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50 ANS D’INDEPENDANCE DE LA GUINEE : Faut-il trop accabler Sékou Touré ?

Publié le vendredi 3 octobre 2008 à 02h40min

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Sékou Touré

La Guinée fête ses 50 ans d’indépendance. Quel bilan en tirer pour ce pays au moment où, en tant qu’Etat, il atteint l’âge de la maturité ? Economiquement, le pays est au plus bas et il en souffre. Politiquement, il est loin d’être un modèle. La Guinée aura, en un demi-siècle, connu deux chefs d’Etat, qui auront, chacun à son niveau, marqué son histoire et d’une certaine façon, forgé son destin. De Sékou Touré, on aura tout dit ou presque : dictateur, autocrate, impitoyable, mégalomane, sanguinaire, etc.

Il y a sans doute du vrai dans toutes ces accusations. Mais il convient de reconnaître que par moments-bien trop souvent- on accable un peu trop l’homme, oubliant à tort une bonne partie de ce qu’il a réellement été et fait, et sans doute aussi, omettant sciemment de replacer le mal dont il s’est rendu coupable dans les contextes politique, économique et social, qui prévalaient à l’époque. Car pour Sékou Touré, tout aura commencé avec le "non" historique que le leader nationaliste osa jeter au visage du général De Gaulle, le 28 septembre 1958.

A l’époque des faits, cela relevait sans aucun doute d’un courage inqualifiable, mieux, de la folie conduisant très certainement au suicide politique de l’homme et de son pays. Quel autre africain d’ailleurs, osa, après lui, emprunter la même voie dont on imaginait aisément qu’elle se trouverait très vite truffée d’embûches ? Le discours de ce jour de septembre 1958 reste célèbre pour avoir été comme un affront contre la France et une implacable dénonciation de la colonisation.
L’indépendance proclamée le 2 octobre laissera l’ancienne métropole de marbre, attentiste.

Un attentisme silencieux, lourd de menace muette. A raison certainement, car on ne gifle pas impunément une montagne. Sékou Touré n’eut sans doute pas assez de toute sa vie pour payer certaines rancunes que le temps se chargea de transformer en rancoeurs , certaines ouvertes, d’autres insidieuses, mais toutes tenaces, visant un seul objectif : celui de l’abattre. Il est vrai, l’homme, Sékou Touré, ne fut pas lui non plus, exempt de tout reproche, loin s’en faut. Les 50 000 morts ou disparus qu’on lui impute ainsi que le tristement célèbre camp Boiro qui vit défiler et mourir tant et tant de Guinéens, de "diète noire", de torture et d’autres formes de sévices, sont encore là pour l’attester.

Mais il y eut aussi -il faut le dire, par devoir de vérité- le temps où la Guinée était comme le pays phare de la culture et du sport africains. On se rappelle l’époque du grand Bembeya jazz, les Amazones, le Sily national de Guinée, tout comme on se souvient que de célèbres fils d’Afrique trouvèrent dans ce pays à un moment ou à un autre de leur histoire, une terre d’accueil sûre et protectrice, au moment où ils étaient objets de mauvais traitements dans leur propre pays, ou simplement victimes de persécution. Myriam Makéba y séjourna de longues années, fuyant l’apartheid, et Kwame N’krumah y vécut les dernières années de sa vie. On reproche de nombreuses choses à Sékou Touré, et beaucoup de ce qu’on dit est vrai.

Mais à sa décharge, il avait contre lui trop d’ennemis très puissants, tous aussi hostiles que déterminés à lui faire rendre gorge. Asseoir un Etat, bâtir une nation dans ce contexte d’hostilité généralisée et permanente n’était pas une sinécure. Pire, cela relevait d’une véritable gageure. Et s’il faut reconnaître que Sékou, de leader progressiste qu’il était, se mua bien vite en dictateur -avec toutes les dérives que cela occasionnera- force est aussi de convenir que la sainte alliance que sut organiser l’ancienne métropole autour d’elle -la Françafrique ne date pas d’aujourd’hui- ne lui fit aucun cadeau. Pire, elle poussa à la faute toutes les fois que cela lui fut possible. Et si cela ne justifie pas toutes les dérives dont l’homme se rendit coupable, cela l’explique en partie.

Une tout autre histoire est celle de celui qui devait lui succéder à la tête de l’Etat guinéen, Lansana Conté, et dont on pensait, fort légitimement qu’il avait tous les atouts pour redresser un pays qui sortait de 26 années de souffrance de ses fils ainsi que de marasme économique. Terrible désillusion. Lorsqu’il arriva au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat le 3 avril 1984, soit une semaine après la mort de Sékou Touré, ce fut une véritable ferveur qui l’accueillit .

Les Guinéens d’emblée lui firent confiance, trop vite trop heureux et sans doute pressés de débuter une ère nouvelle qui leur permettrait enfin de goûter à l’exquise saveur de la liberté retrouvée. Et ce, d’autant plus que les premières promesses du nouvel homme fort de Conakry donnaient à penser ainsi : fin du régime révolutionnaire, engagement d’ouverture du pays au reste du monde, mise en valeur de ses ressources naturelles, libéralisation de l’économie, instauration de la démocratie et respect des droits de l’homme, retour de quelque 2 millions d’exilés guinéens dispersés à travers le monde entier, etc.

Mais ces mutations économiques que devaient accompagner des réformes politiques ne durèrent que l’instant d’un feu de paille. Le général président ne voulut jamais les faire appliquer. Et le pays de vite reculer sur le chemin de la démocratie et des droits de l’homme. Bien qu’il l’ait lui-même instituée, le président ne sut jamais se faire au jeu de la démocratie, lui préférant, au fil des années, un durcissement de son régime autocratique.

Et les Guinéens de déchanter : le remède qu’ils avaient espéré se révèle être pire que le mal déjà subi. Ce drame auquel les habitants de ce pays rêvaient d’échapper continue aujourd’hui, qui plus est, il s’accentue, en prenant de plus en plus les traits d’un homme dont l’incapacité à gouverner n’a d’égal que le grotesque dans lequel donne si souvent le général président. Depuis fort longtemps emmuré dans son village, il dirige le pays par personnes interposées. On se rappelle que pour sa réélection, il a voté à bord de sa propre voiture. Il condamne qui il veut, libère qui il veut. En réaction aux exigences des syndicats, il oppose l’état d’urgence, impose le couvre-feu, permettant ainsi à l’armée d’arrêter, de torturer et de tuer en toute liberté, en toute impunité.

Le traumatisme dans lequel Lansana Conté a fini de jeter la Guinée se trouve exacerbé par un régime qui se base sur le népotisme, la corruption et l’inconscience érigés en principes pour gouverner. Il n’est pas loin d’être le bourreau fossoyeur de la Guinée, du moins ce qu’il en reste. Son prédécesseur, lui au moins, avait l’excuse du contexte historique difficile qui a caractérisé les années précédant immédiatement les indépendances. Conté, pour sa part, ne pourra bénéficier que de circonstances aggravantes car les méthodes louches et moyennâgeuses qu’il applique avec une réelle obstination pour se maintenir au pouvoir à tout prix, n’ont d’égal que son incapacité à chercher et à découvrir où se trouve le vrai bien pour son pays.

Il aurait dû comprendre, depuis longtemps déjà, que l’ambition sans la compétence est un crime. De nombreux jeunes en Guinée le savent bien, qui s’adonnent à l’alcool et aux rythmes de musiques pour oublier qu’un mal qui répand la terreur les accule un peu plus, chaque jour qui passe, à plus de désespoir, fatalistes avant l’âge. Ils s’interrogent sans doute aussi sur la nature des crimes dont ils se sont rendus coupables, de même qu’ils entretiennent le secret espoir que quelque main secourable, un jour, enfin les prenne en pitié et leur porte un providentiel secours.

"Le Pays"

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