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Pierre-Alain Muet, député socialiste et économiste : “L’Afrique est relativement à l’écart de la crise financière”

Publié le vendredi 31 octobre 2008 à 02h52min

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Economiste et député de la IIe circonscription de Lyon, Pierre-Alain Muet en visite, au Burkina Faso sur invitation du président du Faso dans le cadre du SIAO, se prononce sur la crise financière qui devrait épargner dans une moindre mesure l’Afrique. M. Muet préconise aussi d’adjoindre
à la mondialisation économique une mondialisation politique.

Sidwaya : Quel est l’objet de votre séjour au Burkina Faso ?

Pierre-Alain Muet (P-A.M.) : Je suis au Burkina sur invitation du Président du Faso, Blaise Compaoré pour participer à l’ouverture du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou, ce vendredi 31 octobre. Quand j’étais conseiller de Lionel Jospin (NDLR : ancien Premier ministre socialiste français), j’ai beaucoup oeuvré à la création du musée des arts premiers, un grand projet alors cher au président Jacques Chirac. Car je considère que l’art africain est essentiel.

Il est donc apparu nécessaire qu’il soit présent dans les grands musées qui rappellent les civilisations du monde. Ensuite, je suis à Ouagadougou pour rencontrer le maire Simon Compaoré dont la ville a un jumelage avec Lyon. Je dois dire que la brigade verte initiée par le bourgmestre a aujourd’hui une réputation internationale. Je crois savoir qu’elle est lauréate d’un prix. Je suis là pour rencontrer M. Simon Compaoré pour voir toutes les actions qu’il a conduites sur la ville. Quand on arrive à Ouagadougou, ce qui est frappant, c’est sa propreté. L’idée de la brigade verte est à la fois une grande réussite et un formidable projet d’insertion sociale. Enfin, la dernière raison de mon séjour est que je suis vice-président de l’agence mondiale de solidarité numérique. Créée en même temps que le fonds de solidarité numérique, cette agence est un projet lancé par le président sénégalais Abdoulaye Wade soutenu par le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique). Notre combat est de permettre à tous les citoyens du monde d’accéder aux technologies de l’information et de la communication qui ont un rôle décisif dans l’éducation.

Nous menons trois projets pilotes au Burkina Faso ; à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso. Je vais donc mettre à profit mon séjour pour visiter les réalisations du projet dans six villes du pays. Etant donné que tout ce qui touche à la solidarité numérique internationale est fondamental pour moi dans la promotion de l’éducation, nous avons imaginé un projet de jumelage entre des écoles du Burkina et celles de Lyon à travers lequel les écoliers du Nord et du Sud écrivent ensemble un roman policier. Mieux, le plus extraordinaire de notre coopération est qu’à chaque fois qu’une école est équipée à Lyon en matériel informatique, les mêmes équipements sont installés dans une école ici. Ce matériel a notamment servi à la mise en place d’un cyber café à Ouagadougou. De la même façon quand on avait reformé des ordinateurs à Lyon, nous en avons fait autant ici. Il s’agit de développer et de favoriser l’accès de citoyens à la société de l’information.

S : Que pensez-vous de l’art africain ?

P-A.M. : J’ai une vraie passion pour l’Afrique. C’est un continent qui a vocation à humaniser la mondialisation. Elle est aussi le berceau des civilisations. L’Afrique apporte au monde l’art premier mais aussi la musique sans qui on ne parlerait pas de jazz. Ce continent me paraît la plaque tournante pour construire une mondialisation à visage humain. Il y a ici une conception des relations humaines, des rapports depuis la cellule familiale que j’aime beaucoup qui s’appelle la solidarité.

S. : Pourtant cette solidarité semble s’effriter... De même qu’on assiste à une fuite des objets d’arts africains à travers le trafic illicite...

