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Jacob Daboué, directeur du parc automobile de l’Etat : “L’Etat débourse plus de 4 milliards de F CFA par an pour l’achat du carburant”

Publié le lundi 11 août 2008 à 11h18min

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Alors que le contexte mondial reste marqué par la hausse continue du prix du baril du pétrole, l’Etat burkinabè a décidé de maîtriser sa consommation de carburant. C’est ainsi que depuis le 2e trimestre de l’année 2008, les dotations des administrations publiques en carburant sont émises en cartes magnétiques à hauteur de 60 % des besoins exprimés. Le directeur du parc automobile de l’Etat, Jacob Daboué, explique dans cet entretien le bien-fondé d’une telle mesure.

Sidwaya (S.) : Pourquoi l’administration publique a-t-elle décidé d’émettre désormais des cartes magnétiques en lieu et place des bons de carburant ?

Jacob Daboué (J.D.) : Je voudrais attirer l’attention de l’opinion publique sur une chose : depuis un certain temps, notre pays s’est lancé dans un vaste chantier qui tend à la maîtrise des charges budgétaires dans tous les secteurs de consommation. Que ce soit dans les domaines de l’électricité, de l’eau, du téléphone ou ceux du carburant et même des pièces de rechange des véhicules en particulier, l’Etat a pensé qu’il était judicieux surtout dans le contexte actuel marqué par la cherté de la vie, de prendre des mesures entrant dans le cadre d’une gestion rationnelle du carburant et des lubrifiants.
L’utilisation des cartes magnétiques dans la consommation du carburant participe de cette vision actuelle. Elles (les cartes) nous ouvrent la voie d’une nouvelle expérience par laquelle nous allons appréhender toutes les questions relatives à la consommation du carburant et des lubrifiants.

S. : Doit-on comprendre que la hausse continue du prix du baril de pétrole (NDLR : 120 dollars à l’heure actuelle) en est la cause de la prise de ces nouvelles mesures ?

J.D. : Oui ! Comme on le dit : “à situation nouvelle, comportement nouveau”. Jamais dans l’histoire du monde, on n’a connu cette inflation-là. Face à cette situation préoccupante, notre pays se devait de prendre des mesures énergiques pour contrer l’inflation ou tout au moins, pour mieux la supporter. Et la maîtrise des charges de façon générale et plus particulièrement celles relatives au carburant, répond à ce souci majeur. Au-delà de cette inflation conjoncturelle et historique, des réformes dans la gestion et la consommation du carburant s’imposaient en fait à l’Etat car on ne pouvait pas continuer à utiliser les biens de l’Etat sans un minimum de responsabilité. A mon sens, les plus hautes autorités ont eu une vision idoine et futuriste des problèmes auxquels toute la région ouest-africaine, voire toute l’Afrique, serait confrontée.

S. : Combien de francs l’Etat dépense-t-il annuellement pour l’achat du carburant ?

J.D. : Grosso modo, l’Etat débourse plus de quatre (4) milliards par an pour l’achat du carburant. C’est énorme, quand on sait que tout est prioritaire dans notre pays : l’éducation, la santé, l’hydraulique, les routes, tout cela exige d’énormes sacrifices.

S. : Concrètement, comment les cartes magnétiques seront-elles ou sont utilisées ?

J.D. : C’est simple ! Sur une dotation annuelle de chaque ministère et institution, on applique désormais 60 % pour les puces et 40 % pour les tickets car à certains niveaux des opérations, les tickets sont indispensables.

S. : D’aucuns disent que les bons de carburant (tickets) permettent parfois de faire face à des besoins sociaux. On n’hésite pas à les transformer en espèces sonnantes. La réforme vise-t-elle également à contrer ces pratiques ?

J.D. : L’Etat n’a pas pris les mesures en pensant à une personne donnée. Il les a prises parce qu’elles vont lui permettre de maîtriser les charges en matière de consommation des produits pétroliers. Mais si ces mesures peuvent permettre de corriger des comportements quelque peu véreux, c’est salutaire et cela d’autant plus que les bons d’essence ne sont pas faits pour résoudre des questions sociales.

