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Issaka Kargougou, Directeur Général de la Maison de l’Entreprise : "Le secteur privé burkinabè doit prendre un élan pour plus de civisme"

Publié le jeudi 13 novembre 2008 à 04h08min

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Issaka Kargougou

La Maison de l’entreprise du Burkina Faso (MEBF), cadre de concertation de plus de six cents acteurs du secteur privé, organise du 11 au 15 novembre 2008 à Ouagadougou les troisièmes Journées de l’entreprenariat Burkinabè (JEB) sous le thème : "Promouvoir l’entreprenariat par un suivi efficace des nouvelles entreprises". Son Directeur Général, Issaka Kargougou situe l’importance de cette manifestation pour le monde des affaires. Il revient sur la dernière rencontre gouvernement-secteur privé d’octobre dernier à Bobo-Dioulasso et évoque l’impact de la crise financière actuelle sur l’économie burkinabè.

Sidwaya (S.) : Quels enseignements peut-on tirer de la dernière rencontre gouvernement-secteur privé à Bobo-Dioulasso ?

Issaka Kargougou (I.K.) : La dernière rencontre gouvernement-secteur privé s’est tenue sous le thème : "Décentralisation et développement du secteur privé : quelle synergie pour l’émergence d’un tissu économique local dynamique ?". C’est une occasion pour le secteur privé et le gouvernement de faire le point des engagements de 2007. La rencontre a noté des progrès importants, surtout les efforts fournis par le gouvernement pour améliorer le climat des affaires. Il y a eu des rencontres sectorielles préparatoires au cours desquelles 319 préoccupations ont été identifiées par le secteur privé dont 276 traitées. La différence de 43 a été portée à l’appréciation des participants. Les débats ont été francs et constructifs.

Tous les sujets n’ont pas abouti à des solutions immédiates mais pour ce qui concerne les impôts par exemple, le gouvernement a pris des initiatives intéressantes qui consistent à engager une réforme du système prenant en compte la nécessité de moderniser et de simplifier la fiscalité.

Le bilan de cette réunion est riche en enseignements. Tous les acteurs parlent le langage du partenariat et de la concertation. Le secteur privé burkinabè doit apprendre à développer le principe de partage d’objectifs, pour éviter que l’engagement ne vienne toujours du côté de l’Etat. Les éditions prochaines devront s’orienter vers l’établissement d’un contrat d’objectifs entre le gouvernement et le secteur privé. Le format de la rencontre a aussi été revisité. Plus de 600 personnes ont pris part à cette rencontre contre une moyenne habituelle de 200. Ce qui montre que la rencontre suscite un grand intérêt aussi bien pour le secteur privé que pour l’Etat.

S. : La survivance à chaque édition des mêmes problèmes ne donne-t-elle pas l’impression d’un folklore à cette rencontre ?

I.K. : Les rencontres de Bobo Dioulasso sont loin d’être un folklore. Elles se penchent sur des problèmes structurels qui ne peuvent pas parfois trouver des solutions par un coup de baguette magique. C’est en approfondissant la réflexion, en insistant sur la question que l’on identifie des solutions acceptables par les deux parties. Tout le monde reconnaît que si cette rencontre n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer.

Les acquis sont indéniables. La réduction de certains taux d’imposition comme le BIC qui passe de 35% à 30%, le centre de formalités des entreprises, le centre de facilitation des actes de construction, le centre d’arbitrage, les centres de gestion agréés, pour ne prendre que ces exemples, sont des fruits indéniables de la rencontre gouvernement/secteur privé. C’est un mérite qu’il faut accorder à cette rencontre annuelle.

S. : Vous avez parlé tantôt de partage d’objectifs. Comment percevez-vous cela au niveau de la Maison de l’entreprise qui regroupe un nombre important d’acteurs économiques ?

I.K. : Le contrat d’objectifs veut que chaque partie prenne des engagements. L’Etat consent par exemple à améliorer le climat des affaires et à baisser la pression fiscale. Le secteur privé doit aussi prendre un élan pour plus de civisme et de citoyenneté en payant les impôts pour permettre à l’Etat de continuer à assurer la gestion normale de l’économie nationale. Il faut une orientation vers un partenariat public-privé renforcé. Le secteur privé peut décider de conduire un certain nombre de projets productifs qui intéressent l’Etat et demander que celui-ci apporte une contribution donnée. Ce sont ces types de contrat d’objectifs qu’il faudrait instaurer les années à venir.

S. : A l’heure actuelle, quel tableau peut-on peindre de l’univers des entreprises au Burkina Faso ?

I.K. : L’économie burkinabè vit au rythme d’un certain nombre de facteurs qui expliquent son évolution. L’année 2008 est marquée par le phénomène de la vie chère avec une hausse des prix de produits de grande consommation. L’Etat a pris des mesures pour juguler cette inflation afin d’atténuer les répercussions que cela pourrait avoir sur la consommation et certains secteurs comme les bâtiments et les travaux publics.

