne discute pas des questions de développement, on se demande un peu quels problèmes elle cherche à résoudre. Et puis, il y a toutes ces histoires de corruption dans le système politique, sur fond de zigzags de certains responsables politiques, avec des positions changeantes, contradictoires et opportunistes, motivées par la recherche des postes.

Cela a contribué à donner une mauvaise image de la politique et le citoyen finit par se convaincre que les dirigeants politiques ne pensent qu’à défendre leurs propres intérêts personnels et bassement matériels et qu’ils n’ont aucune ambition pour le pays. En raison de tout cela, il y a beaucoup de gens qui sont spectateurs alors qu’ils auraient pu apporter quelque chose à notre pays en s’engageant. Il y a beaucoup de cadres compétents, notamment les plus jeunes, et de simples citoyens sérieux qui ont l’air dégoûtés par la politique. Aujourd’hui, ils sont à la marge du débat démocratique. Et toute l’énergie, l’enthousiasme, et les idées neuves qu’ils auraient pu apporter, eh bien, tout cela est perdu. La conséquence de tout cela, c’est que nous avons une démocratie où le taux d’inscription est en baisse depuis 1991, quel que soit le scrutin. Regardez les chiffres : les gens s’inscrivent de moins en moins.

A quoi attribuez-vous cette désaffection ?

• Je vous l’ai dit : les gens se disent que les élections ne changeront rien à leur situation concrète. Et ils n’ont plus confiance aux hommes politiques. Nos hommes politiques ont une grande responsabilité de ce point de vue. En fait, ils devraient aussi être des exemples et des éducateurs de par leur comportement.

Est-ce pour cela que vous invitiez récemment l’opposition à faire sa propre refondation ?

• Non, en fait, je répondais à une question sur la rénovation nationale proposée récemment par un certain nombre de leaders de notre opposition. Et je disais que la démarche était louable, mais qu’il fallait aussi qu’ils réfléchissent à la refondation de l’opposition, pour lui permettre de mieux jouer son rôle de contre-pouvoir et de préparateur de l’alternance.

Comment jugez-vous donc la situation de l’opposition aujourd’hui ?

• Je ne suis pas compétent pour la juger. Posez la question à ceux qui l’animent. Ce sont des grands frères pleins d’expérience, qui sauront répondre brillamment à votre question. Par contre, je pense qu’une opposition est très importante en démocratie. En dénonçant les erreurs du pouvoir en place, l’opposition lui permet de se corriger pour le bien du pays. C’est comme un partage de rôle. Fort de sa majorité parlementaire, le pouvoir gère ; commet des erreurs ; profite des privilèges que donne le pouvoir ; assume ; et rend compte le moment venu. L’opposition, quant à elle, critique, propose, prépare l’alternance et, surtout, canalise les mécontentements et évite que la rue ou les forces obscures anti- démocratiques n’en profitent pour confisquer la république. Rappelez-vous les marches contre la vie chère : quand les syndicats ont pris les choses en main, est-ce qu’on a cassé un seul feu rouge ?

Un des débats récurrents au sein de la classe politique, c’est la participation au gouvernement de partis dits d’opposition. Quelle est votre opinion ?

• Ce débat précis ne m’intéresse pas. Les partis dont vous parlez n’ont de compte à rendre qu’à leurs cadres, à leurs militants et à leurs électeurs. Si, forts des avantages que cela procure, ceux-ci n’en disent rien, où est le problème ? Maintenant, si vous me posez la question de savoir si un parti politique d’opposition peut accepter de participer à un gouvernement aux cotés du pouvoir dont il est l’adversaire, je peux répondre. Et je vous dirais que, pour le principe, il n’y a pas de règle écrite. Tout est question de stratégie politique et de circonstances. En cas de crise très grave, ou dans le souci de conduire des réformes politiques consensuelles, de répondre à une demande pressante de l’opinion, de défendre le pays contre une agression extérieure, un parti d’opposition peut rejoindre la majorité dans le cadre d’un gouvernement d’union, d’ouverture, de protocole, etc. On a vu cela ici dans un passé récent. Et je crois que cela a parfois permis des avancées intéressantes sur le plan des réformes démocratiques. Au Kenya, cette méthode a permis de sauver le pays du chaos. La communauté internationale se bat pour l’essayer au Zimbabwe.

