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L’image globale de la crise au Zimbabwe : En attendant qu’une certaine presse Africaine se libère de la tutelle coloniale

Publié le lundi 15 septembre 2008 à 13h08min

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La crise subvenue récemment à l’occasion des élections présidentielles au Zimbabwe montre la nécessité pour les africains d’avoir des sources d’informations fiables sur leur continent et sur le monde entier. En effet, la plupart des journalistes africains à quelques exceptions près ont enfourché le cheval de la propagande occidentale pour dépeindre Le Président Robert Mugabe comme un dictateur sanguinaire qui n’est mu que par la volonté de s’accrocher au pouvoir au détriment des intérêts de son peuple.

2. L’histoire récente de l’Afrique retiendra que c’est l’élection présidentielle qui aura le plus attiré l’attention du monde occidentale de part la quantité des reportages et des dépêches des médias ainsi que l’indignation quasi-totale des gouvernements respectifs de cette partie du monde. De la Grande Bretagne aux États-Unis en passant par la France, l’Allemagne et bien d’autres pays européens, tous ont dénoncé ce que d’aucuns qualifient de « simulacre électoral », de « mascarade » et d’autres d’ « élections illégitimes ne reflétant pas la volonté du peuple Zimbabwéen », se croyant certainement mieux placés pour connaître la volonté du peuple Zimbabwéen. La plupart de ces pays ont refusé de reconnaître les résultats de ces élections. Les États-Unis sont même allés plus loin en proposant un projet de résolution aux Nations Unis, qui sanctionnerait les dirigeants du Zimbabwe pour non respect des règles démocratiques.

3. La principale question ici ce n’est pas de savoir si Mugabe est coupable ou innocent, il est clair qu’il n’est pas un démocrate exemplaire, qu’il aurait pu passer la main à quelqu’un de plus jeune après près de 28 ans passés au pouvoir. Mais il est tout aussi clair que Mugabe n’est pas le pire des dirigeants africains, encore moins la figure de l’autocrate. La principale caractéristique des régimes autocratiques est qu’ils ne « perdent jamais les élections qu’ils organisent » pour paraphraser le Président Gabonais Omar Bongo. Or en 2000, Mugabe a perdu le référendum constitutionnelle qu’il a organisé ; il a aussi perdu les élections législatives récemment organisées concomitamment avec les présidentielles au profit de l’opposition, il a même perdu le premier tour des présidentielles. Quel dictateur a-t-il déjà perdu des élections qu’il a lui-même organisées quand on connaît les méthodes de tricheries électorales : bourrage d’urnes, mauvais décompte, subornation de la commission électorale ?

4. Bien sûr les élections organisées récemment n’étaient pas parfaites, on peut en effet déplorer les violences – de tous les côtés d’ailleurs – qui ont entachées le scrutin. Mais est-ce la pire des élections jamais organisée en Afrique ? Non. Alors la question devient la suivante : pourquoi les pays occidentaux qui traitent avec, et reçoivent les pires dirigeants du continent africain se mettent tout à coup à défendre la démocratie en Afrique ? Les exemples font légions : Kadhafi a été récemment reçu en France par Nicolas Sarkozy, alors qu’il n’est même pas élu par voie électorale depuis qu’il est au pouvoir. Paul Biya du Cameroun a été récemment reçu en France, on lui a même consacré une interview sur la chaîne France 24, alors que récemment pour avoir protesté contre sa réforme constitutionnelle visant à se maintenir au pouvoir à vie, près d’une centaine de camerounais ont été tués. En avez-vous entendu parler sur CNN, BBC, Le monde, Le figaro, Le New York Times ? Une fois en passant tout au plus.

5. Les médias occidentaux sont connus pour leur mépris de l’Afrique. Les africains sont absents de leur sphère de vision sauf quand il s’agit de les présenter comme une race en voie d’extermination, par des guerres, des maladies, des famines, et dont on doit s’apitoyer pendant de rares moments de compassion. Les élections dans les pays africains, les abus de pouvoirs ne les intéressent guerre. Les guerres en Irak et en Afghanistan ont été très médiatisées, de même que les accrochages dans certaines régions du monde. En revanche les interférences militaires françaises en Côte d’Ivoire et au Tchad entre autres ont été largement ignorées par les médias français en particulier ; eux, aptes à critiquer leurs homologues américains. Bref, depuis quand la démocratie en Afrique intéresse les occidentaux, leurs médias et leurs gouvernants ?

