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Lutte contre la vie chère : Les nouvelles habitudes des femmes

Publié le jeudi 7 août 2008 à 11h52min

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Plus qu’une simple expression, le vie chère est une réalité quotidiennement vécue par les Burkinabè dans leur majorité. S’ils la définissent à peu près avec les mêmes mots, chacun y va de sa stratégie pour vivre ou survivre. Coup de phare sur la vie chère à travers cette escale dans un marché de Ouagadougou moins d’un mois après une augmentation des prix des hydrocarbures.

31 juillet 2008. Marché de Sankar Yaaré. Il est 8 heures 30. Dans la partie du marché réservée à la vente des légumes, on a déjà de la peine à se frayer un passage.

Des clientes rencontrées sur les lieux ne cachent pas leur inquiétude face à la cherté des prix :
"La vie chère, c’est l’augmentation des prix des denrées alimentaires. La vie est vraiment chère. Tous les prix ont flambé ; c’est dur, c’est difficile".
C’est en ces termes que les Burkinabè définissent et décrivent à la fois la vie chère, un phénomène qu’ils comparent à la dévaluation. Et comme chacun s’est adapté à la dévaluation avec plus ou moins de bonheur, on tente tant bien que mal de s’adapter à la vie chère : "Quand le marigot change de direction, le crocodile doit suivre son cours", dit le proverbe. "Le niveau des prix a augmenté mais les salaires de nos maris n’ont pas évolué ; on jongle, on se débrouille puisqu’il faut faire vivre la famille" disent en substance les femmes rencontrées dans le marché de sankar yaaré.

Mais comment les femmes burkinabè se débrouillent-elles face à la vie chère ?
Pour tenir le pari de nourrir leur famille avec le même revenu et même moins, (aux dires de certaines), elles ont abandonné certaines habitudes alimentaires : il s’agit des plats à base d’igname, de pomme de terre ou des pâtes alimentaires. "Maintenant, on se contente du riz et du tô. J’achetais 1000 F CFA de viande ; aujourd’hui, j’en prends pour 500 ou 300 et je pile le poisson sec pour ajouter", explique Mme Sangaré, ménagère. Pour Mme Soma qui vient de prendre son sac de riz à crédit "on essaie d’économiser au mieux, on ne prépare plus en quantité comme avant. On a diminué la ration de sorte que les enfants ne laissent plus de reste".

Mme Tiemtoré, ivoirienne d’origine commente pour sa part, la situation en ces termes : "Mes enfants adorent la sauce tomate mais il y a longtemps qu’on l’a préparée". On a laissé tomber les sauces tomates, légumes, yassa, graine pour se contenter des sauces djébadji (à base essentiellement d’oignon) et arachide. Sans avoir été interrogée, une femme s’invite au débat. Elle clame ceci : "Vous-même, vous êtes femmes (journaliste et photographe), vous faites le marché et vous savez bien que c’est pas facile. Prenez le cas d’un fonctionnaire qui touche 50 000 F CFA/mois. Celui-ci doit payer le loyer, l’électricité, l’eau. Si le gouvernement ne fait pas quelque chose pour les fonctionnaires, c’est grave et on ne parle même pas des paysans". Cette femme s’insurge par ailleurs contre la célébration du 11-Décembre en grande pompe en période de crise. "C’est au moment où les gens pleurent que le gouvernement décide de fêter avec de grands moyens le 11-Décembre. Avec cet argent, on pouvait acheter des vivres pour les pauvres, subventionner les prix des denrées alimentaires ou augmenter les salaires des fonctionnaires", dit-elle.

Et à ce moment, le débat devient quelque peu houleux. Et chacun y va de ses thèses où les mesures à prendre par le gouvernement pour faire face à la vie chère. Selon la conviction d’une dame "les membres du gouvernement ne sentent pas la vie chère. IIs roulent dans de belles voitures, ils ne paient ni loyer, ni électricité, ni téléphone, ni eau, ni essence". Une autre voix féminine nous ramène à la réalité des Burkinabè moyens. Rakiéta Zoungrana pendant qu’elle installait son commerce a voulu prendre part au débat : "Avec 1000 F CFA, tu ne sais même pas quoi faire ; si tu prenais 2 kilos de riz, tu es obligé de prendre 1 kilo maintenant. On ne sait pas comment cela va se terminer".

