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Mauritanie : Retour à la case départ

Publié le jeudi 7 août 2008 à 11h21min

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N’y avait-il pas d’autre issue que le coup d’État et la mise en place mercredi dernier d’un Conseil d’État en Mauritanie ? En tout cas, Ould Cheick Abdalahi aura failli, comme nous le pressentions hier dans ces mêmes colonnes ! Mais que peut bien présager cet autre coup d’État militaire, le quatrième depuis l’indépendance de la Mauritanie en 1960 ? Quelle transition pour quelle durée ? Quelle autre classe dirigeante pour quelles autres élections coûteuses pour un peuple déjà suffisamment accablé ?

Très prémonitoire, notre éditorial d’hier redoutait de voir le président déchu incapable de gérer la crise qui couvait ces derniers temps à Nouakchott. En prêtant généreusement le flanc, il aura permis à des prétoriens de trouver la faille pour justifier leur action. Notre analyse mettait en relief la profondeur du malaise et indiquait que la résolution de la crise dépendrait de l’aptitude du Président Ould Cheick Abdalahi à gérer les contradictions nées dans la gestion des affaires d’État au sein de la classe dirigeante elle-même. Parmi les pustchistes, le général Aziz, son propre patron de la garde présidentielle. Hier sur la liste des pestiférés, ce dernier se trouve donc aujourd’hui son principal géolier et successeur à la tête de l’Etat. On peut gager que l’armée et une partie de la classe dirigeante n’entendaient, certainement pas laisser s’éterniser au pouvoir un homme conspué par ses propres partisans et qui risquait à terme de faire revenir au pouvoir celui qui avait été proprement balayé du pouvoir en 2005, en l’occurence M. Ould Taya.

Depuis sa prise du pouvoir suite à des élections jugées acceptables, Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’avait en fait eu d’adversaires que…dans son propre camp ! Le mois dernier, de guère lasse, il avait même fini par menacer de dissoudre le parlement. Il entendait ainsi riposter à la motion de censure que 39 députés du Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD, au pouvoir) avaient osé déposer contre le gouvernement. Se déclarant prêt au dialogue, Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’avait cependant pas mâché ses mots : "Je n’hésiterai pas à prendre cette décision (congédier le parlement) si elle s’avère nécessaire afin de redresser notre processus démocratique".

Mais ces menaces ouvertes ont eu pour effet de stimuler les députés frondeurs, lesquels reprochaient au gouvernement ses échecs, entre autres, "sur les plans de la politique économique et sociale". Le chef de l’Etat aujourd’hui renversé, trouvait que la motion était "injustifiée". Pour sa défense, Sidi Ould Cheikh Abdallahi avançait que le gouvernement était "en place depuis un mois et demi seulement" et qu’il n’avait "même pas encore présenté sa déclaration de politique générale". Cétait mal connaître l’ampleur de la crise.

Progressivement le régime se fissurait donc, notamment lors de la gestion des postes stratégiques. Des membres du PNDD ont alors déploré l’attribution de certains de ces postes à des anciens du régime de l’ex-Président Maaouiya Ould Taya renversé en 2005. Ils s’en prenaient également au gouvernement de Yahya Ould Ahmed Waghf qui s’est ouvert à l’Union des forces du progrès (centriste) et Tawassoul (islamistes), deux formations d’opposition peu représentées à l’Assemblée.

C’en était donc trop pour les partisans constestataires. Exprimant alors ouvertement leur "extrême déception", les dissidents ont invité "toutes les forces politiques au sein du Parlement et d’ailleurs, toutes les organisations de la société civile" à les épauler dans leur lutte contre ce qu’ils qualifiaient de "déviation grave du processus démocratique". La suite on la connaît aujourd’hui : le régime Sidi Ould Cheikh Abdallahi aura fait long feu.

Au-delà de ces éternuements, la brève expérience démocratique mauritanienne confirme l’incapacité de la classe politique civile africaine à bien appréhender la complexité de la situation et surtout à chercher et trouver le consensus devant permettre de répondre à la demande sociale. Elle démontre également que l’armée demeure toujours en embuscade, habituée qu’elle est aux louvoiements et aux fuites de responsabilité qui caractérisent depuis belle lurette déjà la conduite de nos élites en manque de patriotisme et de crédibilité. Trop préoccupées par l’accumulation de superprofits qu’occasionne la gestion mafieuse de l’État, les élites africaines en sont devenues insensibles à la misère croissante des peuples africains. De quoi donner aux plus ambitieux de nos hommes en uniforme l’opportunité rêvée d’intervenir sur le terrain politique.