Le seul crime de lèse majesté que le Président Mugabe semble avoir commis est d’avoir voulu retirer les terres agricoles détenues à 70 % par moins d’1% de la population qui se trouve être blanche et d’origine européenne. On n’a vu des africains crier au loup avec les occidentaux, en se tenant à une vision superficielle de la crise au Zimbabwe. Certains dénoncent la pauvreté dans laquelle les zimbabwéens ont été plongés, l’inflation surréaliste comme preuve que Mugabe se fout du bien être de ses concitoyens. La question qu’ils ne se posent pas, c’est : pourquoi Mugabe qui dirigeait un pays prospère de 1980 à 2000 est subitement devenu un mauvais leader au point que son pays puisse plonger dans une crise économique ? Une investigation historique s’avère indispensable pour comprendre les dessous de cette crise.

Une descente dans l’enfer de l’histoire coloniale.

6. Les deux principaux peuples qui composent le Zimbabwe sont les Ndebeles et les Shonas. Comme ailleurs en Afrique, les britanniques utilisèrent comme subterfuge la signature d’un traité de coopération en 1890 avec le roi des Ndebeles (royaume du Zambèze) via l’impérialiste britannique Cecil Rhodes, puis envahirent ensuite le territoire et exproprièrent les Ndebeles de leurs terres malgré leur forte résistance.

Peu de temps après, les Shonas subirent le même sort. Les colons britanniques chassèrent puis confinèrent les africains dans ce qu’ils appellent des « réserves » (faites le parallèle entre ce terme et les réserves naturelles consacrées aux animaux). Par la force, les massacres et l’imposition de conditions économiques impossibles à satisfaire par les africains, ils les obligèrent à céder leurs terres aux colons blancs. Les africains furent confinés dans des zones peu fertiles et peu propices à l’agriculture. Cette politique d’expropriation n’avait pas pour seul objectif de s’emparer des richesses du sol et du sous sol mais d’appauvrir les africains afin qu’ils n’aient d’autres choix que de travailler pour les Blancs comme ouvriers dans des conditions difficiles proches de l’esclavage. Les africains furent exclus de toute possession foncière dans les villes. Les codes fonciers successifs - Land Acts- de 1930, 1967, 1969, entérinèrent le contrôle de près de 47% de la terre par les Blancs qui représentaient alors près de 5% de la population (Stone, 2007). En 2000, on estimait à plus de 70% la part de terres fertiles, occupée par moins de 1 % de la population composé des propriétaires terriens blancs.

7. L’injuste expropriation de la terre par les britanniques et leurs descendants est l’une des principales raisons de la lutte armée menée par Mugabe pour libérer son pays. En 1960, après des études universitaires l’ayant mené à Lusaka et au Ghana au cours desquelles il obtient 7 diplômes universitaires dont ceux de l’Université d’Afrique du Sud et de Londres, il revient dans son pays et se joint à Joshua Nkomo et son parti : la National Democratic Party (NDP), qui devient par la suite la Zimbabwe African Peoples Union (ZAPU). En 1963, il crée son propre parti : la Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (ZANU-PF). En 1964, il est arrêté par le pouvoir suprématiste blanc puis emprisonné pendant 10 ans. En 1974, après sa libération, il se joint à la branche armée de son parti la Zimbabwe African National Liberation Army (ZANLA) au Mozambique pour combattre le régime raciste qui régentait alors le Zimbabwe.

Sous la pression de la guérilla menée par Mugabe et ses partisans, le pouvoir blanc signe les accords de Salisbury en 1978 avec les leaders noirs dits modérés instituant le principe des élections multiraciales, dans le but de marginaliser Mugabe (Tahri, 2008) . Mugabe refuse de cautionner ces accords qui ne cèdent rien sur le fond : le pouvoir administratif, militaire et économique reste toujours entre les mains des Blancs. En 1979, le pays réintègre le Royaume Uni comme colonie. Le Royaume Uni négocie alors les accords de « Lancaster House » qui accordent l’indépendance au pays mais maintiennent de facto les avantages acquis par les colons blancs pendant dix ans. Le Président Mozambicain de l’époque, Samora Machel convainc Mugabe de participer à ces négociations (Ngwa Zang 2008). Sur le plan politique, ces accords imposaient pendant dix ans 20% de députés blancs au parlement alors qu’ils ne représentaient que près de 5% de la population. En 1980, Mugabe et son parti : la ZANU, obtiennent la majorité des sièges au parlement. Il devient alors le premier ministre puis le président d’un Zimbabwe nouvellement indépendant.

