LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Collines de Taprko : « Maudit soit l’or ! »

Publié le jeudi 14 août 2008 à 11h21min

PARTAGER :                          

Depuis que l’on a découvert des gisements de minerai d’or dans les collines de Taparko, Yalgo, le département qui abrite le site, s’est mis à rêver. Pas pour longtemps… Certes, le premier lingot d’or est sorti de la coulée en octobre 2007, mais ce gros département de plus de 110 000 âmes a commencé à déchanter.

La mine d’or de Taparko est la première mine industrielle du Burkina à entrer en phase de production. Cette phase importante dans la vie de la mine a été inaugurée en fanfare par le Premier ministre Tertius Zongo en octobre 2007. A cette occasion, les officiels ont pu assister à la coulée du premier lingot d’or. C’est l’aboutissement d’un long processus de négociation entre le gouvernement et la société minière, High River Gold, via la société de droit burkinabè SOMITA. Les investissements s’expriment en milliards de francs CFA. Rien que pour la centrale électrique et l’usine de traitement, les travaux ont coûté 60 milliards de francs CFA sans compter les travaux d’exploration du site. En accordant le permis à SOMITA, le gouvernement n’avait d’yeux que pour les impôts et taxes que l’opération allait lui rapporter. Déjà, en 2006, bien avant l’inauguration officielle, le Trésor public avait engrangé près de 800 millions de francs CFA. Cette année, l’Etat escompte des revenus fiscaux de près de 105 milliards. C’est une véritable manne financière sur les 10 ans de durée de vie de la mine d’or de Taparko. Au total, 35 tonnes d’or sont attendues.

Si l’Etat se frotte les mains, ce n’est pas encore le cas pour les riverains de la mine d’or. A Yalgo, on cherche encore la couleur de cet or qui fait tant courir le Premier ministre et son gouvernement. Le 11 février 2008, soit 3 mois après l’annonce du premier lingot d’or, les populations de Yalgo, département qui abrite la mine d’or, ont tenté une marche de protestation contre des promesses non tenues de la part de la Mine. Cette marche a été stoppée par le préfet qui la juge illégale. Selon des informations recueillies sur place, les marcheurs n’auraient pas eu d’autorisation préalable.
Le responsable des jeunes de Yalgo, Amadé Ouédraogo, en est encore tout furieux : « La marche a été interrompue. Après, le commissaire a fait des enquêtes et nous a interrogés. Nous avons dit ce que nous avions à dire ».

En fait, les problèmes ne manquent pas. La principale revendication vient de « la bouche » même du maire Hamidou Yaméogo : « La question de l’eau persiste. La Mine a promis de faire des forages dès que sa station de pompage sera achevée. Depuis, les travaux sont finis et la station pompe l’eau du barrage en direction de la mine. On attend toujours les forages promis ». Quand on lui demande s’il a relancé ses interlocuteurs, sa réponse est laconique : « On a beaucoup discuté, mais rien ne se passe. Ils nous ont dit qu’ils ont donné l’argent au gouvernement, mais nous ici, on a rien vu encore ».

La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?

En février, lorsque la marche avait été initiée, c’était pour sauver le barrage. Le niveau de l’eau avait atteint un stade critique. Le maire s’en souvient : « Depuis 50 ans, je n’ai jamais vu le barrage aussi sec. Quand la Mine a voulu pomper, on a refusé, mais ils ont fait à leur tête ».

Le Faye Naaba, l’ un des chefs de la localité, attire notre attention sur le fait que le barrage est un outil de travail. Il sert à la population pour ses activités maraîchères et pastorales. Mieux, du fait du manque chronique de forages, il sert également d’eau de boisson pour une partie de la population. Le 9 juin 2008, cependant, affirme le maire, « la mine est venue à nouveau nous informer qu’elle allait reprendre le pompage ; je n’ai pas trouvé d’inconvénient à cela ; le barrage commençait à se remplir avec l’hivernage ». Le responsable des jeunes lui, précise les termes du contrat pour l’utilisation de l’eau du barrage : « C’est l’eau qu’il y a en excès que la mine doit pomper. Lorsque le niveau de l’eau a fortement baissé, normalement, la station devrait arrêter de pomper. Malheureusement, ils n’ont pas respecté ce principe ».