Du point de vue de l’agriculture qui constitue la base de notre économie, la campagne agricole a connu une bonne pluviométrie et cela peut contribuer à faire baisser l’inflation au niveau des produits céréaliers. Les indications du gouvernement en la matière prévoient un excédent céréalier d’environ 30%. C’est une bonne performance. Mais cela montre aussi qu’il faut judicieusement utiliser cette production agricole excédentaire en terme de valorisation et de transformation.
Par rapport aux créations d’entreprises, il y a environ 2 800 entreprises nouvelles qui sont nées depuis le début de l’année à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso ; soit une progression d’environ 17% par rapport à la même période de 2007. Telle est la physionomie actuelle de l’économie burkinabè. Nous espérons que la croissance souhaitée sera au rendez-vous pour permettre aux entreprises de prospérer et à notre pays de voir reculer la frontière de la pauvreté.

S. : En quoi de nouvelles structures tels le Centre de formalité des entreprises (CEFORE), le Centre de facilitation des actes de construire (CEFAC), le Centre d’arbitrage, de médiation, de conciliation (CAMCO)... ont-elles forgé l’esprit d’entreprenariat et améliorer le climat des affaires au Burkina Faso ?

I.K. : Ces nouvelles structures répondent à l’objectif de faciliter les affaires. Quand on considère la création d’entreprise, la nécessité est de réduire la longueur de la procédure et de baisser les coûts et les délais. Pour créer une entreprise au Burkina Faso, il fallait passer 32 jours pour une dizaine d’étapes administratives avec des coûts dépassant 500 000 F CFA. Les réformes conduites avec la création des CEFORE ont permis de ramener la procédure à une seule étape, avec un délai de sept jours maximums et des coûts réduits suffisamment réduits, dans la mesure où les frais cumulés ne dépassent plus 60.000 francs CFA. Et le promoteur économique a les documents légaux pour exercer. Ces progrès sont ressentis même au niveau international, puisque le classement de notre pays par rapport à ces indicateurs a considérablement évolué.

Le Burkina Faso a enregistré un gain de plus de 50 places en trois ans. Le même objectif a prévalu à la création du Centre de facilitation des actes de construire (CEFAC). Autrefois, il fallait sept mois, parcourir plusieurs administrations pour avoir le permis de construire et il fallait payer des frais qui représentaient environ sept fois le revenu moyen par habitant pour construire un bâtiment standard. Cela a amené le gouvernement à alléger les conditions. En cinq mois de fonctionnement, le CEFAC a permis d’atteindre près de 70% des performances annuelles qui étaient réalisés par l’ancien système. Il y a eu près de 120 dossiers traités en cinq mois contre 180 dossiers en moyenne, les années
précédentes.

C’est la preuve qu’en réduisant les procédures et en diminuant les coûts et les délais, les usagers ont accès facilement à la légalité et respectent les principes établis.
Le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation (CAMCO) permet aux opérateurs économiques de gérer leurs litiges commerciaux entre eux. Les statistiques établies par le Centre indiquent que de nombreux dossiers ont déjà été enrôlés et ont trouvé des solutions heureuses. Il a permis de régler des affaires difficiles portant sur des milliards de FCFA. Les Centres de gestion agréés (CGA) ont aussi vu le jour. Ils devraient permettre de mieux inscrire les Petites et moyennes entreprises (PME) dans la gouvernance d’entreprise avec une bonne tenue de leurs comptes, avec à l’appui, la fourniture d’un certain nombre de services en terme de formation ou de conseils pour renforcer leurs capacités.

Ces éléments concourent à dire que les pouvoirs publics et le secteur privé n’ont pas eu tort de créer ces dispositifs. Il faut maintenir maintenant une vision du développement de leurs activités pour qu’ils ne s’éloignent de leurs objectifs de base.

S. : Le souci de facilitation qui a permis la création de nombreuses entreprises s’accompagne-t-il d’une nécessité de qualité ?

I.K. : L’intérêt des nouvelles structures ne réside pas seulement dans la quantité. Il faut aussi et surtout s’assurer que les entreprises performent. D’ailleurs, le thème général de la 3ème édition des Journées de l’entreprenariat burkinabè (JEB) est : "Promouvoir l’entreprenariat par un suivi efficace des nouvelles entreprises". C’est un élément important. Il ne s’agit pas seulement de créer une entreprise. Il faut s’assurer que l’entreprise atteint son objectif en terme de profits générés et d’emplois créés. La mission fondamentale des structures créées, c’est d’accompagner au quotidien le développement des nouvelles entreprises et d’appuyer celles qui existent déjà afin qu’elles continuent de jouer leur rôle dans le développement économique du pays.

S. : Comment les entreprises burkinabè devraient-elles appréhender la crise financière actuelle ?

I.K. : Il faudrait intégrer cette donne dans le système de gouvernance des entreprises. Les démarches de prospective et d’anticipation régissent le comportement de ceux qui ont de la vision et qui sont tournés vers l’avenir. La crise financière internationale commençant à produire des effets dans les pays développés, il faudrait donc maintenir un état de veille sur un certain nombre de points. Il est important de suivre l’évolution de la demande internationale en terme de biens qui sont produits et vendus par les pays en développement comme le Burkina Faso. Il faudrait espérer qu’il n’y aura pas une contraction de la demande internationale de nos biens. Le coton est le premier produit exporté par le Burkina Faso. Et le commerce de ce produit a beaucoup d’effets d’entraînement au niveau de l’économie nationale. Il implique les transporteurs, les assureurs, les banquiers, les industriels, les commerçants etc.