S. : Concrètement, en quoi les cartes magnétiques vont-elles éviter le gaspillage dont vous parlez tant ?

J. D. : La carte magnétique permet de limiter les abus. Le détenteur de la carte ne saurait la remettre à n’importe qui pour se servir à la pompe. Aussi, ceux qui avaient pris l’habitude de transformer les tickets en espèces ne pourront plus le faire aisément. Mieux, la carte est véritablement pratique transportable et discrète. Elle contient pour un certain temps donné, un montant précis de carburant. Si l’utilisateur l’épuise avant le délai prévu, il est contraint d’attendre la prochaine dotation. La carte a l’avantage de discipliner les gens, d’éviter les abus. Elle éveille le sens de responsabilité et participe à l’autogestion des consommations individuelles de carburant.

S. : La réalité du terrain est que la carte magnétique n’est pas utilisable, accessible partout sur le territoire national. N’est-ce pas là une situation qui ne manquera pas de mettre cette mesure en difficulté ?

J.D. : C’est la raison pour laquelle nous avons prévu 40 % de tickets. Mais, les pétroliers se doivent d’accompagner le gouvernement dans la mise en œuvre effective de la réforme. Ils doivent tout mettre en œuvre autant que faire se peut pour qu’il y ait des stations modernes dans les provinces et communes rurales. C’est dans leur intérêt de le faire. Il est vrai qu’une telle réforme ne saurait être à l’abri de difficultés au départ. Mais au fur et à mesure que nous avançons, les choses s’amélioreront.

S. : D’aucuns estiment que la carte magnétique n’est pas adaptée à notre contexte...

J.D. : Il y a et il y aura toujours des gens qui sont sceptiques voire hostiles à tout changement. Ici on se plaint trop vite avant même de savoir quelles sont les opportunités qu’offre la mesure. On s’attache plus aux difficultés individuelles qu’aux avantages communautaires et salvateurs. Le plus important n’est pas les états d’âmes des uns et des autres mais plutôt les économies que cette mesure permettra au pays de réaliser. Nous sommes dans un contexte de plus en plus difficile et face auquel il faut développer des réflexes de bonne gouvernance.

S. : Avec l’avènement des TIC, on constate de plus en plus le trafic d’argent, de documents… via le net. Avez-vous pris des dispositions pour parer à toute éventualité ?

J.D. : La carte magnétique présente les mêmes situations d’usage que celle utilisée dans les banques. Si vous exposez votre carte, c’est à vos risques et périls. Ce n’est pas à nous de prendre des dispositions mais plutôt aux pétroliers et aux détenteurs de ces cartes de le faire. Si les pétroliers ont conçu des cartes peu fiables, ils seront les premières victimes. Et si chaque détenteur de cartes expose le code secret de ladite carte, vous comprenez que c’est lui seul qui sera responsable de tout désagrément.

S. : A combien estimez-vous les bénéfices que la carte pourra engendrer ?
J.D. : Pour le moment je ne peux prétendre vous donner des chiffres. Cependant, je constate seulement que depuis l’instauration de la carte, le rythme de consommation a beaucoup ralenti au regard de la quantité servi par trimestre par nos services. Aussi, voudrais-je dire aux utilisateurs des puces de ne pas voir en cette mesure une sanction. C’est plutôt une solution à nos préoccupations communes : celles de maîtrise des charges de l’Etat afin de mieux distribuer les fruits de la
croissance.

S. : Le Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde, dispose d’un parc automobile très fourni. N’y a-t-il pas un contraste ?

J.D. : Ce que vous dites n’est que affirmations gratuites. Le Burkina Faso est plutôt réputé pour sa rigueur en matière de gestion. J’en veux pour preuves, les grandes cérémonies, les grands sommets qui sont bien réguliers et bien organisés dans notre pays. Le Burkina est réputé offrir de bons services malgré les petits moyens dont il dispose. N’oublions pas que la respectabilité de notre pays à travers le monde est aussi due à un ensemble de dispositions parmi lesquelles on devra citer le transport et la sécurité des hôtes de notre pays, assurés par l’Etat. Imaginez un seul instant, des chefs d’Etat dans des véhicules de l’Etat dont rien ne peut garantir la sécurité ! Où serait la puissance publique dont on parle tant ?

