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Larba Yarga, ancien ministre de la Justice/Garde des Sceaux : « Je ne regrette pas mon engagement politique… »

Publié le mercredi 24 septembre 2008 à 06h59min

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Le grand rendez-vous de débats de la rédaction avec les personnalités sur les grandes questions d’actualité reprend du service, de plus belle. Quoi de plus normal donc que la rédaction ait porté son choix sur un homme multidimensionnel, politique et juriste réputé pour rester fidèle à la réputation de cette rubrique. Ainsi, Larba YARGA, ancien ministre de la Justice, ancien député, enseignant à l’Unité de formation et de recherches en Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Ouagadougou, s’est prêté aux questions des journalistes de la rédaction de Sidwaya pendant près de trois heures le mardi 26 août 2008. Débat passionnant, questions indiscrètes, M. YARGA n’y est pas allé du dos de la cuillère pour dire ses vérités. Militant du parti majoritaire, il se prononce entre autres sur la vie du CDP, la fronde des refondateurs, l’an I du gouvernement Tertius ZONGO, la justice et ses travers, la vie chère, la crise universitaire, le boom de la diplomatie burkinabè et la résolution des conflits. Larba YARGA dont “le cœur penche” pour le candidat démocrate Barack Obama se dévoile dans les colonnes du journal de tous les Burkinabè.

Sidwaya (S) : En tant que militant du CDP, parti au pouvoir, quels enseignements tirez-vous de l’action des refondateurs menée par Marc Yao, René Kaboré, Mathieu Ouédraogo et autres ?

Larba YARGA (L.Y.) : Tout d’abord, je remercie Sidwaya de m’avoir invité à cette rencontre. C’est tout un honneur et un grand plaisir pour moi d’être
là ce matin (NDLR : le 26 août 2008). Du reste, le problème des refondateurs qui se pose au sein du CDP, nous préoccupe tous. Car il y va de la vie du parti. Ce n’est pas le fond du problème posé par ces gens qui est en cause, mais c’est la tribune choisie et la manière de poser le problème à savoir sur la place publique qui sont sujettes à caution. De ce point de vue, je pense que les débats qui ont été menés aux différents niveaux montrent qu’il y a certains points sur lesquels, on estime qu’ils ont raison. Mais il fallait en fait poser cela dans le cadre des limites des
textes du parti. Donc, je pense que pour l’instant, les choses sont au stade que vous connaissez, le congrès n’ayant pas encore eu lieu pour statuer. Je me dis qu’il y a des occasions de débattre des problèmes. Que ce soit au sein du bureau exécutif national du parti ou du bureau politique ou même encore à la convention du parti, ces instances offrent des possibilités de discussions, d’échanges qui auraient permis de crever certains abcès.

S. : Si les revendications des refondateurs sont justes et légitimes, était-il alors opportun de les sanctionner ?

L.Y. : Nous en avons déjà débattu au cours d’une session du bureau politique national. Je dois dire que les appréciations étaient divergentes

et variées. D’aucuns auraient souhaité qu’ils viennent au bureau politique national pour exposer leurs griefs et se soumettre aux tirs croisés des uns et des autres. De cette façon, on aurait su ce qu’il y a à redresser et en retour fournir aux refondateurs des éléments d’explication. Il faut cependant que la direction du parti soit toujours vigilante pour ne pas laisser des camarades utiliser leur position et régler des problèmes personnels ou induire les gens en erreur.

S. : Cette fronde traduit-elle un malaise au sein du CDP ?

L.Y : Le CDP est un grand parti et je crois que cela est normal. J’appelle cela un élément négatif normal. Il faut s’attendre à ce que dans une maison aussi grande que le CDP, il y ait aussi des gens qui ne trouvent pas leur compte. Si donc au sein du parti, les refondateurs estiment que leurs positions ne sont pas prises en compte, ils auraient dû passer par la voie réglementaire en s’appuyant sur les textes pour se faire entendre. Ayant privilégié le recours à la presse, il est utile que le parti les invite à entrer dans le circuit pour que le débat se mène en interne selon les textes du parti. Si on parle de malaise, c’est normal. Dans tout parti, il peut y avoir des tendances.

S. : Croyez-vous que la FEDAP/BC fait ombrage au CDP ?

L.Y. : Je ne vois pas en quoi, dans la mesure où au jour d’aujourd’hui, les objectifs sont différents. La FEDAP/BC n’est pas un parti politique à l’instar du CDP.

S. : Mais, sa création peut-elle se justifier par le fait qu’il y a beaucoup d’insatisfaits ou de gens qui se sentent lésés au sein du CDP ?

L.Y. : Il y a des gens qui sont des deux (2) côtés. On peut être au CDP et être syndicaliste par exemple ou au CDP et militer dans une association par exemple. L’un n’exclut pas l’autre.

S. : Comment trouvez-vous l’état de santé du processus démocratique au Burkina Faso ?

L.Y. : Le chemin parcouru depuis 1991 est très appréciable. Ayant été membre du gouvernement et des législatures écoulées, j’estime que beaucoup de choses positives ont été accomplies et nous en sommes fiers. Du reste, la démocratie burkinabè est citée en exemple par beaucoup de pays. La pluralité des opinions relayées par la presse montre que la démocratie avance. Il faut cependant toujours chercher à l’améliorer et à la consolider.

S. : Comment appréciez-vous l’an I du gouvernement Tertius ZONGO ?

L.Y. : Un an c’est beaucoup et peu à la fois. Mais du point de vue des actions sur le terrain il faut dire que les Burkinabè sont attentifs et constatent qu’il y a du changement. Le Premier ministre Tertius ZONGO est un homme avec qui j’ai servi au gouvernement quand il était ministre des Finances. J’ai vu qu’il a son franc-parler et devenu chef du gouvernement, il ne s’en est pas départi. Sur le terrain, il imprime une marque dynamique à l’action gouvernementale. Je pense que le fait qu’en saison hivernale, il aille dans les champs pour voir ce qui s’y fait et, constater l’état de la campagne agricole prouve que le Premier ministre est sur tous les fronts. Cela montre aussi qu’il s’intéresse à tout, à commencer par l’agriculture, le pilier de notre développement économique et social. Et il faut garder le cap dans les actions qu’il mène avec son équipe.

S. : Le ministre de l’Agriculture était dans les champs, ensuite le Premier ministre, cela donne l’impression d’un doublon et d’un gaspillage de ressources ?

L.Y. : Je ne pense pas que cela pose un problème parce que le responable du département de l’agriculture est allé sur le terrain pour d’abord voir et faire le compte rendu au chef du gouvernement qui avait exprimé le besoin de sortir aussi sur le terrain.
Par la suite, le chef du Gouvernement est sorti, il a fait le tour, il a vu ce qu’il y a et je pense qu’il n’y a aucun problème en cela.

S. : Pourtant, les sorties mobilisent plusieurs dizaines de véhicules...

L.Y. : Oui les cortèges mobilisent des dizaines de véhicules parce qu’il faut impliquer le maximum de responsables ; les sorties montrent que le gouvernement s’intéresse justement à cette frange de la société qui nous nourrit : le monde rural. Quand les tout-terrains s’ébranlent dans le paysage du Burkina de l’intérieur, les gens se demandent ce qui se passe et ils prêtent une oreille attentive aux médias et au message que leur livrent les occupants de ces engins. Au lieu de tabler sur les supposés gaspillages, il faut plutôt voir les gains que la sortie du chef de gouvernement peut procurer. Les bénéfices sont énormes et se feront ressentir à la moisson à travers de bonnes récoltes et l’engouement que cela va susciter au sein du monde rural et des agents qui voudront faire de l’agro-business. On y gagne beaucoup.

S. : Vous avez apprécié positivement l’an I du gouvernement Tertius ZONGO, mais il y a la vie chère, la grogne sociale. Cela sape-t-il les progrès que vous évoquiez tantôt ?

L.Y. : La vie chère nous interpelle tous et cela montre que nous devions depuis longtemps réorienter l’action notre mode de communication.
A savoir que l’on cultive du riz et beaucoup préfèrent acheter du riz importé en disant que le riz local n’est pas de qualité. Et pourtant !...
Aujourd’hui faute de riz importé, il faut forcément qu’on achète ce qu’on produit. Au Sénégal, le président Wade a lancé le plan GOANA et au Mali, ils ont entrepris de développer l’agriculture au niveau national.
Il a fallu que la vie chère vienne rappeler que nous devons agir autrement pour nous prendre en charge. Comme quoi à quelque chose malheur est bon ! En attendant, il faut prendre en charge la grogne sociale.
Les mesures d’exonération fiscale prises sur trois, voire six mois n’ont pas produit les effets escomptés. Au contraire, elles ont favorisé la spéculation.
Il fallait, à mon sens, envisager ces mesures sur le moyen terme, ce qui aura l’avantage d’empêcher que les spéculateurs ne disent pour longtemps que les prix élevés qu’ils pratiquent concernent d’anciens stocks non écoulés.

S. : Au Ghana, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, les chefs d’Etat étaient au-devant des réactions contrairement au Burkina où le Président du Faso est resté muet. Qu’en dites-vous ?