Il faut donc espérer qu’il n’y aura pas de répercussions importantes à ce niveau. Il en est de même au niveau du financement qui constitue un élément fondamental dans la vie des entreprises. A chaque fois que des enquêtes sont réalisées, près de 80% des promoteurs interrogés posent le problème du financement comme la préoccupation majeure freinant l’entreprenariat. Avec les difficultés au niveau international, il faut espérer que l’accès aux crédits ne sera pas rendu difficile par une contraction des sources de financement internationales et que l’aide publique au développement ne va connaître une tendance baissière prononcée. Mais ce ne sont que des hypothèses. Et nous espérons que les mesures prises au niveau international et par nos autorités permettront de circonscrire ce phénomène de sorte que les conséquences soient amoindries.

S. : Les différentes crises ont-elles déjà fait l’objet d’une réflexion entre les membres de la Maison de l’entreprise ? Quelles propositions avez-vous formulée au gouvernement ?

I.K. : Il y a eu de nombreuses conférences sur la crise énergétique en vue de partager les idées parce qu’il n’y a pas de solutions toutes faites pour les problématiques nouvelles. La Maison de l’entreprise a financé la réalisation d’études de faisabilité dans le domaine par exemple du biocarburant. Et en ce qui concerne la crise alimentaire, nous avons au cours des journées de l’entreprenariat, une conférence sur "La sécurité alimentaire et agrobusiness : expériences et perspectives pour le Burkina Faso". En réunissant les autorités et les bailleurs de fonds, l’idée était de faire comprendre que le secteur privé devra jouer un rôle beaucoup plus actif dans le développement de notre agriculture et dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. Les propositions intéressantes ont été formulées. Il appartient aux autorités et au monde des affaires de définir les voies et moyens pour renforcer le partenariat public-privé qui assure un développement durable de notre économie.

S. : Quelles sont les principales articulations de ces 3èmes JEB ?

I.K. : Elles sont organisées atour de trois volets. Il s’agit d’abord des "Business fora" qui concernent la tenue de conférences pour le monde des affaires, les 11 et 12 novembre. Il y a une conférence sur l’impact de l’UEMOA sur les entreprises burkinabè, une autre sur "la problématique de la survie des nouvelles entreprises : les causes et les mesures préventives". Une conférence est également consacrée aux opportunités du Code de l’investissement en faveur des nouvelles entreprises et de celles en développement. La deuxième grande activité est le Salon "Entreprendre au Faso" ou "Bourse des projets" qui mettra en contact 505 porteurs de projets et opérateurs économiques avec 37 institutions de financement et d’accompagnement technique, du 13 au 15 novembre sur le site du SIAO. Il s’agit d’examiner les projets présentés en vue de trouver soit des ressources financières, soit un accompagnement technique pour les faire aboutir.

La troisième grande activité est la "Nuit du mérite" qui vise à récompenser les acteurs et les partenaires méritants du secteur privé au regard d’un certain nombre de critères. 53 prix d’une valeur monétaire d’environ 102 millions FCFA seront décernés par une quinzaine d’institutions dont le gouvernement. L’Etat et le secteur privé ont décidé cette année d’unir leurs forces pour féliciter les entreprises qui s’illustrent dans l’innovation, la performance et l’excellence. Le gouvernement a décidé d’offrir 10 prix. Nous cherchons surtout à développer l’esprit d’entreprendre, à conjuguer nos efforts pour que la question du développement du secteur privé soit au centre des préoccupations transversales.

S. : Pourquoi un investisseur étranger qui choisirait l’Afrique de l’Ouest préférerait-il le Burkina Faso à tout autre pays ?

I.K. : Le Burkina Faso présente beaucoup d’atouts pour attirer des investisseurs. C’est avant tout un pays stable politiquement. Ce qui est reconnu par l’ensemble des acteurs sur le plan national et international. Ensuite, il regorge d’importantes potentialités. Environ 2/3 des terres arables restent non exploitées. Le pays dispose de ressources minières et a l’avantage majeur d’être situé au cœur de l’UEMOA. Cela facilite la desserte des autres pays de cette communauté économique. Il y a donc des possibilités de faire du Burkina Faso, un pays de services. C’est d’ailleurs la vocation affichée par les autorités politiques. Il faut aussi se féliciter, dans le rapport Doing Business 2009 de la Banque, que le Burkina Faso soit reconnu comme le premier pays réformateur du climat des investissements, aussi bien que dans l’UEMOA que l’espace OHADA. A ces atouts politiques et économiques, on pourrait ajouter la chaleur humaine et la qualité de la main-d’œuvre burkinabè qui est reconnue consciente et laborieuse.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr) et Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)

Sidwaya

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