Cela dit, en dehors des situations exceptionnelles, mon opinion est que la majorité doit gouverner et assumer, pendant que l’opposition s’oppose, critique, propose et prépare l’alternance. C’est ça, la démocratie. On ne peut pas être une chose et son contraire. Un opposant est d’abord fait pour s’opposer ! Ensuite pour proposer ! Pour avancer, dit-on, un opposant doit parfois accepter le compromis. Mais il doit toujours refuser la compromission. Et une opposition sérieuse, républicaine et patriote doit prendre cette mission historique à cœur.

On voit des alternances se produire un peu partout en Afrique. Quand est-ce que ce sera possible au Burkina ?

• L’alternance est possible partout, dès lors que les citoyens sont libres de voter. Et c’est le cas au Burkina. Beaucoup de gens dans notre pays soutiennent le régime en place et on le voit par l’expression de leurs votes à l’occasion des différents scrutins ; ils le font soit parce qu’ils pensent sincèrement que le pays est bien gouverné ; soit parce qu’ils ont des intérêts politiques, économiques, financiers ou personnels à défendre ; soit parce qu’ils estiment qu’il n’y a pas de meilleure solution de rechange, etc. Mais beaucoup aussi souhaitent l’alternance ; certains veulent l’alternance parce qu’ils veulent être gouvernés autrement ; d’autres la souhaitent parce qu’ils pensent que certains de leurs problèmes personnels seraient vite réglés ; d’autres la veulent parce qu’ils espèrent ainsi que le pays se développait plus vite ; etc. Le jour où la seconde catégorie sera plus nombreuse que la première, et s’exprimera dans les urnes, vous aurez l’alternance.

Mais l’objectivité oblige à reconnaître que, même si on peut déplorer l’influence de l’argent, le poids de l’Administration, ou même quelques irrégularités ici et là dans nos consultations électorales, l’organisation, la structuration et la présence du parti au pouvoir actuel est telle que, ajoutée à la faiblesse actuelle de l’opposition, il n’a pas besoin de tricher pour gagner les élections. Donc réussir l’alternance nécessitera un travail très sérieux.

Beaucoup de gens estiment que notre démocratie est comme en hibernation, à cause de ce trop grand déséquilibre entre le pouvoir et l’opposition. Qu’est-ce qu’il faudrait pour inverser la tendance ?

• Ils n’ont pas tort. Mais je ne pense pas qu’on puisse ramener cela au seul rapport numérique de force entre la majorité et l’opposition. C’est plus profond que cela ! J’ai comme l’impression qu’il manque à notre démocratie de vraies forces républicaines de proposition, qui engagent le débat démocratique autour des questions de fond de notre développement, et qui font leur travail d’éducation pour enraciner la démocratie. Le manque est sans doute plus cruel du coté de l’opposition, parce que c’est à elle que revient la mission historique de proposer l’alternative. Je crois ensuite qu’il faut sortir notre démocratie des vieilles querelles héritées des périodes politiques récentes. On a parfois le sentiment que certains dans notre classe politique sont surtout motivés par des sentiments de vengeance, de revanche, de dépit parce qu’on ne les a pas invités à la table du roi ; ou de règlements de comptes, des vieilles querelles de notre histoire politique récente.

Parfois, à l’intérieur d’un même parti politique, le poids de ces vieilles querelles se fait sentir, et qui soient animées par des gens qui ont des convictions fortes, des principes et une ambition pour leur pays ; des gens assez patients pour rester sur place pendant des années et préparer l’alternance, qui acceptent de souffrir et de construire, et qui ne s’engouffrent pas tout de suite de manière opportuniste dans le premier remaniement qui arrive parce qu’il y a des postes juteux à prendre pour faire des deals. Il y a des patriotes qui partagent ce point de vue et l’expriment dans les discussions formelles ou informelles qui ont lieu dans notre pays.