8. Après les indépendances le Zimbabwe est devenu l’un des pays les plus prospères et un modèle pour l’Afrique : en termes de Démocratie, de politique éducative et sanitaire. Le taux de scolarisation atteint 90%, les soins deviennent gratuits, des routes sont construites à travers tout le pays. La ZANU-PF apporte son soutien à la lutte de l’African National Congress (ANC) contre l’apartheid en Afrique du Sud. Cependant un problème central demeurait : la question de la redistribution des terres aux africains. Pendant la conférence de Lancaster House, le Royaume Uni avait imposé comme condition d’accès à l’indépendance, l’acceptation de l’inamovibilité des privilèges blancs pendant dix ans. Ces accords prévoyaient une restitution des terres aux africains sur la base du volontariat (« willing buyer », « willing seller ») et sous le financement britannique pour « dédommager » les colons blancs. En d’autres termes, ce n’est que quand un fermier blanc consent à vendre sa terre – au prix estimé par les deux parties – que l’état zimbabwéen peut racheter cette terre pour la redistribuer aux africains, le Royaume Uni s’étant engagé à payer la moitié des frais. Comme il fallait s’y attendre cette redistribution fut lente jusqu’à l’expiration de ces accords en 1992. Sous la pression de l’ANC, Mugabe ralentit la réforme agraire pour ne pas heurter la sensibilité des blancs sud africains qui pourraient alors résister davantage à la fin de l’apartheid.

9. Le Royaume Uni refuse alors de signer d’autres accords de redistribution des terres alors que les vétérans de la ZANU-PF s’impatientaient en raison de la crise économique des années 1990. Le FMI se propose alors d’aider le pays à résoudre cette crise. Le Zimbabwe s’embarque dans un programme d’ajustement structurel dont on a mesuré plus tard les ravages sur les économies de tous les pays africains qui l’ont appliqué. Le FMI contraint l’État à privatiser ses entreprises, à se désengager de l’éducation, et de la santé. Il impose une dévaluation de la monnaie zimbabwéenne. Le taux de scolarisation chute de 20% et les frais de soins augmentent de 150% (Koudou, 2008). Le taux de chômage s’accroit de manière continue et le pouvoir d’achat des travailleurs décline, grossissant le rang des mécontents dont bon nombre de militants syndicaux dirigés entre autres par Morgan Tsvangirai. Devant l’échec et le chantage de cette institution financière notamment sur les politiques internes en matière de santé, d’éducation, de politique agricole, Mugabe rompt définitivement ses liens avec cette institution en 1999.

Face aux pressions du Zimbabwe pour que le Royaume Uni respecte ses engagements de financer la réforme agraire, principale raison de la lutte pour la libération, la secrétaire d’état au développement international du gouvernement britannique, Clare Short écrit en 1997 la lettre qui allait empirer les choses. « Nous ne pensons pas que notre pays ait une responsabilité particulière dans le financement de l’achat des terres au Zimbabwe. Nous faisons partie d’un nouveau gouvernement, qui n’a aucun lien avec d’anciens intérêts coloniaux. Je suis d’origine irlandaise et, comme vous le savez, nous sommes des colonisés et non des colonisateurs » (McGreal, 2008), affirme t-elle. Un raisonnement des plus cyniques selon lequel l’État britannique n’aurait plus de responsabilité vis-à-vis de ses actions passées et qui ferait passer l’idée selon laquelle, le passé c’est le passé, tout le monde a déjà été colonisateur ou colonisé, il faudrait laisser les choses en l’état, ignorant au passage le principe de continuité de l’État. Ce que ce type de raisonnement ignore, c’est que les irlandais ne furent pas massacrés et confinés dans des « réserves » comme ce fut le cas au Zimbabwe, sans oublier le fait que le cas du Zimbabwe relève plus du présent que du passé. S’il fallait entériner la règle du plus fort alors on n’aurait plus à se plaindre que les terres soient retirées par la force des mains des anciens colons par l’État zimbabwéen. Dans une trentaine d’année, cela aussi relèverait de l’histoire. Le Président Mugabe ne pouvant accepter cet argumentaire léger, il prit ses responsabilités, ce qui allait provoquer sa mise en index par la grande Bretagne et ses alliés.
Le "crime" de Mugabe et la naissance de la crise.

