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Procès Hissein Habré : Déby danse plus vite que la musique sénégalaise

Publié le lundi 18 août 2008 à 12h17min

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L’ex-président tchadien Hissein Habré (au pouvoir de 1982 à 1990), en exil à Dakar et poursuivi pour crimes contre l’humanité, ainsi que onze chefs rebelles tchadiens ont été condamnés à mort par contumace le jour de l’Assomption 2008.

Après donc les suppliciés de la Pentecôte au Zaïre de Mobutu, le mouton du sacrifice chi’ite de la Tabaski en Irak occupé, on a désormais les condamnés de l’Assomption au pays de Tombalbaye François puis Ngarta, authentification oblige, Fort-Lamy devenant, par la même occasion, N’Djamena. N’est-ce pas Alain Fokka de RFI ?

Les douze condamnés, dont le principal leader de la rébellion, le général Mahamat Nouri, proche d’Hissène, dit-on, et ex-ministre de la Défense de... Déby, ont été déclarés "coupables d’atteinte à l’ordre constitutionnel, à l’intégrité et à la sécurité du territoire". Trente et un autres membres de la rébellion, plus ou moins infortunés ? eux, ont écopé des travaux forcés à perpète pour "...attentats dans le but de détruire ou de changer le régime", évidemment, du président Idriss Déby Itno.

Rappelons que, les 2 et 3 février, après avoir, en moins d’une semaine, traversé d’est en ouest le Tchad en provenance, paraît-il, de leurs bases arrières soudanaises, les rebelles ont attaqué N’Djamena, acculant Déby dans son palais, et n’eût été l’intervention militaire multiforme du pays aux six côtés (1), qui avait notamment acheminé des munitions aux forces régulières, on ne parlerait vraisemblablement plus du régime de cet ancien chef d’état-major général d’Hissène Habré que sous la rubrique histoire passée du Tchad. Tant les régimes pourris sont bons pour les poubelles de la science du passé à défaut de celles de la préhistoire. Depuis cette tentative de coup d’Etat de février, la rébellion s’est manifestée par des raids, notamment en avril et en juin. Mais comme la Gaule empêche d’aller dans le sens du vent de l’Etat de droit démocratique...

"On est surpris par cette décision de la Cour" criminelle, a déclaré sous anonymat un avocat, qui a souligné que l’examen de la plainte (déposée par l’Etat tchadien) et la délibération de la Cour n’ont pris, en tout et pour tout, qu’"environ une heure". Pas étonnant alors que l’AFP ait parlé "d’audience expresse", et le général Nouri d’"une vraie parodie de justice". Mais quand tout est ficelé d’avance, les dés pipés, le jeu déjà fait, ne reste-t-il, très chers lecteurs, au metteur en scène qu’à faire dire : la pièce est jouée, comme on concluait les pièces de théâtre à l’époque des Molière ? Avouons, bonnes gens, qu’aucune instance judiciaire n’a besoin de beaucoup de temps pour cela.

"On s’interroge aussi sur la condamnation commune d’Habré et des rebelles. Faut-il y voir une lecture du pouvoir, qui pense que la rébellion et Habré sont de concert dans la préparation des attaques de la rébellion contre le régime ?", a encore dit l’avocat. Depuis le Sénégal, cet Etat de droit démocratique, pas du tout connu pour laisser ses hôtes attaquer ou faire attaquer d’autres Etats à partir de son territoire ? Si Déby croyait, fût-ce un seul instant, à une possibilité pour Habré de faire attaquer ou de contribuer à attaquer N’Djamena à partir de Dakar, s’y serait-il rendu à l’occasion du 8e Sommet de l’Organisation de la conférence islamique pour, à plus forte raison, signer avec le premier chef d’Etat en exercice qui intéresse la CPI l’accord de paix tchado-soudanais sous les bons offices de Wade ? En tout cas, ce n’est pas au Sénégal que l’avocat sus-mentionné aurait eu besoin de la précaution de l’anonymat pour parler ès qualité.

Au moyen de cette farce judiciaire, N’Djamena ne formule-t-il pas le vœu, pieux, de couper l’herbe sous les pieds de la Cour pénale internationale, en prenant ainsi les devants, de peur que le juste ou justicier Luis-Moreno Ocampo regarde du côté tchadien de la frontière soudano-tchadienne ? Et puis, pourquoi précipitamment, soudain, brusquement espérer faire taire Habré au moment même où, sur mandat de l’Union africaine, datant de juillet 2006, le Sénégal s’apprête à juger, contradictoirement, impartiellement et impartialement, cette fois-ci, le chef de l’ex-FANT (Forces armées nationales du Tchad ou Forces d’anéantissement national total selon ses contempteurs de l’époque) ?

Le Tchad n’est-il pas membre de l’UA, engagé, à ce titre, par les décisions de cette instance continentale ? En matière de droit, de démocratie, d’indépendance de la justice, de garantie des droits de la défense et des accusés, entre le Tchad de Déby et le Sénégal du célèbre chauve de Dakar, n’est-ce pas exactement la même chose qu’entre la nuit et le jour, entre ombre et lumière ? Peut-on condamner Hissène sans Déby, son ex-apparatchick du Goulag par excellence, pour ne pas dire son cerbère attitré de l’époque ? Pourquoi ruer sur le passé (pour mieux l’obscurcir ?) alors que le présent a besoin d’éclairage sur les "nombreux morts parmi les populations civiles" par suite du raid de la rébellion contre N’Djamena les 2 et 3 février et sur la disparition de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh depuis ?

Loin de nous, cependant, l’idée de défendre Hissène Habré, d’autant plus qu’il est poursuivi pour "crimes contre l’humanité, crimes de guerres et actes de torture", une "commission d’enquête sur les crimes et détournements" commis durant les années Habré, créée après sa chute, ayant estimé à plus de 40 000, dont le 10e nommément identifié, le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées au cours de sa présidence. Déby et Habré, c’est même pipe même tabac, bonnet blanc blanc bonnet. Dans ce cas, puisque, d’après Blaise Pascal (2), il faut "faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste", en remettons-nous au pays de la téranga pour juger Habré et Cie le plus pascalement possible plutôt qu’au Tchad de Déby, car, a prévenu Pascal, "ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste" au Tchad notamment, où "la raison du plus fort est toujours la meilleure", selon la Fontaine.

La rédaction

Notes : (1) Hexagone signifie six côtés. (2) In Les pensées

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