L.Y. : Vous avez raison de dire que le chef de l’Etat est resté silencieux mais c’est lui qui imprime l’action au gouvernement et à l’ensemble de l’exécutif ; ce qui se fait c’est par rapport à son programme politique.
Donc, même s’il ne s’exprime pas assez, il faut comprendre qu’en dessous, c’est lui qui imprime l’action au gouvernement.
Il est souhaitable qu’il faut qu’il s’exprime de temps à autre pour qu’on sache que par rapport à telle ou telle préoccupation ou question d’actualité, voilà ce que pense le sommet de l’Etat.

S. : Le débarquement inexpliqué jusque-là de Salif DIALLO du gouvernement ne cache-t-il pas un malaise au sommet de l’Etat ?

L.Y : Je ne suis pas dans le secret des dieux pour savoir s’il y a malaise au sommet de l’Etat. Mais ce qui est certain lorsque l’on fait un remaniement qui ne touche qu’un ou deux (2) éléments, il est normal que cela suscite des interrogations.
Je me souviens que le 17 janvier 1994, lorsqu’on m’avait appelé pour dire qu’il faut prendre la justice, j’avais demandé si je pouvais réfléchir 24 h, 48h, 72h, et on m’a dit que c’était dans l’immédiat.
Si je dis OK, on appelle le ministre concerné pour l’informer. Effectivement, lorsque j’ai dit OK, j’accepte, on a levé la séance.
Ce n’est que vers 22h 20 minutes que la radio a commencé ses informations en disant qu’il y a remaniement gouvernemental, moi je quitte la Défense pour la Justice, un haut-commissaire vient pour occuper l’administration territoriale et celui qui était au MATS (Ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité) va à la Défense.
A l’époque, la justice était en « ébullition » et certains pensaient que je n’allais pas faire plus de 3 mois, les plus optimistes me donnaient 6 mois. Et un an après le bâtonnier de l’ordre des avocats, à l’issue d’une audience que je lui avais accordée, m’a présenté ses félicitations.
Je lui ai demande pourquoi ? Et il m’a répondu qu’à dire vrai, “certaines personnes disaient que tu n’allais pas faire plus de 3 mois à la tête du ministère de la Justice”. Je lui ai dit que je suis en mission, elle peut être de courte durée, de moyenne durée ou de longue durée. Finalement, j’ai fait cinq (5) ans (janvier 1994 janvier 1999).

Le 14 janvier 1999 c’est-à-dire un mois après l’affaire Norbert ZONGO, le Premier Ministre de l’époque ma appelé pour me dire qu’il voulait « faire de moi un effet de choc » en me remplaçant à la tête du département de la Justice. Je lui ai répondu que je n’avais aucun ressentiment puisqu’on me donnait en 1994 trois (3) mois de longévité et j’ai fait cinq (5) ans à la tête de ce département. J’ai ajouté que je suis guidé dans tout ce que je fais par un principe moral et philosophique qui s’énonce ainsi : « fais ce que tu crois devoir faire, laisse dire ce que les gens veulent bien dire ; l’essentiel est d’être en paix avec sa conscience ». Le Premier Ministre en a ri et a pris congé de moi.

S. : En tant qu’ancien ministre de la Justice, les différents griefs (corruption, magistrats acquis, verdicts partiaux...) reprochés aujourd’hui à la justice burkinabè sont-ils fondés ?

L.Y. : Je vous remercie pour cette question. Lors de la rentrée judiciaire de 1997 à Bobo-Dioulasso, j’avais dit dans mon discours entre autres que « rendre la justice est un sacerdoce ; critiquer la justice est un fait quotidien de société car nulle part au monde la justice des hommes n’a jamais atteint l’idéal souhaité par le justiciables ».
Le juge, en tant qu’être humain, a aussi ses faiblesses et peut penser avoir dit le droit en toute bonne foi alors que ce n’est pas le cas.
Il faut avoir un regard critique en n’oubliant pas que d’autres facteurs jsur l’action du juge influant. Quand vous lisez les ouvrages, on dit parfois que la vérité a un fil, si effectivement le juge n’a pas la patience et le sens de l’écoute, il peut rendre des décisions contestables.
On peut dans ce cas de figure formuler plusieurs reproches envers la justice. Mais, il faut savoir que plusieurs facteurs peuvent influencer la décision d’un juge.
C’est ainsi que lorsqu’on vous dit que l’affaire est mise en délibéré alors que la décision pouvait être rendue sur le champ, c’est pour permettre justement que à la passion qui a prévalu lors des débats retombe afin que le juge rende sa décision de façon sereine.

S. : On reproche aussi souvent à la justice d’être corrompue, d’être lente parfois...

L.Y. : Il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs. Le juge est un homme comme vous et moi. Et par rapport à cela, vous ne pouvez pas avoir des gens qui soient au-dessus de tout soupçon. Je me souviens que la première session du conseil de discipline de la Justice tenue en mars 1995 que le Président de la Cour Suprême à l’époque m’avait téléphoné pour dire que “ça tombe très bien”. C’est-à-dire qu’il était temps de moraliser. Certains ont trouvé que c’est un conseil de discipline contre les juges de siège et d’autres de dire que c’est un conseil comme les autres. Donc les commissaires instructeurs des dossiers ont travaillé environ deux (2) mois et en mars 1995 la commission a siégé à propos de sept (7) dossiers, le huitième non retenu concernait un magistrat en disponibilité.

Le juge peut être suspecté d’avoir eu un intérêt quelconque à protéger lorsqu’il s’abstient de poser les actes nécessaires pour faire avancer ou d’élucider un dossier judicaire en cours.
Est-ce un parent, un ami, quelqu’un qui a donné de l’argent ou est-ce quelqu’un qui a exercé une pression quelconque ? L’intérêt peut ne pas être financier. Il y a donc plusieurs façons, de voir la chose. La corruption n’est pas forcément financière, elle peut être perçue de la façon dont il prend une décision en faveur d’un proche ou bien d’un ami ou du parent d’un collègue. A travers le monde entier, la justice des hommes n’est pas toujours à la hauteur des attentes du justiciable.

Si on n’a pas réussi par les formes traditionnelles (conciliation, gestion coutumière des litiges), à régler tel ou tel problème, c’est à la justice qu’il revient en dernier ressort de dire le droit, de trancher et c’est toujours au détriment de l’une des parties.
Si le perdant est remonté suite à la décision rendue, il y a fort à parier qu’il dira que les juges sont vendus. Mais attention, ne déduisons pas que les juges sont vendus car, comme toute structure exerçant du pouvoir, la justice a aussi ses brebis galeuses.
Et de nos jours il y a des jeunes qui embrassent la carrière non par vocation mais parce qu’ils croient y trouver une couverture et même s’enrichir vite. Ceux qui y vont parce qu’ils veulent aller vite n’ont pas leur place dans cette maison du sacerdoce.

S. : Que faut-il pour bâtir une justice crédible ?

L.Y. : Je me dis qu’à travers les inspections techniques, permanentes, on peut arriver à corriger les irrégularités. Et de la même façon, dans les commissariats de police et brigades de gendarmerie, il est souhaitable que les procureurs se déplacent de temps à autre pour vérifier l’état des registres, voir et écouter des personnes incarcérées. Car souvent, les délais de garde à vue y sont trop longs. Des accusés passent ainsi 2 semaines, 3 semaines, 1 mois, 2 mois sans être signalés au parquet. Je crois que des instructions régulières pourraient permettre d’amoindrir les cas de dérives que l’on reproche à la Justice. A l’intérieur de la Justice, je pense que les sanctions peuvent également être brandies. Le conseil supérieur de la magistrature, présidé par le Chef de l’Etat avec pour vice-président le ministre de la Justice, est garant de la bonne marche de la justice. Il peut siéger en formations restreintes qui sont la commission d’avancement et la commission de discipline, toutes deux présidées par le magistrat le plus ancien et le plus gradé.
Il faut que la commission de discipline tienne des sessions régulières sur les cas étayés par des enquêtes crédibles.

S. : Arrive-t-il qu’un gourou tapi dans l’ombre intervienne en faveur de quelqu’un à la justice ?

L.Y. : Me concernant, je n’ai pas eu à le faire même une seule fois, mais je dois vous dire une chose. J’ai été saisi par le président du Syndicat des Commerçants Importateurs et Exportateurs (SCIMPEX) à l’époque le directeur de la SIFA. Il m’a remis une lettre disant qu’il y a une société qui l’a saisi avec cette lettre concernant quelqu’un qui a été employé pour un contrat à durée déterminée de deux (02) ans avec un (01) ou deux (02) mois d’essai et au terme donc de la période d’essai, la direction qui n’était pas satisfaite a décidé de l’arrêt du contrat, la lettre notifiant la décision a été remise avec deux (2) jours de retard.