La grande muette a l’avantage d’un corps organisé et discipliné, celui d’être dirigée aujourd’hui par d’autres types d’élites, formées à la fois par les grandes écoles des armées, les universités et les instituts de formation supérieure. S’il est vrai que pour la plupart, les militaires orchestrant des coups d’Etat se réclament du peuple, la réalité montre toutefois que les desseins restent toujours aussi inavoués et qu’un coup d’Etat militaire peut toujours en cacher un autre.

On le voit, les condamnations et les sanctions ne mettent pas fin aux coups d’Etat. Les voies traditionnelles de résolution des crises prévues par nos constitutions sont superbement ignorées de la classe dirigeante. Sans doute les constitutionnalistes et autres sages du continent devraient-ils revoir leur copie ? Entre les coups d’État salvateurs qui se muent par la suite en cyclones ravageurs, les transitions marquées par le pilotage à vue et qui donnent naissance à des élus mafieux et démissionnaires, l‘expérience démocratique est plus que jamais en péril. La politique est devenue synonyme de course à l’enrichissement illicite et les pays africains semblent désormais être la propriété de celui qui se montrera plus puissant, plus véreux et insensible à la misère de la grande masse.

Quelle formule trouver alors, qui permette davantage de stabilité et de responsabilité, qui mette fin à l’impunité et aux injustices sociales, et offre de meilleures perspectives aux peuples africains orphélins et en détresse ?

Un consensus serait-il possible entre l’armée, l’ensemble des acteurs politiques et du corps social, société civile comprise pour créer une structure arbitre en cas de naufrage ? Un tel consensus pourrait être consigné dans la constitution que devraient garantir l’UA et la communauté internationale. Leur caution serait alors indispensable en cas de forfaiture constatée.

L’expérience mauritanienne aura hélas, très rapidement montré ses limites. C’est dommage et il est facile d’imaginer toute la tristesse et la déception de Mohamed Vall qui a assuré une transition de qualité qui se revèle aujourd’hui sans lendemains. Peut-être eût-il été mieux qu’il conservât le pouvoir ? Mais c’est sans doute là un autre problème qui relève de la divination politique.


Un témoin raconte

"Jusqu’à présent, tout se passe bien, les populations vaquent tranquillement à leurs occupations en dehors de quelques commerçants qui ont fermé leurs boutiques par précaution". Ainsi s’exprimait un témoin que nous avons joint au téléphone hier dans la soirée. Malgré donc le coup d’Etat militaire qui vient d’emporter Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, la situation est plus ou moins à la normale. Cependant, l’aéroport est fermé, le quartier administratif bouclé, la présidence, la radio et la télévision assiégées par les hommes de tenue, auteurs du coup, a affirmé notre interlocuteur. Le conseil militaire ou "Conseil d’Etat" qui tient actuellement le pays est dirigé par le Général Ould Abdelaziz, qui était le chef du Bataillon chargé de la sécurité présidentielle. Dès l’annonce du coup en fin de matinée, une poignée de partisans du chef de l’Etat déchu a manifesté mais ils ont été vite dissuadés à coup de grenades lacrymogènes et autres. Toujours selon notre interlocuteur, angoissé, "parce ce qu’on ne sait pas ce que la nuit réserve", des partis politiques dont le parti islamiste modéré ont condamné cette prise de pouvoir qu’ils ont déclarée logiquement anti- constitutionnelle. Seul un parti a donné sa caution au putsch sous le prétexte que le président renversé a trop personnalisé le pouvoir.

Notre témoin révèle aussi que les syndicats ont fermement rejeté le coup de force. Au moment où nous étions en ligne avec lui, (vers 18h30 TU), la Confédération générale de travail de Mauritanie était en réunion pour accoucher d’une déclaration de condamnation du pronunciamento. Toutefois, tout va bien pour l’instant, a insisté notre interlocuteur. Effectivement, en fonds sonore de la conversation téléphonique, il y avait de la musique distillée par un commerce. Notre témoin nous signifie aussi que par précaution, l’ambassade de France avait demandé à ses ressortissants de ne pas sortir de chez eux.

Par Morin YAMONGBE

"Le Pays"

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