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Rôle de la France dans le génocide rwandais : Que vaut la thèse de Kigali ?

Publié le jeudi 7 août 2008 à 11h14min

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Décidément, les relations entre la France et le Rwanda ne semblent pas près de se normaliser. Depuis la prise du pouvoir par les troupes de Paul Kagame, les rapports entre les deux pays se sont détériorés jusqu’à la rupture des relations diplomatiques par le Rwanda en 2006. C’est une histoire qui était presqu’écrite d’avance. Durant le conflit qui a précédé le génocide, l’Etat français avait pris fait et cause pour le régime du président Habya-rimana contre la rébellion armée conduite par Kagame et soutenu, a-t-on dit, par les Américains. On s’attendait donc à ce que la victoire des anciens rebelles soit synonyme de brouille entre les deux pays.

Mais on ne s’imaginait peut-être pas que la crise serait aussi profonde et se nouerait autour de la tragédie qu’a vécue le peuple rwandais en 1994. Quand le juge français Jean-Louis Bruguière a incriminé les plus hautes autorités rwandaises dans l’attentat contre l’avion présidentiel qui a déclenché officiellement les massacres, allant même jusqu’à réclamer des poursuites contre le président Kagame, la réaction de Kigali a été à la hauteur des accusations. Non seulement il y a eu cette rupture des relations diplomatiques, mais aussi on s’est mis à parler, avec insistance, du rôle que la France, ses autorités et son armée, a joué auprès du gouvernement Habyarimana. La polémique a enflé, ponctuée de diverses enquêtes, dont celle de l’Assemblée nationale française.

On ne s’étonne pas, arrivé à ce point, que le Rwanda ait décidé de diligenter sa propre enquête et de livrer la vérité qui est la sienne. Comme on le sait, plusieurs parties ont été mises en cause dans la tragédie rwandaise, notamment des troupes belges de l’ONU. Néanmoins, la commission mise en place à Kigali avait pour mission de réunir " les preuves montrant l’implication de l’Etat français dans le génocide". On ne peut pas être plus clair. Pendant dix-huit mois, une commission installée par le gouvernement rwandais devait travailler à instruire à charge les plus hautes autorités françaises dans le dossier du génocide de 1994. Peut-on être surpris, dans ces conditions, quand les résultats de ses travaux se révèlent accablants pour l’Etat français ?

En substance, le rapport rendu public accuse la France d’avoir été au courant de la préparation du génocide et, au lieu d’agir pour l’arrêter, d’y avoir contribué, d’avoir participé aux massacres, et d’avoir protégé des génocidaires.

On peut supposer que compte tenu du degré d’implication de la France dans le conflit rwandais, celle-ci ne pouvait pas ignorer les tensions ni ce qui se passait. Il est aussi permis de penser que, dans son parti pris en faveur du régime Habyarimana, elle a fermé les yeux sur bien des choses ; il n’est même pas interdit de penser qu’elle ait donné par-ci par-là un coup de main à des groupes dont l’action dans le génocide est avérée. La raison d’Etat conduit souvent aux pires actions qui soient. Et comme on le sait, sous tous les présidents de la Ve République, la Françafrique a été le cadre d’opérations de barbouzes, de coups tordus qui défient l’imagination. Il y a comme un fil rouge qui relie ce rôle supposé de la France dans le génocide rwandais à ses opérations militaires au Tchad d’Idriss Deby et aux déclarations de Sarkozy sur les progrès du régime de Ben Ali en matière de droits de l’homme. La "vérité" que Kigali s’efforce de faire valoir dans ce rapport doit amener à réfléchir sur ce fait : la nation qui a proclamé les droits de l’homme et du citoyen ne s’est pas abstenue de s’engager dans les aventures coloniales avec toutes les tragédies que l’on sait. Ses dirigeants n’ont conçu (et ne conçoivent ?) les droits de l’homme que pour le peuple français. Et surtout pas pour les populations africaines dont Sarkozy dit encore qu’elles sont restées hors de la seule histoire qui vaille, celle que l’Occident écrit.

Il n’y a pas de doute non plus que toute la vérité sur le génocide doit être faite, et que les Rwandais ont le droit de savoir ce qui s’est vraiment passé. On peut même élargir en disant que les Africains ont le droit de savoir, à la lumière d’événements de ce genre, ce qu’ils représentent réellement dans l’esprit des dirigeants occidentaux. Quand des militaires, engagés sous le drapeau de la paix de l’ONU, crient les uns aux autres de laisser les bougnouls s’entre-tuer, des questions doivent être posées et des réponses obtenues.

Malgré tout, on peut se poser des questions sur la portée du rapport rwandais. Et aussi sur les intentions qu’il est destiné à servir. Le contexte historique de la création de la commission suscite la suspicion. Kigali n’a-t-il pas voulu donner le change à Paris ? A la demande de poursuites du juge Bruguière contre le président Kagamé répondrait celle de Kigali contre François Mitterrand, Edouard Balladur, etc. Et comme il n’est pas probable que les autorités rwandaises espèrent faire aboutir des poursuites judiciaires contre ces personnalités politiques françaises, on ne peut pas écarter l’idée d’une réponse du berger à la bergère. Et là, on éprouve nécessairement un sentiment de déception. Le génocide est, en effet, un événement particulier qui doit se soustraire aux querelles et aux calculs. Faut-il rappeler que les Nations unies parlent de 800 000 morts ? D’enfants, de femmes et d’hommes tués dans des conditions atroces ? De personnes tuées pour appartenance à un groupe ethnique ?

On aimerait que les événements de ce genre ne puissent pas être enrôlés dans des opérations de manipulation et que l’on s’efforce d’avoir, à leur sujet, des paroles au-dessus de tout soupçon. Or, de ce point de vue, si Kigali a bien le droit de dire sa vérité, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il le fait dans un contexte qui ne favorise pas la recherche sereine de la vérité. Comme on pouvait s’y attendre, dès février 2007, le ministère français de la Défense avait, par avance, mis en cause la légitimité et l’impartialité de la commission mise en place par les autorités de Kigali. C’est pourquoi on peut considérer que la rédaction de ce rapport suscite plus de questions qu’elle ne contribue à la formulation d’une parole la plus crédible possible. Plus qu’une quête de justice ou de vengeance, ce rapport doit être considéré comme un des nombreux outils du travail de mémoire sur le génocide rwandais.

"Le Pays"

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