P-A. M. : Les pays africains doivent s’inspirer du Burkina en prenant pleinement conscience de la richesse de leur art. L’Afrique a un art exceptionnel, riche et varié qui mérite d’être conservé ici dans les musées. J’ai visité une belle collection de masques au musée de Ouagadougou. Il faut savoir mettre en valeur sa propre culture, son patrimoine. Tous les Africains doivent comprendre cela et s’engager à préserver cette richesse. Cela suppose une lutte acharnée contre les trafics illicites, d’une part et favoriser l’émergence d’un artisanat africain vivant d’autre part.

Je pense que le SIAO offre cette tribune où on peut voir des oeuvres inspirées de l’art traditionnel mais profondément tournées vers la modernité, l’invention. J’ai eu l’occasion aussi de visiter le musée à ciel ouvert de Laongo. Ces oeuvres sculptées sur du granit sur place sont formidables. C’est un musée en plein air. Je crois que c’est une idée originale qui mérite d’être reproduite dans d’autres pays. Car on y trouve des sculptures africaines si belles et des formes très modernes et très abstraites. La force de l’art africain découle de sa richesse et de spiritualité. Il a un fondement spirituel à l’image des cathédrales d’Europe.

S. : Quel regard portez-vous sur le SIAO, une manifestation d’envergure continentale ?

P-A. M. : Le lien de l’artisanat à l’art est au coeur du SIAO. Il ne s’agit plus uniquement de l’antiquité mais de promouvoir l’art et l’artisanat vivants qui concourent au développement de l’Afrique surtout en ces temps de crise financière.
Le SIAO me rappelle que l’important n’est pas seulement la finance, la monnaie. Mais qu’on peut créer de la richesse par le biais de l’artisanat. Je trouve que c’est une façon pour l’Afrique de rappeler une vérité fondamentale qui est que le travail de l’artisanat et de l’agriculture peut propulser le progrès. C’est un message qu’il faut savoir porter au monde entier. Et le SIAO le porte si bien.

S. : En tant qu’économiste croyez-vous que le crise financière marque la fin du système capitaliste anglo-saxon ?

P-A. M. : C’est sûrement la fin d’un capitalisme mondialisé, libéralisé, développé au mépris de toute réglementation. Si l’Afrique résiste mieux à cette crise, c’est parce qu’elle a su garder l’orthodoxie en matière de réglementation du système financier et bancaire. Malheureusement, la récession qui est en train de se développer va frapper de plein fouet les exportations africaines comme l’ont fait les autres crises. Mais, l’Afrique sera relativement épargnée par la crise financière du fait qu’elle soit restée en marge de la mondialisation qui développe les marchés financiers sans contrôle, ni régulation et complètement en dehors du contrôle de l’Etat ou même des institutions monétaires.

S. : De plus en plus d’analystes prévoient une baisse de l’aide au développement due à la crise..

P-A. M. : C’est vrai. Les pays donateurs sécoués par la crise finnacière vont connaître des déficits publics énormes. Il est nécessaire de maintenir l’aide pour éviter qu’en voulant résoudre une crise, on crée un autre. L’aide au développement est fondamentale pour la formation, l’éducation clé du progrès en Afrique. Les pays du Nord doivent respecter leur engagement car l’aide mondiale au développement est insuffisante. Ils n’ont jamais pu tenir la promesse de consacrer 0,7% de leur produit national brut au financement du développement. Je suis partisan d’un autre type de coopération plus concrète à l’image de celle entre Ouagadougou et Lyon. La coopération ne devrait pas se limiter à des bases financières, il y a celle des communes.

S. : Ne faut-il pas reformer l’aide au développement étant donné que 40 ans après les indépendances, elle semble n’avoir pas répondu à toutes les attentes ? L’Afrique croupit toujours sous le poids de la misère, de la maladie...

P-A.M. : Les Africains doivent d’abord prendre leur destin en main. Je crois que le Burkina fait partie des pays qui ont compris cela. Ils doivent construire leur propre modèle de développement sans perdre de vue leur histoire et en s’appuyant sur leurs forces. A travers le monde, les exemples réussis de développement sont l’oeuvre de nations qui ont su inventer leur propre modèle. Car si le développement signifie qu’il faut détruire des civilisations entières, je dis que cela est perte énorme pour l’humanité.