Oui, mais vous-même, partagez-vous cette vision ?

• Tout à fait. Non seulement je la partage, mais je l’encourage.

Quelle contribution personnelle comptez-vous y apporter ?

• Avec quelques camarades qui partagent cette opinion, nous allons organiser bientôt un forum de citoyens pour discuter de cette question et de bien d’autres choses qui touchent à la situation politique du pays ; partager une vision commune ; exprimer une opinion ; et voir de quelle manière nous pouvons apporter notre modeste contribution à la lutte du peuple burkinabè pour la conquête de la démocratie.

De quel genre de manifestation s’agit-il et qui y sera convié ?

• C’est un forum de citoyens ! Seront là tous ceux qui ont une vision des choses allant dans le sens de ce que je viens de décrire plus haut, qui souhaitent partager leur opinion avec d’autres, et à qui le comité d’organisation aura adressé une invitation. Tout se fera et se dira en public, puisque ce forum n’est dirigé contre personne. Et ceux qui viendront là assumeront la responsabilité des propos qu’ils vont tenir, dans les limites de la liberté d’expression telle que garantie par notre constitution.

A quelle date et où se tiendra-t-elle ?

• Le Comité d’organisation le fera savoir en temps opportun.

Les ténors du CDP vont encore débarquer à Manga pour vous attaquer et dire que vous voulez prendre leur pouvoir.

• Oh là là ! Je n’ai rien contre les ténors du CDP ni contre qui que ce soit d’ailleurs. Et surtout je n’ai rien contre les braves militants du CDP ! Je le redis chaque fois que j’en ai l’occasion, j’ai gardé un très bon souvenir de mon militantisme avec eux et, avec certains qui sont restés mes amis, nous avons des discussions très franches et très cordiales sur toutes les questions qui touchent à la vie de notre pays.

Depuis votre dernière interview dans l’Observateur (cf. édition n°7052 du 18 au 20 janvier 2008), beaucoup de choses se sont passées sur le plan national. Commençons par le limogeage du tout-puissant ministre d’Etat Salif Diallo, un de ceux qui avaient mené la charge contre vous à Manga. Un commentaire ?

• Non, aucun !

Autre sujet, c’est la création de la Fedap-BC et la rivalité qui l’oppose au CDP. Quelle est votre lecture ?

• Je risque de vous décevoir, mais je n’en ai aucune. J’ai quitté le CDP depuis 10 ans, plus précisément depuis décembre 1998. Je n’ai jamais appartenu à la Fedap-BC. La relation entre eux n’est pas un sujet auquel je m’intéresse.

Les rumeurs vont bon train sur la succession de Blaise Compaoré. On dit même qu’il tente de positionner son frère François. Qu’en pensez-vous ?

• Je n’en pense absolument rien. Ce n’est pas le genre de sujet qui occupe mon esprit.

Dans une interview récente, le Pr Laurent Bado a fait l’apologie de ce qu’il qualifie de coups d’Etat moralisateurs. Partagez-vous son opinion ?

• Le grand frère Bado est un grand intellectuel avec lequel nous apprenons tous les jours. Parfois, quand il dit des choses, ce n’est pas facile à comprendre. Moi, je n’ai jamais su faire la différence entre un PA et une kalachnikov ; je me dis que la démocratie vaut toujours mieux que l’Etat d’exception.

Autre sujet non moins intéressant qui s’est invité dans l’actualité nationale, c’est la résurrection de Prince Johnson sur les événements du 15 octobre 87 qui ont emporté le capitaine Thomas Sankara, chef de la Révolution burkinabè. Peut-on croire, selon vous, en la sincérité et en l’innocence de l’ancien rebelle libérien ?