Tout le monde est concerné

Si tout le monde en tant que consommateur ressent les effets de la vie chère, les commerçants disent la vivre doublement. "Les autres pensent que c’est nous qui augmentons les prix alors qu’on gagnait mieux quand ça coûtait moins cher", se plaint Alasane Kindo, vendeur de céréales avant d’expliquer : "Voyez ce sac de petit mil, nous l’achetons à 17 750 F CFA pour le revendre à 18 000 F CFA. Si sur plus de 15 000 F, tu ne gagnes que 250 F CFA, vous voyez que ça ne va pas !

"Et pourtant il faut payer le loyer et la patente qui augmentent sans cesse. Avec 500 000 F CFA ou 1 000 000 F CFA, on voyageait pour acheter les céréales ailleurs. Aujourd’hui avec cette somme, tu ne peux acheter que 30 ou 50 sacs. Même ceux qui peuvent encore voyager n’ont plus une marge bénéficiaire suffisante. A cela s’ajoute la lenteur du marché". Un boutiquier estime qu’il vend en moyenne cinq sacs de riz par mois contre dix auparavant.

Les mêmes raisons ont poussé Boureima Ouédraogo à laisser tomber la vente de céréales pour celle des aliments pour bétail : "on ne peut pas vendre aux prix qu’ils ont fixés pour le riz, le sel et l’huile. En plus, la direction du contrôle des prix et le laboratoire sont là tous les jours alors que c’est ici à Ouagadougou que nous achetons les produits", laisse-t-il entendre.

Les vendeurs des produits d’importation vivent le problème autrement. "Quand on revient de voyage c’est difficile de faire sortir les marchandises de la douane. Les transporteurs ont beaucoup de peine et ce qu’ils nous demandent de payer est très élevé. A chaque fois on dit qu’on va diminuer mais on ne voit rien venir. Il faut dire à Tertius Zongo de voir la douane pour diminuer les taxes", supplie Rakiéta Zoungrana, commerçante.

Les bouchers, eux, estiment que c’est parce qu’on exporte trop le bétail sur pied que la viande coûte cher. El hadj Kader Kaboré affirme qu’ils vendaient le kilo de viande à 1 300 F CFA. Maintenant la même quantité est vendue à 2 000 F CFA. Aussi les bouchers ne souhaitent même pas que leurs connaissances se présentent devant eux pour acheter de la viande, car ils seraient très mal à l’aise. Mais ce n’est pas parce que la vie est devenue chère au marché et dure à la maison que les Burkinabè manquent de propositions. Si Lassané Ouédraogo pense que seule une bonne campagne peut atténuer les effets de la vie chère, El hadj Kader Kaboré, boucher, pense lui qu’il faut une concertation sur la question avec toutes les couches sociales. "Il nous faut nous asseoir ensemble, échanger et mettre ensemble nos idées pour voir comment résoudre le problème", dit-il.

Et d’ajouter "tout le monde est concerné". C’est donc avec dignité que les Burkinabè se battent pour survivre à la vie chère. Si certains affirment que la crise est générale et touche tous les pays, d’autres soutiennent que le gouvernement peut changer la situation. Pour ces derniers, c’est le cas du Burkina où ils vivent qui les préoccupe alors que selon eux, le gouvernement passe le temps à dire que c’est la même chose dans tous les pays alors que certains pays ont baissé les prix suite à des manifestations de consommateurs.

En attendant que la tempête passe, les Burkinabè demeurent moralement solidaires : les citadins plaignent leur sort tout en pensant aux paysans.
Les commerçants, eux, facilitent l’acquisition (à crédit) des produits de consommation aux fonctionnaires pour peu que ceux-ci se montrent bons payeurs ou clients réguliers. Si les Burkinabè semblent tenir le coup, il reste à craindre que la situation alimentaire du pays déjà peu reluisante (plus de 50 % des enfants de moins de cinq ans sont malnutris) ne se détériore gravement. La valorisation des ressources humaines chère aux autorités burkinabè passe par la résolution de cette crise alimentaire car avant d’être bien formée, la population doit être en bonne santé et pour cela une alimentation équilibrée, suffisante en quantité et en qualité est indispensable. Le programme alimentaire mondial annonce déjà que plus d’un million cinq cent mille personnes supplémentaires seront touchées par la faim du fait de cette crise alimentaire.

Aminata KABORE

Sidwaya

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