S. : Quel est le nombre total de véhicules que compte le parc automobile de l’Etat ?

J.D. : Au total, les véhicules à 4 roues utilitaires sont au nombre de 4 930, les véhicules particuliers 3 756, les cyclomoteurs 13 141 et les motocyclettes 1 817. Le total général donne 8 686 véhicules à quatre (4) roues, 1 958 véhicules à deux (2) roues soit 23 644 engins. C’est ce qui constitue l’ensemble du patrimoine roulant de l’Etat burkinabè.

S. : Que pensez-vous des personnalités (DG, chefs de projet, ministres) de ce pays qui détiennent au moins deux (2) véhicules grosses cylindrées ?

J.D. : Ce que vous dites n’engage que vous. Donnez-moi un exemple de ministre ou de chef de projet ou de DG qui roule en grosse cylindrée. Si vous m’en citez, on pourra en discuter. Ceci dit, les projets et programmes dont vous parlez sont liés aux partenaires au développement par des conventions. Ce sont les partenaires qui autorisent l’achat des véhicules haut de gamme auxquels vous faites allusion au regard des missions
de terrain.

S. : Pour une panne, souvent de rien du tout, des véhicules sont mis au garage. Qu’est-ce qui explique cela ?

J.D. : Disons que c’est une préoccupation. C’est pourquoi d’ailleurs les réformes en matière de bonne gouvernance viennent à point nommé. La maîtrise des charges permettra de résoudre un tant soit peu ces incohérences.

S. : Qu’est-ce qui explique le contrôle des véhicules de l’Etat effectué généralement les week-ends ?

J.D. : Cette mesure permet non seulement d’économiser le carburant mais aussi d’amoindrir les dommages que pourraient subir les véhicules et les charges des réparations et des pièces détachées. L’impact positif de cette mesure est énorme. Il pourrait se chiffrer à des milliards de F CFA. En plus, elle a un côté éthique incommensurable.

Propos recueillis par
S. Nadoun COULIBALY


Utilisation des cartes magnétiques : Economiques mais des couacs à régler

Depuis trois mois, les bons de carburant de la plupart des services de l’Etat sont émis en cartes magnétiques à hauteur de 60 % des besoins exprimés. Cette mesure vise à rationnaliser la consommation d’essence dont l’achat coûte par an 4 milliards de F CFA. Dans l’ensemble, la carte semble être bien accueillie par ses utilisateurs potentiels malgré quelques difficultés sur le terrain.

"La carte, c’est une très bonne chose". C’est ainsi que répondent la plupart des chauffeurs et autres utilisateurs des véhicules de l’Etat lorsqu’on demande leur avis sur l’introduction de la carte magnétique en lieu et place des coupons. A ce sujet, Ousseni Yaméogo, du Projet enseignement post-primaire va plus loin. Avec la carte magnétique, finis les problèmes entre le chauffeur et son patron, dit-il, regrettant toutefois n’avoir jamais utilisé la carte. Joël, du Conseil constitutionnel partage cette opinion. "La carte facilite les transactions. Elle met fin au donnant-donnant, c’est-à-dire au fait que quand on venait mettre du carburant, il fallait donner quelque chose au conducteur", estime Joël. Même les pétroliers saluent l’arrivée de la carte magnétique. Pour Serge Tapsoba, gérant de la station Petrofa Nelson Mandela, la carte, c’est vraiment bien. "Elle (la carte) permet une transparence dans la gérance. On n’a plus tellement de problèmes comme du temps des bons d’essence qui causaient pas mal d’accrochages. Les gens venaient monnayer les bons en espèces. Cette situation est en voie de prendre fin, les cas se faisant rares depuis l’introduction de la carte", nous confie M. Tapsoba.

