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7e "Forum des peuples" du Mali : Koulikoro contre Hokkaido

Publié le jeudi 17 juillet 2008 à 12h16min

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La 7e édition du forum des peuples du Mali s’est tenue du 6 au 9 juillet 2008 à Koulikoro, sous la houlette de la Coalition des alternatives africaines dette et développement (CAD-Mali). Cette rencontre internationale qui s’est voulue le contrepoint africain au sommet du G8 tenu à la même période à Hokkaido, au Japon, a offert un espace populaire de libre expression, de revendication et de construction d’alternatives des mouvements sociaux venus de différents pays d’Afrique et d’Europe. Le Burkina était de la partie, avec la délégation étrangère la plus importante, forte d’une trentaine de membres.

L’Institut polytechnique de Katibougou, dans la banlieue de la ville de Koulikoro à une soixantaine de kilomètres au nord de Bamako a vibré du 6 au 9 juillet dernier, au rythme de plusieurs centaines d’altermondialistes africains, venus de différents pays pour dénoncer les principes et pratiques néolibérales. C’était à l’occasion de la 7e édition du forum des peuples du Mali. Et comme à l’accoutumée, la date de cette rencontre n’a pas été choisie de façon fortuite : elle correspondait à celle du sommet du G8 (les 8 pays les plus industrialisés du monde) tenu cette année au Japon. Koulikoro 2008 fut une véritable grand-messe des mouvements sociaux du Mali, d’Afrique et d’ailleurs. Ce 7e forum des peuples du Mali a fait suite à 6 précédents forums tenus dans les villes de Siby en 2002 et 2003, Kita en 2004, Fana en 2005, Gao en 2006 et Sikasso en 2007. Vu comme l’édition de la maturité, ce 7e forum se devait donc de faire mieux aussi bien sur le plan organisationnel que sur celui du niveau des échanges, comme l’a relevé Mme Barry Aminata Touré, coordonnatrice de la CAD-Mali, à l’ouverture des travaux.

Les 4 jours d’échanges et de débats se sont essentiellement tenus dans le cadre d’ateliers thématiques (il y en a eu 81 au total) et de séances plénières consacrées à des conférences, des symposiums, et aux restitutions des travaux en ateliers. L’occasion était tout indiquée pour ces centaines d’altermondialistes réunis à Katibougou, de passer au crible des sujets aussi divers et préoccupants que l’annulation de la dette, les privatisations, la vie chère, les migrations, les Accords de partenariat économique, l’aide publique au développement, la lutte contre la pauvreté, les crises scolaires et universitaires, etc. Au terme des échanges qui ont été par moment très houleux, les participants ont unanimement conclu au fait que l’endettement massif des pays du sud contraste avec l’état de pauvreté généralisée de ces pays ; que l’économie des Etats du sud est mise sous tutelle à travers les privatisations et le contrôle des entreprises privatisées par les multinationales ; que l’agriculture des Etats du sud est mise sous contrôle à travers l’imposition des OGM par les firmes multinationales de semences, etc. Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, ils ont, à travers le mémorandum qui a sanctionné le forum, exigé des Etats africains le rejet des Accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays ACP dans leurs formes actuelles ; plus de transparence dans l’utilisation des recettes tirées de l’exploitation des ressources naturelles ; la mise en place de stratégies nationales de lutte contre la corruption ; des démarches courageuses pour la promotion de l’agriculture paysanne (intrants, redevance d’eau, augmentation du budget de l’agriculture à hauteur de 10% du budget national) ; la prise de mesures courageuses contre les privatisations et pour l’extension des services publics, au Mali, particulièrement, l’arrêt du processus de privatisation de la CMDT et de l’Office du Niger ; l’augmentation significative des budgets alloués à l’éducation et la santé ; l’arrêt des politiques de privatisations massives de l’école, etc.

Supprimer la Banque mondiale et le FMI

Sur le plan international, les forumistes de Koulikoro ont exigé la révision des politiques commerciales prônant le libre échange, l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure des pays du tiers-monde ; la suppression pure et simple de la Banque mondiale et du FMI et leur remplacement par la Banque du sud, instrument privilégié de coopération et de financement du développement sur des bases plus justes et équitables ; l’arrêt immédiat et sans condition des ingérences extérieures dans les affaires intérieures des Etats, et le respect strict du principe à l’autodétermination pour tous les peuples du monde ; l’arrêt des privatisations dans les pays du sud, du contrôle des entreprises par les multinationales protégées par l’Organisation mondiale du commerce ; l’annulation de la directive retour dite « directive de la honte » de l’UE et la dénonciation du pacte européen pour l’exil de Nicolas Sarkozy ; la suppression du système FRONTEX, arsenal militaire pour protéger la forteresse européenne et arrêter les politiques répressives et racistes sur les migrations.