• Je suis mal placé pour vous répondre. Je ne connais pas ce monsieur et je ne l’ai jamais vu de mes yeux. Tout comme je n’ai jamais eu non plus de lien avec le CNR ni avec le Front populaire !

Vous qui suivez la situation en Côte d’Ivoire et qui connaissez bien les leaders politiques de là-bas, pensez-vous que des élections libres et transparentes auront lieu un jour ? Et lequel d’entre eux peut apporter la stabilité dans ce pays ?

• Je crois que le Président Blaise Compaoré a bien réussi par ses efforts de médiation à faire en sorte que tous ces protagonistes s’entendent sur une feuille de route. Les élections en sont un élément crucial. Donc je me dis que tôt ou tard elles auront lieu. Cela dit, je n’entretiens pas de relation particulière avec les ténors de la vie politique ivoirienne. Et je pense que les Ivoiriens sont suffisamment mûrs pour savoir lequel d’entre eux peut leur apporter stabilité et prospérité.

Que peuvent vous inspirer comme commentaires la crise zimbabwéenne, l’implosion de l’ANC en Afrique du Sud et la reprise des combats en RDC ?

• Ce sont des questions fort différentes. Le Zimbabwe est dans une situation de chaos, du fait principalement de la responsabilité du régime Mugabe. J’en suis inquiet et je me demande si on pourra éviter une issue violente à tout cela. L’ANC est un mouvement de libération qui regroupait plusieurs tendances ayant des idéologies différentes. Leur union dans un seul mouvement avait du sens dès lors qu’il s’agissait de vaincre l’apartheid. Aujourd’hui, il est peut-être bon que chacun retrouve sa liberté et qu’un vrai débat démocratique commence, basé sur les idées et les programmes. De ce point de vue, cette scission ne me parait pas une mauvaise chose. Quant à la RDC, c’est un peu le retour des vieux démons. Les richesses naturelles du Kivu ont toujours attisé des convoitises. Il faut souhaiter que la diplomatie l’emporte sur les armes.

L’événement de l’année, c’est l’élection d’un Noir, Barack Obama en l’occurrence, à la tête de la première puissance mondiale, les Etats-Unis d’Amérique. Quelle leçon en tirez-vous ?

• Oui, c’est vraiment historique. Le peuple américain a une fois de plus montré qu’il avait une grandeur d’âme et une grande capacité de discernement. Je dois avouer que jusqu’aux deux dernières semaines avant l’élection, j’étais un peu sceptique. Les Africains devraient méditer sur ce qui vient de se passer. Regardez tous les problèmes que les histoires de nationalité ont créés en Afrique !

Maintenant avec Barack Obama à la Maison- Blanche, quels espoirs pour le monde et pour l’Afrique ?

• C’est d’abord un Américain, élu pour régler les problèmes des Américains. Et croyez-moi, ces problèmes sont nombreux et corsés. Je souhaite que sa contribution pour l’Afrique soit surtout dans les domaines de l’éducation et de la promotion des valeurs de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Et si l’on reparlait d’économie avec votre groupe, AREVA ? Vous avez perdu en Afrique du Sud. Que s’est-il passé et comment la crise vous affecte-t-elle ?

• Nous n’avons pas perdu. L’appel d’offres a été purement et simplement annulé, pour des raisons financières. Nous comprenons la décision des Sud- Africains. Il s’agit d’une somme colossale, puisque nous parlons d’un projet de l’ordre de six mille cinq cents milliards de francs CFA. Avec la crise financière, c’était devenu difficile pour l’Afrique du Sud de mobiliser une telle somme. Mais nous sommes confiants et nous serons présents quand ils lanceront un nouvel appel d’offres. Pour le reste, la crise ne nous perturbe pas vraiment encore.

Un dernier mot ?

• Bonne et heureuse année 2009 à votre journal, à ses travailleurs, à ses lecteurs et à tous nos compatriotes.

Entretien réalisée par Bernard Zangré

L’Observateur Paalga

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