S. : Qu’est-ce qui s’est passé ?

L.Y. : Le directeur des ressources humaines a notifié la lettre un lundi alors qu’il devait le faire le vendredi, le mois finissant le samedi. Là, la personne concernée a jugé que c’était un licenciement abusif. Elle est allée en justice et a demandé des dommages et intérêts à son employeur ; faute d’accord à l’inspection du travail, le dossier a été envoyé au tribunal du travail et la société a été condamnée à payer des dommages et intérêts qui s’élevaient à 10 ans de travail ; la société était disposée à payer même 2 ans de salaire pour se débarrasser de cet agent. Mais 10 ans c’était manifestement trop !

Là, j’ai aussi trouvé que c’était excessif. En son temps, j’ai demandé au procureur général de saisir la Cour d’appel concernée d’en faire part au Président pour qu’il voit le dossier afin nous informer. La deuxième (2e) fois que j’ai eu à saisir la Cour d’appel de Ouagadougou, c’est lorsqu’un opérateur économique m’a transmis une lettre en disant qu’il a un dossier contre un autre opérateur économique et qu’il y a eu 23 reports d’audiences. L’affaire datait de moins de trois (03) ans et le monsieur m’avait dit en substance : Vingt-trois (23) reports monsieur le ministre, ça me bloque parce que je ne peux pas vaquer à mes occupations comme je veux. Il avait répertorié toutes les dates d’audiences prévues et les dates des reports. Il m’a informé que la prochaine audience, c’est dans un mois et demi ou deux (02). Là, j’ai pris la lettre et j’ai appelé le Président de la Cour d’appel de l’époque et je la lui ai transmise par fax.
Je lui ai demandé de la lire et de me rappeler pour donner son avis sur les reports. Il a lu et m’a rappelé pour dire que c’était quand même excessif.

Je lui ai demandé de “saisir le tribunal concerné pour que l’audience prochaine soit une audience utile”. C’est-à-dire qu’on tranche. Le monsieur m’avait dit : si j’ai tort, je m’exécute, si j’ai raison, l’autre partie s’exécute. J’’avoue que depuis que la décision a été rendue, il ne m’a plus saisi ; donc, j’estime, qu’il a tenu parole et moi je n’ai plus cherché à savoir ce qui s’est passé après.

S. : Etait-ce un parent ou une connaissance ?

L.Y. : C’est un ancien homme de tenue reconverti aux affaires. Ce n’est pas un parent.

S. : En justice, on parle de juge acquis et de juge non acquis. Cela est-il une réalité au sein de notre justice ?

L.Y. : Pour les termes de « juge acquis » et de « les utilisateurs », ceux qui ont utilisé ces termes savent pourquoi ils l’ont fait. Pour ce qui me concerne, je ne connais pas le sens de ces termes. Par contre, lorsque le Conseil supérieur de la magistrature devait se tenir pour statuer sur les affectations, je chargeais les responsables de juridictions (Cour de cassation, Cours d’appels) de se réunir pour proposer quelque chose afin le Conseil Supérieur de la Magistrature puisse procéder aux affectations sans problème majeur.

S. : Quelle est votre opinion sur les grands dossiers de la justice à savoir les dossiers David Ouédraogo, Norbert Zongo et Thomas Sankara ?

L.Y. : Concernant les grands dossiers dont vous parlez, pour moi l’affaire David Ouédraogo a connu son dénouement. Je ne vois pas pourquoi encore il faut en parler.
Pour les autres affaires Thomas Sankara et Norbert Zongo, le fait que les choses prennent une tournure politique, ne permet plus d’apporter une appréciation sereine. Parce que quel que soit le côté où l’on se situe on dira toujours que c’est un parti pris alors que ce n’est pas le cas.
Par rapport à l’affaire Thomas Sankara, il y a eu des changements de régime intervenus en 1987, en 1983 et avant ces dates. Mais par le passé, de tels cas n’avaient jamais été envoyés en justice. A moins que je ne me trompe.
Donc sur ce plan, je me dis que les différentes instances devraient statuer jusqu’à épuisement des voies de recours internes.
L’envoi du dossier à des instances internationales ne fait que servir de fonds de commerce politique ; dès lors la politisation à outrance du dossier devient inévitable.

S. : En quoi l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat luttera mieux contre la corruption par rapport à la Haute autorité de coordination de lutte contre la corruption ?

L.Y. : Si les autorités politiques décident de prendre tel rapport mettant à nu une situation délictueuse et de l’envoyer en justice pour des sanctions, je pense que ça devrait aboutir. Mais si ce n’est pas envoyé, que faites-vous ? La structure en question aura fait son travail, ce n’est plus sa faute. Au Sénégal, quand le président Wade a attrait son ancien Premier ministre devant la Haute Cour de Justice, c’était politique également. Sinon, il y a longtemps que cette affaire Idrissa SECK était close.

S. : Dans le contexte africain, quelle chance a une Haute cour de justice pour juger un chef d’Etat ?

L.Y. : En la matière, ce n’est pas aussi simple que ça, étant donné que les infractions sont définies. Il s’agit d’une haute trahison, d’un détournement de deniers publics et de crime contre la Constitution. Comprenez avec moi que lorsqu’on est amené à passer ce stade, il faut qu’il y ait une crise profonde au sein de la majorité. Autrement, elle ne va pas mettre en accusation le Chef de l’Etat. Au Niger, si le Premier ministre a été débarqué par sa majorité, c’est parce que les députés ont estimé que c’était l’occasion pour eux de s’exprimer sur ce qui lui est reproché. En Mauritanie, on parle également de mettre en mouvement la Haute Cour de Justice. Là bas c’est un cas d’école exceptionnel concernant la légitimité de cette structure à l’heure actuelle. Le recours à cette Haute juridiction se fait en cas de crise aiguë au sommet de l’Etat. Aucun dossier n’a été envoyé à l’Assemblée pour statuer et mettre en accusation le chef de l’Etat. Mais pour ce genre de cas, le dossier va de l’Assemblée au parquet général près la Cour de Cassation, pour ensuite être envoyé à la commission d’instruction. La commission instruit le dossier et s’il y a lieu à poursuites, renvoie au parquet pour saisir maintenant l’instance de jugement à savoir les 9 juges titulaires de la Haute Cour de Justice.

S. : Il a été instauré au Burkina Faso la Journée nationale de pardon. La première édition le 30 mars 2001 était empreinte de suspense, quelle lecture faites-vous de cette journée ?

L.Y. : La Journée nationale de pardon a été une première dans l’histoire du Burkina Faso tout comme l’a été la conférence nationale souveraine au Bénin. Cette journée nationale de pardon a permis de rassembler différents acteurs de la société civile, politique, religieux et citoyens ordinaires pour faire en sorte que l’on ait une autre lecture sur ce qui s’est passé non pas depuis 1983 mais depuis 1960. Et à partir de là voir quelles en sont les solutions possibles. Je crois que tout ce qui a été fait comme réparation au plan pécuniaire est appréciable. De la même façon, la révision des procès des Tribunaux populaires de la Révolution (TPR) avait donné lieu à des réparations à coup de dizaines de milliards de nos francs. Je crois que pour la Journée nationale de pardon aussi, il fallait cela. Si cela apaise les cœurs, tant mieux. C’est pour que tous les fils du pays puissent se retrouver et travailler à développer leur pays au lieu de continuer à se détester.

S. : D’aucuns pensent qu’il fallait rendre justice d’abord avant de parler de pardon. Que répondez-vous aux tenants de cette thèse ?

L.Y. : Il ne faut pas copier pour copier. Si on a instauré cela dans un pays comme l’Afrique du Sud ou dans d’autres pays, je me dis qu’il ne faut pas forcément prendre ce chemin si on a une autre voie possible, même s’il y en a qui, peut-être, voient les solutions à travers le prisme que d’autres pays ont institué. Je pense qu’il faut avoir notre personnalité et faire en sorte que les solutions à nos problèmes soient trouvées à l’intérieur de tel ou tel canal par nous-mêmes.

S. : Pour aborder la question de l’Université, quelle lecture faites-vous de cette crise en tant qu’enseignant à l’université ?

L.Y. : En 1979, 1990, 2000 et 2008 il y a eu des crises sur le campus. Certes, les formes de revendications se focalisent sur le respect des franchises universitaires comme pôle directeur. L’université est par excellence un lieu où les gens doivent tolérer l’expression contraire. Par exemple, si vous êtes décidés à aller au boycott, alors que vos camarades n’en veulent pas, tolérez qu’ils aillent suivre leurs cours. Je ne parle pas de grève parce qu’en fait la grève est une forme de revendications à la disposition des travailleurs. Donc à l’université, on ne parle pas de grève mais plutôt de boycott. C’est très important et aujourd’hui, je dois dire que l’université avait été fermée et le gouvernement tout comme les autorités universitaires se sont activés pour trouver des solutions. Au jour d’aujourd’hui, les choses sont en bonne voie pour que la reprise le 1er septembre soit respectée. Cependant, j’ai ouï dire que des syndicats veulent organiser des meetings le 02 septembre. Cela est plutôt une provocation en ce sens qu’organiser un meeting sur le site du campus, veut dire qu’il n’ y a pas cours car on va empêcher les autres d’aller dans les amphis. Ce qui n’est pas acceptable. Ou ils font leur meeting le week-end ou alors ils le font en dehors du campus. La volonté des autorités universitaires de faire en sorte qu’on reprenne le 1er septembre, que l’on puisse finir les cours qui n’avaient pas été terminés ou de dispenser les cours qui ne l’avaient pas été et ensuite faire les examens est à saluer.

