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Fermeture des universités de Ouaga : Qui gagne perd !

Publié le mercredi 2 juillet 2008 à 11h11min

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Les Pr Bayo et Kouldiati

Conformément à l’arrêté n° 2008-07/MESSRS/CAB du 27/06/08, les universités de Ouagadougou et de Ouaga II sont fermées pour compter du 27 juin 2008. Les prestations du Centre national des œuvres universitaires sont, quant à elles, suspendues à partir du 28 juin et les appuis FONER sont également suspendus pour compter du même jour. Comme on le sait, ces décisions sont consécutives aux manifestations suivies de casses et d’actes de vandalisme qui ont eu lieu le 17 juin dernier à l’université de Ouagadougou.

Tout est parti, semble-t-il, d’une marche que les étudiants des UFR sciences exactes et appliquées (SEA) et sciences de la vie et de la terre (SVT) ont décidé d’organiser en direction de la présidence de l’université de Ouagadougou afin d’appuyer leurs revendications.

Selon la version la plus répandue, les forces de sécurité ont tenté de les empêcher d’avoir accès à la présidence et c’est à partir de cet instant que les choses ont dégénéré. Casses, affrontements, blessures, interpellations, procès ont été les conséquences dramatiques des événements de ce 17 juin 2008.

A l’évidence, personne ne savait que les choses prendraient aussi rapidement une telle tournure, vu que, selon des sources variées, les négociations se poursuivaient et nombre de dossiers étaient en étude. Mais maintenant que le mal est fait, le plus urgent, nous paraît-il, est de savoir si, au-delà des déclarations accusatrices de chaque camp vis-à-vis de l’autre, quelqu’un a réellement gagné dans ces empoignades.

En effet, comme le disait le renard au bouc dans la fable de Jean de La Fontaine, "En toute chose, il faut considérer la fin". Le gouvernement et les étudiants ont-ils vraiment considéré la fin ? Nous n’en sommes pas si sûr.

Ce qui ne se justifie pas chez les étudiants

En effet, quand les étudiants, malgré l’étude en cours de leurs points de revendication, choisissent de se rendre en masse à la présidence de l’universitaire de Ouagadougou avec pour intention de faire avancer leurs revendications, ils ne pouvaient pas ignorer les deux risques suivants qu’ils encouraient :

l’interdiction d’accès aux locaux par les forces de l’ordre, dans la mesure où la présidence n’a pas donné son accord pour y recevoir les étudiants. C’est donc un forcing qu’ils ont tenté d’opérer, et, bien entendu, les gendarmes ne pouvaient pas rester les bras croisés.

Qu’il y ait eu usage disproportionné de la force, ça, c’est certain, mais que la nécessité s’imposât de protéger les locaux et le personnel de la présidence, c’est aussi certain. Le deuxième risque est que les étudiants eux-mêmes savent que dans leurs rangs ils y a souvent des casseurs (quelques étudiants et surtout des voyous de la ville) qui profitent parfois de ces situations pour accomplir leurs forfaits.

Les forces de l’ordre pouvaient-elles se permettre de laisser les choses telles au nom des franchises universitaires et avec l’espoir que la sagesse aurait droit de cité ?

La réponse est non. On doit certes comprendre, plus que ne le fait le gouvernement, le sort des étudiants et œuvrer davantage à apporter sinon des solutions à leurs problèmes du moins du réconfort à leur cœur, car leur "tort", c’est d’avoir vu le jour bien après la période où "il y avait à boire et à manger". A leur place, il n’y a pas de doute que la classe dirigeante d’aujourd’hui ne serait pas où elle est de nos jours ;

Cependant, cela ne justifie nullement les casses régulières, qui ont cours à l’université, les agressions ou les tentatives d’agression, dont sont parfois victimes les enseignants de la part de ceux qu’ils éduquent et instruisent.

Quand le gouvernement diffère le problème

Du côté du gouvernement, la fermeture résoud momentanément le problème (ou diffère carrément sa résolution). Dans une ambiance marquée par la psychose du renchérissement accéléré du coût de la vie, les conséquences, en termes de grogne sociale, de ce renchérissement et les remous politiques, les gouvernants ont trouvé comme solution la fermeture des universités de Ouagadougou et de Ouaga II jusqu’en septembre 2008.

C’est sans conteste une occasion de répit. Mais avant de revenir sur ce que les mois à venir pourraient nous réserver, il y a lieu de faire observer que si les autorités gouvernementales et universitaires ont, de notre point de vue, raison dans le fond, la forme dans laquelle elles ont communiqué avec les étudiants aurait dû être meilleure.

On ne s’adresse pas aux étudiants de 2008 comme à ceux de 1980. Dans le second cas, on s’adressait surtout à leur raison, car leurs conditions de vie étaient bien meilleures et leur formation (syndicale et académique) bien meilleure aussi.

La force des arguments était la règle. Autre preuve de cela : les tracts. On n’avait pas besoin de casser quoi que ce soit. Une séance houleuse de négociation ou un tract ou encore une grève de 48 ou de 72 heures débloquaient rapidement une situation inextricable.

Dans le premier cas, à la raison il faut ajouter le cœur parce qu’aujourd’hui il n’y a pas de place pour la raison seule chez un étudiant qui vient à l’université à bicyclette, qui n’est pas boursier, qui s’habille et qui se nourrit difficilement.

Le simple fait de voir le président de l’université tiré toujours à quatre épingles alors que les enseignants sont plus modestes en habillement réveille des rancœurs (injustifiées soit !). Cela ne veut pas dire que le Pr Jean Koulidiaty doit s’habiller comme un clochard. Cela signifie que dans certaines circonstances (apparition sur le campus ou à la télévision en temps de crise), le costume-cravate ne sied pas.

Cela dit, voyons maintenant ce qui peut poindre à l’horizon. En réalité, on ne voit rien pour l’instant. Or, les gouvernants doivent savoir qu’à partir de septembre :

c’est le début de la rentrée des classes sur toute l’étendue du territoire ;
Le nombre d’étudiants sera plus important du fait des nouveaux bacheliers ;
Aux étudiants vont s’ajouter les élèves.

C’est dire que la moindre étincelle risque d’engendrer une déflagration générale. Aussi faut-il, dès maintenant, réfléchir aux vraies solutions à la crise.

Les arguments du genre "Les étudiants sont manipulés" ne sont pas dénués de tout fondement, puisque les gouvernants ont été également manipulés et ils le savent. Mais pour que la "manipulation" connaisse l’adhésion des étudiants, il y a certainement des thèmes et des préoccupations dans lesquelles ils se reconnaissent.

Une perte sur toute la ligne

Les deux camps ne sont donc pas exempts de critiques, comme nous venons de le voir. Et c’est dommage que les étudiants croient avoir gagné dans cette démonstration de force. Soit, une frange non négligeable de l’opinion a été séduite par leurs arguments et a pris fait et cause pour eux, mais cette victoire est également synonyme de défaite, car dans la fermeture des universités, ils sont les premiers perdants.

C’est également dommage que le gouvernement ferme ces deux universités, car cela signifie qu’il n’a pas pu ou su trouver la solution magique pour sortir de la crise. En gagnant dans la fermeture, il perd dans la recherche de solution. Pour des gouvernants, cela ne peut qu’inquiéter l’opinion.

En fin de compte, c’est la collectivité, dans son ensemble, qui en paie le prix : ceux qui sont chassés des résidences universitaires se recasent chez des parents ; les restaurants universitaires étant fermés, les étudiants iront manger chez des parents ou amis ; sans oublier qu’une fois de plus l’année académique est hypothéquée.

Z.K.

L’Observateur

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