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Finances publiques : Plus de 824 000 000 de FCFA portés disparus

Publié le jeudi 11 septembre 2008 à 09h37min

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Boureima Pierre Nébié

Il y a des « choses bizarres » dans la gestion des finances publiques. La plupart des « comptables principaux » de l’Etat et des collectivités territoriales ne rendent pas compte de leur gestion. Pourtant, chaque année, ils ont l’obligation de se soumettre au jugement de la Cour des comptes. La loi est claire : s’ils ne le font pas, ils encourent, par mois de retard, une amende allant de 5000 à 50 000 FCFA. Mais depuis 1963, c’est le flou total. La Cour n’a infligé aucune amende. Le hic, c’est que son président actuel est lui-même au ban des accusés.

Le premier président de la Cour des comptes, Boureima Pierre Nébié, doit avoir quelques fois des insomnies. Il ne sait pas à quel moment peut débarquer l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat. Son nom figure dans le fichier des comptables indélicats au ministère des Finances et du Budget. Il a été Trésorier Payeur Général de 1987 à 1997, mais n’a pas rendu compte de sa gestion.

Mais pas seulement ça. Le fichier précise que Pierre Nébié a aussi été receveur municipal et provincial de la commune de Ouahigouya et de la province du Yatenga. Là aussi, pas de bilan. Le premier responsable de la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques a ainsi cloué au pilori « dame transparence ». Mais nul n’a osé broncher.

Au ministère des Finances, le fichier des comptables défaillants est classé top secret. Il nous a été très difficile de l’avoir. Certaines personnes nous ont claqué la porte, sans autre forme de procès. D’autres ont carrément refusé de répondre à nos questions. D’autres encore ont programmé des rendez-vous qu’ils n’ont jamais respectés. Au total, nous avons vécu quatre mois de galère dans le temple des finances publiques ! Et voici la surprise qui tombe, enfin ! Une liste de plus de 700 comptables qui sont redevables à l’Etat. Mais on ne sait pas, avec précision, combien chacun doit payer. C’est la Cour des comptes qui devait infliger les amendes. Mais sur ce point, elle est muette comme une carpe. Pourtant, l’article 66 de la loi N°014/AN du 16 mai 2000 est formel : « Tout comptable qui ne présente pas son compte dans les délais prescrits peut être condamné par la Cour des comptes à une amende d’un montant de 5000 à 50 000 francs par mois de retard ». Mais cela ne semble pas du tout dissuader la plupart des comptables publics. Au contraire, « ils se plaisent à fouler aux pieds le plan national de bonne gouvernance. Ils produisent très rarement leurs comptes de gestion », affirme, avec un sourire amer, un commis de l’Etat.

La situation est préoccupante : depuis 1963, « aucun compte de gestion des collectivités territoriales n’a été jugée » par la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques. Depuis 1984 aussi, date de création de la Chambre des comptes, devenue ensuite Cour des comptes, aucun comptable principal de l’Etat n’a volontairement soumis son bilan à juger. Il a fallu que la Chambre des comptes brandisse officiellement l’arme de la sanction en prenant un arrêt le 28 septembre 1990 pour que les « choses » commencent à bouger. Mais pas de façon pratique. Ce n’est que le 31 décembre 2001 que quelques comptes de gestion ont été transmis à la Cour des comptes. Mais jusqu’à présent, cette juridiction financière n’a jugé aucun. Aucune amende non plus. Et cela fait incontestablement un énorme manque à gagner pour l’Etat. Petits calculs : ils sont nombreux, chaque année, à tomber sous le coup de l’article 66 de la loi N°014/AN du 16 mai 2000. Cette loi est rétroactive. Pour les collectivités territoriales, elle se réfère à l’année 1963. Supposons que depuis cette date, chaque année, un seul comptable ne produise pas son compte. Si la Cour des comptes lui infligeait la plus petite amende, il paierait 5000 FCFA par mois de retard. Donc chaque année, à compter de 1964, 5000 x 12 (mois). Ce qui donne 60 000 FCFA. Or, depuis 1964, se sont écoulées 44 ans. Ainsi, le comptable qui n’aurait pas produit son compte pour l’exercice 1963, est redevable à l’Etat de 2 640 000 FCFA. Si un seul compte n’a pas été produit en 1964, suivant le même procédé, le comptable indélicat doit verser au trésor public, la somme de 2 580 000 FCFA. 1965, 1966, 1967, 1968, … Et nous voici en 2008. Total : 59 400 000 FCFA.
Si l’on considère la plus grosse amende (50 000 FCFA par mois de retard), pour un seul compte non produit par année, l’Etat perd 594 000 000 de FCFA.