S. : Les revendications des étudiants concernaient deux (02) UFR. Est- ce que la décision des autorités universitaires de fermer le campus n’est pas excessive ?

L.Y. : Je suis rentré de voyage le mercredi 23 avril et j’ai demandé qu’on me programme la semaine suivante pour dispenser mon cours de manière intensive en 3e année. Le 25 avril, on m’a annoncé qu’à partir de mardi 30, je pouvais avoir 3 heures de cours de 18h à 21h. Je n’ai trouvé aucun inconvénient. C’est le lundi 29 qu’un collègue m’a informé qu’il n’y aura pas cours parce que les étudiants ont annoncé un boycott des cours dans toute l’UO mardi et mercredi, et ça été ainsi. La semaine, suivante c’était notre UFR (SJP) qui entamait un boycott encore mardi et mercredi. La 3e semaine, c’était les syndicats qui sont allés en grève mardi, mercredi et jeudi. Ce n’est que la 4e semaine que j’ai pu faire cours et 3 jours après je suis allé pour une mission de 3 semaines à l’extérieur. Quand je suis revenu le 14 juin, notre UFR/SJP a tenu une réunion le lundi 16 juin pour voir comment rattraper les heures perdues du fait des différents boycotts. Ainsi, nous avons conçu un scénario à proposer à la présidence de l’Université et le lendemain 17 juin, le boycott a commencé de manière active violente puisqu’il y a eu affrontements entre étudiants et les forces de l’ordre. Je pense qu’il y a eu une infiltration, que l’on n’a pas pu maîtriser et les propres explications du ministre chargé de la sécurité l’ont confirmé. Les étudiants doivent savoir raison garder afin de ne pas sacrifier l’avenir des générations qui vont leur succéder. Quand on revendique même, s’il y a des choses qui sont fondées il y a un seuil à ne pas dépasser. Nous sommes tous conscients de cela et chacun y gagne. L’intolérance que certains groupes d’étudiants veulent imposer sur le campus n’est compatible avec l’essence du temple du savoir.

S. : Pensez-vous que les étudiants sont manipulés par le pouvoir ou par des partis politiques de l’opposition comme le (PCRV) le Parti communiste révolutionnaire voltaïque ?

L.Y. : Je ne veux pas indexer tel ou tel syndicat de manière isolée. Mais d’une manière générale, les étudiants ont des accointances avec les formations politiques que ce soit de la majorité ou de l’opposition. Maintenant, la manière de poser le problème braque souvent l’interlocuteur en ce sens que certains points sont repris par des partis politiques. Et c’est là le problème puisque la liaison est vite établie.

S. : Quel est votre point de vue sur les différents points de revendications des étudiants ?

L.Y. : La question des salles est réelle et comme à la rentrée nous aurons deux amphithéâtres ouverts, cela permettra de solutionner une partie des revendications. Concernant les bourses et les aides, le gouvernement a fait des efforts appréciables et à la rentrée, il y aura quelque chose à ce niveau à savoir qu’on va payer les bourses et les aides en début septembre pour permettre aux étudiants de reprendre normalement, s’ils veulent bien reprendre les cours.

S. : Que dites-vous des dérogations ?

L.Y : Là, c’est un très mauvais champ. J’ai été secrétaire général de l’université de 1988 à 1991, donc, je sais ce que c’est qu’une dérogation. C’est à force d’intervention que les gens ont amené les autorités universitaires à accorder des dérogations à des étudiants qui n’avait plus droit. Normalement, l’étudiant a 3 années pour le 1er cycle, et s’il fait 2 années en 1re année sans succès, il doit décrocher pour 5 ans. La dérogation devrait servir pour boucler un cycle d’études et non faire du sur place. Les travailleurs ont un régime spécial dans leur cas, il faut concilier trois choses : le travail, la vie de chef de ménage et les études. D’où un régime d’études particulier pour eux.

S. : Les étudiants ont été remis à leurs parents sinon jetés dans les rues. Est-ce-que ceux qui ont pris cette décision ne manquent pas de fibre paternelle ?

L.Y. : S’il n’y a pas cours, on doit pouvoir fermer la cité universitaire. C’est vrai qu’on aurait pu différer la fermeture pour permettre aux étudiants de faire leurs baluchons. Mais, comme le campus s’était mu en un champ d’agitations et de protestations, il fallait donc couper court . C’est ainsi que j’ai compris la fermeture de l’Université le 27 juin dernier.

S. : Les chambres des cités sont insuffisantes pendant que l’on est en train de les casser pour faire des bureaux ; n’y a-t-il pas paradoxe ?

L.Y. : La pose de la1ere pierre de la cité universitaire a été faite en 1985 et finalement c’est une cité encastrée au sein de l’université. La transformation de la cité universitaire à l’intérieur ne constitue pas un problème puisqu’on retrouve des chambres en nombre ailleurs. Ce n’est pas si mauvais que ça, parce que vous avez à Kossodo une cité construite et qui n’a pas été habitée.
Si cette cité est mise en état d’être habitée, les étudiants vont l’intégrer mais, il faudra assurer l’accompagnement, à savoir le service de transport. Il y a aussi les cités de la Patte d’oie et de Tampouy. Donc, le nombre de chambres à dégager ne doit pas être inférieur à ce qu’on aura cassé pour tranformer en bureaux. L’idée au départ était de désengorger le campus universitaire, mais les infrastructures n’ont pas été terminées à temps et on comprend qu’aujourd’hui, on mette les bouchées doubles pour achever au plus vite les chantiers.

S. : Ne pensez-vous pas que la somme injectée dans la construction du mur de clôture aurait pu servir à l’achat de réactifs pour les étudiants en mathématiques, en physique-chimie ou en biologie ?

L.Y. : Peut-être ! Mais je crois que cette clôture n’a pas été décidée aujourd’hui. Dans les années 90, vous avez vu qu’on a mis une haie vive. On n’avait de moyens que pour faire ça et des sorties qui étaient instituées du côté Sud au niveau de l’UFR/SJP et au côté Est.
Aujourd’hui, si l’on estime que l’on peut mettre les moyens pour une clôture, ce serait davantage de sécurité pour le monde enseignant et estudiantin. Chacun a sa lecture, le contexte peut être critiqué, mais je pense que c’est une décision idoine.
Dans la journée, des délinquants viennent dormir au campus sous les arbres et même dans des locaux non fermés et sortent opérer la nuit. Je crois qu’en mettant la clôture et la police des universités, ces délinquants partiront du campus. C’est donc un plus pour la sécurité des personnes et de leurs biens, surtout si le port du badge est institué.

S. : Pourtant, la police des universités ne semble pas être du goût des étudiants, notamment leurs syndicats comme l’ANEB ?

L.Y. : J’apprécie positivement l’institution de la police universitaire parce que, comme je viens de le dire, il y a des délinquants qui dorment sur le campus le jour et opèrent la nuit. S’il y a une police universitaire, ils vont évacuer les lieux. Pour avoir été dans d’autres universités hors du continent je peux dire que la police universitaire s’impose chez nous aussi. Donc, nous n’innovons pas en la matière.

S. : L’argent mis dans les vingt ans de renaissance démocratique ne pouvait-il pas servir à construire des amphithéâtres pour les étudiants ?

L.Y : Ce n’est pas à cause des revendications universitaires qu’il ne faut pas avoir d’autres activités au Burkina Faso. Je crois que chacun apprécie à sa façon les bénéfices que l’on en tire pour le pays . Donc, ça dépend du bord où on se situe mais c’est sûr qu’il y a des retombées positives au triple plan politique, économique et social.

S. : Comment avez-vous vécu la célébration des vingt ans de renaissance démocratique ? Etait-ce opportun ?

L.Y. : Si ! L’opportunité de cette célébration ne fait aucun doute. On gagne toujours à faire une rétrospective pour voir quelle projection il faut faire. Dans le cas présent, les 20 ans de renaissance démocratique ont servi à faire une rétrospective et à s’enrichir de l’expérience des invités venus d’autres pays. C’est comme ça que je vois cette manifestation.

S. : Comment appréciez-vous les réformes opérées par l’Assemblée nationale sur le code électoral ?

L.Y. : Ça dépend. D’un point de vue constitutionnel, l’article 37 a fait l’objet de vives polémiques au sein de la classe politique. Je pense que si nous prenons l’exemple d’autres pays comme le Sénégal, nous constatons qu’il y a des adaptations fréquentes du code, une sorte de mouvement de balancier, des va et vient. Il y avait le septennat, que le Président WADE a supprimé pour un quinquennat et il vient de réinstituer le septennat ; parce qu’il estime que pour la réalisation de son programme il faut avoir le temps suffisant pour poser des jalons et les consolider après il avait supprimé le Senat et vient de le restaurer. Célébrer 20 ans de renaissance, ça peut être cher, mais il faut se dire aussi qu’il y a des acquis à en tirer. Rien n’est statique en politique. Au Burkina , nous avons eu les réformes politiques et institutionnelles en 2001 ; ce qui a donné lieu au code électoral de juillet 2001 depuis lors. Il y a eu après des modifications apportées au code, mais je pense que c’est dans le sens de la vitalité législative, pourvu que nous ne tombions pas dans une inflation législative comme dans certains pays européens.