10. Au cours des dix premières années ayant suivi les indépendances, pendant lesquelles Président Mugabe fut contraint par les accords de Lancaster House à renoncer à la réforme agraire, le Zimbabwe était reconnu comme un exemple de Démocratie par les observateurs électoraux occidentaux. Le succès électoral de la ZANU-PF était sans partage, dû à sa popularité résultant de la lutte pour la libération. Au début des années 1990, quand la première réforme agraire fut enclenchée, le Zimbabwe se mua tout d’un coup en dictature au vu des occidentaux comme par hasard. Au cours de ces années, avec le début de la réforme agraire et la crise économique, les mécontents deviennent nombreux et hétéroclites au sein du pays : il y avait d’une part les Blancs mécontents de perdre leurs privilèges datant de l’époque colonial et d’autre part les africains frappés par la crise économique dopée par les manœuvres du système international aux intérêts contrariés. Tous ces mécontents se regroupèrent autour de la NCA (National Constitutional Assembly), organisme de la société civil financé majoritairement par les États-Unis d’Amérique (USA) (Sithole, 2001). La NCA fut le principal acteur responsable de l’échec électoral de Mugabe en 2000, lors du référendum qui aurait permis l’adoption de la Land Appropriation Act, nouveau code foncier autorisant la redistribution de la terre aux africains. Malgré cet échec de La ZANU-PF lors du référendum, les médias et les gouvernements occidentaux continuèrent le travail de diabolisation de Mugabe en dépeignant son pouvoir comme une dictature, mais ils ne sont pas à une contradiction près.

11. Pour jouer à visage découvert sur le terrain politique, la NCA donna naissance au MDC (Movement for Democratic Change) dirigé par Morgan Tsvangirai, ancien dirigent de la NCA et du syndicat des travailleurs miniers de l’Associated Mine Workers Union puis de la Zimbawe Congress of Trade Unions. Ce nouveau parti eut du succès, bien plus à cause de l’opposition à Mugabe que de son programme politique qui prônait la libéralisation des entreprises et des services publics l’ouverture des frontières économiques et la diminution du contrôle des prix et du nombre des agents de l’État. Il remporta 50 des 127 députés élus au parlement en 2002. Les USA et l’UK (Royaume Uni) qui voulaient coûte que coûte se débarrasser de Mugabe apportèrent leurs soutiens logistiques et financiers à ce nouveau parti. Un responsable américain cité par le journal The Guardian affirmait que : « Le gouvernement des USA voulait faire partir le Président Robert Mugabe du pouvoir et qu’il travaillait avec l’opposition zimbabwéenne pour apporter ce changement d’administration » (Ayinde, 2007 ; McGreal, 2008) ; tandis que le Premier ministre britannique Tony Blair affirmait : « nous travaillons étroitement avec le MDC sur les mesures que nous devons prendre par rapport au Zimbabwe ». Tant pis pour la souveraineté du Zimbabwe. Tout ceci témoigne du degré de proximité du MDC avec les forces extérieures au Zimbabwe dans le but de passer outre la souveraineté et les intérêts du peuple Zimbabwéen pour servir des intérêts à peine dissimulés.

12. Malgré ces soutiens divers, le MDC n’arriva pas à s’emparer du pouvoir par voie démocratique. Vinrent alors les tentatives de conquêtes par la violence. Dans une interview à la BBC, Tsvangirai affirma ceci : “ Ce que nous voudrions dire à Mugabe est : partez du pouvoir pacifiquement. Si vous ne le faites pas, nous vous ferons partir violemment ». Ayant échoué à le faire partir par les urnes en 2000, il essaya de mettre ses menaces à exécution. En 2001, une cassette vidéo montra Tsvangirai en entretien avec le directeur d’une firme de mercenaires – connu pour leurs liens avec les services d’espionnage extérieurs (CIA, MI6, etc.) – où ce dernier affirma : « nous allons implémenter un plan qui mettrait en place un gouvernement de transition après la fin de Mugabe, …, nous avons besoin d’un engagement clair, précis et d’une requête de notre participation dans la mise en œuvre de ce plan ». Tzangirai répondit : « Je suis d’accord » (Stone, 2007). Ces éléments le conduisent devant une cour de justice. Malgré tout ce faisceau de présomption, les occidentaux crièrent une fois de plus à la manipulation et à l’acharnement d’une justice acquise au pouvoir sur un leader de l’opposition. Notons au passage que dans n’importe quel pays occidental une telle compromission mettrait fin à la carrière politique de n’importe quel homme politique. Il fut relâché au profit du doute, démentant du même coup les accusations des occidentaux mais ils ne s’y attardèrent pas. Par ailleurs, le soutien actif des fermiers blancs au MDC ne fut jamais caché : à plusieurs reprises la télé zimbabwéenne montra sur ses écrans des chèques signés par des fermiers blancs au profit du MDC.

L’impact social des médias

13. Le black out total de ces considérations dans les médias occidentaux est riche en enseignement. Au demeurant, la question des médias et de la désinformation relevée en début de page ne s’est pas accidentellement invitée dans les débats relatifs à la crise zimbabwéenne. Si elle est centrale en ce qui concerne cette crise, elle demeure en elle-même une problématique à part entière. Il est impossible de construire des sociétés démocratiques sans au préalable définir le rôle des médias et mesurer l’impact social de leurs activités.

L’impact social, tout est là. Si nous concevons la démocratie comme un système politique dans lequel les citoyens disposent des moyens de participer efficacement à la gestion des affaires les concernant et dans lequel les moyens d’information sont accessibles et indépendants, un minimum de précaution et de sérieux s’impose tant dans la « production » que dans la diffusion de l’information. Ce n’est pas pour rien qu’on affirme souvent que les médias constituent le quatrième pouvoir. Si c’est le cas, alors le pouvoir en Afrique vient de l’occident puisque les journalistes reprennent les informations des médias occidentaux presque intégralement. L’enracinement de la démocratie dans les États africains requiert la mise en place d’un système médiatique efficace, aux ramifications étendues. Son impact social se mesurera dans sa capacité à informer et à mobiliser l’ensemble des citoyens dans l’optique d’une participation active à la vie politique. Le travail de Norbert ZONGO illustre parfaitement notre propos sur le type de journalisme utile au continent puisqu’il avait compris la nécessité de poser les questions fondamentales du pouvoir, de la répartition des ressources et des libertés publiques. Ce qui importe maintenant de souligner c’est : Qui pose ces problèmes ? Et à quelles fins ?

14. En dépit des critiques sérieuses qui pèsent sur certains grands groupes médiatiques, beaucoup de journalistes du continent ne s’abstiennent pas de les prendre comme référence ou même dans le pire des cas, à reprendre entièrement le contenu de leurs publications. Pourtant, même la population en occident se méfie de ces grands groupes de presse. Ces médias ont uni leurs efforts pour diaboliser le Président Mugabe. Pour ne retenir que quelques exemples on peut citer RFI (qui n’a quasiment aucune existence dans le paysage audiovisuel français mais que tous les africains francophones connaissent), France 24, BBC et CNN. Ce qui est décisif c’est de comprendre que la pleine signification d’une information diffusée par ces médias, aussi banale soit elle, ne se laisse découvrir que relativement à des considérations d’arrière plan à forte charge idéologique. Il s’agit en réalité d’une idéologie caractéristique d’une Europe passéiste qui ne veut pas ou qui ne peut pas voir une Afrique se développer après s’être libérée de tous les parasites de racistes qui l’ont infectée depuis le XVI ème siècle. Le slogan est toujours identique : l’incapacité des Africains à…, les guerres, le sida, (ne freinez pas votre imagination)…en Afrique, les dictateurs africains…

15. Le problème du Zimbabwe va au-delà de ces marronniers des médias occidentaux avec leurs spécialistes des questions africaines. En effet, il a fallu cette fois-ci sortir le grand jeu. Celui auquel on est tous désormais habitué : campagne de désinformation, sanctions économiques, isolement de la scène internationale. Cette fois-ci le Conseil de l’insécurité, pardon de la sécurité, des Nations Unies a même eu droit à sa partition. Et tenez vous bien chers lecteurs du Faso, le Burkina allait joindre sa voix, n’eût été le véto russe et chinois, à celle de la France bien entendu et à celle de l’imaginaire communauté internationale pour l’adoption du projet de résolution qui a avorté.

Ce qu’il faut rappeler au sujet du Président Mugabe, sans chercher à l’exonérer de quoique ce soit, c’est qu’il s’agit d’un homme politique, le seul pratiquement en Afrique à avoir voulu une indépendance réelle pour son pays. Les développements précédents montrent que la question foncière est centrale et délicate à un point tel que même Mugabe qui représentait la ligne la plus radicale de l’indépendance nationale dû se plier à l’agenda fixé par les accords de Lancaster House.

La grande Bretagne n’a en réalité que faire du développement du Zimbabwe. Qui plus est, elle n’a cure du respect des règles de transparence en matière d’élection. Cela, elle l’a prouvé lorsqu’elle s’indignait avec les États Unis de l’éducation et de la santé presque totalement gratuite que Mugabe avait rendue possible dans son pays. Comme on l’a bien vu plutôt, elle a entrepris avec l’aide des États Unis et des fossoyeurs (FMI, Banque Mondiale) le démantèlement de l’économie du pays ainsi que des acquis sociaux. Et comme si cela ne suffisait pas, ces deux États ont bien décidé de ne pas financer la réforme agraire comme il avait été prévu.

