LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Limogeage de Farba Senghor : La justice sénégalaise à l’épreuve

Publié le lundi 1er septembre 2008 à 20h34min

PARTAGER :                          

Le récent limogeage du ministre Farba Senghor à Dakar constitue une mesure de salubrité publique. Il intervient en effet quelques semaines seulement après le départ pour "dépassement budgétaire" d’un autre proche du leader du "Sopi". Au-delà du Sénégal, le geste du président Abdoulaye Wade donne à réfléchir à la classe politique du continent : nul n’est au-dessus de la loi et il faut savoir se retirer pour défendre dignement son honneur et préserver les acquis de son groupe d’appartenance.

La mesure responsabilise surtout les magistrats, appelés à trancher dans des dossiers de plus en plus sensibles car portant sur la défense des libertés démocratiques. Mais jusqu’où pourra aller la justice sénégalaise ?

En le faisant partir du gouvernement, le président Wade donne effectivement à son poulain l’opportunité de pouvoir se défendre. Mais en Afrique, discret ou pas, le départ du gouvernement est généralement mal interprété dans l’opinion. On est comme lâché par ses pairs car rapidement le vide se fait autour du partant. L’exemple de Farba Senghor rappellera longtemps à tous les apprentis sorciers de la politique, que même dans les républiques bananières, il faut bien réfléchir avant de toucher à cette presse, baromètre de la démocratie.

Si l’évolution actuelle de « l’affaire Farba Senghor » soulage la presse, la magistrature, elle, est davantage interpellée. L’épreuve est donc rude pour les magistrats sénégalais. Et porter la toge doit être encore plus difficile aujourd’hui qu’hier au pays de la Téranga. Du dossier Hissène Habré à ceux qui opposent constamment les acteurs politiques au monde des médias, l’agitation paraît à son comble. C’est que pour de nombreux Africains, Dakar constitue un point de mire, et la justice sénégalaise une véritable source d’inspiration. Dans les circonstances actuelles, il serait donc malvenu de se fourvoyer. Les magistrats sénégalais, qui se sentent observés, ont intérêt à éviter de regarder en spectateurs, les hommes politiques, quels qu’ils soient, bafouer les principes élémentaires du droit, violer la liberté d’expression, et de surcroît empêcher les journalistes de faire leur travail.

La presse sénégalaise enregistre ainsi un acquis de taille dans son épreuve de force avec le pouvoir politique. Grâce au combat de la presse, la Justice, par le canal du procureur général, s’est montrée résolue à conduire le dossier, et le gouvernement a fini par céder. Mais il ne faut pas se bercer d’illusions et dormir sur ses lauriers. Les expériences enregistrées à travers le continent montrent qu’il faut demeurer constamment vigilant. Selon toute vraisemblance, la transparence rattrape le régime du "Sopi" qui a tout de même traité cet autre dossier avec célérité. Si cela est au mérite de Me Wade, il n’en confirme pas moins les critiques de mal gouvernance que l’opposition n’a de cesse de brandir depuis fort longtemps déjà. Mais Farba Senghor aurait-il pu ou dû prendre l’initiative de démissionner ? Etant donné la susceptibilité qui gouverne la classe politique africaine, il n’est pas certain qu’on aurait bien apprécié une telle décision. La culture du départ volontaire pour défendre sa cause semble bien tarder à entrer dans nos mœurs. Nul ne voudrait surtout courir le risque de se voir définitivement dépossédé de ses privilèges et voué aux gémonies pour de telles prétentions ! Sur le continent, la morale semble sérieusement à l’article de la mort.

Aussi faut-il se féliciter de la forte mobilisation des journalistes sénégalais pour défendre la profession. Ce lever de boucliers a été de taille, et il fallait agir de manière à baisser la tension. Parce que les gens des médias étaient soutenus ardemment par une société civile aux aguets et très au fait du droit. Tous ont finalement eu raison de l’arrogance et du zèle d’individus dont les intérêts sont aux antipodes de ceux du peuple sénégalais si friand de débats contradictoires.

Oui, Me Wade et son parti avaient bien promis le "Sopi". Mais, ni le Sénégal, ni le continent n’attendaient franchement ce type de changement qui désoriente. En tout cas, pas cette forme de « rupture » qui consiste à museler la presse, à annihiler tout esprit critique. Il est temps pour le chef de l’Etat sénégalais et son pouvoir de changer le fusil d’épaule. Au crépuscule de son mandat, Me Wade devra se rendre compte tôt ou tard que sa barque prend l’eau et qu’elle risque fort de sombrer. Le chef de l’Etat sénégalais doit vite reprendre le gouvernail, car ses proches le distraient de ses obligations en lui désignant des ennemis qui n’en sont pas. C’est bien plus dans les rangs de son pouvoir qu’il doit chercher et trouver le petit grain de sable qui grippe la machine. Non dans la presse qui doit continuer à jouer son rôle citoyen de contre-pouvoir. Me Wade, qui a largement bénéficié des égards des médias, par le passé, se montrerait bien ingrat s’il ne leur renvoyait pas l’ascenseur.

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique