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Indépendance de l’Ossetie du Sud et de l’Abkhazie : Les Occidentaux avaient ouvert la boîte de Pandore

Publié le jeudi 28 août 2008 à 09h37min

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Francis Fukuyama avait donc tort. L’évidence de son erreur a éclaté en pleins Jeux olympiques Pékin 2008. Quand la Géorgie a voulu rétablir par la force son autorité sur la province séparatiste d’Ossétie du sud, l’histoire, celle-là même dont Fukuyama nous avait annoncé la fin avec la chute du mur de Berlin, s’est emballée avec les chars russes déferlant, à partir de la province rebelle, sur la Géorgie et fonçant sur la capitale Tbilissi.

Fureur guerrière et fièvre diplomatique en pleine période estivale, et les mots pour le dire ont suivi : guerre froide (même si, en l’occurrence, il s’agissait d’un été chaud), esprit soviétique, provocation, esprit de Munich, etc. L’histoire s’est mise à s’écrire au fil des heures, avec des péripéties attendues, des rebondissements en série. Le dernier épisode en date, c’est la reconnaissance, par Dimitri Medvedev, de l’indépendance des deux provinces séparatistes de la Géorgie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

En fait, on peut considérer que nous sommes en train de vivre les conséquences de la fin du bloc de l’Est. L’Occident a voulu en finir rapidement avec ce spectre. Qu’il le reconnaisse ou non, qu’il en ait conscience ou non, c’est cela qui explique en partie son zèle à détricoter cet ancien monde constitué à la suite du règlement de la deuxième guerre mondiale : réunification hâtive et coûteuse de l’Allemagne, intégrations en groupes d’anciens Etats de la sphère d’influence russe ... On peut dire que les Occidentaux font tout ce qu’ils peuvent pour réduire la Russie et transformer l’ancienne super puissance en un nouvel Etat impuissant.

Et cela est poussé, souvent, jusqu’à l’humiliation. On peut penser que ce qui s’est produit avec l’indépendance du Kosovo est un exemple de ce zèle des Occidentaux à réduire la Russie pour en faire une nation à tout autre pareille. Malgré le soutien constant de la Russie à la Serbie, ils ont suscité et accompagné l’indépendance de la province serbe du Kosovo. Quand cette province séparatiste a unilatéralement proclamé son indépendance le 17 février 2008, les nations occidentales les plus puissantes (Etats-unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, etc) ont approuvé, malgré l’opposition résolue de certains Etats membres de l’Union européenne qui, faisant face même à des révendications séparatistes, ont dénoncé un précédent dangereux.

L’Espagne, la Roumanie, la Grèce, Chypre, la Macédoine ont ainsi marqué leur désaccord avec la position de la plupart des Etats occidentaux. A ce jour, sur les 27 membres de l’Union européenne, 20 ont reconnu l’indépendance du Kosovo.

A l’époque, les Américains et les Européens n’ont eu aucune considération pour les objections de grands pays, membres permanents du Conseil de sécurité comme la Chine... et la Russie. Et pourtant, c’est dans un journal chinois que Vladimir Poutine avertissait qu’il s’agissait d’un "terrible précédent".

Mais pourquoi les Occidentaux, malgré l’absence totale de légalité de l’opération et malgré des dangers évidents, ont-ils tenu à adouber les nationalistes Kosovars ? Dans la rhétorique officielle des Américains, l’idée qui revient sans cesse est celle d’une minorité ethnique menacée par une dictature, celle de Slobodan Milosevic.

Les Occidentaux auraient donc volé au secours des Albanais écrasés par les nationalistes serbes. A-t-on besoin de relever que c’est la rengaine de la lutte contre la dictature et pour la promotion de la liberté qui est ici usée jusqu’à la corde ? On dit aussi que les Américains ont soutenu les Kosovars pour montrer qu’ils ne sont pas contre les musulmans mais seulement contre les "Etats voyous" qui, éventuellement, peuvent être musulmans. Mais on peut penser aussi qu’ils étaient profondément motivés par la perspective de défaire la Yougoslavie de Tito.

D’avoir agi pour assouvir des ambitions politiques peu en phase avec la réalité historique d’une Europe de l’après-guerre froide tiraillée par des tensions ethniques profondes et diverses, les Occidentaux ont créé un "modèle Kosovar" : la pratique du fait accompli qui consiste à développer un activisme séparatiste violent pour établir un rapport de force. La rhétorique de la nation opprimée ne peut pas assurer au cas Kosovar le statut de cas exceptionnel.

On peut craindre que Dimitri Medvedev ne soit plus convaincant quand il déclare qu’en droit international, il ne peut y avoir deux poids, deux mesures.

Que va-t-il se passer maintenant ? Les Américains, dont l’arrogance est incorrigible, semblent avoir provoqué l’escalade. En pleine crise, ils précipitent la signature de l’accord avec les Polonais, pour l’installation du bouclier anti-missiles ; ils convoient de l’aide humanitaire (ce que les Russes contestent) avec des bâtiments de guerre. D’ailleurs, si l’on en croit "Le Canard enchaîné " (n°4582 du 20 août 2008), les Géorgiens auraient, dans leur action, été conseillés par des experts américains qui les auraient largement soutenus.

La Russie est poussée à la fermeté et à la surenchère, parce que les Occidentaux veulent la traiter, comme un pays du tiers-monde, en lui imposant des sanctions en tous genres. Pour montrer que cette réaction est dérisoire et mal avisée, la Russie prend les devants : elle rompt sa coopération militaire avec l’OTAN, renonce à l’OMC, etc. Il est nécessaire qu’il y ait une accalmie. Et on ne peut y parvenir tant que l’Occident ne s’avise pas qu’il ne peut pas humilier la Russie toujours plus, par exemple par des élargissements mal venus de l’OTAN. Il faut traiter la Russie comme une grande nation et négocier avec elle.

L’Occident doit en prendre son parti : l’émergence de la Chine, de l’Inde, du Brésil, etc. signale une donnée historique, celle d’un monde nécessairement multipolaire. L’Occident ne peut pas penser pour le reste du monde, dicter sa volonté à la terre. Et les dirigeants occidentaux doivent reconnaître que l’indépendance du Kosovo a été une erreur politique grave. Car avec les dizaines de revendications séparatistes que l’on compte à travers le monde, le "modèle Kosovar" n’a pas cessé d’emballer l’histoire.

"Le Pays"

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