16. La crise Zimbabwéenne ne se confine pas à la soif de pouvoir d’un dictateur résolu à se maintenir au pouvoir mais bien plus. Elle est très grave et nous devons l’appréhender comme telle. Les scores du MDC devraient d’ailleurs nous interpeller. Cela aurait été impossible sous une dictature. Ce parti dans lequel s’est fondu le Front Rhodésien de Ian Smith inquiète moins les jeunes Zimbabwéens qui n’ont pas connu les années difficiles. Ils n’ont connu que les années de prospérité économique rendues possible par ceux qui ont connu les humiliations et le racisme. Mugabe lui-même a vu ses parents expropriés et expulsés de leurs terres. Il faut l’admettre la tentation est vive. Cette nouvelle image de l’occident dépositaire des valeurs démocratiques, défenseur de la liberté est très suggestive. Mais ne soyons pas dupe.

La stratégie qui consiste à présenter le Président Mugabe comme responsable de la crise économique et social, c’est de cela qu’il s’agit avant tout, participe de celle qui tente d’effacer de manière définitive la responsabilité de l’impérialisme occidental dans les problèmes du Continent. C’est le cas à chaque fois. On a fait de Mobutu l’unique responsable des problèmes contemporains du Congo, alors même que l’exploitation et le pillage de ce pays s’est poursuivi encore et toujours de manière ininterrompue par la Belgique, la France et les États Unis.

Les Médias et la Démocratie.

17. Cela nous incite à une profonde réflexion sur la nature de la démocratie et l’importance des medias en Afrique. En effet, la plupart des journalistes et des personnalités africaines et afro-américaines qui devraient pourtant être avertis ont repris les analyses occidentales à notre grande consternation. De Nelson Mandela, le héros de la lutte anti Apartheid, jusqu’au Révérend Al Sharpton – leader d’opinion afro-américaine – tous ont dénoncé, sous la pression de l’opinion publique occidentale savamment cuisinée par la presse, la « faillite du leadership » (dixit Mandela) et le manque de démocratie au Zimbabwe. Certains ont vite fait le parallèle avec la situation politique de leurs propres pays pour condamner Mugabe sans se rendre compte de la spécificité de la situation au Zimbabwe.

Certes, nous marchons sur une lame de rasoir mais c’est précisément dans ce genre de situation que la perspicacité est requise dans l’analyse. Si nous arrivons à décanter cette situation trouble, nous serons alors plus avertis sur d’autres cas moins obscurs où bon nombre de journalistes africains se complaisent pourtant dans la démission intellectuelle vis-à-vis de l’occident en reprenant leurs sons de cloche.

18. Beaucoup de gens font l’erreur de croire que la démocratie est une fin en soi. Pour eux, il suffit juste qu’il y ait des élections claires et transparentes pour que le reste vienne tout seul : développement et prospérité économique. Or les enjeux de notre siècle ne consistent nullement en un conflit de classe entre pauvres et riches, entre élite et masse à l’intérieur d’un même pays, mais plutôt en un conflit d’intérêts entre nations. Ce conflit d’intérêts a commencé depuis le 15ème siècle entre l’Afrique et l’occident, par la mise en esclavage des uns au profit des autres ; puis a continué avec la colonisation où il fallait exploiter à la fois la force de travail et les richesses du sol et du sous sol de l’Afrique ; et maintenant se poursuit sous une forme plus insidieuse : on met en place des dirigeants télécommandés et manipulables à souhait pour imposer à l’Afrique d’occuper la place à elle consacrée dans l’économie mondiale, celle de producteur et d’exportateur de matière première à bas prix et d’importateur de produits finis à des coûts très élevés.

Tout le monde réclame l’indépendance politique et économique réel des pays africains, mais quand Mugabe se bât pour celle-ci il n’y a personne pour le soutenir. Il suffit que les occidentaux dénaturent l’enjeu réel du combat pour que tous se laissent berner. Avons-nous suffisamment appris de notre histoire ? D’aucuns disent que regarder dans le passé nous empêche d’avancer mais en réalité, étudier son histoire nous empêche de refaire les mêmes erreurs que par le passé. En effet, de par le passé les mêmes artifices ont étés utilisés. Au moment de l’esclavage, on a trouvé comme justification le fait que les Noirs ne seraient pas des vrais humains dotés d’une âme, qu’il fallait les aider en les réduisant en esclavage. Pour la colonisation, c’était pour les civiliser. Et maintenant il s’agit de nous aider par le biais du FMI à se développer et par le biais des sanctions sélectives à se démocratiser.

19. Certes, la souffrance des zimbabwéens est réelle mais quand on va en guerre, que ce soit avec des armes ou avec des idées et des richesses, on est conscient de la souffrance de son peuple mais on y va parce que l’enjeu en vaut la peine. Il s’agit de supporter une souffrance actuelle avec l’espoir d’un mieux être et d’une plus grande liberté dans le futur.