Silence complice ?

Place maintenant aux comptables principaux de l’Etat. Ici, la loi se réfère à 1984, date de création de la Chambre des comptes. Pour une amende de 5000 francs par mois de retard et un seul compte non produit par an, il y a un manque à gagner de 16 560 000 FCFA. Et si jamais la Cour infligeait la plus grosse amende, on aurait 154 260 000 FCFA. Ça fait combien, tout ça ? 59 400 000 +16 560 000 = 75 000 000 de FCFA si l’on tient compte d’une amende de 5000 FCFA par mois de retard et pour un seul comptable fautif par an. Pour une amende de 50 000 FCFA, on a 594 000 000 + 154 260 000 FCFA. Donc 748 260 000 FCFA. Total des totaux : 824 220 000 FCFA. C’est une estimation, mais la somme pourrait être plus importante au regard du nombre de comptables publics n’ayant pas produit, depuis 1963, leurs comptes de gestion : plus de 700 personnes. Du moins ceux qui ont été officiellement recensés. L’Etat a tenté de recoller les morceaux. Mais certains ordinateurs qui contenaient des données importantes ont disparu ou n’ont pas pu être identifiés. De plus, une mauvaise conservation des archives a contribué à couvrir la gestion des deniers publics par un mystère difficile à percer. Et même si l’Etat se résolvait à recouvrer tous les fonds qui lui reviennent, il ne le pourrait pas. Selon le fichier classé top secret au ministère des Finances et du Budget, 90 des comptables redevables à l’Etat sont décédés. L’un d’entre eux a été envoyé à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Mais on ne sait pas pour quelle raison précise.

Dans tous les cas, l’Etat semble ne pas être préoccupé par ce manque à gagner. Le ministre des Finances et du Budget, pourtant bien au parfum de la situation, semble s’être terré dans un silence complice. Certains de ses collaborateurs, interrogés, se sont montrés très réservés avant de lâcher le morceau : « La tendance aujourd’hui, c’est de tourner la page et de partir sur de nouvelles bases. La possibilité d’une amnistie n’est pas exclue », affirme l’un d’eux. Selon lui, « le ministère en charge des Finances, en collaboration avec la Cour des comptes, mène des réflexions visant à trouver des voies et moyens pour apurer les comptes antérieurs ». Il parle même d’un « apurement juridictionnel accéléré ». Ce système consiste « en un jugement des comptes de gestion allégés, confectionné à cet effet. Il permettra d’arrêter des lignes de comptes qui serviront de balances d’entrée pour les gestions futures ».

« Procédure illégale »

Déjà, en 2003, une commission technique, composée de la Cour des comptes et de la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique, a été créée à cet effet. Ses attributions sont contenues dans l’article 2 de la décision N°2004-004/CC/MFB du 21 juillet 2004 : « évaluer le passif en matière de reddition des comptes de gestion de l’Etat et des collectivités locales ; définir la méthodologie permettant d’apurer le passif ; organiser la production et la mise en état d’examen des comptes de gestion ; organiser le contrôle des comptes de gestion ; produire un rapport de fin de travaux ».

Juin 2005 : le rapport définitif est prêt. Les comptes comportant les soldes de clôture au 31 décembre 2000 de chaque collectivité territoriale y figurent. De même que la liste nominative des comptables principaux qui se sont succédé de 1963 à 2000. Les membres de la commission ont relevé l’importance quantitative du passif. Mais il y a dans le rapport un triste constat : l’impossibilité pour la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique de présenter des comptes en état d’examen concernant cette période. Les membres de la commission ont souligné l’urgence de trouver une solution définitive au problème du passif.
Mais depuis juin 2005, la Cour des comptes n’a pris aucun arrêt pour apurer les comptes de gestion de 1963 à 2000. Des arrêts ont été préparés en février 2006. Le premier président de la Cour des comptes, Boureima Pierre Nébié, s’apprêtait à les signer. Mais le parquet et certains magistrats de la Cour se sont opposés. Le premier président, en sa qualité d’ancien comptable principal, n’est pas habilité, disent-ils, à signer les arrêts. La raison est simple : sa gestion, en tant que Trésorier Payeur Général et receveur municipal et provincial, fait partie du passif à apurer. Depuis lors, c’est le blocage total.