S. : Est-ce que le citoyen lambda arrive à jouir de cette démocratie, vu que des candidats ont vu leurs comptes bancaires bloqués lors de la campagne présidentielle de 2005 ?

L.Y. : Les candidats à l’élection présidentielle étaient loin d’être des citoyens lamda. Je ne suis pas au courant de blocage de comptes de candidats à la présidentielles en 2005 ; c’est vous qui me l’apprenez. Ce que je sais c’est que l’Etat avait dégagé des fonds pour les candidats. Donc c’est insensé qu’on dégage des fonds pour des candidats et qu’on bloque en même temps leurs comptes bancaires. Et si c’est le cas, ceux qui en ont été victimes devaient saisir les instances juridictionnelles compétentes pour demander qu’on débloque leurs comptes. Pour moi, c’est comme ça que doit marcher une démocratie. Si l’on s’estime lésé, on doit recourir à la justice c’est-à-dire aux voies de droit, pour demander réparation du préjudice causé.

S. : Des confrères ont écrit que le chef de l’Etat prépare son frère pour sa succession. En tant que militant du CDP, qu’en pensez-vous ?

L.Y. : J’ai souvent lu cela également. Mais pour l’instant, du point de vue de la matérialité des faits, je ne vois pas encore à quel niveau cela se situe. Etant donné que le petit-frère du président est militant du CDP, membre du bureau politique, lorsque le CDP désignera son candidat en son temps, nous serons situés. Tout est possible, puisque dans un pays de l’Amérique Latine, une femme a succédé à son mari.

S. : Le Burkina Faso compte plus de 114 partis politiques dont certains se résument à leur père fondateur. Cela est-il aussi le signe de la vitalité de notre démocratie ?

L.Y. : Je n’ai jamais été favorable à cet émiettement. Sous la IIIe République, les articles 7 et 112 de la Constitution avaient disposé que seuls trois partis politiques allaient survivre après les élections en l’occurrence les 3 partis politiques qui auront obtenus le plus grand nombre de députés. Ce fut une formule assez autoritaire et rigide pour être viable. Il faut prendre un juste milieu à savoir, par un moyen ou un autre, amener les partis politiques à se regrouper pour plus d’efficacité sur le terrain. J’estime que le code électoral devrait par exemple consacrer que les partis politiques ne seront autorisés à compétir aux élections législatives que s’ils peuvent couvrir au moins 1/3, la moitié des provinces ou pourquoi pas les 2/3 des provinces. Une mesure similaire incitera les petits partis à fusionner avec d’autres pour avoir plus d’impact sur la scène politique nationale. Un parti politique qui est incapable de tenir ses instances statutaires doit être dissous. Et s’ils ne peuvent pas tenir leurs instances statutaires de manière régulière, ils n’ont qu’à se fondre dans d’autres formations plus grandes plutôt que d’encombrer le paysage politique. Il y a des partis dont le nom a été transporté par la magie du bulletin unique dans des localités éloignées où aucun de leurs dirigeants n’a jamais mis pied. Mais, cela c’est parce que d’autres partis d’envergure nationale ont pu envoyer les spécimens de bulletins partout.

S. : Il sera organisé un Sommet des étoiles au Burkina, est-ce que ce n’est pas une manière de piller l’argent du contribuable ?

L.Y. : J’avoue mon ignorance parce que pour l’instant je n’ai pas du tout entendu ou lu cela quelque part ; c’est peut-être parce que je suis occupé à d’autres choses. Mais je me dis que si des gens de l’extérieur pensent qu’il faut aller consacrer l’action de tel ou tel chef d’Etat, c’est certainement pour l’encourager à aller dans le sens où il va et pour montrer qu’il doit être supporté. Je crois que ce n’est pas mauvais. Sachez que les financements ne proviennent pas toujours exclusivement du budget de l’Etat. Il y a des financements qui viennent de l’extérieur pour la tenue de certaines manifestations qui intéressent nos partenaires au développement.

S. : Le Burkina vient d’être frappé par un grand drame : la mort par noyade de 34 orpailleurs. Que faut-il entreprendre pour prévenir de telles catastrophes ?

L.Y. : Tout d’abord concernant cet éboulement de Konkèra qui a fait 34 morts, nous déplorons toutes les pertes en vies humaines et exprimons notre compassion aux familles éplorées. La province dont je suis ressortissant a perdu 7 personnes dans des éboulements Konkèra. Il faut dire que l’homme est toujours à la recherche du gain. Qu’on ait fermé les mines d’or ou pas, ceux qui vont pour chercher leur “pitance” prennent souvent des amphétamines pour se droguer en disant, pourvu qu’ils puissent rapporter quelque chose à la maison. Ils oublient qu’avec la période, des le sort peut en décider autrement à tout moment, et c’est ce qui est arrivé. C’est regrettable et pour éviter cela il faudra des patrouilles régulières sur les sites durant les saisons hivernales. Mais cela ne pourra pas enrayer totalement le braconnage aurifère, si nous pouvons parler ainsi. Il était normal que le gouvernement prenne la mesure de fermeture des sites d’orpaillage. Ce qui n’a peut-être pas été fait, c’est une surveillance policière régulière pour éviter que les gens ne s’y aventurent. Et même s’il y avait une surveillance “policière”, il y a toujours des gens pour déjouer la vigilance des agents de sécurité. Quand le préfet de Konkéra dit qu’ils ont tout fait pour mettre en garde les contrevenants, cela montre que sur place, ils ont fait ce qu’ils pouvaient même s’il n’y a pas eu assez d’agents pour des patrouilles régulières.

S. : Face à la recrudescence du grand banditisme, que propose le gouvernement issu de la majorité présidentielle ?

L.Y. : Je ne peux pas répondre à la place du gouvernement, lui seul peut dire ce qu’il fait et ce qu’il envisage de faire. Mais par rapport à ce qu’on voit sur le terrain, il faut dire que la délinquance est un phénomène sous-régional sinon régional. Parce que les guerres au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire en ont pour conséquence une circulation des armes légères et de petit calibre. Il s’agit d’armes qu’une seule personne peut transporter partout où elle va comme le pistolet, la kalachnikov. Donc, les armes se sont répandues, et aujourd’hui, ce n’est pas seulement dans les pays autrefois en guerre que ces armes circulent mais dans tous les pays voisins y compris le nôtre ; mais la révolution du 4 Août 1983 a aussi sa part dans cette circulation d’armes légères et de petit calibre. Puisqu’à l’époque elles ont été distribuées sans enregistrement préalable des bénéficiaires. La délinquance peut s’expliquer de cette façon. Maintenant quelles mesures faut-il prendre pour arriver à combattre cette délinquance ? Depuis un certain temps, le gouvernement organise des systèmes de patrouilles mixtes dans les localités. Cela a permis de diminuer le phénomène mais pas de l’éradiquer. Maintenant est-ce qu’avec la police de proximité, on peut obtenir plus de résultats dans le sens d’une éradication progressive ?, il faut l’espérer. Je me dis qu’avec la police de proximité, les membres étant issus du terroir, connaissent bien ceux qui vivent dans le village et ceux qui y sont de passage, qui dort le jour et sort la nuit. La police de proximité permettra de mieux cerner les situations peu claires dans les villages où elle fonctionne correctement ; mais il doit y avoir une confiance absolue entre les agents de sécurité professionnels et ceux qui servent à leur coté. Faute de quoi cette trouvaille pourrait rater sa mission.

S. : Les délinquants appréhendés ressortent quelques temps après. Est-ce qu’il ne faut pas des condamnations plus fermes ?

L.Y. : Des condamnations plus fermes, je ne sais pas ; mais nous avons déjà des prisons bondées et cela pose d’autres problèmes. Si vous allez à la MACO aujourd’hui, j’avoue que le bâtiment principal trop vétuste menace ruine et inquiète sérieusement. Une action urgente s’impose. J’ai visité le bâtiment il y a 10 ans mais aujourd’hui les échos qui me parviennent montrent qu’il y a urgence à construire une autre Maison d’arrêt. On est en train d’ouvrir d’autres juridictions dans beaucoup de provinces, (il doit y avoir 23 tribunaux de grande instance avec Maison d’arrêt à la prochaine rentrée judiciaire) mais cela ne constitue pas un palliatif. Il faut étudier la question et savoir quelle thérapeutique apporter pour que les cas de délinquance avérés ne fassent pas l’objet d’évasions ou de relaxes pure et simple. Cela peut décourager les agents de sécurité qui se sont dévoués pour l’arrestation des délinquants. Il faut voir si es condamnations plus fermes suffisent ? Tout est question de dossiers que l’on présente au juge.