Le comportement du MDC et de beaucoup de nos leaders politiques (pouvoirs comme oppositions) en Afrique est affligeant. Pour la conquête du pouvoir on est prêt à vendre les intérêts de son pays, de son peuple. On est prêt à aliéner la souveraineté de son pays. En dehors du MDC dont les accointances avec les intérêts étrangers sont avérées, beaucoup de leaders politiques africains comptent sur les puissances étrangères pour leur permettre d’accéder au pouvoir ; démocratiquement ou non. Pour beaucoup, l’invitation par un pays occidental est perçue comme un sacre, comme une bénédiction pour la conquête du pouvoir. Pendant les visites de certains chefs d’États africains dans les pays occidentaux, on observe des militants de partis d’opposition qui protestent contre leur présence sous prétexte qu’ils ne sont pas démocrates. A supposer qu’ils soient des autocrates, comment peut-on affirmer que son peuple est souverain s’il faut aller conquérir son pouvoir à Paris, Londres ou Washington ? L’exemple de l’opposant tchadien N’Garledji Yorongar est frappant : pendant que la France aide militairement Idriss Deby à se maintenir au pouvoir, elle l’invite à Paris pour un séjour de quelques semaines et il accepte de s’y rendre, accordant des interviews aux médias français comme RFI. Comment peut-il encore critiquer l’ingérence la France dans les affaires du Tchad ?

20. La démocratie n’est donc pas une fin en soi mais ce qui compte réellement c’est d’avoir des dirigeants conscients des intérêts de leur peuple et aptes à les défendre. Dans tout État démocratique à l’occidental, il y a une interface entre le peuple et l’extérieur : c’est l’élite intellectuelle et surtout médiatique. C’est elle qui choisit quel fait médiatiser et quel autre minimiser ou ignorer ; et comment analyser et sous quel angle voir tout ce qui se passe dans le monde. Pour en prendre conscience, il suffit d’observer les médias des pays étrangers. Les médias sont très libres pour critiquer le fonctionnement interne de la démocratie, condition nécessaire pour éviter les abus, mais quand il s’agit d’une problématique internationale, vous serez stupéfait de la concordance de leurs analyses ; médias de gauche comme de droite et tous ceux qui se prétendent humanistes ou neutres. Tous accordent leurs violons parce que leurs intérêts sont les mêmes vis-à-vis de l’étranger, de l’extérieur. Pour ce qui est de l’Afrique, les journalistes sont-ils vraiment tous membres d’une élite intellectuelle constituée ?

Sont-ils suffisamment instruits et outillés pour comprendre les enjeux du monde ? Bien que certains répondent à ces critères, la grande majorité n’a même pas conscience de l’importance de son rôle, lequel consiste principalement à façonner l’opinion publique. Pour illustrer ce fait on peut prendre l’exemple de la RTB (Radiodiffusion Télévision du Burkina) qui reprend les informations émanant des chaînes étrangères, et tenez-vous bien jusqu’aux commentaires, comme actualité internationale de son journal télévisé. Pourquoi nos journalistes se contentent-ils de nous raconter l’agenda des ministres du gouvernement et nous mettent-ils des cassettes de journaux d’autres chaînes de télé alors qu’ils ont des cerveaux pour produire de l’information ? Quelle naïveté de croire que nous avons les mêmes intérêts que ceux que nous écoutons ! Quelle naïveté de croire que leurs informations sont vraies, que leurs analyses sont objectives ! C’est comme cela qu’on se fait dicter l’agenda par les autres. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la démocratie.

La démocratie est un idéal et il faut la considérer comme tel. Aucun État ne peut avoir la prétention de l’avoir complètement atteint. On peut alors se poser légitimement la question de savoir pourquoi ces États qui nous ont longtemps spoliés, voudraient s’ériger en modèle. Modèle très contestable que certains ne cessent pourtant de nous vendre comme un lac inépuisable de raison et de liberté, de justice et d’égalité où nous devrions puiser de quoi soigner les maux qui minent le continent. Du reste, ce n’est pas à l’aulne de leurs pratiques de la démocratie que nous devrions juger le Président Mugabe. D’abord rien qu’à voir le foisonnement des constructions théoriques qui hante la notion même de Démocratie, on est fondé à se douter de l’enjeu idéologique de sa définition et de l’ambition qu’elle incorpore à savoir diffuser le faux pour que l’on s’éloigne toujours du vrai, de l’authentique.