La rareté de l’eau a mis certains maraîchers en difficulté. La colère des jeunes est à peine voilée. La plupart étaient des orpailleurs. Depuis trois ou quatre ans, les collines leur sont interdites. Pour beaucoup, c’est la fin de l’eldorado. Leur responsable est plein de désespoir : « La situation est devenue très compliquée. Nous faisions de l’orpaillage et on s’en sortait. La mine a confisqué toutes les collines aurifères. On n’a plus d’argent. Du côté de l’agriculture, on a des problèmes d’eau. Normal que les vols augmentent dans la cité ! », conclut-il pour expliquer les conséquences du désoeuvrement d’une partie de la jeunesse. Lors du dernier point de presse du gouvernement sur la situation agricole, le ministre des Finances, répondant à une question des journalistes, a déclaré qu’une réglementation est en cours d’adoption. Elle devrait permettre de régler la question des prélèvements dans les barrages.

Aujourd’hui, une reconversion s’impose. Retourner à la terre, via le maraîchage ou se faire embaucher comme manœuvre dans les chantiers de la mine… Telles sont les alternatives qui s’offrent aux jeunes. La mine a prévu 700 travailleurs. Parmi eux, 473 journaliers temporaires. Là aussi, Yalgo compte ses travailleurs miniers sur le bout des doigts. Il est vrai que ce village n’est pas le seul autour de la mine. Le département compte 10 villages et 5 secteurs. Le Faye Naaba déclare que lui, connaît des chauffeurs dans le village (une vingtaine) qui chôment. Yalgo est inquiète. Pour l’instant, la mine ne lui a pas rapporté grand-chose.

Le pompage de l’eau aurait pu profiter à la jeune commune en termes de taxes communales. Mais le maire de la commune, Hamidou Yaméogo, attend toujours : « Ils ont dit qu’ils ont donné mais je n’ai rien vu ».
La réponse est peut-être dans les propos du préfet, rapportés par un témoin de l’audience du 11 février : « Le préfet nous a dit que l’Etat prend des taxes auprès de la société minière, que le barrage appartient à l’Etat. Et de ce fait, que nous n’avons aucun droit là-dessus ».

La question qui se pose est de savoir qui est tenu par les promesses faites par la société minière et comment les mettre en œuvre.

Le partage de la ressource eau entre miniers et agro pasteurs sera bientôt une source de conflit. Le barrage que la société minière devait construire n’a pas encore vu le jour. En attendant, elle pompe celui de Yalgo, sans contrepartie visible. A Kalsaka, c’est le « barrage de Kanazoé », principale source pour la production de tomate de la province du Passoré, qui sera sollicité par la mine de la localité. A Youga, la mine de la société BMC pompe l’eau du fleuve Nakambé. A quelles conditions ? Il ne serait pas inutile que le cahier de charges sur l’utilisation des barrages hydro-agricoles soient rendu public afin d’éviter cette méfiance grandissante entre les communautés riveraines et les sociétés minières. Il serait aussi judicieux de planifier l’appui des sociétés minières au développement des communautés riveraines afin qu’il ne soit pas l’affaire de quelques individus.

Par Aïcha TRAORE

Le Reporter (reporterbf@yahoo.fr)

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 15 août 2008 à 08:52, par Tikansons En réponse à : Collines de Taprko : « Maudit soit l’or ! »

    La réalité que révèle cet excellent article est un cas typique de violation du droit à l’alimentation et du droit à l’eau des populations locales. Le Burkina Faso a adopté et ratifié des instruments qui garantissent ces droits à toute personne sous sa juridiction. Ces instruments obligent le pays à ne pas commettre lui-même de telles atteintes aux droits de ses populations, mais également de prendre des mesures contre toute personne qui commettrait de telles atteintes. J’invite donc les populations concernées, à défaut de pouvoir obtenir une solution amiable dans les meilleures, à attraire l’Etat et les société en cause devant la justice sur le fondement des instruments pertinents.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)