Et enfin, à l’endroit des mouvements sociaux et de la société civile, l’appel de Koulikoro prône un engagement sans faille pour lutter contre la forme actuelle des Accords de partenariat économique ; la sensibilisation de la population au changement de comportement de consommation par la promotion des produits locaux en remplacement des produits importés ; la sensibilisation des populations aux enjeux des APE et la formation d’un front uni contre ces politiques libérales ; l’encouragement des populations à s’approprier du contrôle citoyen de l’action publique, etc.

En tant qu’expression d’un mouvement social dynamique, le forum des peuples du Mali, selon ses organisateurs, entend traduire la volonté des peuples à circonscrire leur lutte dans la perspective d’une réaction contre l’ordre néolibéral et pour la libération du développement. La prochaine édition de ce concert des altermondialistes africains est prévue l’année prochaine, à la même période que le prochain sommet du G8, dans une ville malienne qui reste à déterminer.

Par Paul-Miki ROAMBA (envoyé spécial à Koulikoro)


Les à-côtés de Koulikoro 2008

* Le Burkina en vedette

Plusieurs délégations étrangères ont fait le déplacement de Koulikoro pour participer aux débats et animer des ateliers. Outre les Maliens venus de toutes les régions du pays, il y avait donc des Béninois, des Guinéens, des Ivoiriens, des Togolais, des Congolais, des Nigériens, des Sénégalais, des Mauritaniens, des Français, des Belges, des Canadiens, etc. La plupart de ces pays y étaient représentés par des délégations de moins de 5 personnes, mais le Burkina a fait la différence en descendant sur Koulikoro avec une délégation forte d’un peu plus d’une trentaine de représentants d’associations de la société civile et de mouvements sociaux. Ceux-ci ont brillamment pris part aux débats et donné des communications lors des ateliers. La qualité de la participation du Burkina a été soulignée par Bakary Berté, président du comité d’organisation, lors d’une interview qu’il nous a accordée.

Thomas Sankara était à Koulikoro

L’ombre du père de la Révolution burkinabè, Thomas Sankara a beaucoup plané sur les débats à Koulikoro, aussi bien lors des ateliers que pendant les communications en plénières. Celui que certains forumistes ont appelé le "Che Guevara" africain a été plusieurs fois cité, quelquefois avec le Ghanéen J. John Rawling, comme ayant été un président visionnaire dont la politique avec l’Occident aurait pu sortir l’Afrique du joug des "rapports de domination" qu’elle entretient aujourd’hui avec les pays riches.

Du soutien pour Mugabe

Personne, à Koulikoro n’a jeté la pierre sur Robert Mugabe. Bien au contraire, dans leur élan de dénonciation des politiques nord-sud, des conférenciers et participants au forum de Koulikoro ont vivement salué le courage du président zimbabwéen, à tenir tête à l’Occident. Ils ont, dans la même lancée, dénoncé les ingérances extérieures dans les affaires intérieures des Etats d’Afrique.

Comme au village

Il y avait une ambiance de familiarité entre les participants des différents pays. Les repas étaient communautaires aussi bien pour le déjeuner, le dîner que pour le petit déjeuner. Mais c’était à la manière du village profond. Pas de fourchette, pas de couteau, pas d’assiettes. On mangeait en groupes de 6 ou 7, dans un plat commun. Africains et Européens ont tous mangé à la main, à Koulikoro. Et on n’avait pas forcément besoin d’une chaise ou d’un tabouret (il n’y en avait d’ailleurs pas pour tous) pour se mettre... à table (c’est l’expression consacrée). Et on s’y est très vite habitué.

Un forum aux odeurs politiques

Comme l’indique son nom, le forum des peuples du Mali est ouvert à tous. Les organisateurs n’ont donc pu rien faire pour arrêter ces hommes politiques maliens qui se sont quelquefois emparé du micro pour faire de la propagande plutôt que de débattre autour des questions à l’ordre du jour. C’est le cas par exemple de Omar Mariko, ce député de l’opposition, qui a beaucoup pris part aux débats. Il ne s’est pas empêché de déclarer par exemple que le président ATT est l’un des plus mal élus d’Afrique.