Le lien entre Démocratie et développement n’a jamais été établi. Au départ de tout développement, il y a l’homme et c’est tout. Le Pr KI ZERBO avait parfaitement compris cela lorsqu’il expliquait qu’ « on ne développe pas, on se développe ». Sauf à se réfugier dans cette définition de la Démocratie qui n’est rien d’autre qu’une description des modèles politiques des États occidentaux (chrétiens et blancs. Et ce n’est pas une coïncidence) on comprendrait sans difficulté que la Démocratie n’est pas un préalable au développement.

21. Ensuite à supposer même que ce soit le cas. Comment comprendre que ces journalistes qui se joignent à la presse occidentale pour condamner Mugabe passent sous silence les sérieuses et très pertinentes approches théoriques des Africains sur la Démocratie. La liste est longue et elle commence, si nous la limitons à la période contemporaine, avec Kwame N’Nkrumah qui après avoir tenté de la mettre en œuvre s’est vu renversé par la CIA avant de se consacrer à un travail essentiellement théorique sur le sujet. Elle a été l’obsession même d’hommes d’États comme Thomas SANKARA et Patrick LUMUMBA. Au registre des théoriciens on peut ajouter les Professeurs Cheick Anta DIOP , Théophile Obenga et Joseph KI ZERBO et plus récemment Jean Philippe OMOUTONDE (la liste est longue). Ce qui est commun chez ces hommes c’est leur démarche lucide et constructive. Lucide parce que les problèmes sont posés sans complaisance ni hypocrisie. Ils parlent pour la plupart de réalités qu’ils ont connues en tant que citoyen de leurs États respectifs et conscients de leur Africanité.

Leur approche est constructive dans ce sens qu’il ne s’agit pas de rafistolages théoriques empruntés ça et là pour faire figure d’intellectuels. L’autorité intellectuelle qu’ils incarnent devraient inspirer ne serait-ce que de temps à autres la prudence chez ceux qui se lancent sans âmes dans toutes les croisades décrétées par l’Occident via CNN, BBC et RFI. Mais on ne le répétera jamais assez, beaucoup d’Africains y compris des gens respectables sont encore emprisonnés dans le complexe d’infériorité, inconscient faut-il ajouter, qui les empêche de considérer comme objective toute pensée provenant d’un autre Africain.

Pour conclure,

L’un des grands enjeux de la démocratie de l’Afrique se résume à cette question : avons-nous des peuples aptes à comprendre réellement leurs intérêts pour qu’ils choisissent des dirigeants à mesure de les défendre ? Étant donné que l’opinion des peuples est forgée par les médias, si l’élite médiatique et intellectuelle est incapable de définir les intérêts réels du peuple ou pire encore si les peuples sont submergés par des médias étrangers avec d’autres objectifs, comment voulez-vous qu’ils soient conscients de leurs intérêts ? Si on contrôle notre pensée, on n’a plus rien à craindre de nos actions. Nous nous détruirons tout seul au profit des autres.
Le cas du Zimbabwe est révélateur. Beaucoup de journalistes et de personnalités africaines ont failli à leur mission. Ils se sont contentés du petit fragment du problème (organisations des élections) qui leur a été présenté par le système occidental au lieu d’en percevoir l’image globale. Vivement, que le temps vienne pour l’Afrique de « prendre soi-même ses propres initiatives pour ses propres intérêts, ainsi que font tous les peuples organisés et conscients de notre humanité. Il n’y a rien d’"anormal" à cela. On méprise le faible tout en lui souriant. On respecte le fort, on recherche son amitié même si on ne l’aime pas. Il faut prendre le taureau par les cornes. Rien d’autre. L’Afrique doit par conséquent se battre vraiment pour de grands enjeux qui lui soient propres, au cours du 21e siècle » comme nous le conseille Théophile Obenga.

Références.

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Koudou. (2008). Les raisons du soutien des pays africains à Mugabe au Zimbabwe. Extrait le 06 septembre, 2008, de http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28097

McGreal, C. (2008). Zimbabwe : Mugabe coupable, mais pas responsable.

Ngwa Zang , A. (2008). Complément d’enquête sur les agissements des occidentaux au Zimbabwe. Extrait le 06 septembre, 2008, de http://www.africamaat.com/Complement-d-enquete-sur-les

Sithole, M. (2001). Fighting Authoritarianism in Zimbabwe. Journal of Democracy 12, 162-163.

Stone, B. (2007). An Investigation of Zimbabwe’s Different Path. Extrait le 06 septembre, 2008, de http://www.raceandhistory.com/Zimbabwe/2007/2205.html

Tahri, H. (2008). Seul Dieu peut me retirer le pouvoir. Extrait le 06 septembre, 2008, de http://www.elwatan.com/Seul-Dieu-peut-me-retirer-le

T. S. et W. R.

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