S. : Que pensez-vous de la peine capitale ?

L.Y. : La peine capitale, fait l’objet d’un débat assez controversé dans nos pays. Dans le code pénal de 1996, la peine capitale est consacrée. Mais en réalité, il n’y a pas eu d’exécution depuis l’affaire des coupeurs de têtes de Bobo en 1997. Il faut dire qu’on peut supprimer la peine de mort, mais si on la supprime, quelle sera la réceptivité au sein de la population ? N’y aura-t-il pas une résurgence de la vengeance privée ? Et cette petite anecdote illustre l’état des populations. Au sujet d’un voleur qui a été appréhendé en pleine nuit, les voisins sortis nombreux disaient à celui qu’il est venu cambrioler de conduire le voleur au cimetière. Face à ces propos qui scelleraient son sort, le voleur se mêla pour suggérer à celui qu’il était venu voler de conduire son voleur au commissariat ! Donc c’est quand même un problème”. Or les gens se disent qu’il faut en finir avec lui. C’est dommage. Si des gens sont appréhendés, il faut que des condamnations conséquentes s’en suivent. Maintenir aussi la peine capitale et ne pas en faire usage, serait mal vu au niveau de la communauté internationale, parce qu’il y a des textes internationaux qui recommandent la suppression de la peine capitale. Pour être en phase avec nos engagements internationaux,, il nous faut chercher d’autres peines alternatives.

S. : En d’autres termes, vous-êtes de ceux qui prônent sa suppression...

L.Y. : Pour l’instant, je ne suis pas pour la suppression dans les textes parce que, si vous vous rappelez, en Belgique, il y a eu l’affaire Dutroux. Comme la Belgique fait partie de l’Union européenne, elle a supprimé la peine de mort. Mais devant les horreurs de l’affaire Dutroux, certains citoyens ont regretté cette suppression Les cas de crimes crapuleux ne manquent pas et les juges doivent faire preuve de discernement en la matière. Imaginez quelqu’un qui enlève des enfants, les viole et les tue après. Qu’allez-vous faire ? Il y a eu en 1969 une affaire où deux (02) accusés des récidivistes, coupables de crimes ont été condamnés et mis en prison ; ils ont par la suite réussi à s’évader mais ils ont été repris. Cette fois-ci après le jugement, la peine capitale a été prononcée et tous les deux accusés ont applaudi (affaire Buffet et Bontemps) ; ce qui a scandalisé l’assistance. C’est pour dire qu’il y a des délinquants parfois déterminés et irrécupérables ; faut-il garder les criminels récidivistes en prison en sachant qu’ils sont déterminés à rester en marge de la société ? Il y a des prisonniers qui organisent des coups depuis leur lieu de détention et c’est regrettable. Donc le citoyen souhaite être plus en sécurité et cela demande que l’on réfléchisse davantage et prenne d’autres dispositions.

S. : Après Charles Taylor et Hissène Habré, l’étau de la justice internationale se resserre autour du président soudanais Omar El Bechir. Les Africains doivent-ils percevoir la Cour pénale internationale comme un outil de préservation de la bonne gouvernance ou au contraire comme un instrument de menace des leaders africains ?

L.Y. : La Cour pénale internationale est consacrée par le traité de Rome de 1998 et notre pays a pris part aux négociations en juillet avant 98. Ce qu’il faut noter, c’est l’attitude de ceux qui devraient donner l’exemple et qui ont entrepris de signer des accords bilatéraux pour faire en sorte que leurs ressortissants échappent à la justice internationale. Il y a des pays africains avec lesquels ils ont signé ces accords pour ne pas voir leurs ressortissants traduits devant la CPI. Vu les victimes des actes des personnes poursuivies, il est bon que la justice soit rendue le plus près possible de leurs victimes ou de leurs ayants droit. Nous avons eu un débat au centre culturel français Georges Méliès sur la justice internationale et la question de la compétence universelle en Belgique. Nous avons déploré que la compétence universelle ne joue que dans un sens unique parce que si un pays comme le Burkina Faso veut recevoir un ressortissant belge, allemand ou français pour le juger, son pays ne va pas l’extrader. La France a pour principe juridique qu’elle n’extrade pas ses ressortissants. Et elle ne le fera jamais. Quand certains préconisent d’envoyer Hissène Habré à la CPI, je me dis qu’il faut plutôt le juger sur place en Afrique, peu importe que ce soit à N’Djamena ou à Dakar. Si le Sénégal peut le juger, tant mieux et on peut y envoyer des témoins et des plaignants pour que justice soit rendue. Concernant le Président soudanais, c’est une équation à plusieurs inconnues en ce sens que le Darfour est une sorte de no man’s land. Tantôt les Tchadiens disent que le président soudanais arme les opposants contre le régime du Tchad, ce à quoi les autorités soudanaises répondent que le Tchad arme les opposants au régime du Soudan. Dans cette zone géographique, il y a beaucoup d’actions difficiles à cerner de manière convenable. Quand des soldats des forces de sécurité soudanaises pénètrent dans des camps pour massacrer des civils, le Soudan doit être interpellé. Est-ce que la saisine de la CPI conduira les autorités du Soudan à bouger et prendre des mesures idoines pour éviter cela, je n’en suis pas sûr.
Les chefs d’Etats en fonction sont protégés jusqu’à ce qu’ils quittent les palais. Le président soudanais va certainement se rappeler qu’un jour ou l’autre, il va quitter le pouvoir et qu’il va finir devant la Cour Pénale Internationale et peut être dans une prison en Europe.

S. : Comment avez-vous accueilli la nomination de notre compatriote Djibrill Bassolé au poste de médiateur en chef UA-ONU au Darfour ?

L.Y. : Je salue la nomination de Djibril Bassolé en qualité de médiateur conjoint de l’UA et de l’ONU ; c’est une marque de considération à l’endroit de notre pays au regard du dynamisme de sa diplomatie. Concernant l’homme Bassolé, c’est un gendarme très averti des questions de sécurité et le fait d’avoir passé un temps à la tête du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, lui confère des atouts nécessaires au succès de sa mission. Et puisque le président soudanais a envoyé des émissaires pour solliciter le soutien du Chef de l’Etat, c’est qu’il est conscient du poids politique du Burkina Faso ; c’est un élément qui pousse un peu plus à l’optimisme en ce sens qu’il ne va certainement pas demander notre soutien et contrecarrer les actions de notre compatriote. Donc nous pensons que le ministre Bassolé aura une certaine marge de manœuvre.

S. : Quel doit être le rôle de l’ONU pour mieux asseoir un monde paisible et heureux ?

L.Y. : C’est une grande question. Parce que la charte des Nations unies définit la mission de l’ONU comme étant une mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Aujourd’hui, on a les yeux braqués sur les différents foyers de tension. Mais personne n’imagine le nombre de foyers de tension éteints dans l’œuf du fait des Nations unies. Par rapport aux moyens qu’il faut déployer, je me dis que l’ONU n’a pas toutes les ressources nécessaires. Car les militaires envoyés dans les missions de la paix manquent parfois de matériel logistique. Si on prend le cas du Darfour, on dit qu’il faut des hélicoptères pour surveiller la zone de conflit afin de savoir ce qui s’y passe pour mieux contenir les embuscades. Je pense que l’action qui a été menée en 2006 dans un pays comme la RDC est salutaire. La MONUC a veillé à l’organisation des élections de manière acceptable et la paix revient petit à petit même si on constate qu’il y a toujours des zones comme le Nord-Kivu et l’Ouest où persistent des crises. L’ONU dans ses missions de maintien de la paix doit pouvoir se fixer un délai. Une fois la paix revenue elle devra, se désengager et aller sur d’autres chantiers. Il faut aussi qu’elle s’appuie sur les communautés régionales pour arriver à faire en sorte que les solutions aux foyers de tension soient des solutions pratiques s’appuyant sur les réalités locales..

S. : Selon vous qu’est-ce qui explique la montée des conflits à travers le monde ?

L.Y. : Des conflits sont de nature assez variée. Quand on va chercher vers la Thaïlande, le Cambodge, c’est loin de nous. Si on regarde même sur le continent africain, plusieurs conflits s’expliquent par la conquête du pouvoir politique. Entre les Etats, c’est parfois des revendications territoriales ou des actes pour affirmer son leadership face à d’autres leaders si bien que , on ne peut pas empêcher ce genre de conflits, ni les accusations de déstabilisation de la part d’un Chef d’Etat à l’encontre d’un de ses homologues. Tout cela est source de conflits

S. : Quel est votre point de vue sur l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU ?

L.Y. : Normalement, le Conseil de sécurité compte 5 Etats membres permanents titulaires du droit de véto. Les 10 autres Etats ne sont pas membres permanents et exercent un mandat d’une durée de 2 ans. En principe, s’il y a un seul Etat membre permanent qui s’oppose à la prise d’nue décision sur une question débattue par le Conseil de sécurité, il y a blocage. La puissance américaine en impose d’un côté et de l’autre, la Chine et la Russie exercent le contre-poids. Je suis pour l’élargissement du nombre total de membres et de celui des membres permanents au lieu que 5 Etats exercent le monopole de la décision. Le problème est qu’à ce stade du débat, il y aura par exemple dans des continents comme l’Afrique, des affrontements pas toujours heureux. L’Afrique du Sud voudra y être. Le Sénégal, l’Algérie, le Nigeria et l’Egypte vont vouloir représenter le continent et s’il n’y a que 2 sièges, imaginez la suite…
Est-ce que cela ne va pas nous déchirer davantage ? Je pense qu’il faut quand même élargir et ne pas laisser le monopole à 5 grandes puissances parce que cette époque est révolue. L’ère du monde bipolaire a cédé la place à la mondialisation.