S. : Quelle est la principale leçon qu’il faut tirer de cette crise qui a commencé d’abord aux Etats-unis par les subprimes, les fameux prêts hypothécaires pour se répandre comme une traînée de poudre au reste du monde ?

P-A.M. : Il faut adjoindre à la mondialisation économique une dose politique. On ne peut pas se contenter de laisser les marchés financiers se développer sans aucun contrôle. Il faut qu’on organise le monde en mettant de la solidarité. Le message porté d’ailleurs par le NEPAD. Il faut une solidarité plus accrue entre Etats nantis et pauvres, pour l’accès aux biens fondamentaux, une solidarité numérique. Il ne faut pas oublier qu’avant la crise, il eut une crise bien plus grave : la crise alimentaire issue aussi de la mondialisation. Parce que ce sont les marchés mondialisés qui ont créé des pénuries, des hausses de prix insupportables pour l’Afrique dont certains pays sont devenus très dépendants des marchés internationaux pour leur alimentation. C’est le cas du Burkina pour la consommation du riz.

On est arrivé à une situation où il faudrait revenir à l’agriculture fondamentale de consommation de sorte à éviter les spéculations qui influencent négativement le cours de la vie dans la plupart de pays. C’est absurde quand on pense que cette crise alimentaire est née d’une spéculation partit on ne sait d’où pour provoquer des émeutes de la faim, des pénuries alimentaires et des famines dramatiques en Afrique. Cela montre que le monde a besoin d’une mondialisation politique. On a besoin que l’ONU joue pleinement son rôle, s’organise davantage. Il faut un nouveau Bretton Woods pour mettre en place des régulations internationales adossées sur des organismes régionaux comme l’UEMOA, l’Union africaine ou les communautés européennes. Il faut créer cette coopération pour ne pas laisser notre monde aller à la dérive.

S. : Est-ce pour cela que vous déclarez “on ne peut pas se contenter d’éteindre l’incendie financier” ?

P-A. M. : Bien sûr, il fallait éteindre l’incendie financier vu que l’économie financière mondiale s’écroule. On ne peut laisser les banques disparaître. C’est le rôle des Etats, des organismes internationaux de ramener la confiance sur le marché. Mais après l’incendie, il faut bâtir un monde qui marche mieux. C’est ce qui s’est passé après la crise économique de 1929, après la seconde guerre mondiale. Il faut refaire la même chose. C’est pourquoi, je dis qu’il ne faut pas se contenter d’éteindre l’incendie. Le monde économique a besoin de pompiers mais aussi et surtout d’architectes. Les Etats, les grandes organisations internationales doivent être ces architectes.

S. : Mais, cela n’est-il pas le signe d’un retour de l’Etat protecteur quand aux Etats-Unis comme en Europe ils se mettent à injecter de grosses sommes pour recapitaliser les banques ?

P-A.M. : Nous avons écrit un livre en 2004 pour critiquer la mondialisation financière qui méprise les reglementations, qui s’imagine que la finance peut permettre de réaliser des gains faciles. Cette crise financière partie des Amériques aurait pu y rester. Mais on est arrivé à cette situation absurde à cause des institutions bancaires qui ont cru pouvoir faire du business en accordant des prêts à des clients insolvables et en les titrisant. Les dernières crises financières sont le fait de banques qui n’avaient pas soit le statut de banque soit qui n’étaient pas régulées. Les fonds spéculatifs sans aucune règle sont à l’origine de la présente crise. On a frôlé un écroulement de l’ensemble de la finance mondiale. Par conséquent, il faut une prise de conscience sur la nécessité d’un réel changement comme l’avait fait le président Roosevelt au lendemain de la crise de 1929 en interdisant aux banques de dépôts de faire des spéculations sur le marché financier. Ce système de Bretton Woods permit à l’économie de fonctionner de manière cohérente, normale à l’abri de toute crise dramatique.

