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Affaire Thomas Sankara : Filippe n’était pas obligé de répliquer

Publié le mercredi 29 octobre 2008 à 00h04min

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Filippe Savadogo, porte-parole du gouvernement

Le lundi 27 octobre 2008 au matin, les auditeurs de Radio France Internationale (RFI) ont eu tout le loisir d’entendre et de réentendre Prince Johnson interviewé par notre confrère Zoum Dosso sur l’assassinat de Thomas Sankara.

Un entretien à charge contre le président Blaise Compaoré, dépeint comme le commanditaire froid de l’exécution du défunt président du Conseil national de la Révolution (CNR).

Il n’en fallait pas plus pour que, dans la soirée de ce même lundi, Flippe Sawadogo, le ministre de la Culture, du Tourisme et de la Communication, use de ce qui s’apparente à un droit de réponse.

Pour dire, en substance, que les allégations de l’ancien seigneur de guerre libérien ne sont que pure "fiction", "affabulation" en vue de ternir l’image du Burkina et de son chef.

Que le porte-parole du gouvernement soit dans son rôle en donnant ce qu’on pense être la position officielle du régime burkinabè, il n’y a pas l’ombre d’un doute là-dessus.

Mais à y bien réfléchir, on se demande si l’emphatique Filippe a été bien inspiré dans cette sortie médiatique. Une chose est sûre, il n’était pas obligé de parler, et cela, pour deux raisons au moins :

D’abord, pour sensationnelles qu’elles soient, les "révélations" de Prince Johnson, qui ne comportent en réalité l’imputation d’aucun détail précis et vraiment inédit, n’en sont pas vraiment. Car qu’a-t-il dit ? Que sous le CNR, Sankara était plus cérémonial et que c’est Blaise qui détenait la réalité du pouvoir.

Que c’est ce dernier qui est l’instigateur de l’après-midi sanglant du 15 octobre 1987 et que les rebelles libériens ont dû y tremper pour ne pas être chassés du pays. Que Félix Houphouët-Boigny y a pris une part active, et patati et patata.

Que la bande à Taylor ait, dans le milieu des années 80, installé ses pénates à Ouaga, voilà qui relève du secret de polichinelle.

Que pour des raisons politico-idéologiques ou par pure démagogie on veuille s’accrocher, fût-ce aux arguments les plus frêles et aux thèses les plus contestables, à tout ce qui fait le procès, même mauvais, du locataire de palais de Kosyam, qui n’est certainement pas un enfant de cœur, on veut bien.

Mais où se trouve le scoop ici, c’est-à-dire quelque chose qu’on ne sache pas déjà ou qu’on n’ait pas déjà entendu ? Nulle part ou presque. Tout au plus peut-on retenir la supposée implication directe des hommes de Taylor dans le carnage, du reste battue en brèche hier matin par le célèbre journaliste franco-américain Stephen Smith, au moment des faits correspondant de RFI et de Libération à Abidjan et qui avait été lui-même expulsé du Burkina sous Sankara.

Et de fait, on se demande si les commandos burkinabè, passés maîtres dans l’art du coup d’Etat au point d’exporter leur expertise, avaient vraiment besoin de supplétifs pour exécuter leurs hautes œuvres. Que n’a-t-on pas déjà lu ou ouï-dire depuis 21 ans !

Certains ont même prétendu que la tête de Thom Sank a été expédiée à Gnassingbé Eyadéma. D’ailleurs, Blaise a beau dire qu’il piquait un petit somme quand la canonnière a commencé à tonner ce jeudi-là, il sait pertinemment que personne n’y a jamais accordé le moindre crédit.

Personne, pas même ses thuriféraires les plus zélés, n’ose, sauf mauvaise foi indécrottable, réfuter le fait que Blaise fut le metteur en scène et principal acteur du Thermidor-sur-Kadiogo qui s’est opéré le 15 octobre 1987.

En rétorquant donc à celui que le Front populaire avait donné pour mort du temps de son engagement dans l’enfer libérien, Filippe l’aide à agiter un épouvantail et à amplifier une information qui serait sans doute retombée d’elle-même comme un soufflet.

Le communicateur qu’il est n’ignore du reste pas l’effet boomerang du droit de réponse qui, non seulement, ne convainc pas toujours grand-monde mais en plus contribue bien souvent à remuer le couteau dans la plaie. On a parfois vu ainsi des répliques donner une nouvelle vie à une nouvelle qui était en train de mourir de sa belle mort.

La belle preuve, en voulant rendre coup pour coup, il a donné l’occasion à la radio mondiale d’exercer son droit de poursuite en interrogeant successivement Stephen Smith et Me Dieudonné Nkounkou, avocat des ayants droit de Sankara. La voix du gouvernement a, pour ainsi dire, sans le vouloir, contribué à entretenir une fausse polémique sur le thème éculé du "qui a tué Sankara ?".

Ensuite, en jouant les avocats de Blaise, qui n’en a peut-être même pas besoin tant il a déjà essuyé pires avanies, le communicateur gouvernemental s’occupe même dans une certaine mesure de quelque chose qui ne le regarde pas : le dénouement sanglant et dialectiquement prévisible d’une contradiction entre militaires ; et court le risque de se voir poser cette question :

étiez-vous au Conseil quand les armes crépitaient pour affirmer, de façon aussi péremptoire que votre contradicteur, que ce qu’il dit est pure fiction ? Qu’il laisse donc les Diendéré et autre Hyacinthe Kafando répondre, car eux, au moins, en savent un peu plus sur cette ténébreuse... évidence.

Pour tout dire, tout porte-parole qu’il est, Filippe aurait dû faire l’économie de cette passe d’arme, qui ne verse pas quelque chose de nouveau au dossier, pas plus son propos que les révélations foireuses de quelqu’un qui a, il est vrai, de bonne raisons de faire une mauvaise publicité à l’enfant terrible de Ziniaré.

En vérité, 21 ans pour Mariam, Philippe et Auguste sans leur mari et père, c’est une éternité, mais c’est si peu dans la vie d’une nation. Et sans doute qu’un jour les Historiens pourront écrire avec détachement la vraie histoire du 15-Octobre quand on aura, au préalable, levé les obstacles épistémologiques à toute démarche qui se veut sinon scientifique du moins objective.

Au premier rang de ceux-ci figurent incontestablement la passion, forcément aveuglante, d’un camp comme de l’autre, et cette vision manichéenne consistant à croire qu’il y avait ce jour-là le clan des démons contre celui des saints avec Thomas Sankara comme agneau du sacrifice. Ce n’est pas être pro-X ou anti - Y que de rappeler ces fondamentaux.

Ousséni Ilboudo

L’Observateur Paalga

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