S. : Au regard de la situation qui prévaut actuellement en Côte d’Ivoire, y a-t-il de l’espoir que les élections se tiennent en novembre prochain ?

L.Y. : Il y a un certain nombre de paramètres tels que celui du recensement des électeurs qui n’est pas avancé. En outre, la mise en place de la logistique n’est pas encore effective et les revendications qui ont lieu dans la région de Bouaké semblent être de nature à perturber le bon déroulement du processus. Mais tout dépend des acteurs politiques qui se suspectent en permanence ; en effet, si les acteurs sont déterminés à aller aux élections à la date du 30 novembre, ils doivent s’entendre sur un minimum et mettre tout en œuvre pour avancer.
J’étais en Côte d’Ivoire en novembre 2007 et à l’époque, le président de la commission électorale nous avait fait le point des préparatifs. Il semblait optimiste et cela nous a paru encourageant. A écouter les comptes rendus d’audience avec le facilitateur Compaoré, nous devons rester optimiste même si d’aucuns disent que le respect de la date du 30 novembre n’est pas évident. Alors c’est le “wait and see”. Dans beaucoup de nos Constitutions la disparition d’un chef d’Etat laisse à son intérimaire 60 jours pour organiser les élections. En Côte d’Ivoire, il y a 3 mois, soit 90 jours. C’est pourquoi nous devons rester optimistes en espérant que les échéances seront respectées. Les différents organes doivent travailler au respect du délai bien précis et qu’au terme de celui se déroulent les élections.

S. : Entre le Burkina et la Cote d’Ivoire, c’est le retour de l’amour ; qu’en pensez-vous ?

L.Y. : Je ne peux que saluer ce retour à de bons sentiments entre notre pays et la Côte d’Ivoire parce que si en 2003, on pointait du doigt le Burkina Faso comme le pays qui soutenait la rébellion dans leur action, le fait qu’on revienne à de bons sentiments, permet de rassurer aussi bien les ivoiriens que les communautés étrangères.
Nous pouvons beaucoup aider du fait que nous avons une importante communauté burkinabè dans ce pays. Nous avons intérêt autant que les ivoiriens à ce que la paix revienne dans ce pays frère.

S. : Pensez-vous que si Gbagbo est réélu, il dédommagera nos compatriotes endeuillés ?

L.Y. : Je ne peux pas deviner ce qu’il en sera. Mais je dois dire une chose, le fait que le président Laurent Gbagbo vienne au Burkina Faso en visite d’Etat est une bonne perspective. Mais nous regrettons que lors de son discours à l’Assemblée nationale, il n’ait pas eu un mot de regret pour les familles endeuillées. Il fallait quand même un mot de regret . Maintenant, on ne peut pas dire qu’il n’y aura pas de réparations pour ces familles parce que dans le temps, l’Assemblée avait interpellé le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso pour savoir ce qui est entrepris afin que nos parents entrent dans leurs droits. Il est possible qu’à travers les actions diplomatiques entre les deux pays, on puisse arriver à des réparations en faveur des Burkinabè qui ont été spoliés, victimes d’une façon ou d’une autre durant la crise.

S. : Que pensez vous des accords de partenariat économique en cours de négociation ?

Y.L. : Ah, les fameux accords ! On estime qu’ils devraient profiter aux deux parties. Mais, de façon objective, les africains ne sont pas prêts comme les occidentaux. Il est difficile de penser que les produits d’origine européenne viennent compétir sur le même pied d’égalité que nos produits. Les consommateurs préféreront les produits importés à nos produits locaux. Dans ce cas, les APE vont tuer nos économies. C’est là, la crainte majeure. Si un pays sollicité n’arrive pas à produire une quantité de produits demandés par les acheteurs, alors ceux-ci se retourneront vers d’autres pays. C’est pourquoi, on dit qu’il faut différer la signature des APE. Il faut murir la réflexion dans le cadre du commerce régional avant d’aller aux APE.

S. : Le Burkina Faso a été admis comme membre non permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Quel sens et portée donnez vous à cette nomination ?

L.Y. : Rappelez vous que la mission des Nations-unies est le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Dans notre sous- région, le Burkina Faso a oeuvré activement au retour de la paix dans des pays comme la Côte-d’Ivoire, le Togo... Cela a été un indicateur déterminant dans son élection en qualité de membre non permanent au conseil de sécurité de l’ONU. C’est donc le couronnement d’une diplomatie active et pragmatique.

S. : Croyez-vous que la réussite du Burkina dans la résolution des crises puisse expliquer la fragilité supposée des relations entre le Chef de l’Etat et certains de ses pairs dont le Guide libyen ?

L.Y. : Absolument, car c’est une question de leadership. Notre Président s’est montré actif sur le plan diplomatique. Face à l’ambition du Guide libyen de créer un gouvernement africain, le Président du Faso a exprimé son point de vue en disant que ce n’est pas encore le moment. Cette position pourrait avoir affecté le guide libien qui a peut être pensé que l’intention de notre président était de s’opposer à son projet.
Mais, la politique évolue en fonction des contingences et ses frictions vont s’apaiser avec le temps, nous l’espérons.

S. : Mais, on voit qu’il se rapproche d’Israël pourtant considéré comme l’ennemi juré du monde arabe. Est-ce que cela ne va pas accentuer leurs divergences ?

Y.L. : Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts (NDLR : Cette phrase vient du Président français Charles de Gaulle au moment des indépendances africaines). Nous aussi, sommes guidés par nos intérêts.
Qu’on soit avec la Chine de Taïpei ou de Pékin (NDLR Taiwan ou Chine populaire), qu’on soit avec Israël ou la Libye ; c’est tout à fait normal, car nous agissons selon nos intérêts.
Malgré ses ressources limités, le Burkina Faso, Etat souverain, doit mener ses actions diplomatiques au regard de ses intérêts supérieurs.

S. : John Mcain candidat républicain et Barak Obama celui des démocrates. Pour qui balance votre coeur ?

L.Y. : Comme vous (Grand rire), je suis tout naturellement pour Obama. Non pas pour ses origines africaines mais du fait de son dynamisme qui montre qu’il est tourné vers l’avenir.

Par contre, John Mcain plus conservateur me paraît un peu passéiste. Jo Biden lui-même dit que s’il soutient Bush au 2/3, il ne peut pas être le Président qui va changer quoi que ce soit aux Etats-Unis. Or, Obama, du point de vue de ses origines, de ses ambitions, est un homme tampon entre les diverses communautés, blanches, noires ou hispaniques. De plus, le choix de son colistier Jo Biden a été salué par Nancy Pelozi, une partisane de Mc Cain. Nous disons que c’est un aveu de défaite.
Souhaitons que les nombreux soutiens, dont bénéficie Barack Obama à travers le monde entier, ne se retournent pas contre lui au dernier moment.

S : Pensez-vous qu’avec Obama à la Maison Blanche, la politique américaine envers l’Afrique noire va changer positivement ?

L.Y. : Difficile à dire quoi qu’il est possible que Obama, élu Président ait un penchant pour l’Afrique eu égard à ses origines. Mais, les USA ont une ligne de conduite bien tracée en matière de défense et de politique étrangère. Et Obama ne saurait s’en départir.

S. : Faites vous allusion à la traque contre les terroristes ?

L.Y. : On sait que Bush a lancé une guerre sans merci contre les terroristes. Le moins qu’on puisse dire actuellement, c’est que les talibans reviennent en force. On l’a vu en Afghanistan où les attaques se multiplient contre les soldats étrangers. Le terrorisme est entrain de s’exporter même en Afrique, par exemple en Mauritanie ou en Algérie où il sévit déjà.

S. : A votre avis, quelle chance a Obama de réussir à contenir le terrorisme ?

L.Y. : Je n’ai pas de recette par rapport à son succès contre le terrorisme.
Le combattre suppose qu’on l’a circonscrit au préalable. Or, c’est un phénomène mouvant à l’image de la pieuvre tentaculaire. Le terrorisme est partout, en Afghanistan, en Irak, en Europe, etc. De ce point de vue, je pense que les Etats-unis sont allés trop vite en besogne pour ce qui est de l’Irak en transgressant les règles de l’ONU.
Le peuple américain aurait pu dénoncer les actions de Georges W Bush car toutes les accusations portées contre l’Irak se sont révélées fausses. Saddam Hussein a payé le prix par une pendaison. Mais, étant donné que la défense et la politique étrangère des Etats-unis sont figées, il appartient à la communauté internationale de savoir se situer dans les regroupements africains ou européens pour ne pas subir le diktat américain.