S. : Quel peut être le rôle de l’Afrique dans cette nouvelle dynamique ? Peut-elle tirer profit de la crise ?

P-A. M. : Si l’Afrique sait prendre en main son destin, ce qu’elle commence à faire en gardant ce sens profond de la solidarité qui est une force formidable, je pense qu’elle peut non seulement avoir des réponses à la crise mais elle peut apporter beaucoup au reste du monde. L’Afrique a un message de solidarité à véhiculer à l’échelle mondiale.

S. : Pensez-vous que les Etats sont prêts à accepter cette solidarité mondiale dont vous faites allusion ?

P-A. M. : Les Etats le font bien en temps de crise. J’ai longtemps plaidé pour un gouvernement économique en Europe. Mais, il a fallu une crise profonde, que les marchés financiers s’effondrent pour qu’en un week- end, l’Europe se mette à le faire. Il faut une réorganisation pour qu’il n’y ait plus de dysfonctionnements.

S. : Vous plaidez donc pour une grande responsabilité. Quelle place faut-il accorder à la Banque mondial ou au FMI ?

P-A. M. : La Banque mondiale et le FMI doivent jouer pleinement leur rôle à savoir aider au développement. Le consensus de Washington qui consistait à dire libéralisons tous azimuts et tout ira mieux a conduit très souvent à des catastrophes en Afrique. Mettons en place des mécanismes de régulations pour faire face au développement durable, au réchauffement climatique en vue de sauver la civilisation humaine. Car, il me semble que nous ayons perdu le sens du rapport de la vie à la terre, à l’environnement notamment en Occident. Il faut savoir revenir avant qu’il ne soit trop tard.

S. : Que pensez-vous des subventions accordées aux producteurs occidentaux au détriment des petits cotonculteurs d’Afrique ?

P-A. M. : On doit repenser un autre modèle agricole respectueux du développement durable. Cela suppose la fin des subventions qui inondent le marché de produits agricoles. Il faut que le riz, le blé consommé soit produit localement. Il faut revenir à cette sagesse africaine : la nature donne, il faut la respecter. Par exemple, lorsqu’un Africain veut tailler un arbre, il commence par s’adresser aux esprits de la forêt. Et bien, pour moi le développement, c’est reprendre cette sagesse à l’échelle agricole.

S. : Peut-on dire que vous êtes un socialiste dans l’âme ?

P-A. M. : Profondément. Je pense que la solidarité est facteur d’efficacité. Les grandes démocraties socialistes qui ont eu pendant longtemps des partis réformistes au pouvoir ont réalisé les sociétés à la fois les plus développées et les plus égalitaires. C’est de cette façon que je conçois le socialisme. Le socialisme démocratique tel qu’il existe en Europe s’inscrit complètement dans la réflexion du siècle des lumières marquée par la conquête des libertés. La devise française (liberté, égalité, fraternité) résume bien le socialisme.

S. Et vous déclariez au séminaire de la fédération du Rhône en septembre dernier “Nous sommes le parti le plus démocratique”. Pourquoi ?

P-A. M. : Oui, c’est ça la force et la faiblesse du Parti socialiste. Je pense que la démocratie est une force mais à condition que ça soit une force. Il faut qu’on en débatte. La démocratie est une bonne chose, il faut en débattre mais il faut surtout trancher. Le PS a besoin de se rénover, d’avoir un leader qui saura remettre tout le monde au travail et porter les thèmes du parti. Et moi en ce qui me concerne je soutiens M. Bertrand Delanoé. J’espère qu’une majorité va se dessiner autour de lui au prochain congrès du Parti socialiste pour que nous puissions jouer pleinement notre rôle d’opposant et pourquoi pas gagner les prochaines présidentielles. Là, c’est un autre sujet.

Interview Réalisée par S. Nadoun COULIBALY et Edwige OUEDRAOGO
(stagiaire)

Sidwaya

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