Des étudiants donnent de la voix

L’université de Bamako est en berne, même si elle n’est pas fermée comme certaines qu’on connaît. Des étudiants, à travers une délégation conduite par Amadou Lamine Diallo, secrétaire administratif de l’AEEM (Association des élèves et étudiants maliens) ont fait le déplacement de Koulikoro pour exposer les difficultés de l’université de Bamako sur la tribune du forum des peuples. Ces difficultés ont pour noms : insuffisances des infrastructures, exiguïté des amphithéâtres, scolarité non définie dans le temps, etc.

Le ditanyé chez l’ambassadeur

La délégation burkinabè a quitté Koulikoro dans l’après-midi du 7 juillet, pour regagner Bamako, la capitale du pays d’ATT. Car elle tenait coûte que coûte à dire un "bonjour de courtoisie" à l’ambassadeur du Burkina au Mali. Sané Mohamed Topan qui a reçu les "altermondialistes" du Faso dans le somptueux cadre de l’ambassade a été surpris lors des échanges, par l’hymne nationale du Burkina qu’un membre de la délégation a expressément fait jouer à partir d’un ordinateur portable. Toute l’assistance s’est spontanément mise débout jusqu’à la fin du ditanyé.

On ira en Europe pian !

L’une des innovations du 7e forum des peuples du Mali a été la tenue de l’espace jeunes et de l’espace femmes. L’espace jeunes qui a été co-animé par Mohamed Bathili, un jeune "rastaman" et Yoro Bi Ta Raymond, journaliste ivoirien, a porté sur les migrations. Après avoir longuement épilogué sur les "pillages" dont ont été victimes les Etats d’Afrique de la part de l’Europe, les deux conférenciers sont arrivés à la conclusion que les jeunes Africains ont bel et bien le droit d’aller chercher fortune en Europe, puisque les Européens, selon eux, ont été les premiers à soustraire les richesses de l’Afrique et continuent d’ailleurs de le faire. A la fin de cet exposé sur le droit d’exile, ils ont encouragé les jeunes d’Afrique à tenter l’aventure en Europe, contre vents et marrées.

La bière en clando

Au Mali, on n’a pas l’habitude de siroter la bière en plein air comme cela se fait... ailleurs. La délégation venue de Ouaga en a fait le constat dès les premiers instants de son séjour dans ce pays à forte dominance islamique. Il y avait toutefois de la bière à gogo au maquis du centre d’accueil de Katibougou où la délégation avait élu résidence. On y a quelquefois vu des Maliens venir se faire servir du "tchimitchama" (c’est comme ça qu’ils désignent toute boisson alcoolisée) qu’ils prennent soin d’ingurgiter en quelques munites avant de quitter les lieux, discrètement. Ni vus, ni connus.

"A té tchi, a té féré !"

Le gouvernement malien veut se débarrasser de la gestion de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT), qui est de fait promise à la privatisation. Mais des voix se sont levées au sein de la société civile et des organisations syndicales pour dire non. Et c’est sans surprise que cette question qui défraye la chronique au Mali s’est invitée aux débats à Koulikoro. Et cela s’est passé autour d’un slogan en langue bambara : "A té tchi, a té féré". Ce qui veut dire que la CMDT ne sera ni dissoute, ni liquidée.

50 minutes pour quitter Bamako

Jeudi 10 juillet, 4 h 00 du matin. C’est le moment qu’avait choisi la délégation burkinabè pour quitter Bamako où elle avait passé la dernière nuit du séjour, pour le périple vers Ouagadougou, distant d’environ mille kilomètres. Le minibus fait donc le plein avec 100% de passagers burkinabè et quitte le pied-à-terre du quartier Djélibougou. Après quelques kilomètres à l’intérieur de Bamako, on se rend compte que personne dans le bus ne reconnaît la porte de sortie de la ville vers Cikasso et Bobo Dioulasso. Il est 4h et Bamako dormait encore. Mais pas ce brave jeune policier qui, avec un accent sénégalais, a bien voulu indiquer la porte de sortie aux Burkinabè égarés. Une bonne cinquantaine de minutes se sont ainsi écoulées, avant que notre minibus ne retrouve enfin la fameuse route menant à Bobo Dioulasso via Bougouni, Cikasso et Orodara.

Rassemblés par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays

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