S. : A la convention démocrate, Obama aurait échappé d’après les services secrets à un attentat. Croyez-vous qu’il vive le même sort que Martin luther King, John Kennedy du fait de ses ambitions présidentielles ?

L.Y. : Il y aurait eu un attentat déjoué et nous ‘appelons cela un « élément négatif normal », parce que ce n’est pas surprenant. Négatif car cela vise à anéantir l’action d’un candidat. Fort de ce constat, l’Etat américain a pris des mesures sécuritaires rigoureuses pour protéger les candidats.

S. : Le président Français, Sarkozy semble faire de la lutte contre l’immigration clandestine son cheval de bataille.

L.Y. : Il peut lutter contre l’immigration clandestine mais il ne pourra pas l’enrayer totalement. En effet, des gens en tirent profit en ce sens qu’ils emploient et exploitent des clandestins dans leurs unités économiques. De plus en plus, les candidats sont nombreux à vouloir traverser les côtes espagnoles et des Iles Canaries. Certains prétendent qu’il n’y a plus d’espoir chez eux pour justifier leur désir d’aller voir dans l’Eldorado européen. Pour voyager, d’autres empruntent des sommes importantes qu’ils auraient pu investir dans une activité rentable en Afrique.

S. : Pensez-vous que les mesures anti-immigration prises en Europe vont ternir les relations franco-africaines ?

L.Y. : Tant que la lutte contre l’immigration clandestine se fera de façon frustrante, cela ne peut qu’amener les africains à résister et à se sentir atteint dans leur chair. Même si officiellement, les relations sont au beau fixe, il y aura une espèce de malaise au sein des populations. Trop de frustrations nourrissent des sentiments de rejet chez les frustrés. Il faut éviter cela en se disant qu’il y a une complémentarité entre les peuples et entre les Etats. Il faut plutôt chercher solutions.

S. : Qui êtes-vous ? Comment êtes vous parvenu à la scène politique ?

L.Y. : Il est toujours difficile de parler de soi. Nous sommes issus d’une famille de huit enfants et nous sommes troisième. J’ai été à l’école par hasard car mon village est situé à 10 km du chef lieu de province. En 1957, on avait demandé dans chaque village un nombre déterminé d’enfants à scolariser. A l’époque, le chef du village avait proposé trois enfants dont deux garçons et une fille qui devraient aller étudier à Bogandé dans la Gnagna. Sur les 3 que nous étions, nous seuls avons eu la chance d’arriver au CM2 et d’avoir l’entrée en 6è. Au lycée Technique de Ouagadougou nous avons obtenu le CAP, le BEPC et le BAC G1. Nous sommes allé ensuite à l’université de Nice (France) pour des études à l’école supérieure de commerce.

Mais, ayant accusé un retard de trois semaines pour l’inscription, nous avons pris une inscription en droit où nous avons perdu la bourse après la maîtrise. C’est ainsi que pendant les vacances, nous fumes obligé de travailler successivement dans des sociétés dont une brasserie et un supermarché pendant les vacances. Nous avons continué en cours d’année avec la dactylographie de mémoires et de thèses d’étudiants. Au regard de nos bons résultats, la bourse a été reconduite l’année suivante nous avons pris une inscription pour un troisième cycle. Entre temps, nous avons dû suspendre les études pour revenir assister notre père malade. Après quelques années d’enseignement, nous sommes reparti à Nice en décembre 1980. Et nous avons soutenu la thèse de doctorat en droit sur le thème :”séparation et collaboration des pouvoirs dans le système constitutionnel voltaïque”, avec la mention très honorable et les éloges du jury.

L’avènement de la Révolution d’août 83 va ralentir notre travail intellectuel qui devait consister à la prise en compte des remarques faites par le jury en vue d’une publication de la thèse. Auparavant, nous avons eu à enseigner à l’Université de Ouagadougou, précisément à l’IUT et à la l’ESSEC (aujourd’hui FASEG) entre 1976 et 78, année au cours laquelle nous avons été chargé de créer l’Ecole Supérieure de Droit avec le soutien des facultés universitaires Notre dame de la paix de Namur (Belgique). Nous avons occupé les fonctions de directeur des études et de directeur par intérim. Nous y avons commencé avec 63 étudiants. Par la suite, revenu de la soutenance de thèse en février 1983, nous avons encore été chargé des fonctions de directeur de juillet 1984 à septembre 1986. D’octobre 1988 à février 1991, nous avons été appelés aux fonctions de secrétaire général de l’Université et avons démissionné en février 1991 pour ensuite partir en Belgique dans le cadre d’une formation et d’une préparation au concours d’agrégation. Au retour, il nous fut demandé d’être candidat aux élections législatives en 1992 à ,la Gnagna pour des besoins politiques. Nous avons refusé cette proposition à cause de la perspective de l’agrégation.

Mais après une première liste de candidatures (où nous ne figurions pas) et qui fut contestée, nous avons finalement accepté. C’est ainsi que nous fumes candidat à la députation en 1992 sur la liste reprise. Après notre élection, nous avons démissionné du bureau MBDHP (nous étions le Secrétaire Général) car les nouvelles étaient incompatibles avec les dispositions règlementaires du mouvement des droits de l’homme que nous avons contribué à créer en février 1989. De 1984 à 1986, nous avons été membre de la commission chargée du dossier dans le conflit frontalier Mali-Burkina devant la Cour internationale de justice. Nous avons été décoré de la médaille de chevalier de l’ordre des palmes académiques et celle d’Officier de l’Ordre national. Nous avons aussi reçu également un diplôme d’honneur de l’OHADA pour notre action en qualité de ministre de la justice. Nous sommes membre du Groupe national burkinabè à la Cour Permanente d’Arbitrage de la Haye depuis avril 2008 pour un mandat de six (6) ans.

Au regard des articles 4, 5 et 6 du statut de la Cour Internationale de Justice, les groupes nationaux ont pour mission d’instruire les dossiers des pays candidats pour être membre du conseil de sécurité, les dossiers des personnalités faisant acte de candidature aux fonctions de juge à la Cour Internationale de Justice et des candidats au prix Nobel de la paix. Le premier dossier instruit concerne un professeur camerounais candidat aux fonctions de Juge à la Cour internationale de justice en remplacement d’un autre juge africain en fin de mandat. La prochaine session de l’Assemblée générale des Nations Unies aura ce point à son ordre du jour. S’agissant de notre passage au Gouvernement, nous devons dire qu’après notre élection comme député sur la liste ODP /MT en mai 1992, des ressortissants de notre province d’origine nous rappelaient que si l’on nous proposait un portefeuille ministériel, il ne faudrait pas refuser ; sinon, disaient-ils, ce serait une trahison de notre part à leur endroit.

Il nous a été proposé, après la mise en place du bureau de l’Assemblée le portefeuille des affaires étrangères que nous avions accepté en mi juin 1992. Ce n’est que le lendemain que l’on nous a rappelé au Conseil de l’Entente pour nous entendre dire de prendre le Ministère de la Défense en attendant. Nous avons accepté cela mais le poste suivant après ce département fut le Ministère de la Justice que nous avons quitté le 14 janvier 1999.
C’est u ne expérience exaltante car nous avons appris à connaître les hommes.

S. : En tant que membre fondateur du MBDHP, quel regard portez vous sur la vie de ce mouvement de défense des droits de l’homme ?

L.Y : Je regrette que le MBDHP ait été utilisé à un moment donné de manière partiale. Nous nous rappelons de la façon dont beaucoup de sections provinciales ont été mises en place en 1989 et 1990. C’est un mouvement de masse et tout le monde peut y adhérer du fait la question des droits de l’Homme concerne chaque individu.
Le MBDHP a connu des hauts et des bas et c’est pourquoi certains membres ont démissioné pour créer APED Libertés en réaction contre certains agissements en 1991.

S. : Regrettez vous votre militantisme politique ?

Y. L. : Nous avons répondu à l’appel des nôtres, convaincu qu’au niveau provincial, nous pouvions apporter notre pierre. Aujourd’hui, il y a un palais de justice à Bogandé et un autre à Diapaga. Il y a eu l’électrification de la commune de Bogandé en 1997, la construction du collège de Mani, du CSPS de Sagmou et bien d’autres réalisations dont nous avons été à l’origine. Nous en sommes heureux d’autant plus que notre village dispose d’une école primaire pour laquelle nous avons reçu des financements d’ambassades et d’autres institutions. Tout ce qu’on peut réaliser au service des siens est appréciable. Donc, nous ne regrettons pas notre engagement politique.

S. : Qu’en est-il de votre agrégation ?

L.Y : Nous n’en faisons pas un souci. Avons-nous encore intérêt aujourd’hui ? Nous avons d’autres priorités.

S. : Quel est votre passe-temps préféré ?

L.Y : La lecture, les voyages, entre autres . Par contre, nous sommes moins actif au sport encore que nous avons eu à pratiquer le tennis de table au cours de nos études.

S. : Vous arrive-t-il d’aller en boite de nuit ?

L. Y. : Pourquoi pas, quand le temps le permet ?.

La Rédaction

Sidwaya

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