D’ailleurs, certains estiment que la Cour des comptes « n’est pas habilité à procéder à l’apurement juridictionnel des comptes de gestion ». « C’est une procédure illégale qui ne s’appuie sur aucune base juridique », fait remarquer un haut cadre de l’administration publique. La situation est complexe. Et, de plus en plus, les regards se tournent vers l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat. Le 9 juin dernier, le Premier ministre Tertius Zongo a installé en fanfare le premier responsable de cette haute institution. Saura-t-il traduire les discours en actes concrets ? Equation à multiples inconnues.

Hervé D’AFRICK


Le chemin de croix du contrôle juridictionnel

La juridiction financière a connu une existence difficile. Pourtant, depuis 1960, tous les textes concordaient sur la nécessité de son existence. La constitution du 27 novembre 1960 l’avait prévu. La loi N°10-63/AN du 10 mai 1963, portant organisation de la Cour suprême, a consacré l’existence de la Chambre des comptes. Il y a eu aussi le décret N°69-197/PRES/MFC du 19 septembre 1969 portant régime financier. L’article 255 portait sur le contrôle juridictionnel.

Mais si la juridiction financière existe sur le papier, elle a eu cependant du mal à se traduire dans le champ du concret. D’ailleurs, « il n’y a eu aucune application », tranche catégorique une juriste. La législation s’est ensuite enrichie avec l’ordonnance N°82-0042/CMRP/PRES du 29 octobre 1982 et le décret N°82-0427 du 29 octobre 1982 fixant les règles et procédures applicables devant elle. Mais là aussi, il n’y a pas eu d’application effective. Il a même existé un vide institutionnel durant cette période. L’ordonnance N°69-47/PRES/MFC du 18 septembre 1969 portant loi organique relative aux lois de finances a tenté de le combler. Selon cette ordonnance, « en attendant la mise en place effective de la Chambre des comptes, il sera créé une commission Ad’hoc à laquelle le contrôle des comptes sera confié ». Mais dans la réalité, cette commission n’a jamais fonctionné.

Et puis, il y a eu la période révolutionnaire. L’ordonnance N°84-0019/CNR/PRES du 3 mai 1984, relative à la Haute Cour d’Etat qui comprenait, entre autres, la Chambre des comptes, a été le premier texte qui a connu une application. Trois magistrats ont été officiellement installés le 22 mai 1984. Mais la Chambre des comptes a éprouvé quelques difficultés à se mettre en place. Des juridictions d’exception ont émergé, estompant par moment le rôle et l’utilité de la dite Chambre. C’est le cas du tribunal spécial, créé par ordonnance le 6 mai 1967 et des tribunaux populaires de la révolution (TPR), créés en 1984 sous le Conseil national de la révolution (CNR).

26 août 1991. L’ordonnance N°91-0051/PRES rétablit la Cour suprême. Mais jusque-là, les différents textes ont connu d’énormes insuffisances qui ont bloqué leur mise en œuvre effective. La juridiction financière a pris la dénomination de Cour des comptes grâce à la loi N°014-2000/AN du 16 mai 2000. Mais sur son chemin, il y a encore des embûches…

Hervé D’AFRICK


L’UEMOA veille au grain

L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) veut faire du contrôle juridictionnel, l’un de ses crédos. La directive N°02-2000/CM/UEMOA est spécialement consacrée à ce sujet. Elle porte sur l’adoption d’un code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de cet espace communautaire. Ce code s’adresse essentiellement aux Etats membres. Il les invite à rendre opérationnelle la Cour des compte. Cette dernière devrait s’affirmer pleinement grâce à l’exercice effectif du contrôle juridictionnel.

Hervé D’AFRICK


Comptes de gestion : mode d’emploi

La production du compte de gestion est une obligation professionnelle. Elle incombe à tout comptable principal. Ce dernier doit, chaque année, soumettre son compte au juge financier. Le compte de gestion est un document qui fait le point de l’exécution du budget. Tous les comptes produits doivent être mis en état d’examen par la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique (DGTCP) et transmis, ensuite, à la Cour des comptes. La DGTCP s’assure ainsi que les comptes produits obéissent aux conditions de forme et de fond prescrites par la loi. Le contrôle juridictionnel est gage d’une gestion transparente des finances publiques.

Hervé D’AFRICK

Le Reporter

Le Reporter (reporterbf@yahoo.fr)

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