L’abonnement à la carte coûte 6000 F CFA dont 4000 pour les frais d’achat et 2000 de carburants. Les individus peuvent se la procurer car les recharges se font dans n’importe quelle station. Son usager a la possibilité de faire l’historique de sa consommation en cas de doute pour vérifier, s’assurer qu’elle n’a pu être utilisée par quelqu’un d’autre. "Dans ce cas, on tire les 15 derniers achats. Cela permet au détenteur de voir si quelqu’un d’autre s’est servi de sa carte", explique Serge Tapsoba. La carte magnétique paraît plus économique. Elle peut ravitailler plusieurs véhicules. D’ailleurs plusieurs ministères exploitent cette option. Leurs véhicules viennent en file indienne pour se ravitailler à l’aide d’une seule puce. "Cela donne suffisamment de temps pour satisfaire le client", apprécie M. Tapsoba. Pourtant, ce n’est pas l’avis de Mlle Korotimi, pompiste pour qui les ministères se plaignent se fondant sur le fait que l’usage de la carte est fatiguant.

L’arrivée instantanée et massive de véhicules peut aussi créer des embouteillages. "Depuis que la carte est sortie, on a des embouteillages. Mais on gère", relate Mlle Korotimi Nikiéma. La carte a l’avantage de permettre à son utilisateur de mieux réguler sa consommation de carburant. La fiche qui fait office de reçu mentionne entre autres, le numéro du ticket, le nom du propriétaire de la carte, la station de service, le produit demandé, le litrage. "Depuis que j’utilise cette carte, j’ai constaté que la consommation est mieux maîtrisée, elle a même baissée", indique Roger Batiana, agent de l’Autorité supérieure du contrôle de l’Etat. Mais comme toute nouveauté, la carte rencontre des problèmes.
On pourrait dire que l’initiative d’émettre le carburant en carte magnétique est louable mais pas totalement. Cela pour plusieurs raisons.

Des couacs tout même

Pour M. Batiana, elle n’est pas profitable aux détenteurs d’engins à deux roues comme les motos de service. Autant dire qu’elle n’arrange pas ceux qui ont des dotations de petites coupures, c’est-à-dire les bons de 1500, 2000, 3000 voire 5000 F CFA. Trois mois après son introduction, seuls deux pétroliers, à savoir Total et Petrofa émettent des terminaux de paiement électronique. Ce qui pose donc un problème d’accessibilité de la carte. "Le seul problème, c’est l’extension parce que Petrofa n’est pas partout", reconnaît d’ailleurs Serge Tapsoba, gérant de Petrofa Nelson Mandela. Il soutient que pour parer à cette situation , la direction de Petrofa projette l’ouverture d’autres stations. En effet, l’inexistence de stations oblige ceux qui vont en mission dans les provinces à recourir aux bons pour compléter leur consommation.

L’extension du réseau des pétroliers à travers de nouveaux investissements permettra de rendre la carte plus accessible. De plus, les utilisateurs se plaignent du fait que les appareils (les terminaux de paiement électronique) tombent régulièrement en panne. "C’est cela qui cause quelques désagréments", martèle Roger Batiana. Il confie parcourir parfois plusieurs stations pour pouvoir s’approvisionner en carburant : "Aujourd’hui, il n’y a pas de rupture mais peut-être demain, ce sera le cas. Il faudrait que la carte soit opérationnelle dans toutes les régions". Mais en attendant, les plus réfractaires pensent que la carte sera un fardeau pour les chauffeurs. "Pour nous les chauffeurs, si on dit que la carte ne va pas fatiguer les gens, on n’a menti. Car si c’est Total, c’est Total alors qu’on peut se retrouver dans des localités où il n’y a pas des stations Total ou Petrofa", raconte Adama Gambo, conducteur à la DGTTM. Interrogé si la carte pouvait permettre de réduire les gaspillages, M. Gambo est sans ambages : "C’est difficile de parler de gaspillage. Les chauffeurs ne peuvent pas gaspiller l’essence. Quand ils prennent un bon, c’est pour exécuter une mission précise. J’ignore de quel côté il y a donc gaspillage".

S. Nadoun COULIBALY
Lassané Yaméogo (stagiaire)

Sidwaya

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